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Date : 20150303


Dossier : IMM-4903-13

Référence : 2015 CF 266

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 mars 2015

En présence de monsieur le juge O’Keefe

ENTRE :

ARNOLDO MAXIMILIANO ASCENCIO GUTIERREZ

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) a rejeté la demande d’asile du demandeur. Ce dernier sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi).

[2]               Le demandeur cherche à obtenir une ordonnance annulant cette décision défavorable et renvoyant l’affaire à la Commission pour qu’un autre commissaire rende une nouvelle décision.

I.                   Contexte

[3]               Le demandeur, né le 15 août 1985, est citoyen mexicain. Il a vécu dans l’État d’Aguascalientes.

[4]               Avant de venir au Canada, il a pris, en janvier 2006, les rênes de l’entreprise de services immobiliers de sa famille. En mars 2006, il a reçu des menaces d’extorsion d’une organisation criminelle, La Familia Michoacán (LFM), qui voulait l’obliger à verser de l’argent à Carlos Zamarripa. À la suite de ces menaces, son père l’a informé que ce n’était pas la première fois que cela arrivait. Le demandeur a décidé de ne pas se plier aux demandes malgré les conseils de son père. Il n’a pas signalé l’incident à la police, mais a plutôt demandé l’aide de son ami, le fils du maire de la région. Cela n’a eu aucun effet.

[5]               En avril 2006, la LFM a enlevé le demandeur et exigé qu’il leur verse 25 000 pesos par mois, sous peine de le tuer. Le 16 mai 2006, deux hommes ont abordé le demandeur, l’ont sommé de verser la somme exigée et l’ont ensuite battu. Le demandeur a porté plainte à la police plus tard dans la journée, mais celle‑ci lui a dit qu’elle ne pouvait pas le protéger. Le 5 juin 2006, il a encore été enlevé. Le lendemain, sa famille l’a aidé à se rendre à Mexico, et, le 22 juin 2006, il est parti pour le Canada.

[6]               Depuis son arrivée au Canada, le demandeur est retourné deux fois au Mexique : la première fois pour un mois, de décembre 2006 à janvier 2007, et la deuxième fois pour un mois également, de janvier 2008 à février 2008. La première fois, c’était pour obtenir de l’argent de son père pour payer ses études au Canada et renouveler son visa, et, la deuxième fois, c’était également pour renouveler son visa d’étudiant. Le 23 janvier 2008, lors de sa deuxième visite, un individu a tiré des coups de feu dans sa direction alors qu’il était dans sa voiture à Mexico. La police lui a dit de signaler l’incident aux autorités de sa ville.

[7]               Le demandeur a quitté le Mexique le 15 février 2008 avant le renouvellement de son visa d’étudiant et il est arrivé au Canada le même jour. Son visa d’étudiant n’a finalement pas été renouvelé. En mars 2008, il a signé un formulaire de départ volontaire lorsqu’il a rencontré un agent d’immigration à Calgary. Il est toutefois resté au Canada et s’est marié avec une citoyenne canadienne. Cette dernière n’a jamais déposé de demande de parrainage. Le demandeur a appris dans un centre communautaire qu’il ne pouvait pas demander l’asile s’il était marié à une citoyenne canadienne. Il a divorcé, mais il n’a pas été précisé clairement si le divorce avait un lien avec la demande d’asile, laquelle a été présentée le 27 septembre 2011.

II.                Décision faisant l’objet du contrôle

[8]               La Commission a rejeté la demande d’asile et communiqué sa décision le 10 juillet 2013.

[9]               Après avoir résumé les revendications du demandeur et son analyse, la Commission a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

[10]           La Commission a fondé sa décision et son raisonnement sur trois motifs : i) l’absence de crainte subjective, ii) la question de la crédibilité et iii) l’existence d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) viable.

[11]           Premièrement, en ce qui a trait à la crainte subjective, la Commission n’a pas accepté l’explication du demandeur pour justifier pourquoi il n’avait pas demandé l’asile dès la première occasion qui s’est offerte à lui au Canada, à savoir qu’il avait un visa d’étudiant et qu’il ne savait pas qu’il pouvait demander l’asile parce qu’il n’avait pas établi de liens avec des hispanophones au Canada. La Commission a conclu que l’explication du demandeur était « insatisfaisante et invraisemblable ».

