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Date : 20150325


Dossier : T-1090-14

Référence : 2015 CF 376

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 mars 2015

En présence de monsieur le juge de Montigny

ENTRE :

TAGHI GHASEM BOLAND

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’un appel interjeté en vertu du paragraphe 14(5) (maintenant abrogé) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, ch C‑29 (la Loi) et de l’article 21 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, ch F‑7, d’une décision en date du 27 mars 2014 par laquelle la juge de la citoyenneté Lilian Klein a rejeté la demande de citoyenneté canadienne présentée par le demandeur en vertu de l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

I.          Les faits

[2]               Taghi Ghasem Boland (le demandeur) est un citoyen de l’Iran qui a obtenu le droit d’établissement au Canada à titre de résident permanent le 10 janvier 2007. À l’époque, il était accompagné de sa femme, qui est devenue une citoyenne canadienne en 2010. Ils ont deux enfants qui sont tous les deux des citoyens canadiens.

[3]               Le demandeur a soumis une demande de citoyenneté après trois ans de résidence permanente (le 19 janvier 2010) plutôt qu'après les quatre années habituelles, de sorte qu’il ne pouvait justifier que 1 104 jours de résidence et non les 1 460 jours requis. Dans sa demande, il a déclaré 477 jours d’absence, ce qui signifiait qu’il n’avait été physiquement présent au Canada que pendant 627 jours et qu’il lui manquait donc 468 jours pour respecter le nombre minimal requis de 1 095 jours prévu à l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

[4]               Le 30 janvier 2014, le demandeur s’est présenté à une audience présidée par une juge de la citoyenneté parce qu’il n’avait pas respecté la condition de résidence. À l’audience, le demandeur était représenté par un consultant en immigration. Il n’y a pas de dossier faisant état de ce qui s’est produit à cette audience.

[5]               Le 27 mars 2014, la juge de la citoyenneté a rendu une décision par laquelle elle rejetait la demande au motif que le demandeur ne satisfaisait pas à la condition de résidence prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi. Le présent appel a été interjeté par le demandeur le 2 mai 2014.

II.        La décision contestée

[6]               La juge de la citoyenneté a d’abord examiné les faits de la présente demande, y compris les documents qui avaient été fournis pour justifier la présence physique du demandeur au Canada (domicile, emploi, avis de cotisation et autres documents). Elle a ensuite précisé que la question en litige était celle de savoir si le demandeur satisfaisait à la condition des 1 095 jours de présence physique au Canada. La juge de la citoyenneté a fait observer qu’à l’audience, le demandeur n’avait produit que son passeport actuel, qui ne couvrait pas la période en cause. La juge de la citoyenneté n’était donc pas en mesure de vérifier les antécédents de voyage du demandeur qui, selon sa propre déclaration, comprenaient 13 absences, pour un total de 477 jours. La juge de la citoyenneté a également fait observer que le passeport actuel du demandeur indiquait qu’il résidait actuellement en Thaïlande, ce que le demandeur n’avait déclaré ni dans sa demande ni dans son questionnaire de résidence. La juge était néanmoins disposée à accepter sans réserve les absences déclarées par le demandeur, qui ne se retrouvait donc qu’avec 627 jours de présence physique au Canada.

[7]               Le demandeur avait expliqué qu’il avait présenté sa demande de façon anticipée parce que son entreprise l’obligeait à voyager beaucoup et que, par conséquent, il n’aurait pas pu remplir la condition prévue par la Loi s’il avait attendu encore un an. La juge de la citoyenneté a conclu que la Loi ne contenait aucune disposition prévoyant qu'une personne n’ayant pas accumulé les 1 095 jours exigés pouvait présenter une demande anticipée pour pouvoir contourner cette exigence.

[8]               La juge de la citoyenneté a ensuite appliqué le critère de la résidence énoncé par le juge Muldoon dans l’affaire Pourghasemi (1993), 62 FTR 122 [Pourghasemi] et a conclu que le demandeur était loin de satisfaire à l’exigence des 1 095 jours de présence physique au Canada. Par conséquent, la juge a rejeté la demande de citoyenneté canadienne. Elle a également envisagé la possibilité de formuler une recommandation favorable en vertu du paragraphe 5(4) de la Loi et en est venue à la conclusion qu’il n’existait pas de situation particulière et inhabituelle de détresse ou de services exceptionnels rendus au Canada justifiant de recommander au ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire en accordant la citoyenneté.

