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Date : 20150223

Dossier : T-1079-14

Référence : 2015 CF 232

Ottawa (Ontario), le 23 février 2015

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

CHRISTIAN LAROUCHE

Demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Monsieur Christian Larouche demande le contrôle judiciaire de la décision du ministre du revenu national [le Ministre] de refuser de lui consentir un allègement des intérêts cumulés, au cours d’une période de 186 mois, sur ses cotisations fiscales des années 1997, 1999, 2000 et 2001, en sus de l’allègement accordé pour la période du 20 septembre 2004 au 30 août 2006. Cette décision a été prise au deuxième palier par le Comité des allègements pour les contribuables, Division des Appels [le Comité], en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, ch 1 [LIR], qui prévoit que le Ministre peut annuler tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts par ailleurs payable par un contribuable.

[2]               Le demandeur reproche essentiellement au Ministre d’avoir manqué à son devoir d’équité procédurale en n’engageant pas la discussion avec lui avant de rendre sa décision au premier palier, et d’avoir exercé sa discrétion de façon déraisonnable en appliquant trop restrictivement la Circulaire d’information en matière d’impôt sur le revenu IC07-1, « Dispositions d’allègement pour les contribuables », datée du 31 mai 2007.

[3]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire du demandeur sera rejetée.

I.                    Faits pertinents

[4]               Au cours de l’année 1995, le demandeur s’est vu octroyer par son employeur, Cinépix Film Production [Cinépix], 250 options d’achat d’actions qu’il a exercées le même jour. À sa demande, les actions ont été émises en faveur de sa société de gestion 2753-1359 Québec Inc. [2753] qui les a détenues jusqu’à ce qu’elles soient vendues à Fiducie Christian Larouche (la Fiducie), quelques années plus tard.

[5]               En février 2004, l’Agence du Revenu du Canada [ARC] a émis de nouveaux avis de cotisations contre 2753 pour les années 1997, 1999 et 2001, tenant compte d’un gain en capital non déclaré et réalisé lors de la disposition des actions en faveur de la Fiducie, réputée faite à leur juste valeur marchande. Quelques mois plus tard, de nouveaux avis de cotisation ont également été émis contre la Fiducie. Ces avis de cotisation auraient eu l’effet d’une double cotisation.

[6]               En mars 2004, 2753 a logé un avis d’opposition à l’encontre de cette cotisation, en vain puisque tous les avis de cotisation ont été ratifiés par le Ministre en août 2007.

[7]               En novembre 2007, 2753 et la Fiducie ont logé un appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt, lequel s’est soldé par une entente hors cour à l’issue d’une médiation menée par le juge Archambault. Aux termes de cette entente, i) les parties reconnaissent qu’en tout temps pertinent, 2753 a agi comme prête-nom pour le demandeur et qu’elle a détenu les actions de Cinépix pour lui et en son nom, ii) elles conviennent de la juste valeur marchande des actions au moment de la disposition en faveur de la Fiducie, iii) le Ministre retire les avis de cotisation émis contre 2753 et iv) le demandeur renonce à la prescription acquise afin de permettre au Ministre d’émettre contre lui de nouveaux avis de cotisation à l’extérieur du délai de trois ans prévu au paragraphe 152(4) de la LIR. Il est également prévu à cette entente qu’«une demande formelle à l’égard des intérêts pourra être présentée par Christian Larouche en tenant compte de l’allègement déjà accordée(sic) pour la période du 20 septembre 2004 au 30 août 2006 ». Cet allègement partiel a été accordé de façon informelle par le Ministre suite à une demande écrite faite par le demandeur au juge Archambault qui, n’ayant pas compétence sur cette question, l’a transmise au Ministre.

[8]               C’est dans ce contexte que le 19 septembre 2012, le demandeur a transmis sa demande d’allègement formelle qui reprend pour l’essentiel le contenu de sa lettre au juge Archambault.

[9]               Le 31 janvier 2013, le Ministre a rendu sa décision au premier palier, par laquelle il confirme sa décision informelle d’accorder un allègement partiel pour la période du 20 septembre 2004 au 30 août 2006.

[10]           Le 18 mars 2013, le demandeur a demandé la révision au deuxième palier de cette décision en se fondant à nouveau sur les arguments déjà avancés.

