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Date : 20150218


Dossier : IMM-8204-13

Référence : 2015 CF 197

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 février 2015

En présence de monsieur le juge Rennie

ENTRE :

NADIA DANIELA AGUIRRE RUJANA

GERMAN ENRIQUE RIOS RODRIGUEZ

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   La nature de l’affaire

[1]               Les demandeurs cherchent à faire annuler la décision rendue le 27 novembre 2013 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission), qui a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger, aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. Pour les motifs qui suivent, la demande sera rejetée.

II.                Les faits

[2]               Les demandeurs, Nadia Aguirre Rujana (la demanderesse principale) et son époux, German Rios Rodriguez, sont des citoyens de la Colombie. Mme Aguirre Rujana a 24 ans, et M. Rios Rodriguez est âgé de 28 ans. Ils prétendent craindre avec raison d’être persécutés par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (les FARC).

[3]               La demanderesse principale prétend que sa famille et elle‑même sont persécutées du fait qu’elles sont au‑devant de la scène à Aipe, en Colombie. Sa famille possède la seule station‑service d’Aipe et est considérée comme riche et ayant de l’influence. C’est pour cette raison, selon elle, que sa famille est victime d’extorsion ou de menaces de la part des FARC depuis 1998. Les FARC ont aussi menacé le père de la demanderesse principale en 2001 et en 2006, et ils ont menacé ou agressé la demanderesse principale, ou ont tiré sur elle, à Bogota, en 2007, en 2012 (à deux reprises) et en 2013.

[4]               La réaction du père de la demanderesse principale a été de demander la protection des autorités. Il a dénoncé publiquement les FARC à la radio locale. Par conséquent, les FARC ont pris la demanderesse principale pour cible. Elle a été victime, de la part des FARC, d’une tentative de meurtre par empoisonnement en 2007. Après cette tentative de meurtre, la demanderesse principale est allée à la police, laquelle n’a pas rédigé ni déposé de rapport écrit sur le dossier.

[5]               En 2011, le père de la demanderesse principale est allé au bataillon de l’armée pour solliciter une protection. L’armée a fourni une protection jusqu’à son déménagement.

[6]               En octobre 2012, alors qu’ils étaient en visite chez les parents de la demanderesse principale à Villavicencio, les demandeurs ont reçu des menaces des FARC par téléphone. Les demandeurs sont encore une fois allés voir la police pour demander la protection de l’État; la police leur a cependant dit qu’elle n’avait pas les ressources suffisantes pour leur offrir une protection.

[7]               Les demandeurs ont quitté Bogota le mois suivant et se sont enfuis à Sogamoso. Toutefois, alors que les demandeurs se trouvaient à Sogamoso depuis environ un mois, deux hommes ont tiré sur la demanderesse principale au moment où elle sortait de la maison. Les demandeurs ont réagi une fois de plus en appelant la police, mais ils n’ont pas reçu d’aide, se faisant plutôt dire de demander assistance au ministère de la Défense. Les demandeurs ont communiqué avec un ami qui occupait un poste de directeur des droits de la personne dans l’armée; leur demande d’assistance a cependant été refusée.

[8]               Après l’incident de Sogamoso, la police a accompagné les demandeurs à la gare d’autocars, et ceux‑ci sont de nouveau retournés à Bogota.

[9]               La demanderesse principale et sa famille ont reçu des visas de visiteur pour les États‑Unis et ont quitté la Colombie en février 2013; la demanderesse principale est toutefois retournée en Colombie huit jours plus tard pour retrouver le demandeur.

[10]           En mai 2013, alors qu’ils étaient en voiture, les demandeurs ont essuyé des coups de feu provenant d’un autre véhicule. Les demandeurs ont perdu le contrôle de leur voiture et ont quitté la route. Ils se sont une fois de plus présentés à la police. C’est à ce moment‑là que les demandeurs ont réalisé qu’ils n’obtiendraient aucune aide de la police, et ils ont donc décidé de fuir au Canada.

[11]           Les demandeurs sont arrivés au Canada en juillet 2013, en passant par les États‑Unis. Les demandes d’asile qu’ils avaient présentées ont été rejetées par la Commission le 27 novembre 2013.

III.             La décision

[12]           La Commission a conclu que la question déterminante concernait la protection de l’État et a jugé que, quoique les demandeurs aient bel et bien approché la police et déposé une dénonciation, ils n’ont pas donné aux autorités une « possibilité raisonnable d’enquêter ». Cela est particulièrement vrai après qu’on leur a tiré dessus en décembre 2012. La police a dit aux demandeurs de présenter une demande au ministère de la Défense, et on leur a dit que cela pourrait prendre des mois avant de se régler. La Commission a expliqué que les demandeurs avaient, à ce moment‑là, décidé de quitter le pays et qu’ils n’avaient pas tenté de s’adresser au ministère de la Défense. En outre, lorsque les demandeurs avaient quitté la route en Colombie, en mai 2013, ils avaient approché la police, qui avait pris leur dénonciation; ils ne sont cependant pas au courant des mesures d’enquête prises, puisqu’ils ont quitté la Colombie. Encore une fois, les demandeurs n’ont pas donné aux autorités l’occasion de mener une enquête significative.

