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Date : 20150219


Dossier : IMM-8158-13

Référence : 2015 CF 225

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 février 2015

En présence de monsieur le juge Rennie

ENTRE :

LI XING CHEN (alias LI XIN CHEN)

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   La nature de l’affaire

[1]               La demanderesse cherche à faire annuler la décision datée du 26 novembre 2013 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) a conclu qu’elle n’était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’Immigration et la Protection des réfugiés, LC 2001, ch 27. Pour les motifs qui suivent, la demande sera rejetée.

II.                Les faits/la preuve de la demanderesse

[2]               Âgée de 33 ans, la demanderesse, Li Xing Chen, est une citoyenne de la Chine. Elle a épousé son mari le 24 janvier 2006, et leur premier enfant, une fille, est né le 7 décembre 2008. Après la naissance de sa fille, la demanderesse a été contrainte par les autorités de la planification familiale d’utiliser un dispositif intra‑utérin (DIU) comme moyen contraceptif.

[3]               En mai 2011, la demanderesse a soupçonné qu’elle était enceinte. Ses doutes ont été par la suite confirmés par un médecin. Lors d’une soirée, son mari a partagé la nouvelle avec des collègues de travail, et l'un d’entre eux a signalé la grossesse de la demanderesse au comité local de régulation des naissances. Un autre collègue a prévenu la demanderesse de ce signalement et celle‑ci est allée se cacher.

[4]               Alors que la demanderesse était cachée, des représentants du Bureau de la sécurité publique (le BSP) se sont présentés au domicile de la demanderesse en vue de l’emmener pour la forcer à se faire avorter. Après avoir appris que la demanderesse n’était pas chez elle, des représentants du BSP ont donné l’ordre à la demanderesse de se présenter sans délai au Bureau de la régulation des naissances pour se faire avorter. Le domicile de la demanderesse a été perquisitionné et ses pièces d’identité ont été saisies. Des représentants du BSP sont venus chez elle à plusieurs reprises pour la retrouver.

[5]               Le 1er août 2011, le mari de la demanderesse a été congédié de son emploi en raison de la grossesse de la demanderesse et de son défaut de déclarer sa grossesse. Un mois plus tard, des représentants du BSP sont revenus au domicile de la demanderesse et ont laissé une note disant à la demanderesse qu’elle devait se faire avorter et qu’elle et son mari avaient l’obligation de se faire stériliser. Après avoir reçu cette note, le mari de la demanderesse s'est lui aussi caché.

[6]               Des représentants du BSP ont continué à se présenter au domicile de la demanderesse et à celui de membres de sa famille. Craignant un avortement et une stérilisation forcés, la demanderesse a demandé l’aide d’un passeur pour quitter la Chine à l’aide d’un faux passeport de Hong Kong. Elle est arrivée au Canada le 6 septembre 2011 et a demandé l’asile le même jour. Son mari est demeuré en Chine parce que le couple n’avait pas les moyens de le faire sortir du pays. La deuxième fille du couple est née quatre mois après l’arrivée de la demanderesse au Canada.

[7]               Le 26 novembre 2013, la Commission a rejeté la demande d’asile de la demanderesse principalement au motif qu’elle n’était pas crédible et qu’elle ne serait pas exposée à de la persécution, si elle retournait dans la province du Fujian, à cause du fait qu’elle n’avait pas respecté la politique de planification familiale.

III.             La décision

[8]               La Commission a conclu que la question déterminante était celle de la crédibilité et a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le BSP et d’autres fonctionnaires ne cherchaient pas à arrêter la demanderesse et que les autorités n’étaient peut‑être même pas au courant que la demanderesse était enceinte avant de quitter la Chine.

