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Date : 20150217


Dossier : IMM-6055-14

Référence : 2015 CF 191

Ottawa (Ontario), le 17 février 2015

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

HARPREET SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur conteste la légalité d’une décision, datée du 16 juillet 2014, de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [Tribunal] rejetant sa demande d’asile parce que son récit de persécution n’est pas crédible, qu’il a trop tardé à revendiquer le statut de réfugié, et qu’il n’a, de toute façon, aucune raison de craindre aujourd’hui pour sa vie ou sa sécurité.

[2]               Il n’est pas nécessaire de s’attarder sur la raisonnabilité des diverses conclusions du Tribunal, la question déterminante en l’espèce étant celle du respect ou non des règles d’équité procédurale, laquelle doit être examinée par la Cour selon la norme de la décision correcte. Il y a lieu d’intervenir en l’espèce.

[3]               Le 29 avril 2014, le Tribunal a transmis un avis de convocation au demandeur et à son procureur indiquant que l’audience relative à la demande d’asile aurait lieu le 13 juin 2014, et que si le demandeur était absent, il devrait alors se présenter à une audience spéciale qui aurait lieu le 4 juillet 2014 pour justifier son absence et éviter le prononcé du désistement de sa demande d’asile.

[4]               De fait, le 11 juin 2014, deux jours avant l’audience, l’avocate inscrite au dossier a, pour la première fois, manifesté au Tribunal son intention de se retirer du dossier, alléguant un manque de collaboration de la part du demandeur. Rien au dossier n’indique que le demandeur était au courant que son procureur se retirait avant cette date. Le 12 juin 2014, le Tribunal a émis une directive à l’effet que « [s]elon les alinéas 15(1) et (2) des Règles [de la Section de la protection des réfugiés] Me Blain doit se présent[er] pour la requête [pour cesser d’occuper] ».

[5]               L’article 15 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256 [Règles] est clair :

15. (1) Le conseil d’un demandeur d’asile ou d’une personne protégée inscrit au dossier qui veut se retirer du dossier transmet d’abord une copie d’une demande de retrait par écrit à la personne qu’il représente et au ministre, si le ministre est une partie, puis transmet la demande par écrit à la Section au plus tard trois jours ouvrables avant la date fixée pour la prochaine procédure.

 

15. (1) To be removed as counsel of record, counsel for a claimant or protected person must first provide to the person represented and to the Minister, if the Minister is a party, a copy of a written request to be removed and then provide the written request to the Division, no later than three working days before the date fixed for the next proceeding.

 

(2) S’il lui est impossible de faire la demande conformément au paragraphe (1), le conseil se présente à la date fixée pour la procédure et fait sa demande de retrait oralement avant l’heure fixée pour la procédure.

 

(2) If it is not possible for counsel to make the request in accordance with subrule (1), counsel must appear on the date fixed for the proceeding and make the request to be removed orally before the time fixed for the proceeding.

 

(3) Le conseil demeure le conseil inscrit au dossier à moins que la demande de retrait soit accordée.

 

(3) Counsel remains counsel of record unless the request to be removed is granted.

 

[6]               Pour une raison que les procureurs ont été incapables à l’audience d’expliquer à la Cour, la procédure de retrait prévue à l’article 15 des Règles n’a manifestement pas été respectée. Le 13 juin 2014, à l’ouverture de l’audience, le Tribunal note que « je n’ai pas de nouvelles de personne ce matin », et malgré le défaut de Me Blain de présenter oralement sa requête pour cesser d’occuper à l’audience, ce dernier constate qu’« il y a eu un retrait du conseil dans le dossier ».

[7]               D’un autre côté, le Tribunal a bien eu des nouvelles du demandeur qui a entre-temps soumis un billet médical daté du 11 juin 2014 justifiant son incapacité d’être présent physiquement à l’audience du 13 juin 2014 suite à une chute survenue le 10 juin 2014 en descendant un escalier. Le médecin, le Docteur V. Colavincenzo, qui a examiné le demandeur écrit :

Mr. Singh visited me today complaining of acute pain localized to the right ankle and middle to lower back following a fall while going down the stairs that occurred yesterday evening.

This fall aggravated a previous trauma of the right ankle that was fractured and operated with screws and metal plates.

Today, there is swelling and pain of the right ankle and middle to lower back and the need to do X-rays and take painkillers. In view of this injury I recommend 7 to 10 days rest and ice. He will be reevaluated in 10 days.

