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Date : 20150304


Dossier : IMM-3752-14

Référence : 2015 CF 278

Ottawa (Ontario), le 4 mars 2015

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

ISLANDE JOLIBOIS JANVIER

demanderesse

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, en application de paragraphe 72 (1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, SC 2001, c 27 [LIPR] de la décision datée du 19 janvier 2014 [la décision] d’un agent d’immigration de l’ambassade du Canada à Saint-Domingue en République dominicaine [l’agent], rejetant la demande de visa de résident permanent de la demanderesse. L’agent a considéré que la demanderesse ne satisfait pas aux exigences pour l’obtention d’un visa de résidence permanente à titre de réfugié au sens de la Convention outre-frontières [RSCOF].

[2]                Pour les raisons qui suivent, je suis d’avis que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

II.                Contexte

[3]               La demanderesse est une citoyenne haïtienne. Elle a demeuré à Port-au-Prince de 1988 à 2010, mais est originaire de la commune de Jérémie (Haïti).

[4]               La demanderesse allègue que des hommes du parti politique Lavallas sont venus chez elle et ont tenté de l’agresser et d’agresser sa fille. La demanderesse allègue également avoir été violée en 2009.

[5]               Alors qu’elle était en Haïti, la demanderesse a travaillé pour son compte à titre de pâtissière. Le 10 septembre 2010, elle et ses trois enfants majeurs sont entrés en République dominicaine. La demanderesse ne travaille plus depuis son arrivée en République dominicaine. Les membres de la famille de la demanderesse qui résident au Canada lui transférèrent des fonds afin qu’elle subvienne à ses besoins et à ceux de ses enfants.

[6]               En août 2011, la demanderesse et ses enfants ont présenté une demande de résidence permanente au Canada. Ils ont été parrainés par la sœur de la demanderesse, Marguerite Janvier Jolibois, dans le cadre du programme G5. Ce programme permet à cinq citoyens permanents du Canada de parrainer un réfugié vivant à l’étranger.

[7]               Le 19 décembre 2013, la demanderesse et ses enfants se sont présentés pour une entrevue à l’ambassade du Canada de Saint-Domingue.

[8]               Au cours de cette entrevue, la demanderesse et ses enfants ont été questionnés par l’agent sur la nature de la persécution dont la demanderesse affirme avoir été victime, sur la possibilité d’un retour en Haïti, sur leurs activités à Saint-Domingue, sur leur éducation, et sur leurs expériences de travail. Les parties ont présenté des versions contradictoires quant à la façon dont l’entrevue s’est déroulée. La demanderesse soutient dans son affidavit que l’agent aurait été condescendant et aurait tenu des propos inappropriés. Or, l’agent soutient dans son affidavit daté du 7 janvier 2015 être demeuré calme et cordial, mais que ses questions demeuraient sans réponse et que la demanderesse et ses enfants ne semblaient pas saisir ses préoccupations quant à la demande RSCOF.

[9]               La demanderesse et ses enfants ont été informés de la décision par une lettre datée du 9 janvier 2014. Dans cette lettre adressée à la demanderesse, l’agent explique ne pas croire qu’elle et ses enfants soient réfugiés au sens de la Convention et ne pas croire la demanderesse et ses enfants ont besoin d’un rétablissement au Canada. En outre, l’agent de visa souligne l’incapacité de la demanderesse et de ses enfants de clarifier la nature de leurs problèmes en Haïti. L’agent de visa a conclu que la demanderesse a été victime d’un acte ponctuel de criminalité, mais qu’elle n’est pas pour autant réfugiée au sens de la Convention suivant l’article 96 de la LIPR. L’agent a également considéré que la demanderesse et ses enfants ne rencontraient pas les critères du paragraphe 139 (1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [Règlement] bien que la SPR n’en fait pas explicitement mention dans sa décision.

[10]           Les motifs de la lettre du 9 janvier 2014 doivent être lus en parallèle avec les notes du Système mondial de gestion de cas [SMGC] qui font partie des motifs de la décision (Ansari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 849 au para 3; Kotanyan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 507 au para 26). Le contenu des notes du SMGC est exposé ici-bas.

III.             Questions en litige

[11]           Il y a deux questions en litige :

  1. L’agent a-t-il manqué aux principes d’équité procédurale et de justice naturelle?
  2. L’agent a-t-il erré en concluant que la demanderesse ne se qualifie pas à titre de RSCOF?

IV.             Analyse

A.                Les principes de justice naturelle et d’équité procédurale

[12]           La norme de la décision correcte s’applique à l’analyse des manquements allégués aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au para 43).

[13]           La demanderesse soutient que l’agent de visa a manqué aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale en ne traitant pas des principaux points en litige dans ses motifs. Cependant, tel que le souligne le défendeur, le mémoire du demandeur ne précise pas de quelle façon il y a eu manquement aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale.

