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Date : 20150203


Dossier : T-1922-13

Référence : 2015 CF 133

Ottawa (Ontario), le 3 février 2015

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

LINE LEBEAU

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Il s’agit d’un jugement concernant une demande de contrôle judiciaire en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, de la décision rendue le 24 octobre 2013 par Michael Bendel, arbitre de grief (l’Arbitre) en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22 par laquelle l’Arbitre rejette le grief de Madame Line Lebeau (la demanderesse) sur la base que celle-ci n’aurait droit à aucune indemnité pour le préjudice moral dont elle allègue avoir été victime en raison d’une politique discriminatoire de son employeur.

[2]               Pour les raisons qui suivent, je suis d’avis que la présente demande contrôle de judiciaire doit être rejetée.

II.                Faits

[3]               La demanderesse travaille depuis 2001 comme fonctionnaire pour Statistique Canada. Elle travaille au pré Tunney à Ottawa, un complexe de plusieurs immeubles comprenant plusieurs aires de stationnement.

[4]               La demanderesse souffre de la maladie de Raynaud, un trouble de la circulation sanguine. En raison de cette maladie, ses extrémités (oreilles, doigts, etc.) deviennent blanches, froides, insensibles et engourdies lorsqu’elle est exposée au froid. La demanderesse peut également ressentir de vives douleurs lorsqu’elle est exposée au froid.

[5]               En 2005, suite au diagnostic de cette maladie, la demanderesse a fait l’acquisition d’une voiture afin de se rendre à son travail. La politique de stationnement de Statistique Canada alors en vigueur prévoyait trois catégories de permis de stationnement : (i) le stationnement pour cadre supérieur, (ii) le stationnement général, et (iii) le stationnement « médical/accessible. » Suivant la politique alors en place, la demanderesse put obtenir de son employeur un espace de stationnement réservé à proximité de son emploi, certificat médical à l’appui, pour 100$ par mois, soit le prix normalement applicable pour le stationnement général.

[6]               En 2010, suite à une modification par Statistique Canada de sa politique de stationnement, la demanderesse fut informée qu’elle ne bénéficierait plus du prix spécial et que le montant mensuel qu’elle devrait verser afin de conserver son espace de stationnement passerait de 100$ à 200$. Cette politique prévoit que les personnes légèrement handicapées ne possédant pas de vignette provinciale, comme cela est le cas pour la demanderesse, ne peuvent plus bénéficier du tarif de 100$ par mois qui continuera à être disponible aux personnes possédant une vignette de stationnement pour les personnes handicapées.

[7]               Bien que le coût supplémentaire représente une somme considérable pour la demanderesse en raison de sa situation financière fragile, celle-ci a décidé de conserver son espace de stationnement, car elle ne peut se rendre à son travail sous des températures froides.

[8]               Le 9 novembre 2010, la demanderesse a déposé un grief afin de contester la décision de son employeur d’exiger une prime supplémentaire afin de conserver son espace de stationnement, malgré la maladie dont elle souffre.

[9]               Le 4 janvier 2011, le grief de la demanderesse a été rejeté au troisième palier de grief. Dans sa réponse au grief de troisième palier, l’employeur de la demanderesse, par le biais du statisticien en chef adjoint, mentionne :

Vous avez demandé à Statistique Canada de payer ces frais pour vous. À l’heure actuelle, l’organisme doit faire face à un gel de ses budgets de fonctionnement, à des examens stratégiques des programmes ainsi qu’à la nécessité d’absorber les augmentations économiques récentes des traitements (et d’autres qui viendront au cours du prochain exercice). Payer les frais administratifs de tous les employés dans votre situation coûterait chaque année 650 000$ à Statistique Canada. Une somme qu’il est impossible d’éponger sans prendre de l’argent d’enquêtes ou de programmes existants.

[10]           Le 28 janvier 2011, l’Association canadienne des employés professionnelle déposa un avis de renvoi à l’arbitrage d’un grief individuel au nom de la demanderesse.