  II.               Décision contestée

[11]           La décision contestée est composée du rapport d’un agent des appels daté du 18 février 2014, dans lequel il recommande de refuser l’allègement demandé par le demandeur, ainsi que de la lettre du 1er avril 2014 émise par le gestionnaire pour le Comité (NRT Technology Corp. c Canada (Procureur général), 2013 CF 200 au para 16).

Rapport d’examen au deuxième palier

[12]           Le rapport fournit un résumé des faits pertinents au dossier et des arguments invoqués au soutien de la demande d’allègement et que l’on retrouve aux diverses correspondances de l’avocat du demandeur.

[13]           On y passe en revue les arguments du demandeur et on y conclut qu’il n’existe aucune circonstance particulière pour laquelle un allègement d’intérêts devrait être accordé.

Pouvoir discrétionnaire

[14]           Dans son rapport, l’agente reconnait que les lignes directrices ne peuvent constituer un obstacle à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du Ministre. Cependant, un allègement n’est pas justifié dans les circonstances puisque le dossier a suivi son cours normal et qu’à chacune des étapes, les décisions ont été prises de bonne foi, en tenant compte des informations et documents à la disposition de l’ARC. Elle ajoute qu’il n’est pas exceptionnel qu’un dossier fasse l’objet de plusieurs procédures avant qu’il ne se règle.

Prescription

[15]           Le rapport fait état du fait que le demandeur ait dû renoncer à la prescription acquise dans le cadre de l’entente hors cour. Puisque cette entente a été signée de bonne foi, ni cette renonciation ni la mention stipulant que le demandeur pourra demander un allègement, en sus de l’allègement partiel accordé, n’imposent à l’ARC l’obligation d’accorder l’allègement demandé.

Erreur de L’ARC

[16]           Le demandeur reprochait à l’ARC d’avoir fait défaut d’appliquer l’article 7 de la LIR (émission de titres en faveur d’employés) dès l’étape de la vérification. À cela, l’agente répond que les informations et documents en mains ne permettaient pas l’application de cette disposition. Elle précise qu’une proposition a été transmise à 2753 dans le cadre de l’opposition, laquelle prévoyait que l’ARC était prête à considérer que 2753 avait servi de prête-nom pour le demandeur. Non seulement le demandeur n’a-t-il jamais répondu à cette proposition, mais il avait refusé une proposition similaire à l’étape préalable de la vérification.

Impossibilité d’agir du demandeur

[17]           Le demandeur plaidait qu’avant que le litige ne se règle hors cour, il ignorait tout simplement le montant des impôts qu’il aurait à payer puisque l’un des éléments litigieux était la valeur des actions au moment du transfert en faveur de la Fiducie. Voici comment le Comité dispose de cet argument :

« Nous sommes d’avis que M. Larouche savait depuis le refus de la divulgation volontaire en aout 2001 et l’émission des avis de cotisation en 2004, que la multiplication de l’exemption du gain en capital était questionnée. M. Larouche a continué à refuser l’entente qui prévoyait l’utilisation du prête nom corporatif et n’a fait aucun effort pour acquitter une portion du solde à payer suite aux cotisations. Même s’il ne connaissait pas le montant exact à payer, le contribuable Christian Larouche savait qu’il y aurait au final un montant d’impôt à payer. »

Délais indus dans l’analyse de l’opposition et autres délais

[18]           Selon le demandeur, le processus d’opposition s’est avéré inutile puisque l’ARC n’a déployé aucun effort ni fait une analyse qui aurait permis une application juste de la Loi. La période d’allègement partiel accordée aurait dû se poursuivre jusqu’au 27 novembre 2007 afin de couvrir tout le délai d’opposition.

[19]           L’agente conclut plutôt, à la lumière du formulaire T2020 et du rapport d’opposition, que la Division des oppositions a procédé au traitement du dossier selon les règles établies. 2753 a pu présenter différentes propositions de règlement qui ont toutes été analysées par l’agent d’opposition et son chef d’équipe. Puisque le demandeur n’était pas partie à la procédure d’opposition, sa proposition prévoyant qu’il devait être considéré comme le débiteur fiscal plutôt que 2753 ne pouvait être considérée en l’absence d’avis de cotisation émis à son nom.