[14]           La demanderesse soutient dans son affidavit que l’agent les « insultait, les dénigrait et ne manifestait aucun respect à leur égard. » L’affidavit de Marguerite Janvier Jolibois (répondante principale et sœur de la demanderesse), l’affidavit de la demanderesse, de même que l’affidavit de Daphney Jolibois (la fille de la demanderesse) indique que l’agent aurait tenu des propos inappropriés et durs à l’endroit de la demanderesse et de ses enfants. Celui-ci aurait notamment dit à l’une des filles de la demanderesse que cette dernière et ses enfants « les énervaient, le mettait en colère » et qu’il s’est montré énervé par le fait qu’ils n’ont pas travaillé durant les années qu’ils ont passées en République dominicaine. Toujours par affidavit, la demanderesse et ses enfants dénoncent le fait que l’agent aurait mentionné :

1) « vous êtes restés ici à Saint-Domingue sans rien faire espérant que l’autobus vous transporte au Canada et que les choses ne sont pas faciles. »

2) « qu’allez-vous faire au Canada puisque vous ne faites rien en République-Dominicaine. »

3) « que de beaux mots, c’est de la flatterie. Tout le monde veut aller au Canada pour y rendre service, la vie au Canada ne s’offre pas, mais se gagne et ce n’est pas facile. »

4) qu’il connaît « beaucoup de réfugiés qui circulent sans papier dans le pays et qui travaillent et vous, vous attendez seulement pour vous rendre au Canada. Pourquoi ne demandez-vous pas à votre sœur d’envoyer des matériels pour travailler en cuisine à Saint-Domingue? »

Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de rappeler ici l’ensemble des propos rapportés par affidavits. Les propos ci-dessus mentionnés reflètent adéquatement le fondement de l’argument de la demanderesse.

[15]           Par son affidavit, l’agent nie la véracité de certaines allégations de la demanderesse et de ses enfants. Il soutient se rappeler de la « métaphore de l’autobus, » mais précise qu’il s’agissait d’un moyen d’illustrer ses préoccupations quant aux faits que la demanderesse et ses enfants n’ont rien fait d’autre qu’attendre pour l’obtention d’un visa canadien alors qu’ils étaient en République dominicaine. L’agent nie l’utilisation des termes « beaux mots » et « flatterie » et il soutient ne pas avoir affirmé connaître « beaucoup de réfugiés qui circulent sans papier dans le pays et qui travaillent. » Essentiellement, l’agent soutient que les allégations de la demanderesse seraient inexactes et que ses propos auraient été pris hors contexte. Celui-ci soutient être demeuré calme et cordial tout au long de l’entrevue. L’agent explique que l’entrevue a « été difficile en l’absence de preuve pour étayer les allégations des demandeurs. »

[16]           Je suis d’accord avec l’argument du défendeur selon lequel l’affidavit de la sœur de la demanderesse provient d’une tierce partie, constitue du ouï-dire et devrait donc se voir attribuer une valeur probante moindre (Sribalaganeshamoorthy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 11, au para 12). Je note également que les autres affidavits soumis par la demanderesse sont basés sur les notes du fils de la demanderesse qui ont été rédigées quelques semaines après l’audition devant l’agent de même que le jour après que la décision a été rendue. Les affidavits reprennent verbatim plusieurs passages de ces notes.

[17]           Les notes du SMGC indiquent que l’agent a exprimé sa surprise quant au fait que les travailleurs n’ont pas recherché de travail en République dominicaine, et je suis d’avis que ces commentaires étaient justifiés à la lumière de l’évaluation qu’il devait conduire en vertu du paragraphe 139 (1) du Règlement qui mentionne :

139. (1) Un visa de résident permanent est délivré à l’étranger qui a besoin de protection et aux membres de sa famille qui l’accompagnent si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

139. (1) A permanent resident visa shall be issued to a foreign national in need of refugee protection, and their accompanying family members, if following an examination it is established that

[…]

[…]

g) dans le cas où l’étranger cherche à s’établir dans une province autre que la province de Québec, lui et les membres de sa famille visés par la demande de protection pourront réussir leur établissement au Canada, compte tenu des facteurs suivants :

g) if the foreign national intends to reside in a province other than the Province of Quebec, the foreign national and their family members included in the application for protection will be able to become successfully established in Canada, taking into account the following factors:

(i) leur ingéniosité et autres qualités semblables pouvant les aider à s’intégrer à une nouvelle société,

(i) their resourcefulness and other similar qualities that assist in integration in a new society,

[…]

[…]

(iii) leurs perspectives d’emploi au Canada vu leur niveau de scolarité, leurs antécédents professionnels et leurs compétences,

[Soulignements ajoutés]

(iii) their potential for employment in Canada, given their education, work experience and skills, and

[Emphasis added]

D’ailleurs, l’affidavit et les notes de l’agent mentionnent que la demanderesse et ses enfants ne répondaient pas à plusieurs des questions posées par ce dernier.

