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Date : 20150213


Dossier : IMM-7141-13

Référence : 2015 CF 179

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 février 2015

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

DORA MIROSLAVA GODOY CERRATO

LUIS ALONSO ARTIGAS MENJIVAR

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Après avoir examiné la décision contestée, les observations des parties et l’ensemble de la preuve, la Cour conclut qu’il était loisible à la Section de la protection des réfugiés (SPR) de conclure que les demandeurs n’ont pas démontré l’existence d’un lien avec l’un des motifs prévus par la Convention. Il était raisonnable pour la SPR de conclure que l’emploi du demandeur principal comme policier au Honduras n’équivaut pas, en soi, à une appartenance à un groupe social aux fins de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).

II.                Introduction

[2]               La Cour est saisie, en application du paragraphe 72(1) de la LIPR, d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la SPR a rejeté, le 10 octobre 2013, la demande d’asile des demandeurs fondée sur les articles 96 et 97 de la LIPR.

III.             Faits et procédures

[3]               Les demandeurs, Luis Alonso Artigas Menjivar (le demandeur principal) et son épouse, Dora Miroslava Godoy Cerrato (la demanderesse secondaire), sont des citoyens du Honduras qui demandent l’asile en affirmant craindre avec raison d’être persécutés par la Mara Salvatrucha (MS) et être exposés à un risque à leur retour au Honduras.

[4]               Les demandeurs fondent leur demande d’asile sur les mêmes faits allégués (formulaires de fondement de la demande d’asile des demandeurs datés du 1er mars 2013, dossier du tribunal, aux pages 15 à 36).

[5]               Le demandeur principal affirme être pris pour cible par des membres de la MS en tant que membre de la police nationale hondurienne.

[6]               Du 10 avril 2012 au 12 juillet 2012, le demandeur principal a travaillé comme garde du corps pour le commissaire de police général, M. Jose Ricardo Ramirez Del Cid, qui luttait contre le crime organisé et la corruption au sein des forces policières.

[7]               Le 17 mai 2012, le chauffeur de M. Del Cid a été assassiné. L’enquête a révélé des renseignements indiquant que d’autres policiers allaient être pris pour cibles.

[8]               En juillet 2012, le demandeur principal a été muté à l’aéroport international de Toncontín et a travaillé comme policier de frontière. En l’espace d’un mois, le demandeur principal a reçu plusieurs menaces de mort, proférées à son endroit et à l’endroit de son épouse. Les demandeurs ont également trouvé des messages discriminatoires sur les fenêtres de leur voiture.

[9]               Le 17 juillet 2012, un inconnu, que les demandeurs croient être un membre de la MS, a frappé la voiture des demandeurs avec sa voiture, si bien que le demandeur principal a perdu le contrôle de son véhicule et a percuté un arbre. Après cet incident, les demandeurs ont déménagé chez les parents de la demanderesse secondaire. Les demandeurs ont changé la couleur de leur voiture et le demandeur principal a été muté dans une autre ville.

[10]           Le 8 novembre 2012, la demanderesse secondaire a trouvé leur véhicule percé de huit trous de balles dans la vitre côté conducteur. Le demandeur principal, qui travaillait dans une autre ville, a ensuite appelé deux amis de confiance pour qu’ils aillent s’occuper du véhicule.

[11]           Le 20 novembre 2012, le demandeur principal a démissionné de son poste et les demandeurs se sont cachés.

[12]           Le 26 janvier 2013, les demandeurs se sont enfuis aux États‑Unis, et le 15 février 2013, ils sont arrivés au Canada et ont demandé l’asile dès leur arrivée.

[13]           Le 5 septembre 2013, une audience a eu lieu devant la SPR.

IV.             Décision contestée

[14]           Dans une décision datée du 10 octobre 2013, la SPR a rejeté la demande d’asile des demandeurs.

[15]           La décision de la SPR repose sur trois conclusions déterminantes : le manque de crédibilité des demandeurs, l’omission des demandeurs de démontrer l’existence d’un risque personnalisé et l’absence de lien entre la crainte alléguée par les demandeurs et l’un des motifs prévus par la Convention.

