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Date : 20150218


Dossier : T-2094-13

Référence : 2015 CF 208

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 février 2015

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

BRIAN ZIMMERMAN

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue le 26 novembre 2013 par l’agent d’appel du Tribunal de santé et sécurité au travail Canada. La décision annulait la décision antérieure datée du 16 novembre 2009 rendue par l’agent de santé et de sécurité, selon laquelle le défendeur, l’agent correctionnel Brian Zimmerman, n’était exposé à aucun danger, après que celui-ci eut refusé de travailler en application de l’article 128 du Code canadien du travail, LRC 1985, c L-2 (le Code). L’agent d’appel a conclu à l’existence d’un danger, et il a ordonné à l’employeur de prendre des mesures dans les 90 jours pour corriger les situations dangereuses en cause.

[2]               La présente demande devrait être rejetée pour les motifs suivants.

I.                   Les faits

[3]               Le défendeur a refusé de travailler, citant huit questions concernant la sécurité dans une nouvelle unité résidentielle satellite appelée l’« unité 4 » à l’Établissement Kent, situé à Agassiz, en Colombie-Britannique. L’unité en cause est désignée comme l’unité 4 ou l’unité d’habitation 1 dans tous les éléments de preuve.

[4]               L’Établissement Kent est le seul établissement à sécurité maximale pour hommes (336 lits) dans la région du Pacifique. L’unité 4, une nouvelle unité unique en son genre comptant 96 lits, a été ouverte quelques mois avant le refus initial de travailler du défendeur le 3 novembre 2009. L’unité est propre à Kent puisqu’il s’agit d’une unité autonome qui comprend ses propres unités résidentielles, cours, corridors de programmes, aires communes, buanderies et gymnase. L’unité 4 est reliée au reste de l’Établissement Kent par un corridor équipé de barrières.

[5]               L’unité 4 est dotée d’une galerie (passerelle armée) surplombant les rangées et les aires communes et permettant à un agent correctionnel d’observer les détenus se trouvant au niveau inférieur. L’unité 4 se distingue des autres unités à l’Établissement Kent notamment en ce que l’alimentation des caméras du système de télévision en circuit fermé (CCTV) des autres unités est relayée directement au poste principal de commande et de contrôle (PPCC). L’alimentation des caméras de l’unité 4 n’est pas relayée au PPCC. Il incombe au PPCC de recevoir et de transmettre toutes les communications se rapportant à des alertes et à d’autres situations urgentes à l’Établissement Kent. L’alimentation de la CCTV de l’unité 4 est plutôt relayée au poste de contrôle (PC) de cette unité ainsi qu’au Bureau du renseignement de sécurité (RS), au poste de commandement en cas d’urgence (PCU) et au bureau du gestionnaire correctionnel (GC).

[6]               Pour justifier son premier refus de travailler le 3 novembre 2009, le défendeur a soulevé les problèmes suivants :

1.   L’éclairage des unités – Perte de contrôle intermittente;

2.   Le système d’intercommunication – Perte de contrôle intermittente;

3.   Le système de caméras des étages et des aires communes — Perte de contrôle intermittente;

4.   La zone captée par les caméras de portes – Perte des images provenant de ces caméras durant les rondes dans les rangées;

5.   Surveillance par CCTV au PPCC – Aucune alimentation;

6.   Portes des cellules – L’ouverture ne peut être contrôlée par l’opérateur;

7.   Rétention de l’arme dans le harnais à point d’attache unique;

8.   Éclairage de soirée dans les cellules – S’allume au même moment dans les cellules.

[7]                Lorsque le défendeur a refusé de travailler pour la première fois, le directeur adjoint a effectué une enquête au sujet des huit problèmes de sécurité signalés par le défendeur. Le directeur adjoint a convenu avec le défendeur qu’il existait un danger, et le personnel a été retiré jusqu’à ce que des correctifs soient apportés pour éliminer le danger.

