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Date : 20150213


Dossier : IMM-4863-14

Référence : 2015 CF 183

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 13 février 2015

En présence de monsieur le juge Noël

ENTRE :

GILBERTO MICOLTA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une demande d’autorisation d’introduire une demande de contrôle judiciaire conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) relativement à la décision du 26 mai 2014 par laquelle M. Takhar, agent principal d’immigration de Citoyenneté et Immigration Canada (l’agent d’ERAR), a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi (la demande d’ERAR) de Gilberto Micolta, le demandeur.

II.                Faits

[2]               Le demandeur est citoyen de la Colombie. Il est arrivé clandestinement à Seattle, aux États‑Unis, en mai 2009.

[3]               Il est entré au Canada le 4 juillet 2009. La demande d’asile qu’il y a présentée le 6 juillet 2009 a été rejetée le 8 novembre 2012 par la Section de la protection des réfugiés (la SPR). La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire présentée par le demandeur à l’encontre de la décision de la SPR a été rejetée le 5 mars 2013.

[4]               Après obtention d’un report de l’exécution de la mesure de renvoi, le demandeur a présenté une demande d’ERAR en janvier 2014, laquelle a été refusée en mai 2014. C’est ce refus qui fait l’objet du présent contrôle.

III.             Décision contestée

[5]               L’agent d’ERAR soutient que le risque allégué mentionné par le demandeur est essentiellement le même que celui invoqué dans la demande présentée à la SPR, soit qu’il serait exposé au risque personnalisé d’être assassiné par des membres des Fuerzas Revolucionarias de Colombia (les FARC) s’il rentrait en Colombie, et qu’il n’y a pas de possibilité de protection de l’État pour qui se trouve dans sa situation.

[6]               L’agent d’ERAR se penche sur les faits survenus depuis avril 2013 relatés dans l’affidavit du demandeur et sur les lettres fournies à l’appui de la demande d’ERAR, et il conclut que les observations du demandeur ne suffisent pas à établir un lien entre le meurtre de Juan, son neveu, et la crainte que lui inspirent les FARC. L’agent d’ERAR examine également les articles de journaux soumis par le demandeur. Encore une fois, il n’y est nullement fait mention que les auteurs des meurtres sont membres des FARC. En outre, il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour réfuter les conclusions de la SPR quant à la protection offerte par l’État en Colombie.

[7]               L’agent d’ERAR conclut en outre que les trois lettres faisant état des problèmes de santé mentale du demandeur s’inscrivent dans la continuité des faits soumis à la SPR, sans plus. Par conséquent, les lettres ne remplissent pas le critère de preuves nouvelles prévu à l’alinéa 113a) de la LIPR.

[8]               L’agent d’ERAR conclut que le demandeur s’expose tout au plus à une simple possibilité d’être persécuté au sens de l’article 96 de la LIPR et qu’il est peu probable qu’il soit exposé à un risque de torture ou à une menace à sa vie ou qu’il soit exposé au risque de subir des traitements cruels ou inusités au sens de l’article 97 de la LIPR s’il retourne en Colombie.

IV.             Observations des parties

[9]               Selon le demandeur, l’agent d’ERAR a tiré une conclusion exprimée en termes voilés concernant la crédibilité, et il aurait dû tenir une audience s’il nourrissait des doutes au sujet des éléments de preuve que lui avait soumis le demandeur. L’agent d’ERAR a également commis une erreur en omettant d’apprécier les allégations présentées à la SPR à la lumière des nouveaux éléments de preuve, ou en omettant d’apprécier les nouveaux éléments de preuve à la lumière de la situation du demandeur. Le défendeur réplique qu’il n’y avait pas lieu de tenir une audience, étant donné que la preuve soumise par le demandeur n’est pas suffisante pour réfuter les conclusions de la SPR.

[10]           Le demandeur fait également valoir que, suivant l’interprétation présentée dans Elezi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 240 (Elezi), et Raza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385 (Raza), l’agent d’ERAR a commis une erreur en ne tenant pas compte des lettres des médecins. Or, selon le demandeur, l’agent d’ERAR s’est penché sur les problèmes de santé mentale du demandeur et sur sa vulnérabilité en tant qu’Afro‑Colombien, et il a valablement conclu que ces deux aspects avaient déjà été pris en considération par la SPR. Les éléments de preuve soumis récemment ne révèlent aucun changement important dans la situation du demandeur.

[11]           Enfin, le demandeur soutient qu’étant donné qu’il a présenté de nouveaux éléments de preuve concernant le meurtre de proches et la disparition de son fils, il était déraisonnable de la part de l’agent d’ERAR de conclure qu’il n’avait pas réussi à réfuter les conclusions de la SPR, soit qu’il n’avait pas de crainte subjective ou qu’il n’avait pas réussi à réfuter la présomption de protection de l’État. Le défendeur, quant à lui, affirme que le demandeur n’a jamais sollicité la protection de l’État en Colombie.