[8]               Le Tribunal a jugé que l’avis du médecin traitant était insuffisant et a donc décidé d’entamer des procédures en désistement afin que le demandeur « expliqu[e] pourquoi il n’est pas là » et « [p]arce que le tribunal avec le billet médical a définitivement des questions ... ». Je reviendrai plus loin sur les « questions » que dit avoir le Tribunal.

[9]               Modifiant, l’avis de convocation du 29 avril 2014 – qui précisait qu’une audience spéciale en désistement aurait lieu le 4 juillet 2014 si le demandeur ne se présentait pas le 13 juin 2014 – le Tribunal a décidé que celle-ci aurait maintenant lieu le 20 juin 2014, soit deux semaines plus tôt qu’initialement fixé. Les procureurs ont été incapables d’expliquer de façon satisfaisante à la Cour ce subit devancement de date. Le défendeur invoque le paragraphe 65(3) des Règles qui prévoit que l’audience spéciale sur le désistement a lieu au plus tard cinq jours ouvrables après la date initialement prévue pour l’audience, mais la preuve au dossier indique que le Tribunal ne respecte pas lui-même cette dernière disposition (voir l’avis d’audience du 29 avril 2014 dûment signé par le greffier du Tribunal).

[10]           Un avis de convocation modifié portant la mention « DÉSISTEMENT » a donc été transmis par le Tribunal au demandeur le 13 juin 2014 par poste régulière prépayée. Or, selon le paragraphe 41(2) des Règles, légalement parlant, l’avis d’audition modifié a été considéré reçu le 20 juin 2014, soit la même journée où l’audience était prévue. Toutefois, dans les faits, selon la preuve au dossier, il semble bien que le demandeur ait été informé de la nouvelle date d’audience le 17 juin 2014, soit trois jours seulement avant l’audition.

[11]           Le 20 juin 2014, le demandeur s’est présenté en personne à l’audience de désistement. Il a soumis au Tribunal une nouvelle lettre en date du 17 juin 2014 du médecin traitant fournissant de plus amples détails sur l’incapacité physique dont souffrait le demandeur le 11 juin 2014 :

At the request of the patient named Harpreet Singh, this letter was type written so that the information regarding his health can be clearly read and understood by all those who find my handwriting unclear.

I want to begin by reporting that on July 9, 2012 this gentleman was a victim of a serious car accident; he was hit by a car as a pedestrian. He suffered multiple fractures (right ankle and lower leg, dorsal spine, sternum, ribs, nose, left shoulder bone and left shoulder blade) and multiple soft tissue lacerations. He underwent several surgeries and many weeks of rehabilitation. His physical condition gradually improved over the years.

Mr. Singh visited me at my office on June 11, 2014 complaining of severe pain localized to the right ankle and middle to lower back following a fall he had while descending the stairs on June 10, 2014. He did not lose consciousness or have head trauma. He was in acute pain and very worried that he fractured the same or other bones of his body. On clinical exam the patient had difficulty walking, he limped and he used a cane. The right ankle was badly swollen; the mild active and passive movements of his ankle were painful and significantly limited. The exam of the middle and lower back revealed tender dorsal and lumbar vertebrae and paravertebral muscles. The movement of his dorsolumbar spine was also very limited. This fall clearly aggravated the injuries to those body parts he had sustained in the past and resulted in a worsening of his physical incapacity.

I requested that he undergo X-rays of his lower right leg and ankle and his dorsal and lumbar spine to eliminate any recent fractures. Furthermore, due to the nature of the pain I recommended the use of opiods (Hydromorphone) to relieve the pains. Furthermore, I recommended the application of ice for several days and rest for 7 to 10 days. He would be reevaluated in 10 days and a plan of action would be decided at that time.

[12]           À première vue, la preuve médicale qu’a soumise le demandeur rencontre les conditions des paragraphes 65(5) et (6) des Règles qui précisent :

(5) Si l’explication du demandeur d’asile comporte des raisons médicales, à l’exception de celles ayant trait à son conseil, le demandeur d’asile transmet avec l’explication un certificat médical original, récent, daté et lisible, signé par un médecin qualifié, et sur lequel sont imprimés ou estampillés les nom et adresse de ce dernier.