[12]           De plus, la Commission a jugé déraisonnables les raisons données par le demandeur pour justifier qu’il était retourné deux fois au Mexique et a considéré le fait qu’il se soit réclamé de la protection de ce pays à plusieurs reprises comme étant incompatible avec une crainte subjective de persécution.

[13]           La Commission a indiqué que l’ex-épouse du demandeur, une citoyenne canadienne, n’avait pas présenté de demande de parrainage pour lui. Le demandeur a expliqué que cette dernière lui avait dit de ne pas s’inquiéter et qu’il lui avait fait confiance. Il a versé en preuve son certificat de divorce. La Commission a jugé « déraisonnable » l’explication qu’il a donnée pour justifier le fait qu’il « n’a déployé aucun effort pour régulariser sa situation, compte tenu de sa prétendue crainte de persécution ».

[14]           La Commission s’est ensuite interrogée sur le fait qu’il avait attendu trois ans et demi avant de demander l’asile après son entrée au Canada, la dernière fois en 2008. La Commission a d’abord jugé déraisonnable qu’il n’ait pas exploré d’autres options pour rester au Canada lorsqu’il s’est vu dans l’impossibilité de faire renouveler son visa d’étudiant. Elle a ensuite jugé déraisonnable que le demandeur ait divorcé d’avec son épouse après avoir reçu d’un centre communautaire, en 2011, des renseignements erronés suivant lesquels il ne pouvait présenter une demande d’asile s’il était marié à une Canadienne. La Commission a de plus affirmé qu’elle jugeait déraisonnable qu’il n’ait jamais su, depuis 2008, qu’il pouvait demander l’asile et qu’il ne soit pas entré en communication avec la communauté hispanique eu égard au fait qu’il est « autonome, débrouillard, extraverti et instruit ».

[15]           La Commission a reconnu dans ses motifs que « [m]ême si le fait de tarder à présenter une demande d’asile n’est pas un facteur décisif, il s’avère pertinent au moment d’évaluer la crainte subjective d’un demandeur d’asile ». L’inférence défavorable de la Commission se basait sur le fait qu’il avait manqué plusieurs occasions de demander l’asile et sur le fait qu’il s’était réclamé de nouveau de la protection du Mexique, ce qui était, a‑t‑elle conclu, incompatible avec l’existence d’une crainte subjective.

[16]           Deuxièmement, la Commission était d’avis que le demandeur n’était pas crédible, en raison notamment des secrets de famille concernant les demandes d’extorsion et du fait qu’aucun membre de la famille n’avait repris les rênes de l’entreprise familiale après son départ. En particulier, la Commission a conclu qu’il était peu vraisemblable que la famille du demandeur ne l’ait pas informé de tous les aspects de l’exploitation de l’entreprise familiale, en particulier des demandes d’extorsion antérieures. La Commission a également jugé « déraisonnable et non crédible l’explication donnée par le demandeur d’asile pour justifier la décision de ses frères de ne pas reprendre l’entreprise familiale ».

[17]           Pour ces questions, la Commission était d’avis qu’elle ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve fiables ou dignes de foi pour conclure que le demandeur « craint avec raison d’être persécuté ou qu’il est exposé à un risque crédible de préjudice au Mexique aujourd’hui, étant donné l’absence de crainte subjective établie ci‑dessus ».

[18]           Troisièmement, la Commission a conclu que le demandeur avait bel et bien une PRI viable et raisonnable à Mexico, à Mérida ou à Hermosillo. Pour parvenir à cette conclusion, la Commission s’est appuyée sur la preuve documentaire, selon laquelle il n’existe pas de base complète de données d’identification personnelle au Mexique.

III.             Questions en litige

[19]           Le demandeur soumet les trois questions suivantes à mon examen :

1.                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le demandeur avait une PRI raisonnable?

2.                  Les conclusions de la Commission concernant la crainte subjective étaient‑elles déraisonnables?

3.                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur en tirant des conclusions d’invraisemblance?

[20]           Le défendeur répond que le litige porte sur la seule question de savoir si le demandeur a soulevé une cause défendable qui lui permettrait d’obtenir gain de cause dans une demande de contrôle judiciaire.

