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Date : 20150316


Dossier : IMM-6532-13

Référence : 2015 CF 327

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 mars 2015

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

NEINOUSH PAASHAZADEH

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La demanderesse demande à la Cour d’annuler la décision par laquelle le gestionnaire de programme à l’ambassade du Canada à Varsovie, en Pologne, a conclu qu’elle était interdite de territoire pour fausses déclarations aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27 (la LIPR ou la Loi). Pour les motifs exposés ci-après, la demande doit être rejetée.

Contexte

[2]               La demanderesse est une citoyenne de l’Iran et réside à Téhéran. De mai 2005 à janvier 2009, elle a travaillé à titre d’experte-conseil en publicité pour le compte de Nikyari Air Service (Nikyari), et depuis septembre 2009, elle est coordonnatrice de la publicité pour Chi Chast Construction Company (Chi Cast). Le 14 septembre 2010, elle a reçu une offre d’emploi de spécialiste en marketing et en publicité de la part de Petro-Ex Canada Inc.

[3]               Dans le cadre de la présente demande, il est pertinent de noter que le 28 septembre 2011, la demanderesse a commencé à travailler à temps partiel pour le compte de l’entreprise Apadana Caravan Tourism Company (Adapana) dans l’objectif, dit‑elle, de gagner un revenu supplémentaire pour subvenir aux besoins de sa famille.

[4]               Lorsque la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) (TQF) le 18 juin 2012, elle a inscrit, comme expérience de travail, qu’elle avait travaillé au sein des entreprises Nikyari et Chi Chast. Au sujet de cette demande, elle a déclaré qu’en raison de la nature de son emploi chez Adapana, elle ne croyait pas que cet emploi [traduction] « d’appoint » était suffisamment important pour qu’elle le déclare.

[5]               La demanderesse a expliqué que le 30 juin 2012, lorsqu’elle est devenue une employée à temps plein d’Adapana, elle ne croyait pas qu’il était nécessaire de déclarer cet emploi, car elle avait déjà rempli les exigences de la catégorie des TQF en matière d’expérience de travail.

[6]               Dans l’objectif de vérifier l’emploi de la demanderesse, un agent lui a demandé de fournir son certificat de l’organisation de la sécurité sociale (OSS). La demanderesse a transmis d’autres documents de son employeur, mais pas le certificat de l’OSS demandé.

[7]               Le 18 juin 2013, une lettre d’équité procédurale a été envoyée à la demanderesse pour l’informer qu’on ne lui accorderait aucun point pour son expérience de travail, car l’agent n’était pas convaincu qu’elle avait occupé les emplois inscrits dans sa demande, en raison de son omission de produire le certificat de l’OSS.

[8]               Le 5 juillet 2013, la demanderesse a écrit à l’ambassade et elle a produit le certificat de l’OSS demandé, qui révélait qu’elle travaillait chez Adapana depuis septembre 2011. Elle a affirmé que la demande de preuve d’assurance formulée par l’agent l’avait poussée à déclarer son emploi chez Adapana, car avant cela, elle ne croyait pas que ces renseignements étaient nécessaires ou importants dans le cadre de sa demande.

[9]               Le 7 août 2013, la demanderesse a reçu un courriel de la part d’un agent de l’ambassade, selon lequel elle avait trompé l’agent et avait fait une présentation erronée au sujet de son emploi, car elle n’avait pas déclaré son emploi chez Adapana lorsqu’elle avait présenté sa demande. L’agent a indiqué que l’affaire serait confiée à son superviseur, le gestionnaire de programme, qui allait rendre une décision définitive. La demanderesse disposait de 30 jours pour fournir des renseignements supplémentaires.

[10]           Le 5 septembre 2013, la demanderesse a fait parvenir une autre lettre à l’ambassade, dans laquelle elle expliquait qu’elle remplissait déjà les exigences de la catégorie des TQF en matière d’emploi lorsqu’elle avait présenté sa demande et qu’elle ne croyait donc pas qu’elle devait déclarer son emploi à temps partiel. Elle a précisé qu’elle n’avait pas volontairement exprimé une réticence sur ce renseignement et qu’elle croyait honnêtement que celui-ci ne constituait pas un élément important de sa demande.

[11]           Le gestionnaire de programme a rejeté la demande au motif que la demanderesse avait fait une présentation erronée sur son emploi aux termes du paragraphe 40(1) de la Loi et qu’elle ne remplissait donc pas les conditions requises pour obtenir la résidence permanente au Canada. Le gestionnaire de programme n’a pas cru l’explication de la demanderesse selon laquelle elle ne savait pas qu’elle devait déclarer son emploi chez Adapana, car le formulaire précise clairement que toutes les activités doivent être énumérées. Le gestionnaire de programme a conclu que [traduction] « la présentation erronée sur ce fait important ou une réticence sur ce fait entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi, car l’exhaustivité et l’exactitude de l’expérience de travail sont importantes pour évaluer si vous remplissez les conditions requises et si vous êtes admissible. »

Questions en litige

[12]           La demanderesse soutient que la présente affaire soulève les questions en litige suivantes :

1.      La mens rea est‑elle requise aux termes du paragraphe 40(1) de la Loi?

  1. L’omission de la demanderesse constitue‑t‑elle un « fait important » pour les besoins de l’application du paragraphe 40(1) de la Loi?