 

(5) If the claimant’s explanation includes medical reasons, other than those related to their counsel, they must provide, together with the explanation, the original of a legible, recently dated medical certificate signed by a qualified medical practitioner whose name and address are printed or stamped on the certificate.

(6) Le certificat médical indique, à la fois :

 

(6) The medical certificate must set out

 

a) sans mentionner de diagnostic, les particularités de la situation médicale qui ont empêché le demandeur d’asile de poursuivre l’affaire, notamment par défaut de transmettre le Formulaire de fondement de la demande d’asile rempli à la date à laquelle il devait être transmis ou de se présenter à l’audience relative à la demande d’asile;

 

(a) the particulars of the medical condition, without specifying the diagnosis, that prevented the claimant from providing the completed Basis of Claim Form on the due date, appearing for the hearing of the claim, or otherwise pursuing their claim, as the case may be; and

 

b) la date à laquelle il devrait être en mesure de poursuivre l’affaire.

 

(b) the date on which the claimant is expected to be able to pursue their claim.

[13]           Lors de sa comparution personnelle devant le Tribunal le 20 juin 2014, le demandeur a clairement exprimé au Tribunal son intention de procéder à une autre date avec sa demande d’asile, car il désirait toujours être représenté par procureur. Il a présenté une note manuscrite émanant de Me Cantin qu’il avait entre-temps approché et dont la carte professionnelle avait été fournie au Tribunal le 13 juin 2014. Me Cantin indique qu’il n’est pas disponible le 20 juin 2014, mais qu’il est disponible les 2, 3, 7, 10, 11, 14, 16, 17, 21, 22, 23, 24 et 25 juillet, ainsi que les 14, 15, 18, 19, 21, 22 et du 25 au 28 août 2014. Prenant prétexte du fait que selon une note de l’agent de gestion de cas, en date du 17 juin 2014, Me Cantin n’« est pas l’avocat au dossier », le Tribunal a choisi d’ignorer les preuves de disponibilité de Me Cantin et a préféré forcer la main du demandeur pour le convaincre de procéder, coûte que coûte, le 20 juin 2014.

[14]           Dans les faits, le Tribunal a offert au demandeur deux possibilités. Ou bien il procédait sur le fond sans procureur, ou bien le Tribunal prononçait le désistement de la demande d’asile, et ce, soi-disant, parce que la preuve médicale n’était pas adéquate :

Alors cela étant, Monsieur je vais vous poser la question : est-ce que vous êtes-- moi aujourd’hui j’ai vu votre billet médical la dernière fois, je vais vous dire très honnêtement, ça c’est le deuxième billet, à peu près la même forme, le même cons-- le même médecin qui justifie à la dernière minute des absences du demandeur à leur demande d’asile.

Alors voilà pourquoi ce billet médical ne me satisfait pas, d’autant plus que vous n’étiez pas présent et il n’y avait personne pour vous représenter. Maintenant vous êtes là aujourd’hui. Est-ce que vous êtes prêt à procéder aujourd’hui?

Avant que j’aille plus loin. Parce que si vous êtes prêt à (inaudible) je n’irai pas plus loin au niveau du billet médical si vous êtes prêt à procéder. Sinon j’irai plus loin dans les-- dans vos justifications parce qu’au niveau du désistement, c’est une des raisons qui est importante pour moi.

[15]           Le demandeur a fourni au Tribunal une explication raisonnable de son absence du 13 juin 2014. Le billet et la lettre du médecin traitant du demandeur parlent d’eux-mêmes. C’est une grave accusation que le Tribunal formule plus haut contre le médecin traitant, qui n’a jamais été convoqué devant le Tribunal. Je n’ai, par ailleurs, aucune preuve crédible au dossier me permettant de conclure aujourd’hui qu’il s’agissait de certificats médicaux de complaisance, de sorte que l’offre du Tribunal constituait un odieux chantage qui n’avait aucune raison d’être.

[16]           Lors de l’audience du 20 juin 2014, le Tribunal semble avoir également été indisposé par le fait que le demandeur aurait bu selon les dires de l’interprète qui s’est adressé au Tribunal sans toutefois traduire au demandeur cette dernière observation. Il n’empêche, le demandeur a réitéré à plusieurs reprises son désir d’être représenté par un procureur, mais peine perdue, le Tribunal a décidé d’ajourner le dossier en début d’après-midi en lui disant : « [v]ous aurez le temps de décanter, d’aller voir votre dossier, de le préparer, on va procéder cet après-midi [à 1h00] ».