III.       Les questions en litige

[9]               Le demandeur a soulevé plusieurs questions qui peuvent être formulées comme suit :

A.                La juge de la citoyenneté a‑t‑elle commis une erreur en retenant le critère de la présence physique comme critère de résidence?

B.                 La juge de la citoyenneté a commis une erreur en appliquant le critère de la résidence?

C.                 Le demandeur a-t-il été privé de son droit à l’équité procédurale?

D.                La juge de la citoyenneté a‑t‑elle fait preuve d’une apparence de partialité?

E.                 Les dépens devraient‑ils être adjugés au demandeur, indépendamment du sort de la présente demande?

IV.       Analyse

[10]           Le demandeur conteste le choix du critère légal applicable qu'a fait la juge de la citoyenneté ainsi que l’application qu’elle a faite de ce critère. Il n’y a aucun doute que l’application qu’un juge de la citoyenneté fait d’un critère de résidence déterminé constitue une question mixte de fait et de droit qui est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable.

[11]           Quant au choix du critère légal de la citoyenneté, je souscris à l’analyse du juge en chef dans le jugement Huang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 576 [Huang], suivant la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique à cette question, étant donné qu’elle suppose l’interprétation de la loi habilitante à laquelle est assujetti le juge de la citoyenneté. La Cour suprême du Canada – et la Cour d’appel fédérale – ont clairement indiqué dans plusieurs décisions récentes qu’à défaut de circonstances exceptionnelles – notamment lorsqu’il existe une question de droit qui revêt une importance cruciale pour le système de droit dans son ensemble et que cette question déborde le champ de compétence de l’arbitre –, les décisions rendues par les tribunaux administratifs au sujet de l’interprétation des lois qui sont étroitement liées à leurs fonctions sont présumées être assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable (voir, par exemple, Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, au paragraphe 34; Agraira c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CSC 36; Atkinson c Canada (Procureur général), 2014 CAF 187; Première Nation de Fort McKay c Orr, 2012 CAF 269. Par conséquent, dès lors que la décision est justifiée, transparente et intelligible et qu’elle appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit », la Cour ne devrait pas intervenir (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

[12]           Évidemment, les questions d’équité procédurale, y compris celles portant sur des allégations de partialité, sont assujetties à la norme de contrôle de la décision correcte (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43; Zhou c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 313, au paragraphe 12).

A.        La juge de la citoyenneté a-t-elle commis une erreur en retenant le critère de la présence physique comme critère de résidence?

[13]           Lorsqu’on applique la norme de contrôle de la décision raisonnable, on doit faire preuve de déférence envers le choix du critère de résidence retenu par le juge de la citoyenneté. Comme on le sait bien, la Loi ne définit pas les concepts de « résidence » et de « résident ». Par conséquent, la jurisprudence de la Cour est partagée en ce qui concerne le critère légal que doit respecter le demandeur pour satisfaire à la condition de résidence prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi et trois critères différents ont été élaborés.

[14]           Dans l’affaire Papadogiorgakis, [1978] 2 CF 208, la Cour a élaboré un critère qui oblige le juge de la citoyenneté à apprécier la qualité de l’attachement du demandeur au Canada (ce qu’on est convenu d’appeler « le critère du mode de vie centralisé »). Les absences du demandeur du Canada pendant la période en cause peuvent être comptées comme des périodes de résidence au Canada si le demandeur démontre que ces absences étaient temporaires et qu’il avait l’intention de faire du Canada le lieu de son domicile permanent.

[15]           La Cour a articulé dans l’affaire Pourghasemi un deuxième critère qui oblige le juge de la citoyenneté à déterminer si le demandeur a été physiquement présent au Canada pendant au moins 1 095 jours pendant la période en cause. Suivant ce critère, la présence physique au Canada est essentielle pour pouvoir satisfaire à la condition de résidence.

[16]           Le troisième critère a été élaboré dans l’affaire Koo, [1993] 1 CF 286 [Koo], en s’inspirant des deux premiers critères. Le critère de l’arrêt Koo exige du juge de la citoyenneté qu’il détermine si le Canada est le lieu où le demandeur « vit régulièrement, normalement ou habituellement » ou s'il est l'endroit où il a « centralisé son mode d’existence » en tenant compte de six facteurs censés guider son appréciation.