[9]               La Commission a tiré plusieurs conclusions quant à la vraisemblance en expliquant notamment que, si la demanderesse et son mari tenaient véritablement à garder secrète la grossesse de la demanderesse, le mari ne se serait pas empressé de la révéler à ses collègues de travail. Par conséquent, la Commission a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le mari de la demanderesse n’avait pas parlé de la grossesse de sa femme à ses collègues de travail et qu’aucun de ses derniers n’avait donc signalé la grossesse aux autorités. La Commission a également conclu que la demanderesse avait inventé une explication selon laquelle son mari avait révélé la grossesse parce qu’il avait bu, étant donné que ce renseignent ne faisait partie ni de son Formulaire de renseignements personnels (FRP) initial ni de son FRP modifié.

[10]           La Commission a ensuite conclu que la demanderesse avait enjolivé sa version des faits. La Commission a fait observer que le récit de la demanderesse en ce qui concerne la divulgation de sa grossesse aux autorités et la visite du BSP chez elle le lendemain n’était pas logique. Plus précisément, la Commission a jugé invraisemblable que des représentants du BSP lui rendent visite et exigent qu’elle se fasse avorter le lendemain même après avoir été informés de la grossesse, plutôt que de tenter d’abord de vérifier si elle était vraiment enceinte. La Commission a également trouvé invraisemblable que des représentants du BSP rendent visite au domicile de la demanderesse à quatre occasions distinctes et ne laissent une note d’interruption de grossesse que le 12 septembre 2011, six jours après le départ de la demanderesse pour le Canada. Enfin, la Commission a relevé des contradictions dans le témoignage de la demanderesse; par exemple, interrogée quant à savoir comment elle avait appris qu’elle était enceinte, la demanderesse a répondu : [traduction« Parce que je ne m’[étais] pas présentée à mon rendez‑vous suivant pour la vérification de mon DIU […] » Ce n’est qu’après qu'on lui eut posé d'autres questions qu'elle a répondu que [traduction« quelqu’un [l]’avait dénoncée ».

[11]           La Commission s’est également fondée sur des éléments de preuve documentaire pour déclarer que, si la demanderesse avait été enceinte d’un second enfant, elle aurait été condamnée à une amende plutôt qu’être obligée de se faire avorter. La Commission a fait observer que, bien que preuve documentaire ait effectivement démontré que les avortements et les stérilisations forcées existaient encore en Chine, l’interprétation adéquate de la preuve documentaire donnait à penser que les avortements et la stérilisation visaient les couples atteints de maladies génétiques, ce qui n’était pas le cas de la demanderesse et de son mari.

[12]           La Commission a également accordé peu de poids aux éléments de preuve corroborants fournis par la demanderesse. La Commission a expliqué qu’en raison des problèmes de crédibilité qu’elle avait déjà relevés, elle ne pouvait ajouter foi aux lettres soumises, notamment celles provenant des amis, du mari et de la belle-mère de la demanderesse, ainsi qu’au rapport de police. Les renseignements contenus dans les documents en question n’étaient corroborés par aucun autre élément de preuve crédible et digne de foi. De plus, la Commission a estimé que la demanderesse avait la [traduction« capacité et le désir d'utiliser des documents frauduleux, comme le démontre la manière dont elle a[vait] obtenu un faux passeport et un faux visa, qui n’[avaient] pas été obtenus dans les règles ».

IV.             Analyse

[13]           Le principal motif de contestation de la décision vise les trois conclusions tirées par la Commission en ce qui concerne ce que la Commission a qualifié d'invraisemblances contenues dans l’exposé circonstancié de la demanderesse.

[14]           La Commission ne devrait conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c’est‑à‑dire que lorsque le témoignage du demandeur déborde le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ou lorsque la preuve documentaire démontre que les faits ne pouvaient pas se produire comme le demandeur le prétend. Les conclusions d’invraisemblance reposent sur la conclusion que la version des faits présentée est à ce point inusitée ou est à ce point étrangère à l’expérience courante ou à la logique qu’on ne peut y ajouter foi. Les conclusions d'invraisemblance doivent être mises en contraste avec les conclusions fondées sur les contradictions relevées dans le témoignage du demandeur, entre le témoignage du demandeur et d’autres documents, ou reposer sur des omissions importantes, sur le manque de précision du témoignage ou encore sur l’absence de documents dans les cas où l’on s’attendrait normalement à ce que des documents ou des éléments de preuve corroborants aient été présentés.