La mens rea

[13]           La demanderesse soutient que la première question en litige, soit celle concernant la mens rea aux termes du paragraphe 40(1) de la Loi, devrait être examinée conformément à la norme de la décision correcte. Je souscris à l’avis du défendeur, selon lequel il s’agit d’une question de droit liée à l’interprétation de la loi constitutive de l’agent et qu’elle est donc susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité : voir Oloumi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2012 CF 428, au paragraphe 13 (Oloumi), citant Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, aux paragraphes 46 et 48).

[14]           Selon la demanderesse, l’absence du terme [traduction] « sciemment » au paragraphe 40(1) donne à penser que la connaissance de la fausse déclaration n’est pas nécessaire pour conclure qu’il y a eu fausse déclaration. D’autre part, elle souligne que l’article 127 de la Loi prévoit que commet une infraction quiconque sciemment fait, directement ou indirectement, des présentations erronées sur un fait important quant à un objet pertinent ou une réticence sur ce fait, et de ce fait entraîne ou risque d’entraîner une erreur. Le non-respect de l’article 127 de la Loi constitue une infraction. La demanderesse fait valoir qu’en retirant la connaissance des conditions préalables à une conclusion d’interdiction de territoire aux termes du paragraphe 40(1), il pourrait y avoir atteinte au droit à la liberté d’un demandeur même si celui‑ci n’avait pas l’intention de faire une fausse déclaration. La demanderesse cite la décision Osianwo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 378 (Osianwo), où le juge Hughes a accueilli la demande, car la fausse déclaration avait été faite sans mens rea.

[15]           La demanderesse soutient qu’elle n’a pas exprimé sciemment ou intentionnellement une réticence sur un fait important qui risquait d’entraîner une erreur, car elle croyait honnêtement qu’il n’était pas nécessaire de déclarer ces renseignements. Par conséquent, elle soutient qu’il s’agit du type de situation visée par les exceptions à la règle générale.

[16]           Je conviens avec le défendeur que la demanderesse savait pertinemment qu’elle travaillait chez Adapana au moment de la présentation de sa demande. Par conséquent, la déclaration selon laquelle elle ignorait qu’elle faisait une fausse déclaration aux termes de l’article 40 de la Loi n’est pas fondée.

[17]           En outre, je reconnais que la demanderesse ne s’est pas acquittée du fardeau d’assurer l’exhaustivité et l’exactitude de sa demande. Dans le formulaire, les instructions, qui enjoignent aux demandeurs de présenter leurs antécédents personnels en détail, précisent expressément que les demandeurs doivent donner des renseignements détaillés sur les 10 dernières années. Les instructions précisent également qu’il faut fournir des lettres de recommandation de tous les employeurs des 10 dernières années, de sorte que la demanderesse savait que toute son expérience de travail pendant cette période était pertinente dans le cadre de sa demande. Le formulaire exige aussi aux demandeurs de faire la « déclaration solennelle » suivante : « Les renseignements que j’ai donnés dans la présente demande sont véridiques, complets et exacts. »

[18]           Même s’il est possible de qualifier l’omission de la demanderesse d’erreur commise de bonne foi, elle serait tout de même visée au paragraphe 40(1) de la Loi, car il est établi que cette disposition englobe les omissions innocentes de fournir des renseignements importants : Baro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1299, au paragraphe 15; Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c Abdallah, 2013 CF 1053, au paragraphe 17; Gobordhun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 971, au paragraphe 28; Sayedi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 420, aux paragraphes 40, 42, 44 et 52.

[19]           En outre, j’accepte l’observation du défendeur, qui soutient que l’intention de la demanderesse n’est pas nécessaire à l’application de cette disposition, en raison du fait qu’il est établi que cette disposition vise également les fausses déclarations faites par un tiers : voir Oloumi; Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 378, aux paragraphes 16 et 18; Mahmood c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 433, au paragraphe 22; Jiang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2011 CF 942, au paragraphe 35; Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1059, aux paragraphes 55 à 58.

[20]           Dans la décision Oloumi (et dans huit cas semblables jugés le même jour par la juge Tremblay‑Lamer), la Cour a examiné la proposition tirée de la décision Osisanwo, sur laquelle s’appuie la demanderesse, et a conclu que selon la règle générale, une fausse déclaration peut être faite à l’insu du demandeur. La Cour a souligné qu’il existe une exception étroite à cette règle, mais que cette exception ne s’applique qu’aux « circonstances véritablement exceptionnelles dans lesquelles le demandeur croyait honnêtement et raisonnablement qu’il ne faisait pas une fausse déclaration sur un fait important ».