[21]           Je préfère les questions distinctes du demandeur, que je reformule comme suit :

A.                Quelle est la norme de contrôle applicable?

B.                 L’évaluation de la PRI par la Commission était-elle déraisonnable?

C.                 L’évaluation de la crainte subjective par la Commission était‑elle déraisonnable?

D.                L’évaluation de la vraisemblance par la Commission était‑elle déraisonnable?

IV.             Observations écrites du demandeur

[22]           S’appuyant sur l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 (l’arrêt Dunsmuir), le demandeur soutient que les questions en l’espèce sont des questions mixtes de fait et de droit et que, par conséquent, elles sont sujettes à révision suivant la norme de la décision raisonnable.

[23]           En ce qui a trait à la question de la PRI, le demandeur fait valoir que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a évalué les deux critères suivants pour établir l’existence d’une PRI : 1) le risque grave de persécution dans tout le pays; 2) la possibilité de refuge proposée ne doit pas être déraisonnable eu égard à la situation du demandeur d’asile visé.

[24]           Premièrement, en ce qui concerne l’existence d’un risque grave de persécution dans tout le pays, la Commission n’a pas examiné la motivation ou d’autres moyens qu’une base de données électronique que la LFM pourrait avoir pour pourchasser le demandeur, par exemple le recours largement répandu à des gangs criminels.

[25]           Deuxièmement, en ce qui concerne la question de savoir si la possibilité de refuge proposée est déraisonnable, la Commission n’a pas évalué les risques particuliers auxquels serait exposé le demandeur dans les PRI proposées : elle a plutôt examiné les taux de corruption ou de criminalité dans leur ensemble. Or, Mexico est une PRI déraisonnable parce que le demandeur y a été la cible de coups de feu après avoir appelé ses parents à Aguascalientes. De plus, la Commission est tenue d’évaluer le caractère raisonnable de la PRI sans se borner aux bonnes perspectives d’emploi et au taux de criminalité plus bas.

[26]           À propos de la crainte subjective, le demandeur soutient qu’il était déraisonnable de la part de la Commission de fonder sa conclusion sur la présentation tardive de la demande d’asile, sur le fait qu’il se soit réclamé à nouveau de la protection de son pays de nationalité et sur le fait que son ex‑épouse ne l’ait pas parrainé.

[27]           Premièrement, en ce qui concerne la présentation tardive de la demande d’asile, le demandeur fait valoir, citant à l’appui Gyawali c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1122, [2003] ACF no 1387 (la décision Gyawali), qu’un statut temporaire valide était un motif légitime pour ne pas demander l’asile dès la première occasion. En l’espèce, le demandeur avait un permis d’études valide et il s’est ensuite marié. Le refus subséquent d’un permis d’études était attribuable à un manque d’argent, et non au fait qu’il avait fréquenté un établissement scolaire pendant deux mois seulement. De plus, la présentation tardive de la demande d’asile n’indiquait pas une absence de crainte subjective, mais un manque de connaissance des options juridiques qui s’offraient à lui.

[28]           Deuxièmement, en ce qui concerne le fait qu’il se soit réclamé à nouveau de la protection de son pays de nationalité, le demandeur soutient que son retour au Mexique n’avait rien de volontaire et qu’il n’avait pas l’intention d’y résider. Il invoque Camargo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1434, au paragraphe 35, [2003] ACF no 1830, au paragraphe 35, où la Cour affirme qu’« un séjour temporaire par un réfugié dans le pays où il craint la persécution, alors qu’il n’a pas l’intention d’y établir sa résidence permanente, ne devrait pas impliquer la perte du statut de réfugié ». En l’espèce, le demandeur est retourné au Mexique la première fois pour présenter une demande de visa et la deuxième fois pour renouveler son visa. Toutefois, il n’est jamais retourné chez lui à Aguascalientes et il n’avait pas l’intention de rester au Mexique.

[29]           Troisièmement, en ce qui concerne le fait que son ex‑épouse ne l’a pas parrainé, le demandeur soutient qu’il était [traduction] « déraisonnable de la part de la commissaire de faire des généralisations abusives sur ce qu’il aurait dû faire pendant qu’il était marié ». Il était également déraisonnable de la part de la Commission de présumer qu’il avait divorcé uniquement parce qu’il souhaitait présenter une demande d’asile.