[16]           Premièrement, la SPR a conclu que l’emploi de policier du demandeur principal n’équivalait pas à une « appartenance à un groupe social » aux fins de l’article 96 de la LIPR. La SPR a ajouté que l’emploi de policier du demandeur principal n’était ni immuable ni inhérent à sa dignité. La SPR a estimé que, bien que « travailler constitue un droit fondamental, travailler comme agent de police n’en est pas un » (décision de la SPR, au paragraphe 15).

[17]           Deuxièmement, la SPR a tiré plusieurs conclusions défavorables en matière de crédibilité au regard de la preuve, y compris le témoignage des demandeurs. Plus particulièrement :

i)                    la SPR n’a pas jugé crédible ou logique le fait que le demandeur principal ne soit pas au courant des événements ayant entouré le congédiement de M. Del Cid;

ii)                  se fondant sur la preuve documentaire fournie par les demandeurs, la SPR a souligné que M. Del Cid n’était pas un ardent défenseur de la réforme; il faisait plutôt partie d’un groupe de policiers haut placés qui n’auraient pas entièrement collaboré avec la police en vue de l’élimination de la corruption;

iii)                la SPR a tiré une conclusion défavorable de l’omission du demandeur principal de signaler dès le départ à la police les incidents allégués concernant son véhicule. La SPR a conclu que le témoignage du demandeur principal était incohérent à cet égard;

iv)                la SPR a également tiré une conclusion défavorable des actions des demandeurs ayant eu pour effet de compromettre et de détruire des éléments de preuve éventuels à la suite des deux incidents concernant le véhicule des demandeurs. La SPR a souligné que ces éléments de preuve auraient pu être récupérés sur les lieux et auraient pu conduire à une enquête policière. La SPR a rejeté les explications des demandeurs, qu’elle a jugées contradictoires;

v)                  la SPR a conclu que l’allégation des demandeurs était, selon la prépondérance des probabilités, conjecturale et aléatoire. La SPR a souligné que le demandeur principal n’avait jamais vu personne perpétrer les incidents qui seraient à l’origine de sa crainte, n’avait jamais été témoin de corruption au sein des forces policières et n’avait jamais arrêté un membre de la MS au cours de sa carrière. La SPR a ajouté que les demandeurs présumaient que les incidents étaient attribuables à la MS, sans toutefois être en mesure d’étayer cette prétention.

[18]           Troisièmement, la SPR a vu d’un mauvais œil le retard des demandeurs à s’enfuir du Honduras et à demander l’asile au Canada. La SPR a souligné que la demanderesse secondaire était titulaire d’un visa pour séjours multiples aux États‑Unis et aurait pu s’enfuir du Honduras plusieurs mois auparavant.

[19]           Enfin, la SPR a conclu que les demandeurs n’étaient pas exposés à un risque particulier et étaient donc visés par l’exception énoncée à l’alinéa 97(1)b) de la LIPR. La SPR a notamment souligné que la situation du demandeur principal n’était pas unique, car environ 14 500 policiers actifs au Honduras sont exposés aux mêmes risques découlant de leur emploi.

[20]           La SPR a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur principal ne serait pas « une cible exposée à davantage de risques que tout autre citoyen », puisqu’il « n’est plus agent de police [depuis sa démission en novembre 2012], et rien n’indique au tribunal que les anciens agents de police sont exposés à davantage de risques que les agents de police encore en fonction ou les membres de la population au Honduras » (décision de la SPR, au paragraphe 34).

V.                Dispositions législatives

[21]           Les dispositions suivantes de la LIPR s’appliquent :

Définition de « réfugié »

Convention refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

      (i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

      (i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

      (ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

      (ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

      (iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

      (iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

      (iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

      (iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

VI.             Question en litige

[22]           La conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs ne satisfont pas aux exigences des articles 96 et 97 de la LIPR est‑elle raisonnable?

VII.          Norme de contrôle

[23]           La question de savoir si les demandeurs ont établi l’existence d’un lien avec l’un des motifs prévus par la Convention et celle de savoir si le risque auquel sont exposés les demandeurs est un risque généralisé sont des questions mixtes de fait et de droit, qui sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Acosta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (2009) ACF 270, aux paragraphes 1, 9 et 11).