[21]           Il ne s’agit pas de l’un des cas véritablement exceptionnels visés par l’arrêt Oloumi, car la demanderesse savait qu’elle faisait une réticence sur un renseignement et a décidé de ne pas le préciser, car elle croyait qu’il ne revêtait aucune importance. Compte tenu des instructions données dans la demande et de la correspondance avec l’ambassade, cette croyance n’était pas honnête ni raisonnable.

Le fait important

[22]           La demanderesse soutient que son emploi chez Adapana ne constituait pas un « fait important » pour la raison suivante : l’issue aurait été la même, qu’elle ait travaillé ou non chez Adapana, car l’expérience de travail qu’elle avait déclarée lui avait permis de recueillir le nombre maximal de points dans cette catégorie. Comme son emploi chez Adapana n’avait aucune incidence sur son admissibilité au titre de la catégorie des TQF, il n’était pas important.

[23]           De plus, la demanderesse affirme qu’elle a divulgué ce renseignement dès qu’elle a su qu’il était pertinent dans le cadre de sa demande ou aurait pu l’être. Je rejette entièrement cette observation. La demanderesse a fourni les documents demandés uniquement après s’être fait dire qu’elle n’avait obtenu aucun point pour son expérience de travail.

[24]           La demanderesse cite la décision Taei c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF n203, où elle s’appuie sur le principe que « la primauté du droit n’exige pas que les lois soient lues et interprétées automatiquement et sans réflexion » et que le bon sens peut continuer de s’appliquer. Elle fait valoir que la Loi vise à permettre l’immigration, et non à l’empêcher, et elle fait valoir qu’il est insensé de l’empêcher d’immigrer alors qu’elle s’est trouvé un emploi et qu’elle a déjà obtenu les points nécessaires pour être admissible.

[25]           Il a été statué que l’objectif de l’alinéa 40(1)a) de la Loi est de veiller à ce que les demandeurs fournissent des renseignements honnêtes, complets et véridiques, et à dissuader les fausses déclarations : Bodine c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 848, au paragraphe 44; Kobrosli c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 757, aux paragraphes 46 à 48. Il est également établi que la divulgation complète est fondamentale à l’application juste et équitable du régime d’immigration : Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 512, au paragraphe 25; et Oloumi, au paragraphe 23.

[26]           Pour être importante, une présentation erronée n’a pas besoin d’être décisive ou déterminante. Elle est importante si elle est suffisamment grave pour nuire au bon déroulement du processus : voir Sayedi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 420, aux paragraphes 26 et 27. Je suis de l’avis du défendeur, qui soutient qu’une omission (innocente ou non) de transmettre des renseignements « véridiques, complets et exacts » dans une demande est importante, car elle empêche l’agent d’examen d’évaluer tous les faits personnels du demandeur et de vérifier tous les renseignements se rapportant à un demandeur pour décider s’il est vraiment admissible au Canada.

[27]           Le demandeur a proposé deux questions à certifier :

[traduction]

Question 1 : La mens rea est‑elle requise pour conclure qu’il y a eu de fausses déclarations aux termes du paragraphe 40(1) lorsque cette conclusion entraîne l’application de l’article 127 de la LIPR et l’emprisonnement possible du demandeur qui a fait des présentations erronées sur des faits importants?

Question 2 : L’objectif intéressé est‑il un élément requis dans une présentation erronée sur des faits importants qui « entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la [LIPR] », aux termes du paragraphe 40(1) de la LIPR? Dans le cas contraire, si le demandeur n’avait aucun avantage à faire, directement ou indirectement, une présentation erronée sur un fait important, devrait‑il être interdit de territoire en application du paragraphe 40(1)?

[28]           Je suis de l’avis du défendeur, selon lequel il est impossible de certifier la première question, car elle on ne peut affirmer qu’elle permettrait de trancher un appel. L’article 127 exige que la personne ait agi « sciemment ». L’article 127 n’est pas en cause dans la décision contestée, car le gestionnaire de programme n’a pas conclu que la demanderesse avait fait une fausse déclaration sciemment, mais qu’elle avait fait [traduction] « une présentation erronée ou exprimé une réticence » sur des renseignements.

[29]           Il est aussi impossible de certifier la deuxième question, car l’interprétation adéquate du paragraphe 40(1) de la Loi est bien établie en droit. La question de savoir si la présentation erronée est intéressée ou non n’est pas pertinente, car cette exigence n’est pas énoncée dans la disposition législative.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6532-13

 

INTITULÉ :

NEINOUSH PAASHAZADEH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 JANVIER 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 MARS 2015

 

COMPARUTIONS :

Mehan Youssefi

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Meva Motwani

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mehan Youssefi

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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