[30]           Sur la question de la vraisemblance, le demandeur soutient que la Commission n’a pas clairement distingué les conclusions relatives à la crédibilité et celles relatives à la vraisemblance et que les conclusions relatives à la vraisemblance n’étaient pas étayées par une preuve claire. Il cite Martinez Giron c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 7, [2013] ACF no 5 (la décision Giron), qui exige qu’une distinction soit établie entre les conclusions relatives à la crédibilité et la conclusion voulant que la menace posée soit invraisemblable et indique que les conclusions d’invraisemblance ne doivent être tirées que dans les cas les plus évidents. Le demandeur soutient qu’il n’a pas pris contact avec la communauté hispanique parce qu’il voulait faire une rupture nette et que cela n’était pas impossible. Le demandeur allègue que les conclusions relatives à l’invraisemblance se fondent sur de simples hypothèses et que, par conséquent, la Commission a commis une erreur donnant matière à révision, comme dans Ortega c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 182, [2012] ACF no 201. La Commission a notamment émis des hypothèses sur le fait que l’entreprise familiale n’avait pas poursuivi ses activités et sur le fait que le demandeur n’avait pas été informé des demandes d’extorsion antérieures.

V.                Observations écrites du défendeur

[31]           Le défendeur soutient que la norme de contrôle applicable en l’espèce devrait être celle de la décision raisonnable. S’appuyant sur Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654, et Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339 (l’arrêt Khosa), il affirme que la Cour doit faire preuve de beaucoup de retenue à l’égard de la décision de la Commission. Il fait valoir que la Commission n’a commis aucune erreur susceptible de révision.

[32]           À propos de la crainte subjective, le défendeur réitère la conclusion de la Commission suivant laquelle la présentation tardive de la demande d’asile est incompatible avec une crainte subjective. Invoquant Rodriguez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 292, [2002] ACF no 402, il soutient que le défaut d’établir l’existence d’une crainte subjective de persécution porte un coup fatal à la demande d’asile. Il n’est pas déraisonnable de s’attendre à ce que, durant la période de trois ans et demi qui s’est écoulée avant la présentation de sa demande d’asile, le demandeur se renseigne sur les options qui s’offraient à lui pour immigrer, s’il craignait vraiment pour sa vie.

[33]           En ce qui a trait au fait que le demandeur se soit réclamé de nouveau de la protection de l’État, le défendeur s’appuie sur Kostrzewa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1449, [2012] ACF no 1550 (la décision Kostrzewa), où la Cour a conclu que le fait de se réclamer plusieurs fois de la protection du pays de persécution mine la crainte subjective du demandeur s’il n’a pas de raisons impérieuses de le faire. En particulier, le défendeur insiste sur la similarité entre cette affaire-là et celle qui nous occupe, citant un extrait de la décision Kostrzewa : « Bien que dans son témoignage M. Kostrzewa ait déclaré qu’il avait eu un visa d’étudiant valable pendant cette période, et qu’il n’a été au courant de la possibilité de présenter une demande d’asile que peu de temps avant de présenter sa demande, il n’était pas déraisonnable que la Commission ait tiré une inférence défavorable relativement à sa crainte subjective, sur la base de son omission de présenter une demande d’asile pendant une période raisonnable de temps, après son arrivée au Canada (Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1379, au paragraphe 20; Duarte c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 988, aux paragraphes 14 à 15; Espinosa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1324, au paragraphe 17; Huerta c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 271 (CA)). »

[34]           Le défendeur soutient également que la plupart des arguments du demandeur constituent une invitation à apprécier de nouveau la preuve, et ce n’est pas le rôle de la Cour. Il fait valoir que la Commission a examiné tous les documents dont elle disposait et que les motifs de sa décision indiquent clairement pourquoi la demande a été rejetée.

[35]           Sur la question de la vraisemblance, s’appuyant sur Sellan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 381, [2008] ACF no 1685, le défendeur soutient que le demandeur n’a pas fourni de preuve documentaire indépendante pour dissiper les doutes de la Commission. Il appartient à la Commission d’évaluer la crédibilité de la preuve, notamment en relevant les incompatibilités et les contradictions. De plus, le demandeur n’a pas réfuté la présomption selon laquelle la Commission avait examiné toute la preuve; ses arguments se fondent plutôt sur l’importance accordée à la preuve.