[15]           Il faut faire preuve de prudence avant de rejeter des éléments de preuve pour cause d’invraisemblance (Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, au paragraphe 7), et ce pour deux raisons. En premier lieu, ce type de conclusion est intrinsèquement subjectif. En second lieu, ainsi que je l’ai fait observer dans la décision Ndjavera c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 452 , au paragraphe 11 : « Les demandeurs d’asile sont de cultures diverses et les événements qu’ils décrivent n’ont souvent rien à voir avec le quotidien des Canadiens. Les faits qui semblent peu plausibles dans une perspective canadienne peuvent être tout ce qu’il y a de plus ordinaires ou habituels dans d’autres pays. »

[16]           Bien qu’elle l’ait qualifiée ainsi, la première conclusion d’invraisemblance tirée par la Commission n’est pas en réalité une conclusion d’invraisemblance. Toutefois, le qualificatif que la Commission lui a donné ne tire pas à conséquence. La Commission a jugé invraisemblable que le mari de la demanderesse ait divulgué ce qui aurait constitué le secret bien gardé de la grossesse de sa femme à un collègue de travail alors qu’il était ivre. La demanderesse a raconté deux versions radicalement différentes des deux événements clés qui l'ont incitée à s'enfuir de la Chine. Devant la Commission, elle a expliqué qu’étant bien au courant des politiques de planification familiales chinoises, elle a tenu sa grossesse secrète. Toutefois, dans son exposé circonstancié, elle a expliqué qu’après avoir reçu la confirmation de sa grossesse : [traduction« Mon mari et moi étions très heureux d’apprendre cette nouvelle, surtout mon mari. Il a donc partagé cette bonne nouvelle avec certains de ses collègues de son unité de travail, notamment avec Lian Sheng Chen. »

[17]           La demanderesse s’est donc contredite sur un élément clé de son propre témoignage. La Commission n’a pas cru la demanderesse.

[18]           Je passe à la seconde conclusion, qui est effectivement une conclusion d’invraisemblance. La Commission a jugé invraisemblable que des fonctionnaires du BSP et du comité de régulation des naissances ainsi qu’un agent des ressources humaines de la société où travaillait son mari se soient présentés « pour l’arrêter et pour la contraindre à se faire avorter » le lendemain même du jour où son mari avait divulgué sa grossesse à ses collègues de travail. La demanderesse a réussi à éviter de se faire arrêter uniquement parce qu’un autre employé l’a prévenue que les autorités étaient en route pour procéder à son arrestation.

[19]           Bien que la Commission n’ait cité aucun élément de preuve pour étayer sa conclusion selon laquelle la visite coordonnée des trois organismes en question ne pouvait survenir le lendemain de la divulgation de la nouvelle par son mari, la Commission n’était pas tenue d’accepter le témoignage de la demanderesse, mais elle devait plutôt en vérifier la véracité à l’aune du bon sens et de la logique, et à la lumière du reste du témoignage de la demanderesse. À cet égard, la Commission a tenu compte d’autres éléments de preuve.

[20]           En premier lieu, la Commission a fait observer que, selon la preuve documentaire, le Service administratif de la planification familiale devait autoriser toute [traduction« mesure corrective ». La demanderesse a toutefois expliqué qu’elle devait être arrêtée en vue de se faire avorter de force le lendemain même du jour où son mari avait divulgué sa grossesse. La demanderesse voulait que la Commission croie que les autorités n’avaient pas tenu compte de cette démarche administrative préliminaire.