[8]               Le directeur Massey a enquêté au sujet des problèmes signalés, il a pris des mesures relativement à certains de ces problèmes, puis il a conclu que le danger avait été enrayé relativement aux situations décrites aux points 1, 2, 3, 4 et 6, et que seuls les points 5, 7 et 8 demeuraient litigieux. Le directeur a affirmé que le fait qu’aucune alimentation des caméras du CCTV de l’unité 4 ne soit relayée au PPCC ne présentait pas un danger, puisque l’alimentation était relayée au PC de l’unité 4, au bureau du RS et au bureau du GS aux fins d’enquête/de cueillette de preuve. Le directeur Massey a également affirmé que l’on pourrait étudier plus à fond la question de savoir s’il serait possible de relayer l’alimentation de l’unité 4 au PPCC.

[9]               Le directeur a convenu que les barreaux de sécurité sur la passerelle armée constituaient un danger et que le Service correctionnel du Canada (SCC) devrait acheter des harnais pour fusil à point d’attache unique. La demande relative à ces harnais avait été envoyée à l’Administration régionale (AR) pour approbation, et une réponse était attendue la semaine suivante. Le directeur a répondu à la préoccupation évoquée au point 8 en affirmant qu’il y avait une demande relative à l’éclairage de soirée dans les cellules.

[10]           Fort de ces conclusions, le directeur s’attendait à un retour au travail de tous les employés au plus tard le 13 novembre 2009. Toutefois, le 12 novembre 2009, le défendeur a de nouveau refusé de travailler en application du paragraphe 128(13) du Code.

[11]           L’agent de santé et de sécurité (ASS) O’Byrne a effectué une enquête relativement au maintien du refus de travailler du défendeur, et, le 16 novembre 2009, il a conclu qu’il n’y avait pas de danger parce que « […] l’employeur lui avait fait une promesse de conformité volontaire de gérer ce problème et de le régler ». L’ASS O’Byrne a confirmé que le fait qu’aucune alimentation des caméras de l’unité 4 ne soit relayée au PPCC enlevait une barrière de protection pour les agents correctionnels (AC), mais que cela ne constituait pas un danger et que « les problèmes de sécurité qui ont été cités à répétition sont plutôt hypothétiques et qu’il est peu probable qu’ils soient une source de danger dans le futur ».

[12]           La décision de l’ASS O’Byrne a été portée en appel le 16 novembre 2009. Une audience a été tenue le 16 octobre 2012. Une transcription de cette audience a été versée au dossier. L’agent d’appel, Douglas Malanka, a rendu une décision le 26 novembre 2013, et c’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

II.                La décision de l’agent d’appel

[13]           La question au cœur de la décision de l’agent d’appel était que l’unité 4 est unique, en ce qu’aucune alimentation du CCTV de l’unité n’est relayée au PPCC comme c’est le cas dans toutes les autres unités de la prison. Le poste de communication des CCTV est doté d’employés de surveillance qui observent en temps réel les situations et les incidents dans toutes les autres unités. L’unité 4 est conçue différemment des autres unités, puisqu’elle peut être surveillée depuis le niveau supérieur et l’alimentation des caméras de l’unité 4 est relayée au PC, au bureau du RS et au bureau du GC plutôt qu’à la CCTV principale au PPCC.

[14]           La deuxième question dont le décideur était saisi concernait le fait que les postes de tir au niveau supérieur de l’unité sont construits de telle manière que les fusils pourraient tomber et se retrouver entre les mains des prisonniers. Ce problème avait été corrigé en quelque sorte précédemment, par l’installation de barreaux de sécurité, mais le défendeur se sentait encore exposé à un danger.

[15]           L’agent d’appel a conclu que le fait que l’alimentation de la CCTV de l’unité 4 ne soit pas relayée au PPCC augmentait le risque de blessures et que ce risque n’était pas atténué par ailleurs pour les AC qui travaillaient dans cette unité. L’agent d’appel a conclu que la CCTV non surveillée dans l’unité 4 retirait une barrière de protection pour les travailleurs qui était préservée ailleurs dans l’Établissement Kent.