[36]           Sur la question de la PRI, le défendeur se fondant Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 (l’arrêt Rasaratnam), est d’accord avec le demandeur pour dire qu’il a deux critères pour établir l’existence d’une PRI. Le défendeur soutient que le risque allégué pour les PRI a été bien évalué et que le demandeur a le lourd fardeau de démontrer que les PRI sont déraisonnables : « Il ne faut rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr. De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l’existence de telles conditions. » (Voir Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164, au paragraphe 15, [2000] ACF no 2118). Le défendeur soutient que la Commission a tenu compte de l’affirmation du demandeur selon laquelle il serait repéré par la LFM à son retour et qu’elle a conclu qu’il s’agissait d’une hypothèse non étayée par une preuve solide.

VI.             Analyse et décision

A.                Question 1 – Quelle est la norme de contrôle applicable?

[37]           Les deux parties soutiennent que la norme de la décision raisonnable devrait être appliquée. Je suis d’accord. En l’espèce, le contrôle porte sur des questions mixtes de fait et de droit. Lorsque la jurisprudence a déjà établi de façon satisfaisante la norme de contrôle applicable, il n’y a pas lieu de refaire l’analyse (voir l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 62).

[38]           Il a été établi dans l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 53, que la norme de la décision raisonnable s’applique « lorsque le droit et les faits s’entrelacent et ne peuvent aisément être dissociés » (voir aussi Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732, au paragraphe 4, 160 NR 315; Rahal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 319, [2012] ACF no 369, aux paragraphes 22 à 40).

[39]           La norme de la décision raisonnable signifie que la Cour ne doit pas intervenir si la décision de la Commission est transparente, justifiée et intelligible et si elle appartient aux issues acceptables (voir l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47). En l’espèce, la Cour annulera la décision de la Commission seulement si elle n’arrive pas à comprendre le fondement de ses conclusions ou comment les faits et le droit applicable étayent l’issue (voir Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708). Comme la Cour suprême l’a affirmé dans l’arrêt Khosa, aux paragraphes 59 et 61, lorsqu’une cour applique la norme du caractère raisonnable à une décision, elle ne y peut substituer l’issue qui serait à son avis préférable, ni réévaluer les éléments de preuve.

B.                 Question 2 – L’évaluation de la PRI par la Commission était‑elle déraisonnable?

[40]           Lorsqu’il s’agit de déterminer s’il existe une PRI raisonnable, comme nous l’enseigne l’arrêt Rasaratnam et nous le confirme Thirunavukkarasuv c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), il est bien établi qu’il incombe au demandeur de prouver : 1) qu’il existe, selon la prépondérance des probabilités, un risque sérieux de persécution partout au pays, y compris dans la région susceptible d’offrir la PRI; 2) que la situation de la PRI proposée doit être telle qu’il serait déraisonnable que le demandeur s’y réfugie, compte tenu de toutes les circonstances, notamment sa situation personnelle.

[41]           En l’espèce, je ne suis pas d’accord avec le demandeur pour dire que l’évaluation de la PRI par la Commission était déraisonnable. À mon avis, les arguments du demandeur visent le bien‑fondé de l’appréciation de la preuve. Le demandeur soutient que la conclusion de la Commission est déraisonnable parce qu’elle n’a pas tenu compte de la motivation ou d’autres moyens qu’une base de données électronique que la LFM pourrait avoir pour le pourchasser. Il affirme par ailleurs que la Commission n’a pas évalué le caractère raisonnable de la PRI uniquement par rapport aux bonnes perspectives d’emploi et au taux de criminalité plus bas. Le demandeur soutient que la PRI proposée, Mexico, est déraisonnable en raison de la violence très répandue des gangs et d’autres moyens qui pourraient servir à le repérer. En particulier, il a déclaré à l’audience devant la Commission qu’un individu avait tiré des coups de feu en sa direction lors de sa deuxième visite à Mexico.