[17]           Dans le jugement Lam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 410 [Lam], le juge Lutfy, alors juge de la Cour fédérale, a conclu que tant que la Loi ne serait pas modifiée pour résoudre les interprétations contradictoires de la jurisprudence, il serait loisible au juge de la citoyenneté de choisir l’un ou l'autre de ces trois critères pour évaluer la condition de la résidence, à condition que sa décision dénote une compréhension de la jurisprudence, et qu'il décide à bon droit que les faits satisfont sa conception du critère législatif qu’il applique.

[18]           Avec le temps, plusieurs juges de la Cour ont exprimé leur frustration à l’égard de l’état du droit et ont tâché de simplifier la jurisprudence. Dans le jugement Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Takla, 2009 CF 1120, le juge Mainville est venu à la conclusion que le critère de l’arrêt Koo était celui qui s’était imposé et qu’il devait désormais être le seul que l'on devait appliquer en vertu de l’alinéa 5(1)c) de la Loi. Plus récemment, le juge Rennie s’est dit d’avis, dans le jugement Martinez-Caro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 640, que le critère de la « présence physique » était le seul que prévoyait l’alinéa 5(1)c) de la Loi et qu’il s’agissait donc du bon critère à appliquer. Bien que cette décision ait été suivie dans plusieurs affaires subséquentes (voir, par exemple, Donohue c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 394; Al Khoury c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 536; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Dabbous, 2012 CF 1359; Ghosh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 282), la jurisprudence relative au critère de la citoyenneté est toujours flottante. D’ailleurs, les juges de notre Cour continuent à suivre le jugement Lam et à accepter qu'il est loisible aux juges de la citoyenneté d’appliquer l’un ou l'autre des trois critères de la citoyenneté que nous avons mentionnés (voir, par ex., Huang, précité; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Saad, 2011 CF 1508; Imran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 756; Idahosa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 739; Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 19).

[19]           À l’instar du juge en chef dans le jugement Huang, j’estime que la décision Lam fait encore jurisprudence et qu’un juge de la citoyenneté est libre d’apprécier une demande de citoyenneté selon l’un ou l’autre des trois critères en question, à condition évidemment qu’il applique correctement le critère qu’il retient aux faits de l’espèce. Ce n’est peut‑être pas la solution la plus satisfaisante pour les plaideurs, mais tant que la question ne sera pas tranchée par le législateur ou par les tribunaux, c’est inévitablement le résultat de l’absence de définition du concept de « résidence » dans la Loi. Heureusement, l’introduction des articles 22.1 et 22.2 dans la Loi permettra à la Cour d’appel fédéral de trancher définitivement la question lorsqu’elle sera saisie d’une question certifiée soumise par notre Cour.

[20]           L’avocat du demandeur ne s’est pas vraiment opposé au critère retenu par la juge de la citoyenneté, mais il a néanmoins affirmé qu’elle s’était trompée à deux égards. Il affirme tout d'abord que la juge a omis de tirer une conclusion quant à savoir si le demandeur avait établi sa résidence avant la période pertinente. En second lieu, il soutient que la juge de la citoyenneté a commis une erreur en amalgamant le critère qualitatif et le critère quantitatif. Suivant l’avocat, les questions posées à M. Boland par la juge de la citoyenneté démontrent que cette dernière s’est attardée soit au critère de la qualité des attaches énoncé dans l’affaire Pourghasemi, soit au critère du lien substantiel élaboré dans l’affaire Koo, au lieu d'appliquer le strict critère de la résidence physique.

[21]           Le premier argument est dénué de tout fondement et ne s’applique d’ailleurs pas à la présente affaire. Dans la décision sur laquelle le demandeur se fonde (Wong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 731 [Wong]), le demandeur se trouvait au Canada à titre de résident permanent depuis près de neuf ans avant de présenter sa demande de citoyenneté. En l’espèce, le demandeur n’avait obtenu le droit d’établissement au Canada que trois ans avant de présenter sa demande de citoyenneté. Par conséquent, il n’y avait pas de période à laquelle la juge de la citoyenneté pouvait se référer et pendant laquelle le demandeur aurait résidé comme résident permanent avant la période de quatre ans pertinente.