[16]           Deuxièmement, l’agent d’appel a conclu que l’espacement entre les barreaux de sécurité dans les postes de tir sur la passerelle armée était suffisant pour que le fusil d’un AC puisse tomber accidentellement entre les barreaux et se retrouver dans l’aire de détention des prisonniers. L’employeur avait ajouté des barreaux horizontaux pour empêcher qu’un fusil ne tombe entre les barreaux, mais le défendeur soutenait que ces barreaux horizontaux constituaient également un danger. L’agent d’appel a conclu que des mesures avaient été prises pour corriger ce problème, mais, selon l’agent Zimmerman, ces mesures n’étaient pas adéquates. L’agent d’appel a conclu que les barreaux horizontaux constituaient un danger parce qu’un agent se trouvant sur la passerelle armée ne pourrait pas tirer un coup de semonce aussi aisément.

III.             Arguments et analyse

[17]           Le demandeur soutient que la décision de l’agent d’appel est déraisonnable, et ce, pour les motifs suivants :

         l’agent a omis d’examiner et de commenter des éléments de preuve essentiels qui expliquaient en quoi la conception unique de l’unité 4 éliminait toute situation qui constituait un danger au sens du Code. L’aménagement unique de l’unité 4 comme un vase clos réduit les déplacements des détenus, ce qui réduit les possibilités que se produisent des incidents compromettant la sécurité;

         l’agent d’appel n’a pas appliqué le bon critère pour apprécier le danger, en s’appuyant sur des hypothèses et des conjectures;

         l’agent d’appel a agi de manière déraisonnable lorsqu’il a admis certains éléments de preuve comme étant « non contestés », alors que l’employeur avait présenté des éléments de preuve démontrant que l’unité 4 avait été conçue pour éliminer tout risque de danger pour les AC.

[18]           Le défendeur n’est pas d’accord, et il soutient que la présente affaire devrait être rejetée pour les motifs suivants :

         l’article 146.3 du Code prévoit que les décisions de l’agent d’appel sont définitives; elle comporte une clause privative, et, eu égard aux compétences spécialisées de l’agent d’appel, il y a lieu de faire preuve de retenue à l’égard des questions de santé et de sécurité;

         la conception unique de l’unité 4 n’était pas un argument central de l’employeur, mais l’agent d’appel a tout de même mentionné le caractère unique de l’unité d’habitation;

         les motifs traduisent une compréhension des questions en litige et des éléments de preuve, l’agent d’appel n’est pas tenu d’expliquer chaque élément de preuve et la décision est raisonnable compte tenu des éléments de preuve dont disposait l’agent d’appel.

[19]           Je conviens avec le défendeur que la décision était raisonnable.

[20]           Les deux parties conviennent que la décision doit être examinée selon la norme de la raisonnabilité (Martin-Ivie c Canada (Procureur général), 2013 CF 772, au paragraphe 18).

[21]           L’agent d’appel a tenu une audience de novo avant de rendre sa décision. Le Tribunal a entendu les dépositions de sept témoins pour le compte de la conseillère syndicale. Les témoignages du directeur adjoint Mattson et de M. Hunken pour le compte du demandeur sont mentionnés dans la décision. De plus, les procureurs des parties ont présenté une argumentation complète.

[22]           L’agent d’appel a annulé la décision précédente selon laquelle il n’existait pas de danger, et il a émis une instruction à l’employeur, par laquelle il lui enjoignait « de prendre des mesures dans les 90 jours afin de corriger les situations dangereuses en cause et de communiquer le détail de ces mesures à un agent de santé et de sécurité du bureau du district de Vancouver d’ici le 24 février 2014 ».