[42]           Il ressort du raisonnement de la Commission qu’elle a examiné la preuve dont elle disposait, y compris la preuve documentaire et les affirmations du demandeur. La Commission n’est pas tenue de mentionner tous les éléments de preuve dans sa décision (voir Akram c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 629, au paragraphe 15, [2004] ACF no 758). Suivant la norme de la décision raisonnable, le rôle de la Cour n’est pas d’apprécier de nouveau la preuve, mais d’évaluer si la décision de la Commission fait partie des issues acceptables. À l’instar du défendeur, j’estime que le demandeur demande à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve, ce qui ne fait pas partie de son rôle. En l’espèce, la Commission a en fin de compte jugé que les PRI proposées étaient raisonnables. Pour que sa décision soit raisonnable, la Commission n’a pas à parvenir à la même conclusion que le demandeur.

[43]           De plus, je ne vois aucune raison d’inférer que la Commission a écarté ou mal interprété la preuve. Je suis d’avis que la conclusion de la Commission selon laquelle les agents de persécution n’ont pas l’intérêt, la motivation, les moyens ou les ressources nécessaires pour pourchasser le demandeur dans les régions visées par les PRI fait partie des issues acceptables.

C.                 Question 3 – L’évaluation de la crainte subjective par la Commission était‑elle déraisonnable?

[44]           La Commission a fondé son inférence défavorable quant à la crainte subjective sur deux principaux motifs : i) la présentation tardive de la demande d’asile et ii) le fait de se réclamer de nouveau de la protection de l’État. En ce qui a trait à la présentation tardive de la demande d’asile, le demandeur soutient qu’il était déraisonnable de la part de la Commission d’en inférer une absence de crainte subjective. Le demandeur affirme que ce retard était raisonnable compte tenu du fait qu’il avait un visa d’étudiant valide et qu’il s’était ensuite marié et avait fait confiance à son épouse pour la demande de parrainage. Dans la décision Gyawali, aux paragraphes 16 et 18, la Cour a jugé que le statut temporaire valide d’un demandeur constituait une raison légitime pour ne pas demander l’asile plus tôt :

[16] La jurisprudence montre qu’en général le fait pour un demandeur d’asile de ne pas revendiquer le statut de réfugié dès son arrivée ou dans un délai raisonnable peut constituer un facteur important dans l’appréciation de la crédibilité du revendicateur (Huerta c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 157 N.R. 225 (C.A.F.), mais il est des cas où de telles conclusions défavorables ne peuvent pas être tirées et où la tardiveté du demandeur d’asile à revendiquer le statut de réfugié dès son arrivée dans un pays signataire de la Convention ne peut à elle seule autoriser la Commission à douter de la crédibilité du revendicateur.

[…]

[18] En l’espèce, le demandeur avait un visa d’étudiant et il avait aussi présenté une demande de résidence permanente. Il est clair que ce n’est que le jour où il a perdu le soutien financier qu’il recevait de sa famille au Népal qu’il a craint de devoir retourner dans son pays puisqu’il ne pouvait plus payer ses études. Il y a manifestement un parallèle direct à faire avec le marin travaillant sur le navire, qui finalement reçoit son congé et n’a d’autre endroit où aller que chez lui. Tous deux avaient quitté leur pays par crainte de la persécution et avaient trouvé un endroit sûr où demeurer et travailler, de telle sorte qu’ils ne ressentaient pas le besoin de demander le statut de réfugié puisqu’ils étaient en sécurité pour le moment. Soudainement, tous deux se sont rendu compte qu’ils devaient se préparer à retourner dans leur pays, en raison de circonstances sur lesquelles ils n’avaient aucune prise, et ils ont immédiatement produit une revendication.

[45]           Par ailleurs, la Cour a conclu dans la décision Kostrzewa que l’existence d’un visa d’étudiant valide ne rend pas une inférence défavorable déraisonnable (voir le paragraphe 33 de présents motifs).

[46]           En l’espèce, je suis d’avis que les faits s’apparentent à ceux de l’affaire Kostrzewa et je souscris à l’opinion du juge en chef Paul S. Crampton dans cette affaire que l’inférence défavorable de la Commission appartient aux issues acceptables.

[47]           Je vais maintenant analyser le fait de se réclamer à nouveau de la protection de l’État de persécution. Dans la décision Kostrzewa, la Cour a conclu à cet égard qu’agir de la sorte mine l’allégation de crainte subjective du demandeur si ce dernier n’a pas de raisons impérieuses de le faire.