[17]           Le Tribunal a fait fi du paragraphe 65(4) des Règles, lequel est pourtant explicite :

(4) Pour décider si elle prononce le désistement de la demande d’asile, la Section prend en considération l’explication donnée par le demandeur d’asile et tout autre élément pertinent, notamment le fait qu’il est prêt à commencer ou à poursuivre les procédures.

 

(4) The Division must consider, in deciding if the claim should be declared abandoned, the explanation given by the claimant and any other relevant factors, including the fact that the claimant is ready to start or continue the proceedings.

 

[18]           En l’espèce, le comportement du demandeur était non équivoque et démontrait une intention claire de poursuivre sa demande d’asile. Je suis d’accord avec le demandeur que les délais pour trouver un nouvel avocat, qui serait disponible le 20 juin 2014, étaient déraisonnables en l’espèce. Suite au retrait très tardif de Me Blain du dossier, le demandeur devait agir avec célérité. C’est ce qu’il a fait en l’espèce. Me Blain étant l’avocate au dossier, au moins jusqu’au 13 juin 2014, et on ne peut certes pas reprocher au demandeur de ne pas s’être trouvé un nouveau procureur avant cette date, alors qu’il avait fourni un billet médical justifiant son absence. La demande d’ajournement de l’audition du 20 juin 2014 était donc parfaitement raisonnable dans les circonstances. En l’espèce, je suis d’avis que le Tribunal a gravement manqué à l’équité procédurale en privant le demandeur de son droit d’être représenté par un procureur.

[19]           Comme indiqué par la Cour dans Nemeth c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 590 au para 6 :

La Commission n'est pas tenue de s'ajuster à l'emploi du temps d'un avocat. Ainsi que l'affirmait le juge Dubé dans l'affaire Aseervatham c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. n ° 804 (QL) (1re inst.), un revendicateur a le droit de choisir un avocat, mais « si l'avocat qu'il choisit n'est pas en mesure de comparaître parce qu'il est trop occupé ou pour d'autres motifs, il ne peut s'attendre à ce que le tribunal se plie aux exigences de ce procureur » (au paragr. 25). Voir aussi le jugement Afrane c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. n ° 609 (QL) (1re inst.). La situation est différente si un revendicateur est abandonné par son avocat à la dernière minute : voir l'arrêt De Sousa c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1988] A.C.F. n ° 569 (QL) (C.A.). Si dans un tel cas la Commission n'accorde pas un ajournement, il y a effectivement déni du droit d'être représenté par un avocat. Voir aussi les précédents suivants : Siloch c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. n ° 10 (QL) (C.A.); Castroman c. Canada (Secrétariat d'État), [1994] A.C.F. n ° 962 (QL) (1re inst.); Dadi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. n ° 1243 (QL) (1re inst.).[soulignements ajoutés]

[20]           Je suis également d’accord avec les principes que cette Cour expose dans l’affaire Ramadani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 211 aux paras 8 à 12 :

[8] À l'audition de la présente demande, les demandeurs allèguent une violation des principes de justice naturelle pour deux motifs. Ils soutiennent que la demande d'ajournement n'a pas été examinée de manière adéquate et que le refus d'accorder un ajournement les a dans les faits privés de leur droit à un avocat. D'autres motifs invoqués dans les observations écrites ont été (correctement) abandonnés.

[9] À mon avis, les demandeurs doivent avoir gain de cause sur leurs deux arguments. En ce qui concerne leur demande d'ajournement qui n'a pas été examinée correctement, le seul facteur pris en compte par la SPR était que les demandeurs n'avaient pas reçu l'aide juridique. La Commission a fait observer que rien ne garantissait que l'avocat comparaîtrait en leur nom, même si un ajournement était accordé pour l'une des dates que celui-ci avait précisées. Nul ne conteste qu'il était approprié de tenir compte de ce facteur.

[10] Toutefois, la SPR n'a pas tenu compte des autres facteurs dégagés par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Siloch c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 151 N.R. 76 (C.A.F.) - la question de savoir si les demandeurs ont fait leur possible pour être représentés par un avocat lors de l'audience, le nombre d'ajournements déjà accordés (aucun en l'espèce), la faute ou le blâme à imputer aux demandeurs du fait qu'ils n'étaient pas prêts et la question de savoir si des ajournements ont déjà été accordés péremptoirement. La décision de ne pas ajourner a nui à la capacité des demandeurs d'être représentés par un avocat lors de l'audience de justification. Les conséquences d'une décision de désistement sont importantes. Elle termine une demande sans examen de son bien-fondé, une mesure de renvoi conditionnel entre en vigueur et cela empêche un demandeur de solliciter l'asile à l'avenir.