[22]           De plus, ainsi que le défendeur l’a fait observer, la décision initiale de savoir si le demandeur avait établi sa résidence constitue une question préalable. La décision Wong et la jurisprudence qui l’a suivie affirment simplement que, lorsque la juge de la citoyenneté se prononce sur la citoyenneté, la première étape de l’analyse consiste à décider si le demandeur a établi sa résidence. La seconde étape vise à calculer le nombre de jours de résidence. En l’espèce, il y a lieu de présumer que la juge de la citoyenneté était disposée à accepter que le demandeur avait établi sa résidence au Canada le jour où il avait obtenu le droit d’établissement, sinon il n’y aurait eu aucune raison de chercher à savoir si la résidence du demandeur satisfaisait au nombre de jours prescrits par la Loi. Dans ces conditions, je ne comprends pas de quoi se plaint le demandeur, puisque la juge de la citoyenneté a implicitement décidé qu’il répondait au premier volet de l’analyse et qu’il avait établi sa résidence au Canada à la première date possible.

[23]           Quant à l’argument suivant lequel la juge de la citoyenneté a commis une erreur en amalgamant les critères, il est également mal fondé. Certes, la juge de la citoyenneté a posé au demandeur plusieurs questions concernant son degré d’établissement au Canada. Les conclusions qu’elle a tirées à cet égard sont énoncées à la partie A de ses motifs, qui porte sur les faits. Toutefois, sa décision (partie C de ses motifs) démontre à l’évidence qu’elle a appliqué le critère de la résidence défini dans l’affaire Pourghasemi (qu’elle cite) pour rejeter la demande. Les motifs qu’elle expose aux paragraphes 23 et 24 ne laissent aucun doute quant au raisonnement qu’elle a suivi pour refuser la demande de citoyenneté canadienne : le demandeur avait soumis sa demande une année plus tôt, [traduction« longtemps avant d’être en mesure de satisfaire à la condition de résidence prévue par la Loi » (au paragraphe 23). Elle ne discute nulle part d’aucun des six facteurs énumérés dans la décision Koo. Je suis donc incapable de déceler dans sa décision une combinaison inacceptable des divers critères élaborés par notre Cour pour évaluer la résidence en vertu de l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

[24]           Le simple fait qu’au cours d’une entrevue, un juge de la citoyenneté puisse poser à un demandeur des questions qui l’amènent à croire que l’un des critères qualitatifs est appliqué ne fait pas en sorte que sa décision finale est erronée s'il choisit finalement d’appliquer un critère quantitatif. La juge de la citoyenneté peut fort bien avoir choisi en l'espèce d’écarter le critère strict de la présence physique et d’appliquer un autre critère si elle était convaincue que la preuve démontrait l’attachement du demandeur au Canada ou encore qu’il avait centralisé son mode d’existence au Canada. Il était toutefois loisible à la juge de la citoyenneté en l’espèce d’opter en dernière analyse pour l’un ou l’autre des trois critères présentement utilisés pour évaluer la résidence.

B.        La juge de la citoyenneté a-t-elle commis une erreur en appliquant le critère de la résidence?

[25]           Le demandeur soutient également que la juge de la citoyenneté a commis des erreurs de fait. Elle aurait ainsi commis une erreur mineure dans la date de naissance du demandeur (22 août 1965 au lieu du 23 août 1965), mais il s’agit probablement d’une faute de frappe. Quant aux autres présumées erreurs, le demandeur ne les a pas démontrées et, dans de nombreux cas, le dossier ne démontre pas pourquoi la version du demandeur devrait être préférée aux conclusions de la juge de la citoyenneté.

[26]           Le demandeur allègue que la juge de la citoyenneté a commis une erreur en ce qui concerne sa période de résidence en Thaïlande. Elle a pourtant signalé à juste titre que le passeport actuel et les anciens passeports du demandeur indiquaient qu’il était un résident de la Thaïlande. Elle a également fait observer que cette résidence chevauchait sa période pertinente au Canada.

[27]           Le demandeur affirme également qu’une erreur a été commise en ce qui concerne la citoyenneté de sa femme, sans toutefois en préciser la nature. La juge a simplement fait observer que l’épouse du demandeur était maintenant une citoyenne canadienne.

[28]           Le demandeur mentionne également qu’il y a une erreur au sujet du lieu de résidence de ses parents. La juge de la citoyenneté a fait observer que le questionnaire sur la résidence que le demandeur avait rempli précisait que le pays de résidence de ses parents était l’Iran. Toutefois, dans son affidavit, le demandeur a affirmé qu’ils étaient en fait des résidents des États‑Unis.