[20]           À l’égard de l’ensemble du dossier, le Comité conclut que les seuls délais indus imputables à l’ARC ont déjà fait l’objet de l’allègement partiel.

III.               Questions en litige et norme de contrôle

[21]           Cette demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

                     Le Ministre a-t-il manqué à son devoir d’équité procédurale et de justice naturelle en n’engageant pas la discussion avec le demandeur?

                     Le Ministre a-t-il commis une erreur dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 220(3.1) de la Loi?

[22]           La norme de la décision correcte s’applique à la première de ces questions alors que la norme de la décision raisonnable s’applique à la seconde (Lanno c Canada (Agence des Douanes et du Revenu), 2005 CAF 153; Telfer c Canada (Agence du Revenu), 2009 FCA 23).


IV.               L’analyse

A.                L’équité procédurale

[23]           Lorsque le demandeur a transmis sa demande d’allègement au premier palier, il a d’abord reçu une lettre du représentant du Ministre lui indiquant que sa demande était prématurée puisqu’aucune entente n’avait encore été conclue sur la perception des sommes ayant fait l’objet du règlement hors cour. Le procureur du demandeur a répondu qu’une demande d’allègement pouvait être traitée en parallèle avec les discussions relatives à la perception et suite à cette lettre, une décision négative a été rendue au premier palier. Étrangement, le demandeur plaide dans ses représentations écrites que cette décision était inattendue. Lors de l’audition, il a également reproché au décideur au premier palier de ne pas avoir amorcé de discussions avec lui, comme ce fût le cas pour l’allègement partiel accordé. Au décideur au second palier, il reproche tout simplement de ne pas avoir traité de cette question.

[24]           Dans ses représentations écrites, le défendeur se contente d’indiquer que puisqu’au deuxième palier, le demandeur n’a fait que critiquer le processus qui a mené à la décision au premier palier et non qu’on ne lui a pas donné l’occasion d’être entendu, le Comité n’avait pas à traiter cette question. Lors de ses représentations verbales, le procureur du défendeur a ajouté que le demandeur a eu amples occasions de faire ses représentations par écrit (contenues dans quatre lettres du procureur du demandeur) et que le Ministre n’était pas tenu de lui offrir une audience ou d’engager quelques discussions que ce soit avec lui.

[25]           D’abord, le demandeur ne peut reprocher au décideur au premier palier d’avoir rendu une décision alors qu’une demande d’allègement officielle lui avait été transmise et que par l’intermédiaire de son procureur, il arguait qu’elle n’était pas prématurée.

[26]           Par ailleurs, le demandeur a eu amplement l’occasion d’être entendu et il a pu faire valoir tous ses arguments. Le décideur au premier palier pouvait et devait rendre une décision et il n’avait aucune obligation de négocier avec le demandeur. Insatisfait du résultat de sa demande, le demandeur pouvait faire exactement ce qu’il a fait, la soumettre au deuxième palier. Cet argument du demandeur sera donc rejeté.

B.        L’exercice de sa discrétion par le Ministre

[27]           Le demandeur reproche essentiellement au Ministre de ne pas avoir considéré, comme circonstance exceptionnelle, le fait que dans le but de conclure l’entente hors cour devant la Cour canadienne de l’impôt, il a renoncé au bénéfice de la prescription acquise. Il lui reproche également de ne pas avoir accepté la substitution de débiteurs fiscaux en 2007, plutôt que de ne le faire qu’en 2012.

Renonciation au bénéfice de la prescription

[28]           L’entente hors cour est claire : bien que le montant du capital et des pénalités soit réglé, le montant des intérêts ne l’est pas et il devra faire l’objet d’une procédure distincte. Les parties ne se commettent pas quant à l’issue de cette procédure.

[29]           Par ailleurs, le demandeur a renoncé à la prescription acquise en contrepartie des avantages qu’il tirait du règlement, notamment l’élimination de la double imposition ou l’établissement de la valeur marchande des actions transférées en deçà du montant avancé par le Ministère. Qui plus est, il l’a fait en toute connaissance de cause, alors qu’il était représenté par procureur. Il ne peut aujourd’hui invoquer ce fait pour obtenir un allègement au niveau des intérêts. La décision du Ministre à cet égard est raisonnable et elle tient compte des éléments dont il disposait.