[13]           Il a été demandé aux demandeurs s’ils avaient fait quoi que ce soit d’autre pour solliciter une protection, hormis de déposer des dénonciations à la police et de parler à un ami qui était directeur des droits de la personne dans l’armée. Toutefois, la Commission a conclu que cela ne signifiait pas qu’il y avait eu un manque de protection de la part de l’État, puisque le fait de parler à un ami n’est pas approcher l’État. En outre, cet incident est arrivé en mai 2013, et les demandeurs ont quitté le pays en juillet 2013.

[14]           La Commission a également pris en compte le fait que la Colombie était un pays démocratique, possédant des institutions, des infrastructures et des outils législatifs qu’on trouve dans la plupart des pays libres et démocratiques. En particulier, il y a des tribunaux, une police et une armée indépendants, ainsi que d’autres institutions administratives qui indiquent que l’État désire et est en mesure de protéger ses citoyens. La présomption de protection de l’État n’a pas été réfutée.

IV.             Analyse

A.                La norme de contrôle

[15]           La seule question en litige dans la présente demande est de savoir si la Commission a commis une erreur dans son appréciation de la disponibilité de la protection de l’État. Les questions liées au caractère adéquat de la protection de l’État sont des questions mixtes de droit et de fait qui sont habituellement susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171.

B.                 L’admissibilité de l’affidavit que la demanderesse principale a signé le 17 novembre 2014

[16]           L’affidavit déposé par la demanderesse principale, et signé le 17 novembre 2014, n’est pas dans la forme appropriée qu’exigent l’article 80 et la formule 80A des Règles des cours fédérales, DORS/98-106. L’avocat qui a procédé à l’assermentation n’a pas écrit où cela avait eu lieu, c’est‑à‑dire où la demanderesse principale se trouvait au moment de la signature. En outre, l’affidavit contient une preuve sous forme d’opinion ainsi qu’une preuve présentée après l’audience. Ainsi, l’affidavit est radié en totalité.

C.                La conclusion de la Commission quant à la protection de l’État était raisonnable

[17]           Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, la Cour suprême du Canada a établi la présomption que les États sont en mesure de protéger leurs propres citoyens, sauf en cas d’« effondrement complet de l’appareil étatique ». Par conséquent, les demandeurs d’asile doivent réfuter la présomption de protection de l’État. En général, ils doivent d’abord de réclamer de la protection de leur pays d’origine, à moins qu’ils fournissent la preuve claire et convaincante que la protection de l’État ne serait pas raisonnablement assurée : Ward, précité; Navarrete Andrade c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 436.

[18]           La présomption de protection de l’État est particulièrement forte dans le cas des nations démocratiques; toutefois, comme l’éventail des nations démocratiques est large, la Commission doit aller au‑delà de la simple existence d’élections, ce qui est un élément moins pertinent à l’égard de la question relative à la protection de l’État. Il faut mettre l’accent sur la solidité des institutions pertinentes quant à la protection de l’État, telles que le professionnalisme des forces de police, l’infrastructure juridique, notamment ses ressources, ainsi que l’indépendance des juges et des avocats de la défense : Andrade, au paragraphe 23; Sow c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 646.

[19]           À mon avis, l’analyse faite par la Commission quant à la protection de l’État ne comporte aucune erreur.

[20]           La conclusion déterminante tirée par la Commission relativement à la protection de l’État s’appuyait principalement sur la constatation que les demandeurs « n’[avaient] pas donné aux autorités une possibilité raisonnable d’enquêter ». Plus particulièrement, la Commission a invoqué les deux incidents les plus récents – lorsqu’on a tiré sur les demandeurs en novembre 2012 et lorsqu’on leur a encore une fois tiré dessus en mai 2013 – pour démontrer que les demandeurs n’avaient effectivement pas donné aux autorités une possibilité raisonnable d’enquêter. Cependant, ils prétendent que la Commission a omis de prendre en considération les éléments de preuve relatifs aux demandes suivies de protection de l’État de la part de la demanderesse principale et de son père. Les demandeurs ont sollicité la protection de l’État à partir de 2007, environ six ans avant de fuir la Colombie, et le père de la demanderesse principale a cherché à obtenir la protection de l’État pour lui‑même et pour la demanderesse principale bien avant 2007.

[21]           À mon avis, la Commission n’a, de fait, pas restreint ou limité son appréciation de la protection de l’État aux seuls faits les plus récents. Son appréciation était basée sur l’ensemble du récit des demandeurs, et elle a conclu que la période allant de mai à juillet n’était pas suffisante dans les circonstances. Un autre commissaire aurait pu tirer une conclusion différente à partir de ces faits, mais il était raisonnable d’en venir à cette conclusion.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question en vue de la certification.

« Donald J. Rennie »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-8204-13

INTITULÉ :

NADIA DANIELA AGUIRRE RUJANA, GERMAN ENRIQUE RIOS RODRIGUEZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LLIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 JANVIER 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RENNIE

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 18 FÉVRIER 2015

COMPARUTIONS :

Diana S. Willard

POUR LES DEMANDEURs

Stephen Jarvis

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Law Office of Diana S. Willard

Avocate

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURs

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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