[29]           Le demandeur affirme également que la juge de la citoyenneté n'a pas jugé crédibles certains documents fournis par l’ASFC. Bien que le demandeur n’explique pas de quels documents il parle, cette affirmation semble injustifiée. La juge de la citoyenneté n’a pas refusé de tenir compte du Système intégré d’exécution des douanes et elle n’a pas non plus conclu que le document manquait de crédibilité. Elle a simplement conclu qu’à lui seul, ce document était insuffisant pour confirmer les absences du demandeur, à défaut de passeport de ce dernier confirmant ses dates de départ du Canada et la durée de chacun de ses voyages.

[30]           En tout état de cause, aucune des présumées erreurs n’a joué un rôle déterminant en ce qui concerne la décision finale, qui portait sur la question de savoir si le demandeur avait accumulé un nombre suffisant de jours de résidence au Canada. À cet égard, la juge de la citoyenneté a accepté la version la plus favorable au demandeur et elle était disposée à reconnaître ses absences déclarées malgré le fait qu’elle doutait de leur exactitude, compte tenu de l’absence de passeport couvrant la période applicable. C’est en se fondant sur les absences en question qu’elle a conclu que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences en matière de résidence de la Loi. Le demandeur ne peut guère reprocher à la juge de la citoyenneté d’avoir commis une erreur en rejetant sa demande, étant donné que la juge a conclu qu’il ne satisfaisait pas au nombre de jours prévus par la Loi en se fondant sur le nombre de jours d’absence qu'il avait lui-même déclarés.

C.        Le demandeur a-t-il été privé de son droit à l’équité procédurale?

[31]           Le demandeur soutient qu’il avait le droit d’être informé des conséquences de la non-production de son ancien passeport. Cet argument n’a aucune incidence sur l’issue de la présente demande parce que, même si la juge de la citoyenneté avait été en mesure de vérifier ses absences déclarées, cela n’aurait eu aucune incidence sur l’application du critère de la présence physique.

[32]           Le demandeur semble laisser entendre que, si la juge de la citoyenneté avait été en mesure de vérifier ses absences déclarées, elle aurait pu décider d’appliquer l’un des critères qualitatifs. Rien dans la décision ne permet de penser que tel était le cas. Là encore, la juge de la citoyenneté a retenu l’interprétation la plus favorable de la présence physique du demandeur au Canada et elle a accepté qu’il s’était trouvé au Canada pendant 627 jours au cours de la période applicable; son ancien passeport n’aurait confirmé tout au plus que les absences reconnues par le demandeur lui-même.

D.        La juge de la citoyenneté a-t-elle fait preuve d’une apparence de partialité?

[33]           Le demandeur semble laisser entendre que la juge de la citoyenneté avait un parti pris parce qu’elle avait eu accès au gabarit pour la préparation et l’analyse du dossier, un document qui avait au départ été caviardé du dossier certifié du tribunal pour ensuite être communiqué à l’avocat du demandeur sous le sceau de la confidentialité. Le gabarit pour la préparation et l’analyse du dossier est une formule standard utilisée par les agents de la Citoyenneté pour analyser les données dans les dossiers de demande de citoyenneté. Comme Catherine Thai l’a expliqué dans son affidavit confidentiel versé au dossier de la requête en confidentialité du défendeur, le gabarit pour la préparation et l’analyse du dossier sert à analyser des renseignements sensibles. Un des objectifs du gabarit est d’examiner les antécédents de l'intéressé pour déceler toute fraude.

[34]           Il ressort de l’examen du gabarit pour la préparation et l’analyse du dossier qu’il n’y a aucune allégation de fraude contre le demandeur en l’espèce. Le gabarit a été utilisé comme à l’accoutumée pour examiner les antécédents du demandeur. Ce n’est pas parce que l’un des objectifs de ce document est de déceler les fraudes qu’il s’ensuit pour autant que chaque personne qui présente une demande de citoyenneté et qui est interrogée a commis une fraude. D’ailleurs, la seule fois où le mot « fraude » apparaît, c'est dans la requête en confidentialité du défendeur. Dans cette requête, tout en plaidant contre la communication du gabarit pour la préparation et l’analyse du dossier, le défendeur soutenait de façon générale que la divulgation du gabarit pourrait amener des individus à découvrir les méthodes de détection de la fraude utilisées par le gouvernement. Le défendeur n’a jamais affirmé qu’une fraude avait été commise en l’espèce. De même, le simple fait que le gabarit pour la préparation et l’analyse du dossier fait partie de la trousse de documents examinée par la juge Klein ne signifie pas pour autant qu’elle croyait qu’il y aurait fraude dans le cas du demandeur ni qu’il y avait apparence de partialité.