[23]           Après avoir tenu compte de la preuve, l’agent d’appel en est arrivé aux conclusions suivantes :

[...] en raison du fait que l’alimentation de la CCTV de l’unité d’habitation 1 n’est pas relayée au PPCC, cela accroît le risque de blessure pour les AC qui travaillent dans cette unité d’habitation ou qui sont déployés ailleurs pour effectuer une intervention d’urgence, dans la mesure où cela les prive d’une barrière de protection qui est par ailleurs intégralement préservée dans les autres secteurs de l’Établissement Kent (au profit des AC qui y travaillent). Cette alimentation de la CCTV permet à l’agent du PPCC de fournir ou de confirmer en temps opportun les renseignements qui permettront d’intervenir en cas d’agression ou d’urgence d’un autre type. Ces renseignements comprennent l’emplacement exact de l’alerte ou de l’urgence, le nombre de détenus potentiellement impliqués, la nature de l’urgence, la question de savoir si des pièces accessoires d’équipement de sécurité-incendie seront requises pour gérer la situation, la présence éventuelle d’armes et la question de savoir si quelqu’un est blessé et a besoin de soins médicaux. Lorsqu’ils disposent de cette information, les AC sont davantage en mesure de planifier leur intervention selon qu’ils ont affaire à une urgence ou un incident et, le cas échéant, de faire venir en temps opportun la police, les secours médicaux ou tout autre service d’urgence et aussi de recevoir d’autres renseignements établis par des AC.

J’en arrive à la conclusion que le fait d’avoir ajouté des barreaux horizontaux aux fenêtres de visualisation de la passerelle afin d’empêcher que les fusils ne tombent dans les ouvertures ou que des détenus ne les saisissent à travers ces mêmes ouvertures, constitue un danger pour les AC qui travaillent dans l’unité d’habitation 1 et pour ceux qui vont effectuer des interventions d’urgence dans d’autres secteurs de l’Établissement Kent. La preuve confirme que l’agent affecté à la passerelle armée assume un rôle important dans le maintien de la sécurité, puisqu’il doit voir à prévenir et à gérer les situations d’urgence avant que celles-ci ne dégénèrent ou que les risques se multiplient, sans compter qu’il doit aussi parfois tirer un coup de feu délibérément afin de sauver la vie de quelqu’un. À cause de l’ajout de barreaux, l’AC doit retirer son arme à feu de l’ouverture où elle se trouve et l’introduire dans une autre chaque fois que le détenu visé bouge. Comme les postes de tir sont munis de barreaux horizontaux, l’agent affecté à la passerelle armée n’est pas toujours en mesure de transmettre un message d’alerte précis en temps opportun ni de tirer volontairement un coup de fusil pour étouffer un incident ou sauver la vie d’un AC.

[24]           La décision traitait de trois questions litigieuses :

A.    Le fait que l’alimentation des caméras (CCTV) de l’unité 4 (unité d’habitation 1) n’était pas relayée au PPCC;

B.     Les déficiences alléguées liées au système d’intercommunication de l’unité 4 (unité d’habitation 1);

C.     Les déficiences alléguées liées au travail se rapportant au poste de la passerelle armée de l’unité 4 (unité d’habitation 1).

[25]           L’agent d’appel s’est demandé s’il y avait une possibilité raisonnable qu’une blessure survienne en raison des trois problèmes mentionnés ci-dessus.

[26]           Le paragraphe 122(1) du Code définit le danger comme comprenant une tâche – existante ou éventuelle – susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée avant que la situation soit corrigée ou la tâche modifiée. L’agent d’appel s’est appuyé sur les motifs de la juge Gauthier (tel était alors son titre) dans la décision Verville c Canada (Service correctionnel), 2004 CF 767, et sur les motifs de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Société canadienne des postes c Pollard, 2008 CAF 305, selon lesquels il n’était pas nécessaire d’établir précisément le moment auquel la situation se présenterait, mais qu’il fallait établir dans quelles circonstances la situation était susceptible de causer des blessures à l’avenir, non comme une simple possibilité, mais comme une possibilité raisonnable.

[27]           À l’audience, le demandeur a présenté des éléments de preuve visant à démontrer que le relai de l’alimentation des caméras au PPCC n’était pas nécessaire dans l’unité 4, et ce, pour les motifs suivants : la conception unique de l’unité 4 permet une surveillance humaine directe depuis le niveau supérieur; une alimentation des caméras est relayée à l’intérieur de l’unité, et en raison de la « sécurité dynamique ».