V.                Questions en litige

[12]           J’ai examiné les observations et dossiers respectifs des parties, et je formule les questions en litige comme suit:

         L’agent d’ERAR a‑t‑il commis une erreur en ne tenant pas d’audience?

  • L’agent d’ERAR a‑t‑il commis une erreur en rejetant la demande d’ERAR?

VI.             Norme de contrôle

[13]           La question de savoir si une audience aurait dû avoir lieu en est une d’équité procédurale qui commande donc l’application de la norme de contrôle de la décision correcte (Ahmad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 89, au paragraphe 18; Lai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 361, au paragraphe 55). La question de savoir si la décision de l’agent d’ERAR est raisonnable est une question mixte de fait et de droit et doit être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable. La Cour ne devrait intervenir que si elle conclut que la décision est déraisonnable et qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] ACS no 9, au paragraphe 47).

VII.          Analyse

A.                L’agent d’ERAR a t il commis une erreur en ne tenant pas d’audience?

[14]           En premier lieu, le demandeur soutient que l’agent d’ERAR aurait dû tenir une audience et qu’il a tiré une conclusion en termes voilés concernant la crédibilité. Il ressort clairement de l’alinéa 113b) de la LIPR qu’une audience ne doit être tenue que dans des circonstances exceptionnelles. Les facteurs à prendre en considération, énoncés à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002-227) [le Règlement], sont les suivants :

a)      l’existence d’éléments de preuve relatifs aux éléments mentionnés aux articles 96 et 97 de la Loi qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur;

b)      l’importance de ces éléments de preuve pour la prise de la décision relative à la demande de protection;

c)      la question de savoir si ces éléments de preuve, à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que soit accordée la protection.

[15]           En l’espèce, l’agent d’ERAR a apprécié l’ensemble de la preuve soumise par le demandeur et a conclu que celle‑ci n’était pas suffisante pour réfuter les conclusions de la SPR. Aucune conclusion défavorable concernant la crédibilité n’a été tirée. L’agent d’ERAR n’a ainsi pas commis d’erreur en ne tenant pas d’audience. De fait, l’agent d’ERAR a convenablement examiné l’affidavit de Jairo et la lettre fournie par la sœur du demandeur. L’agent d’ERAR a expliqué qu’aucun de ces documents ne faisait référence aux FARC ni ne contenait des renseignements établissant un lien entre les incidents qui y sont décrits et la crainte qu’inspirent les FARC au demandeur. En outre, l’agent d’ERAR a souligné que ces personnes n’étaient pas des sources objectives puisqu’elles avaient également un intérêt quant à l’issue de la demande d’ERAR (Dossier du demandeur, page 11). Ainsi, l’agent d’ERAR a correctement expliqué pourquoi il avait accordé peu de valeur à ces documents (Sayed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 796, au paragraphe 24 [Sayed]). En ce qui a trait aux articles de journaux et aux certificats de décès soumis par le demandeur, l’agent d’ERAR a conclu à bon droit que ces documents n’avaient pas de lien avec les meurtres qui auraient été commis par les FARC. L’agent d’ERAR a également analysé les renseignements fournis au sujet de la situation du fils du demandeur, et il a valablement conclu que les éléments de preuve déposés n’étaient pas suffisants pour réfuter la conclusion de la SPR concernant la protection de l’État en Colombie. L’agent d’ERAR a également examiné les documents faisant état des problèmes de santé mentale du demandeur, et il a de nouveau conclu que ceux‑ci contenaient les mêmes renseignements que ceux présentés à la SPR. Contrairement à la situation décrite dans Lopez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 464 [Lopez], qu’invoque le demandeur pour appuyer sa position, l’affidavit sous serment du demandeur n’était pas le seul élément dont disposait l’agent d’ERAR pour rendre sa décision.

[16]           En outre, l’agent d’ERAR a analysé les renseignements fournis dans l’affidavit du demandeur en parallèle avec tous les autres documents soumis, soit les certificats de décès, l’affidavit de Jairo, la lettre rédigée par la sœur du demandeur et les articles de journaux. L’agent d’ERAR a tenu compte de l’ensemble des documents déposés pour conclure que les renseignements fournis ne permettaient de dissiper aucun des doutes formulés par la SPR (Dossier du demandeur, page 193, au paragraphe 25). Avant de conclure que la demande d’ERAR serait rejetée, l’agent d’ERAR a examiné chacun des éléments de preuve et documents soumis à l’appui de la demande d’ERAR et a tenu compte de tous les renseignements accessibles au public concernant la situation en Colombie. Par conséquent, l’agent n’a pas tiré de conclusion en termes voilés quant à la crédibilité, et il n’y avait pas lieu de tenir une audience. L’intervention de la Cour n’est pas requise.