[35]           De plus, comme l’a fait observer le défendeur, c'est l'agent de la citoyenneté et non la juge qui a décidé d’interroger plus à fond le demandeur sur des questions mettant en cause sa crédibilité. Le fait que l’agent qui a préparé le dossier à examiner choisit d’enquêter plus à fond sur un point particulier ne permet pas nécessairement de conclure à un parti pris de sa part ou de penser que la décision finale de la juge était entachée de partialité. Comme le défendeur l’a soutenu, une telle affirmation reviendrait à interdire toute enquête et constituerait à tout le moins une entrave au pouvoir discrétionnaire de la part de l’agent de la citoyenneté.

[36]           Quoi qu’il en soit, même si des allégations de fraude avaient été formulées, elles n’auraient aucune incidence sur la décision finale rendue dans la présente affaire, étant donné que la fraude n’était pas en cause. La juge de la citoyenneté a estimé, se fondant sur le strict critère de la présence physique, que le demandeur ne remplissait pas la condition de la résidence.

E.         Les dépens devraient-ils être adjugés au demandeur indépendamment du sort de la présente demande?

[37]           Le demandeur réclame les dépens au tarif des dépens procureur-client indépendamment de l’issue du présent contrôle judiciaire. Le paragraphe 400(1) confère à la Cour pleine latitude pour « déterminer le montant des dépens [...]les répartir et [...] désigner les personnes qui doivent les payer ». Le paragraphe 400(3) énumère un certain nombre de critères dont la Cour doit tenir compte pour exercer ce pouvoir discrétionnaire et notamment : « a) le résultat de l’instance et i) la conduite d’une partie qui a eu pour effet d’abréger ou de prolonger inutilement la durée de l’instance ».

[38]           La Cour ne dispose d’aucun élément de preuve lui permettant de penser que le refus du défendeur de communiquer les documents caviardés a prolongé inutilement la durée de l’instance. Le défendeur avait le droit de s’opposer à la divulgation de certains renseignements en vertu du paragraphe 318(2) des Règles. Tout comme le demandeur était libre de s’opposer au caviardage de ces passages, le défendeur a le droit de chercher à en interdire la communication au moyen d'une requête en confidentialité.

[39]           Dans le cas qui nous occupe, le défendeur était disposé à présenter une requête dès l’introduction de l’instance, mais il a reçu d’autres directives de la Cour. Les parties ont reçu l’ordre de se présenter à des conférences de gestion de l’instance pour régler leurs différends et le juge chargé de la gestion de l’instance les a encouragées à préciser la teneur d’une ordonnance de confidentialité selon les modalités qui leur convenaient. Ce n’est qu’après que les parties n’eurent pas réussi à s’entendre que le juge chargé de la gestion de l’instance a ordonné au défendeur de présenter une requête en confidentialité.

[40]           Le demandeur fait reposer toute sa demande d’adjudication de dépens au tarif des dépens avocat-client sur le fait qu’il a demandé la communication des documents caviardés et que le défendeur s'est opposé à leur divulgation. Les dépens procureur-client ne peuvent être adjugés sur ce fondement. Le défendeur avait le droit de défendre sa position de bonne foi et il n’a pas retardé ou prolongé inutilement la durée de l’instance. Il a fallu environ trois mois avant que l’avocat du demandeur soit en mesure de prendre connaissance des documents caviardés. On peut difficilement parler de la « conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante » nécessaire pour justifier une adjudication de dépens au tarif des dépens procureur-client dans le cas d’un tel retard (voir Microsoft Corporation c 9038-3746 Québec Inc, 2007 CF 659, aux paragraphes 11 et 16; Sandhu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 941; Louis Vuitton Malletier SA v Yang, 2007 CF 1179, au paragraphe 55).

V.         Dispositif

[41]           Pour les motifs qui ont été exposés, la demande présentée par le demandeur en vue de faire annuler la décision du 27 mars 2014 de la juge de la citoyenneté est rejetée, le tout sans frais.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que l’appel de la décision par laquelle la juge de la citoyenneté a rejeté la demande de citoyenneté présentée par le demandeur en vertu de l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté est rejeté. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Yves de Montigny »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T-1090-14

 

INTITULÉ :

TAGHI GHASEM BOLAND c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 MARS 2015

 

JUGEMENT et motifs :

LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 MARS 2015

 

COMPARUTIONS :

Me Sheldon Robins

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Judy Michaely

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Mary Lam

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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