[28]           Le demandeur affirme que la sécurité dynamique assurée dans l’unité 4 fait en sorte que le travail dans l’unité ne comporte aucun danger. La conception unique de l’unité a pour résultat que les déplacements des détenus sont plus contrôlés. L’observation directe dans cette unité fait que le relai de l’alimentation au PPCC n’est pas nécessaire, alors qu’il l’est dans d’autres unités. Le demandeur affirme qu’il n’y a aucune lacune, parce que l’observation directe est meilleure. Le demandeur a soutenu en outre qu’étant donné le caractère autonome de l’unité, dans laquelle il y a moins de déplacements de détenus, plus de personnel et un agent affecté à la passerelle armée, il n’est pas nécessaire que l’alimentation des caméras de la CCTV soit relayée au PPCC.

[29]           Le défendeur a soutenu que, d’après les éléments de preuve présentés à l’audience, le relai de l’alimentation des caméras de la CCTV au PPCC était essentiel à sa sécurité personnelle et qu’en l’absence d’un tel relai, il est dangereux de travailler dans cette unité. Pour illustrer le danger allégué, le défendeur a formulé les observations suivantes :

         lors d’un silence radio, l’alimentation des caméras de la CCTV devrait être relayée au centre des communications de la prison, afin que le PPCC voie ce qui se passe;

         étant donné que les détenus sont versés dans l’art de détourner l’attention des AC dans un secteur alors que quelque chose se produit dans un autre secteur, la présence d’un seul observateur dans le PC de l’unité 4 et d’un observateur sur la passerelle n’est pas suffisante. Si plusieurs personnes surveillaient la situation par l’entremise de la CCTV au PPCC, l’attention des AC ne serait pas détournée aussi facilement, ou si une personne était distraite, ce ne sont pas tous les surveillants du PPCC qui seraient distraits, et cela accroîtrait la sécurité;

         il y a six agents dotés d’une formation spécifique au PPCC qui peuvent repérer les incidents naissants et communiquer avec le personnel d’urgence approprié lorsque le silence radio est essentiel dans l’unité;

         lors de tout silence radio, le PPCC constitue les yeux de l’établissement, et c’est lui qui détermine quand faire appel à l’équipe de premiers intervenants;

         l’usage d’armes est plus fréquent, de sorte que le risque d’une urgence est encore plus élevé. Le défendeur affirme qu’un relai de la CCTV au PPCC en temps réel permet d’apporter une assistance immédiate aussi bien aux détenus qu’aux agents correctionnels;

         le fait qu’aucune alimentation des caméras de la CCTV ne soit relayée au PPCC pourrait réduire la capacité des premiers intervenants de recevoir des renseignements en temps opportun sur toute situation se produisant dans l’unité et d’intervenir en cas d’urgence, notamment en appelant la police ou en faisant appel à une assistance médicale d’urgence;

         le temps de réponse à l’unité 4 se situe entre 15 et 30 secondes, ce qui est plus long à cause du nombre de barrières qui doivent être ouvertes, étant donné que l’unité est autonome;

         selon la preuve, le fait que l’alimentation des caméras de la CCTV soit relayée uniquement au PC dans l’unité 4 n’atténue pas le danger puisqu’en cas d’urgence, les deux AC du poste de contrôle ne surveillent pas les caméras; ils sont occupés à ouvrir des portes pour permettre aux intervenants d’urgence et autres intervenants d’entrer dans l’unité 4 et pour permettre aux AC de se retirer des unités d’habitation;

         les avertisseurs portatifs sont assignés aux unités, et ils n’indiquent pas qui a sonné l’alarme ni où exactement elle a été sonnée;

         selon la preuve, en sept secondes, 33 blessures à l’arme blanche ou 50 coups de tête peuvent être infligés, et si la CCTV était relayée au PPCC, les premiers intervenants pourraient être envoyés exactement là où leur présence est requise;

         selon la preuve, une arme à feu a été déployée deux fois dans l’unité depuis son ouverture, et une arme à feu peut seulement être déployée pour prévenir un décès ou empêcher qu’un agent correctionnel ou un détenu subisse des lésions corporelles graves ou pour prévenir une évasion lorsque toutes les mesures moins rigoureuses se sont révélées inapplicables ou inefficaces (voir la consigne de poste F-11 poste de la galerie : passerelle armée de l’unité d’habitation à l’annexe A).