[21]           La Commission a également examiné les éléments de preuve suivant lesquels des représentants du BSP se seraient rendus au domicile de la demanderesse à quatre occasions distinctes, et chez des membres de sa famille immédiate à neuf autres reprises entre le 21 juin et le 12 septembre 2011. Ils n’auraient toutefois laissé un avis d’interruption de grossesse que le 12 septembre 2011, une semaine après le départ de la demanderesse. Le timbre officiel apposé sur l’avis n’est pas clair et n’a pas pu être traduit et, bien qu’il ait été délivré le 12 septembre 2011, il exigeait que la demanderesse se présente pour un avortement [traduction] « le lendemain ». Bien que les autorités aient interviewé le mari de la demanderesse à la fin de juin, aucun avis ne lui avait été laissé à l’époque, et il n’avait pas été arrêté.

[22]           La présente affaire est carrément visée par l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62. La Commission a confondu les conclusions d’invraisemblance avec les conclusions quant à la crédibilité et n’a pas précisé les raisons pour lesquelles elle estimait que les visites des représentants du BSP étaient invraisemblables. Toutefois, compte tenu du dossier et des motifs de la Commission, il est facile pour la Cour de comprendre pourquoi la Commission a rendu cette décision. L’issue et le raisonnement qu'elle a suivi pour y parvenir sont à la fois intelligibles et transparents.

[23]           Suivant un des principes fondamentaux du droit des réfugiés, le risque de persécution est évalué de façon prospective ou, en des termes plus simples, le droit des réfugiés est tourné vers l’avenir. En l’espèce, la demanderesse a fui le risque de se faire avorter. Elle a accouché et la crainte qui avait provoqué sa fuite est devenue sans objet. Bien que la demanderesse affirme qu’elle et son mari craignent encore une stérilisation forcée, ce risque est basé sur des suppositions. La Commission a fait observer qu’il existait de nombreuses variantes d’une région à l’autre en ce qui concerne le degré et la nature de la mise en application des politiques de planification familiale et la Commission a refusé de conclure, vu l’ensemble de la preuve, que la stérilisation forcée demeurait une sérieuse possibilité.

[24]           J’accepte l’argument de l’avocat de la demanderesse qu’on ne trouve au dossier aucun élément de preuve décrivant un système d’application des règlements qui permettrait la prise de [traduction] « mesures correctives » en cas de violation de la politique de l’enfant unique. La Commission a toutefois conclu que [traduction« dans l’ensemble, une amende, plutôt qu’une stérilisation forcée ou quelque autre préjudice, est plus vraisemblablement que le contraire le type de sanction à laquelle la [demanderesse] serait exposée ». La Commission a tenu compte d’une foule d’éléments de preuve documentaire récents pour déterminer si la demanderesse serait condamnée à des frais d’indemnisation sociale si elle devait retourner en Chine ou si elle risquait un avortement ou une stérilisation forcés.

[25]           La demanderesse demande à la Cour de tirer une conclusion différente sur les risques à venir en ce qui concerne les mêmes éléments de preuve. La décision est analogue à celle qui avait été rendue dans l’affaire Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 288, où le juge Near fait observer ce qui suit, au paragraphe 26 :

[…] L’argument de la DP équivaut à un désaccord sur la façon dont la Commission a apprécié la preuve. La Cour n’a aucune raison d’intervenir. La conclusion voulant que la crainte subjective de la DP ne soit pas appuyée par la situation objective dans la province de Guangdong est étayée par la preuve.

[26]           Il était loisible à la Commission, vu le dossier dont elle disposait, de tirer ces conclusions sur cette question. De plus, il est de jurisprudence constante que l’amende ou les [traduction] « frais d’indemnisation sociale » imposés aux familles ayant plus d’un enfant ne constituent pas de la persécution au sens de la Convention (Huang, aux paragraphes 23 à 26; Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 636, au paragraphe 27).


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a pas de question en vue de la certification.

« Donald J. Rennie »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8158-13

INTITULÉ :

LI XING CHEN c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (OntariO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 JANVIER 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RENNIE

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 19 FÉVRIER 2015

COMPARUTIONS :

Micheal Korman

PoUR LA DEMANDERESSE

Prathima Prashad

PoUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Otis & Korman

Avocats

Toronto (Ontario)

PoUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

PoUR LE DÉFENDEUR

 

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