B.                 L’agent d’ERAR a-t-il commis une erreur en rejetant la demande d’ERAR?

[17]             La demande d’ERAR présentée par un demandeur d’asile débouté ne constitue ni un appel ni un réexamen de la décision de la SPR de rejeter une demande d’asile (arrêt Raza, précité, au paragraphe 12; décision Sayed, précitée, au paragraphe 37). Néanmoins, une demande d’ERAR peut nécessiter l’examen de quelques‑uns ou de la totalité des mêmes points de fait ou de droit qu’une demande d’asile (arrêt Raza, précité, au paragraphe 12). L’alinéa 113a) de la LIPR « repose sur l’idée que l’agent d’ERAR doit prendre acte de la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile, à moins que des preuves nouvelles soient survenues depuis le rejet, qui auraient pu conduire la SPR à statuer autrement si elle en avait eu connaissance » (ibidem, au paragraphe 13). L’agent d’ERAR peut validement rejeter les preuves qui concernent le même risque que celui qu’a évalué la SPR si elles n’établissent pas que les faits pertinents tels qu’ils se présentent à la date de la demande d’ERAR sont sensiblement différents des faits constatés par la SPR (ibidem, au paragraphe 17).

[18]           En l’espèce, l’agent d’ERAR a conclu que les lettres faisant état des problèmes de santé mentale du demandeur et les observations de ce dernier concernant sa vulnérabilité en tant qu’Afro‑Colombien reprenaient essentiellement des renseignements qui avaient été soumis à la SPR. Après examen des lettres de médecins et des documents traitant des Afro‑Colombiens, je suis d’avis qu’il était raisonnable de la part de l’agent d’ERAR de conclure que ces documents ne constituaient pas des éléments de preuve nouveaux. Les lettres de médecins mentionnent les mêmes préoccupations que celles qui ont été soumises à la SPR pour examen (Dossier du demandeur, aux pages 78, 79, 80, et 181 à 184), et les documents portant sur les Afro‑Colombiens sont antérieurs à la décision de la SPR, qui les a également examinés correctement. Le demandeur n’a pas démontré que ses problèmes de santé mentale avaient mal été évalués par la SPR, ou que sa vulnérabilité comme Afro‑Colombien n’avait pas été évaluée correctement devant la SPR. Par conséquent, la décision de l’agent d’ERAR est raisonnable.

[19]           En ce qui a trait à la protection de l’État, les documents soumis par le demandeur et examinés par l’agent d’ERAR ne permettaient pas d’établir que le demandeur ne pourrait obtenir la protection de l’État en Colombie. De fait, les seuls renseignements soumis au sujet de la protection de l’État sont liés à une demande de protection de la police émanant du fils du demandeur ainsi qu’à des lettres expliquant que le fils du demandeur avait dû quitter Buenaventura en raison de menaces reçues de groupes violents. Certains éléments de preuve établissent même que le fils du demandeur a sollicité la protection de l’État, et que la police avait reçu la consigne de faire en sorte que [traduction] « les mesures nécessaires soient prises pour assurer une protection policière et éviter d’éventuelles menaces pour la sécurité […] » du fils (Dossier du tribunal, à la page 119). Les renseignements soumis ne démontrent pas que le fils du demandeur avait épuisé tous les recours qui s’offraient à lui pour obtenir la protection de l’État, ni que les autorités colombiennes ne s’étaient pas intéressées à la question, ni qu’elles n’avaient rien fait. Au contraire, les articles de journaux soumis par le demandeur mentionnent même que les autorités mènent des enquêtes dans la foulée des meurtres dont il est question (Dossier du demandeur, aux pages 54, 63 et 70). Aucune intervention de la Cour n’est justifiée.

VIII.       Conclusion

[20]           L’agent d’ERAR n’avait pas à tenir d’audience, parce qu’aucune circonstance ne le justifiait. Qui plus est, il était raisonnable de la part de l’agent d’ERAR de rejeter la demande d’ERAR du demandeur, qui a déposé une preuve qui s’inscrivait essentiellement dans la continuité de celle présentée à la SPR. Il n’y a pas lieu que la Cour intervienne.

[21]           Aucune des parties n’a proposé de question aux fins de certification.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                   La demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par l’agent d’ERAR le 26 mai 2014 est rejetée.

2.                   Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Simon Noël »

Juge

Traduction certifiée conforme

Geneviève Tremblay, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4863-14

INTITULÉ :

GILBERTO MICOLTA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

vancouver (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 FÉVRIER 2015

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE NOËL

DATE DES MOTIFS :

LE 13 FÉVRIER 2015

COMPARUTIONS :

Craig Costantino

POUR LE DEMANDEUR

Alison Brown

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Elgin, Cannon & Associates

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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