[48]           Dans la décision Camargo, la Cour a conclu au paragraphe 35, qu’ « un séjour temporaire par un réfugié dans le pays où il craint la persécution, alors qu’il n’a pas l’intention d’y établir sa résidence permanente, ne devrait pas impliquer la perte du statut de réfugié ».

[49]           En l’espèce, le demandeur est retourné deux fois au Mexique, les deux fois pour renouveler son visa d’étudiant. Il n’est pas retourné chez lui, dans l’État d’Aguascalientes, et a séjourné temporairement à Mexico pendant un mois seulement chaque fois. À mon avis, ces retours ne démontrent pas qu’il s’est réclamé à nouveau de la protection de son pays de nationalité. Puisque la détermination de la crainte subjective était fondée à la fois sur la présentation tardive de la demande d’asile et sur le fait qu’il s’était réclamé de nouveau de la protection de l’État, je ne peux pas deviner quelle aurait été la décision de la Commission n’eût été cette erreur. Par conséquent, la Commission a commis une erreur à cet égard.

D.                Question 4 – L’évaluation de la vraisemblance par la Commission était-elle déraisonnable?

[50]           Dans la décision Giron, la Cour a clarifié la distinction entre les conclusions relatives à la crédibilité et la conclusion voulant que la menace posée soit invraisemblable et a déclaré qu’il ne faut conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents. Dans Santos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 937, au paragraphe 15, [2004] ACF no 1149, le juge Richard Mosley a expliqué :

[…] les conclusions sur la vraisemblance reposent sur un raisonnement distinct de celui des conclusions sur la crédibilité et peuvent être influencées par des présomptions culturelles ou des perceptions erronées. En conséquence, les conclusions d’invraisemblance doivent être fondées sur une preuve claire et un raisonnement clair à l’appui des déductions de la Commission et devraient faire état des éléments de preuve pertinents qui pourraient réfuter lesdites conclusions.

[51]           La Cour a souligné à nouveau ce principe dans Ansar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1152, [2011] ACF no 1438.

[52]           En l’espèce, la Commission a conclu que le demandeur n’était pas crédible parce que ses explications sur les secrets de la famille concernant les demandes d’extorsion et sur le fait qu’aucun membre de la famille n’a repris l’entreprise familiale après son départ étaient déraisonnables. La Commission a estimé qu’elle ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve fiables ou dignes de foi pour conclure que le demandeur « craint avec raison d’être persécuté ou qu’il est exposé à un risque crédible de préjudice au Mexique ». Ces hypothèses se rapportent à la dynamique familiale du demandeur, et non à la demande d’asile en cause. Je crois qu’elles ont été influencées par de possibles présomptions culturelles.

[53]           Par conséquent, je ne vois pas de raisonnement clair à l’appui des inférences défavorables de la Commission. Les conclusions relatives à l’invraisemblance ne résistent pas à l’examen fait suivant la norme de la décision raisonnable.

[54]           La Commission a commis des erreurs dans l’appréciation de la crainte subjective et dans ses conclusions relatives à l’invraisemblance, mais ces erreurs ne sont pas déterminantes en l’espèce. J’ai conclu que la décision de la Commission concernant l’existence d’une PRI était une décision raisonnable, ce qui signifie que le demandeur ne craint pas avec raison d’être persécuté dans son pays de nationalité. Pour qu’une demande d’asile soit accueillie, le demandeur doit craindre avec raison d’être persécuté dans son pays de nationalité. Or, il n’a pas cette crainte puisqu’il existe une PRI.

[55]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[56]           Ni l’une ni l’autre des parties ne souhaite proposer une question grave de portée générale pour examen aux fins de certification.


JUGEMENT

LA COUR REJETTE la demande de contrôle judiciaire.

« John A. O’Keefe »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


ANNEXE

Dispositions légales pertinentes

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4903-13

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

ARNOLDO MAXIMILIANO ASCENCIO GUTIERREZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 SeptembRe 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENTS :

LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 3 MARS 2015

 

COMPARUTIONS :

Kari Schroeder

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Camille Audain

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Sharma Harsanyi

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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