Les délais dans le traitement du dossier

[30]           Le demandeur reproche à l’ARC de ne pas avoir considéré plus tôt que 2753 avait agi comme prête-nom pour lui et avait détenu les actions de Cinépix en son nom. D’abord, le demandeur admet qu’il n’y a aucun écrit qui confirme l’existence d’une contre-lettre entre le demandeur et 2753. Par ailleurs, le Code civil du Québec prévoit ce qui suit à l’égard de l’effet d’une contre-lettre sur les droits des tiers de bonne foi :

1452. Les tiers de bonne foi peuvent, selon leur intérêt, se prévaloir du contrat apparent ou de la contre-lettre, mais s'il survient entre eux un conflit d'intérêts, celui qui se prévaut du contrat apparent est préféré.

[31]           En d’autres termes, la contre-lettre, même lorsqu’elle est clairement prouvée, n’est pas en soi opposable aux tiers de bonne foi. Que l’ARC ait accepté, dans le cadre d’une entente hors cour, de considérer et d’appliquer la contre-lettre ou convention de prête-nom entre le demandeur et 2753 n’y change rien.

[32]           Ceci dit, toutes les parties concernées, incluant les fiduciaires, ont reconnu la convention de prête-nom pour la première fois lors de la signature de l’entente hors cour par leurs procureurs respectifs, en juin 2012. Avant cette date, diverses positions ont été prises par le demandeur, par exemple :

                     Tel qu’indiqué précédemment, au cours de la période de vérification, le vérificateur a présenté au demandeur une proposition par laquelle l’ARC reconnaissait que 2753 avait agi comme prête-nom pour le demandeur, proposition que le demandeur a refusée. Il est fait ultérieurement mention de ce fait dans le Rapport sur une opposition sans que le demandeur ne saisisse l’occasion de rectifier le tir;

                     Dans leur avis d’appel devant la Cour canadienne de l’impôt, 2753 ne prétend pas avoir agi comme prête-nom pour le demandeur;

                     Le défendeur a demandé à plusieurs reprises au demandeur de fournir la preuve d’une convention de prête-nom, sans succès.

[33]           Le demandeur ne peut reprocher à l’ARC d’avoir choisi de cotiser 2753, ni d’avoir tardé à reconnaître la convention de prête-nom entre cette dernière et le demandeur. Cet argument du demandeur ne sera pas retenu.

[34]           Le demandeur n’a pas démontré qu’il était déraisonnable pour le Ministre de conclure que le traitement de son dossier aux diverses étapes - la vérification, l’opposition, l’appel et la médiation - n’a subi aucun délai indu qui serait dû à l’ARC ni que le cumul des intérêts serait dû à une situation hors de son contrôle.

[35]           Finalement, le demandeur n’a pas non plus démontré que le Ministre a erré en concluant qu’il n’était pas dans l’impossibilité d’agir plus tôt. À la lumière de l’ensemble du dossier, il était raisonnable pour le Ministre de conclure que le demandeur aurait pu choisir d’acquitter, ne serait-ce que partiellement, le montant des impôts sur la vente des actions qu’il prétendait sienne, sachant qu’il avait réalisé un gain en capital et que l’ARC réclamait à 2753 un montant d’impôt sur ce gain. Le demandeur a plutôt choisi de ne rien payer, il devait savoir qu’il s’exposait au cumul des intérêts sur la somme cotisée ou sur toute nouvelle cotisation en rapport avec cette vente d’actions et ce gain en capital.

  V.               Conclusion

[36]           Pour tous ces motifs, je suis d’avis de rejeter la demande de contrôle judiciaire du demandeur et d’accorder les dépens au défendeur.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                   La demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée;

2.                   Les dépens sont accordés au défendeur.

« Jocelyne Gagné »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1079-14

 

INTITULÉ :

CHRISTIAN LAROUCHE et PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 février 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 FÉVRIER 2015

 

COMPARUTIONS :

Me Serge M. Racine

 

pour le demandeur

 

Me Louis Sébastien

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Séguin, Racine Avocats

Laval (Québec)

 

pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

pour le défendeur

 

 

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