[30]           Je ne souscris pas à la thèse selon laquelle le décideur n’a pas compris le caractère unique de l’unité 4 et n’en a pas traité, ou qu’il n’a pas bien compris et apprécié les nombreux éléments de preuve du demandeur sur ce point.

[31]           L’agent d’appel a écrit, aux paragraphes 57 et 99 :

57  M. Girard affirme que le directeur adjoint Mattson a indiqué que la sécurité dynamique est un outil essentiel ainsi qu’une stratégie opérationnelle pour SCC. Toujours selon le directeur adjoint Mattson, la sécurité dynamique englobe l’interaction complète entre les AC et les détenus et elle rend Kent plus sécuritaire étant donné qu’elle permet aux employés de mieux connaître chaque détenu et que l’information peut être évaluée et prise en considération par les employés et la direction.

99  […] L’intimé affirme qu’il y a peut-être du danger, mais que celui-ci est atténué par les facteurs suivants : l’unité d’habitation 1 est aménagée comme un vase clos et cette conception unique a pour effet de limiter les déplacements des détenus et d’accroître la sécurité dynamique; les politiques de SCC ainsi que les directives du commissaire, les ordres permanents, les consignes de postes et les descriptions de tâches permettent d’encadrer ce genre de situation; et les AC portent de l’équipement protecteur.

[32]           L’agent d’appel a conclu, au paragraphe 100 :

À cet égard, je constate que l’intimé n’a pas démontré comment les nombreuses politiques et procédures, les nombreux ordres permanents relatifs à la sécurité dynamique, la gestion des déplacements des détenus, la formation des AC et l’équipement de protection individuelle porté par les AC permettent d’atténuer les conséquences de la non-transmission de l’alimentation en direct de la CCTV de l’unité d’habitation 1 au PPCC, surtout après qu’une agression ou un incident soit survenu en dépit de l’application de toutes les mesures de sécurité existantes. De plus, le GC Verville a déclaré lors de son témoignage que l’information fournie par le PPCC est utile pour la fonction de sécurité dynamique et les interventions d’urgence dans les unités résidentielles.

[33]           L’agent d’appel a mentionné le témoignage du directeur adjoint au sujet de ce qui était fait dans l’unité 4 pour protéger les AC, au lieu que la CCTV soit surveillée par le PPCC. L’agent d’appel a ensuite énuméré avec grand nombre de détails les éléments de preuve présentés pour le compte du demandeur. Ces éléments de preuve portaient notamment sur les mesures en place dans l’unité 4 qui différaient des mesures en place dans les autres unités, étant donné qu’aucune alimentation de la CCTV n’était relayée au PPCC. Sa conclusion selon laquelle le fait que des fusils avaient été employés deux fois dans l’unité 4 en conformité avec la consigne de poste F-11 relative au poste de la galerie : « passerelle armée de l’unité 4 » signifie que l’AC est « exposé à ce danger, non comme une simple possibilité, mais comme une possibilité raisonnable ».

[34]           L’agent d’appel a entendu toute la preuve et l’a soupesée. Il a conclu qu’il accorderait « beaucoup d’importance » aux témoignages des agents de première ligne. Je ne réévaluerai pas la preuve.

[35]           L’agent d’appel était sensible à la question de la conception unique. Il n’aurait pas été nécessaire de tenir une audience si l’unité n’avait pas eu une conception unique, puisque l’alimentation de la CCTV aurait été relayée au PPCC. Les motifs mentionnent le style unique et la sécurité dynamique, mais ils font également état du fait que, lors d’un assaut, rien de cela n’est utile. Un examen de la transcription de l’audience confirme qu’il y avait des éléments de preuve qui étayaient les conclusions tirées par l’agent d’appel.