[11] À mon avis, la SPR doit, à tout le moins, mentionner qu'elle a pris en considération les facteurs pertinents énumérés dans l'arrêt Siloch, précité, avant d'en arriver à une décision défavorable. Son défaut de le faire constitue une erreur susceptible de révision. Je fais remarquer que mes collègues, la juge Heneghan et le juge O'Keefe, sont arrivés à une conclusion semblable dans les décisions Dias c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 84, et Sandy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1468.

[12] Concernant l'allégation selon laquelle le refus équivaut à un déni du droit à un avocat, je suis convaincue que les circonstances de l'espèce sont visées par le raisonnement de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt De Sousa c. Canada (Minister of Employment and Immigration) (1988), 93 N.R. 31 (C.A.F.) et du juge Rothstein, alors à la Section de première instance telle qu'elle était constituée, dans la décision Afrane c. Canada (Minister of Employment and Immigration) (1993), 64 F.T.R. 1 (1re inst.). En gros, dans ces affaires, les demandeurs avaient été avisés par les avocats (dans des lettres qui leur ont été remises peu avant l'audience ou le jour de l'audience) que ceux-ci ne seraient pas disponibles pour l'audience. Lors de leurs audiences respectives, les demandeurs ont présenté ces lettres à la Commission à l'appui de leurs demandes d'ajournement. Dans chacun des cas, les demandes ont été refusées et les audiences se sont tenues sans avocat. Les décisions ont par la suite été annulées par les cours de révision au motif que les demandeurs avaient été privés de leur droit à un avocat et que cela constituait un manquement à l'équité procédurale et aux principes de justice naturelle.

[21]           Je ne crois donc pas qu’il soit nécessaire ici de statuer sur la question de savoir si le paragraphe 2(d) de la Déclaration canadienne des droits, LC 1960, c 44, – lequel prévoit qu’aucun tribunal ne peut contraindre une personne à témoigner sans le secours d’un avocat – a été violé par le Tribunal. En l’espèce, il suffit de conclure que le Tribunal a manqué à l’équité procédurale en acceptant le retrait très tardif de l’avocate au dossier, en menaçant le demandeur qu’il prononcerait le désistement malgré la preuve médicale au dossier, et enfin en refusant d’ajourner l’audience de la demande d’asile afin que le demandeur puisse être représenté par un procureur. Au demeurant, lors de l’audience, le Tribunal n’a rien fait pour orienter le demandeur et lui indiquer comment procéder, alors même qu’il forçait ce dernier à procéder seul et sans l’assistance d’un procureur (ou les conseils d’un agent d’audience).

[22]           Bien qu’à mon avis, il ne soit pas nécessaire dans cette cause de démontrer le préjudice qu’a pu subir le demandeur, je suis convaincu que la procédure suivie par le Tribunal a été profondément injuste et qu’elle a lourdement pénalisé le demandeur, puisqu’il n’a pas déposé plusieurs documents, que le Tribunal ne les a pas demandés, qu’il y a eu une discussion entre l’interprète et le Tribunal qui ne lui a pas été traduite, et enfin que les éléments de preuve documentaire auxquels le Tribunal référait ne lui avaient pas été transmis personnellement et les passages pertinents ne lui ont pas été traduits à l’audience.

[23]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera donc accordée. La décision contestée sera cassée et l’affaire retournée à un autre décideur. Les procureurs conviennent qu’aucune question grave de portée générale ne se soulève dans le présent dossier. En conséquence, aucune question ne sera certifiée par la Cour.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est accueillie. La décision du 16 juillet 2014 est cassée et l’affaire est retournée au Tribunal pour qu’un autre décideur entende et statue sur le bien-fondé de la demande d’asile du demandeur. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6055-14

 

INTITULÉ :

HARPREET SINGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 février 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 février 2015

 

COMPARUTIONS :

Me Claude Whalen

 

Pour le demandeur

 

Me Thi My Dung Tran

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Claude Whalen

Avocat

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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