[18]           À la lumière de la preuve, je suis d’avis que les propos rapportés par la demanderesse et ses enfants sont inexacts et pris hors contexte. L’agent semble avoir été préoccupé par l’absence de mesure prise par la demanderesse et ses enfants pour s’acclimater à la République dominicaine. La demanderesse et ses enfants devaient démontrer, pour reprendre les termes du paragraphe 139 (1) du Règlement, de « [l’]ingéniosité et autres qualités semblables pouvant les aider à s’intégrer à une nouvelle société. » Il m’apparaît que l’agent a cherché à obtenir des explications afin d’effectuer une évaluation adéquate du dossier et qu’en l’absence de réponse convaincante il s’est montré plus insistant. Or, je suis d’avis que l’agent était justifié de chercher réponse à ses questions de manière insistante.

[19]           Finalement, tel que le souligne le défendeur, le fils de la demanderesse a dressé une liste manuscrite de 15 questions qui furent posées à la demanderesse. Ce document est joint à l’affidavit de la sœur de la demanderesse. On peut lire au haut de cette liste : « questions pour ma mère. » Aucune de ces questions ne soulève aucun manquement aux principes de justice naturelle.

[20]           Donc, je ne suis pas convaincu que l’agent a manqué aux principes d’équité procédurale et de justice naturelle.

B.                 La qualification de la demanderesse à titre de RSCOF

[21]           La conclusion de l’agent selon laquelle les demandeurs la demanderesse et ses enfants ne se qualifient pas à titre de RSCOF soulève des questions mixtes de faits et de droit et doit être analysée suivant la norme de la décision raisonnable (Mohamed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 192, au para 12). Dans Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au para 47, la Cour suprême précise l’essence de l’analyse qui découle de l’application de la norme de la décision raisonnable :

La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la décision raisonnable.  Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[22]           La demanderesse soutient que les motifs au soutien de la décision sont incohérents. La demanderesse soutient également que l’agent a erré en omettant d’évaluer la preuve qui permet de démontrer une crainte objective de persécution. Cependant, la demanderesse ne précise pas quel élément de preuve a été ignoré.

[23]           Cependant, en raison de mes conclusions relatives aux exigences du paragraphe 139 (1) du Règlement, il ne m’est pas nécessaire de déterminer si l’application de l’article 96 de la LIPR était raisonnable.

[24]           En vertu de l’alinéa 139 (1) d) du Règlement, la demanderesse a l’obligation de démontrer « [qu’]aucune possibilité raisonnable de solution durable n’est, à son égard, réalisable dans un délai raisonnable dans un pays autre que le Canada » (Karimzada c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 152, au para 25). Or, tel que mentionné ci-haut, la demanderesse a indiqué qu’elle ne peut retourner dans la ville de Jérémie parce qu’il n’y a pas d’Université. Cette réponse est insuffisante pour permettre à la demanderesse de se décharger de son fardeau de preuve. De plus, à la lumière des faits du présent litige, il apparaît que la demanderesse et ses enfants n’ont déployé aucun effort pour poursuivre leurs études alors qu’ils étaient en République dominicaine, en suivant des cours en ligne, par exemple.

[25]           Contrairement aux prétentions de la demanderesse, je suis d’avis que les motifs de la décision sont intelligibles. Comme mentionné ci-dessus, les motifs exposés dans la lettre datée du 9 janvier 2014 doivent être lus en parallèle avec les notes du SMGC. De plus, tel que le mentionne la Juge Abella dans Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au para 12, citant le propos du professeur Dyzenhaus, les cours de justice doivent d’abord chercher à compléter les motifs des décideurs administratifs avant de tenter de les contrecarrer. À la lecture de l’ensemble de motifs de la décision, je suis d’avis qu’ils sont intelligibles.

[26]           En vertu de l’alinéa 139 (1) g) du Règlement, l’agent se devait d’évaluer l’ingéniosité des demandeurs et leurs perspectives d’emploi au Canada afin de s’assurer qu’ils puissent adéquatement s’établir au Canada. Or, l’analyse des motifs de l’agent révèle que la demanderesse et ses enfants sont demeurés plusieurs années en République dominicaine en attendant leur visa canadien sans prendre de mesure pour s’intégrer à ce pays (bénévolat, études en ligne, etc.). L’agent a conclu que le potentiel de rétablissement des demandeurs au Canada est « très faible. » Je ne suis pas prêt à conclure que cette analyse est déraisonnable.

[27]           Finalement, l’article 97 de la LIPR ne saurait trouver application dans la présente affaire puisque la demanderesse ne se trouve pas au Canada.


V.                Conclusion

[28]           Je suis d’avis que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
  2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« George R. Locke »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3752-14

 

INTITULÉ :

ISLANDE JOLIBOIS JANVIER c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 mars 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 mars 2015

 

COMPARUTIONS :

Me Jean Auberto Juste

 

Pour la demanderesse

 

Me Youri Tessier-Stall

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jean Auberto Juste

Avocat et notaire

Ottawa (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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