[36]           Il s’agissait d’une décision longue et détaillée; elle ne fait pas mention de la totalité des éléments de preuve, mais cela n’était pas nécessaire. L’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, nous dit que la décision n’a pas besoin d’être parfaite et que, si elle appartient aux issues acceptables lorsque considérée dans son ensemble, la décision est raisonnable. Je conclus que l’agent d’appel a bien compris que l’unité 4 était unique et qu’il a examiné cette question de manière complète, puis qu’il a accordé plus d’importance aux témoignages des AC et il a conclu qu’il existait un danger.

[37]           En outre, l’agent d’appel a conclu que les barreaux horizontaux nuisaient à la capacité de l’agent posté sur la passerelle armée de la galerie de tirer en temps opportun avec précision. Il a conclu que le risque que survienne une urgence et qu’il soit nécessaire de tirer du fusil n’était pas hypothétique et qu’une telle situation était survenue. L’agent d’appel a également conclu que le rôle de l’agent posté sur la passerelle armée était un rôle important sur le plan de la sécurité pour sauver des vies ou contrôler une situation d’urgence. Par conséquent, l’agent d’appel a appliqué le bon critère relativement au danger et l’a apprécié en conséquence.

[38]           Le deuxième argument du demandeur est qu’il était déraisonnable de dire, à deux occasions dans la décision, que les éléments de preuve du défendeur étaient « non contestés ». Au paragraphe 102, l’agent d’appel a indiqué que le témoignage de l’AC était non contesté concernant l’alimentation :

Les AC Zimmerman, Aulakh, Conteh et Sterkenburg et le GC Verville ont déclaré lors de leur témoignage que la transmission de l’alimentation de la CCTV de l’unité d’habitation 1 au PPCC fournit une certaine protection aux AC, et que cela peut contribuer à réduire le risque de blessure et le degré de gravité d’une situation d’urgence, et personne n’a contesté leur témoignage. Selon les AC, le PPCC peut fournir de l’information essentielle sur-le-champ aux AC qui donnent suite à une alerte ou qui effectuent d’autres interventions d’urgence, et ce, relativement à l’emplacement d’un incident, au nombre de détenus potentiellement impliqués, à la nature de l’urgence, à la question de savoir si des pièces accessoires d’équipement de sécurité-incendie seront requises pour gérer la situation, à la présence d’armes et à la question de savoir si quelqu’un est blessé et a besoin de soins médicaux. De plus, l’agent du PPCC peut appuyer un AC de manière à lui permettre d’augmenter sa capacité de planifier son intervention selon qu’il a affaire à une urgence ou un incident et, le cas échéant, de faire venir en temps opportun la police, les secours médicaux ou tout autre service d’urgence, et de recevoir d’autres renseignements établis par des AC. On a cité et fait admettre en preuve le cas d’un agent du PPCC qui avait pris les devants et téléphoné aux secours médicaux après avoir appris qu’un incident était survenu.

[39]           Encore une fois, au paragraphe 111 :

La déposition non contestée de l’AC Strekenburg veut que l’utilisation d’armes s’est accrue à Kent et qu’il a lui-même été témoin d’agressions à l’arme blanche, qu’il faut par ailleurs plus de temps pour aller faire une intervention dans l’unité d’habitation 1 et qu’une personne peut infliger 33 blessures à l’aide d’une arme blanche ou frapper quelqu’un à la tête 50 fois en à peine sept secondes.

[40]           Le demandeur soutient que cela constituait une erreur de la part de l’agent d’appel, parce que l’employeur a présenté des éléments de preuve démontrant que l’unité 4 a été conçue pour éliminer tout risque de danger pour les AC. Le demandeur affirme qu’ils ont contesté tous les éléments de preuve, de sorte que l’affirmation de l’agent d’appel constitue une erreur susceptible de contrôle.