[24]           Cette norme empreinte de déférence tient à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » et à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 (Dunsmuir)).

[25]           De plus, compte tenu du rôle de décideur de première instance de la SPR, les conclusions en matière de crédibilité de celle‑ci commandent l’application d’une norme caractérisée par un degré élevé de retenue de la part de la Cour. En effet, la SPR « a eu l’occasion d’entendre les témoins, d’observer leur comportement et de relever toutes les nuances et contradictions factuelles contenues dans la preuve » (Rahal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 319, au paragraphe 42).

VIII.       Analyse

[26]           Aux fins de l’article 96 de la LIPR, il incombe aux demandeurs d’asile de démontrer qu’ils font l’objet d’une persécution dirigée contre eux, soit personnellement, soit en tant que membres d’une collectivité (Larenas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 159, au paragraphe 14).

[27]           Comme l’a affirmé le juge La Forest dans l’arrêt Canada (Procureur général c Ward), [1993] 2 RCS 689, l’appartenance à un « groupe social » au sens de l’article 96 peut en partie se définir par une caractéristique innée ou immuable commune à un groupe identifiable.

[28]           De plus, l’article 97 de la LIPR prévoit un mécanisme par lequel les demandeurs peuvent obtenir l’asile en démontrant qu’ils sont exposés à une menace personnelle à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités (Loyo de Xicara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 593).

[29]           L’analyse du paragraphe 97(1) oblige la SPR à procéder à un examen personnalisé de la demande d’asile des demandeurs, en se fondant sur les preuves présentées dans le contexte des risques actuels ou prospectifs auxquels ils seraient exposés (Correa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 252, aux paragraphes 46 et 57). Le risque de préjudice personnalisé doit découler de quelque chose de plus important qu’un incident isolé ou un acte commis aveuglément (Sorokin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 368, au paragraphe 31).

[30]           S’appuyant sur la preuve documentaire qui lui avait été fournie, la SPR a tenu compte de la violence généralisée et des taux élevés de criminalité au Honduras. La SPR a pris connaissance de la preuve établissant que le Honduras est aux prises avec une montée de la violence depuis plusieurs années, dont de la violence perpétrée contre des policiers. La SPR a également noté que les personnes prises pour cibles par le crime organisé au Honduras comprenaient des journalistes et des défenseurs des droits de la personne, mais a conclu que la preuve était muette quant au fait que des policiers étaient plus particulièrement ciblés par des gangs comme la MS.

[31]           Après avoir examiné la décision contestée, les observations des parties et l’ensemble de la preuve, la Cour estime qu’il était loisible à la SPR de conclure que les demandeurs n’ont pas démontré l’existence d’un lien avec l’un des motifs prévus par la Convention. Il était raisonnable pour la SPR de conclure que l’emploi du demandeur principal comme policier au Honduras n’équivaut pas, en soi, à une appartenance à un groupe social aux fins de l’article 96 de la LIPR.

[32]           Il était également loisible à la SPR de qualifier les actes de violence subis par les demandeurs de risque généralisé, au sens du sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la LIPR (Zacarias c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 62, au paragraphe 17). La SPR a raisonnablement conclu que le risque auquel est exposé le demandeur principal découle de son emploi à haut risque de policier, et non d’une persécution ciblée de la part de la MS.

[33]           La Cour estime que les conclusions de la SPR ont été tirées au regard de la preuve objective et subjective dont elle disposait, et sont conformes aux exigences de transparence, d’intelligibilité et de justification dans le processus décisionnel (Dunsmuir, précité; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59).

IX.             Conclusion

[34]           Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’intervenir. La demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.             La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.             Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

Diane Provencher, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7141-13

 

INTITULÉ :

DORA MIROSLAVA GODOY CERRATO, LUIS ALONSO ARTIGAS MENJIVAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 FÉVRIER 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 FÉVRIER 2015

 

COMPARUTIONS :

Jack C. Martin

 

POUR LES DEMANDEURs

 

Julie Waldman

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jack C. Martin

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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