[41]           Les éléments de preuve évoqués au paragraphe 102 concernaient précisément ce que le PPCC peut faire. La preuve de ce que le PPCC peut faire n’a pas été contestée. Ce que le demandeur a contesté, c’était la prétention selon laquelle l’aménagement unique de l’unité et le protocole en vigueur exposaient le défendeur à un danger.

[42]           Au paragraphe 111, les éléments de preuve non contestés concernaient l’augmentation de la fréquence de l’utilisation d’armes à l’Établissement Kent, le fait que l’AC avait observé personnellement des agressions à l’arme blanche et le temps de réponse aux incidents dans l’unité 4. Lorsque j’examine la transcription, ces éléments de preuve n’ont pas été contestés.

[43]           Dans la longue décision détaillée, l’agent d’appel a affirmé qu’il accordait « beaucoup d’importance aux témoignages faits par les AC à titre de témoins ordinaires, compte tenu de leurs connaissances, de leur expérience et de leur formation exhaustives en ce qui concerne les questions litigieuses ».

[44]           Il y avait des éléments de preuve qui étayaient la prétention selon laquelle le fait que l’alimentation de la CCTV de l’unité 4 ne soit pas transmise au PPCC ne constituait pas un danger, et il y avait des éléments de preuve qui étayaient les conclusions tirées par l’agent d’appel selon lesquelles cela constituait un danger. L’agent d’appel n’a pas fait abstraction des éléments de preuve, mais a choisi d’accorder plus d’importance aux témoignages des agents de première ligne. Les expressions « non contestée » et « personne n’a contesté » sont reliées à des conclusions très précises et ne se rapportent pas à la preuve présentée dans son ensemble. Un examen microscopique de l’emploi de ces deux expressions ne donne pas raison au demandeur lorsque la décision est lue comme un tout.

[45]           Le caractère raisonnable d’une décision tient à sa justification, à sa transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12). J’estime que la décision dont il est ici question était raisonnable et qu’elle satisfait à cette norme.

[46]           Je rejetterai la demande et j’ordonnerai que le demandeur paie sans délai au défendeur la somme de 250,00 $ à titre de dépens.


LA COUR STATUE que :

1.                  La demande est rejetée;

2.                  Le demandeur doit payer sans délai au défendeur la somme de 250,00 $ à titre de dépens.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes


ANNEXE A

[TRADUCTION] Consigne de poste F-11 poste de la galerie : passerelle armée des unités résidentielles de l’unité d’habitation

Un coup de semonce peut être tiré pour empêcher la perpétration d’actes susceptibles de causer la mort ou des blessures corporelles graves, ou encore pour contrer une évasion, lorsque des mesures moins rigoureuses se sont révélées inapplicables, inefficaces ou ne constituent pas l’intervention la plus sécuritaire et la mieux adaptée à la situation.

Il est possible de tirer délibérément sur une personne pour empêcher la perpétration d’actes susceptibles de causer la mort ou des blessures corporelles graves, ou encore pour contrer une évasion, uniquement lorsque des mesures moins rigoureuses se sont révélées inapplicables, inefficaces ou ne constituent pas l’intervention la plus sécuritaire et la mieux adaptée à la situation.

Il est possible de tirer délibérément sur une personne pour empêcher la destruction de biens lorsque l’on croit que cette destruction pourrait vraisemblablement mettre des vies en danger et lorsque des mesures moins sévères ne peuvent être employées, qu’elles se sont avérées inefficaces ou qu’elles ne constituent pas l’intervention la plus sécuritaire et la mieux adaptée à la situation.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T-2094-13

 

INTITULÉ :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA C ZIMMERMAN

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

vancouver (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 AOÛT 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE mcveigh

 

DATE DES MOTIFS :

LE 18 FÉVRIER 2015

COMPARUTIONS :

Richard Fader

POUR LE DEMANDEUR,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

G. James Baugh

POUR LE DÉFENDEUR,

BRIAN ZIMMERMAN

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

McGrady & Company

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR,

BRIAN ZIMMERMAN

 

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