[11]           En novembre 2012, Statistique Canada a finalement décidé d’offrir à la demanderesse et aux fonctionnaires de même catégorie une place de stationnement réservée au même prix que pour le stationnement général à compter du 1er décembre 2012. Suite à ce changement de politique, Statistique Canada remboursa à la demanderesse le montant des primes supplémentaires de stationnement qu’elle a dû payer, soit 2 460$.

[12]           Le grief fut entendu les 13 et 14 mai 2013, par l’Arbitre. La demanderesse a témoigné devant celui-ci que la décision de son employeur lui donna l’impression qu’il ne la considérait pas aussi valable que les autres fonctionnaires. La demanderesse a soutenu s’être sentie humiliée, que son estime de soi a été affectée et qu’elle a souffert d’insomnie, d’un état dépressif, et du syndrome de l’intestin irritable en conséquence de la nouvelle politique de son employeur.

[13]           La demanderesse a également soutenu devant l’Arbitre que la réponse de son employeur au grief de troisième palier était insensible et incompréhensible, son employeur ayant tenté de la culpabiliser pour la réduction des programmes et la perte de postes. Devant l’Arbitre, le statisticien en chef adjoint qui a signé la réponse au grief de troisième palier de la demanderesse ne se rappelait pas sur quelle base la somme de 650 000$ mentionné dans cette réponse avait été estimée.

[14]           Tel que mentionné ci-haut, l’Arbitre rendit sa décision le 24 octobre 2013.

III.             Décision

[15]           Dans sa décision, l’Arbitre a choisi de « douter » de la nature discriminatoire de la politique de Statistique Canada sur le stationnement « plutôt que se prononcer formellement » sur le sujet, car les parties n’ont guère abordé ces questions dans leurs plaidoiries. Cependant, l’Arbitre a poursuivi son analyse de l’octroi de dommages moraux en mettant de côté ses doutes quant à la nature discriminatoire de cette politique.

[16]           L’Arbitre formule des doutes quant à la nature discriminatoire de cette politique, car, selon lui : (i) Statistique Canada était en droit de s’en remettre aux mêmes principes que ceux adoptés par les provinces en créant une distinction sur la base de l’obtention d’une vignette pour personne handicapée, (ii) la décision de Statistique Canada ne visait qu’à inciter les personnes handicapées à obtenir une vignette attestant de leur handicape, ce que la demanderesse n’a pas mentionné avoir fait dans son témoignage, et (iii) le fait de demander aux fonctionnaires de remplir un formulaire pour obtenir une vignette provinciale en vue d’éviter une prime mensuelle de 100$ n’est pas un acte discriminatoire. Suite à cette analyse, l’Arbitre mentionne par la suite : « Je mets de côté ces doutes. »

[17]           L’Arbitre conclut également que même si Statistique Canada avait violé la Loi canadienne des droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (LCDP) et la Convention entre le Conseil du Trésor et l’Association canadienne des employés professionnels (la Convention), il est impossible de conclure que la demanderesse à droit à l’octroi de dommages moraux. S’appuyant sur l’analyse du juge Zinn au paragraphe 60 de Canada (Procureur général) c Tipple, 2011 CF 762 (Tipple), l’Arbitre juge que puisque la demanderesse ne fournit aucune preuve médicale à l’appui de son témoignage et qu’elle n’a pas mentionné qu’elle continuait de souffrir de dommages moraux, celle-ci n’a pas fait la preuve qu’elle a subi un préjudice moral justifiant une compensation.

[18]           Quant à l’indemnité prévue à l’alinéa 53 (3) de la LCDP, l’Arbitre conclut qu’elle ne saurait être octroyée puisque la décision de Statistique Canada de s’inspirer des régimes provinciaux afin d’élaborer ses politiques de stationnement ne constitue pas un acte discriminatoire « délibéré ou inconsidéré. »

IV.             Questions en litige

[19]           Il y a trois questions en litige :

1.      L’Arbitre de grief a-t-il statué quant à l’aspect discriminatoire des politiques de l’employeur et est-ce que la décision de l’Arbitre de statuer ou non sur cette question est erronée?

2.      L’Arbitre a-t-il erré en n’octroyant aucune indemnisation à la demanderesse en vertu de l’alinéa 53 (2) e) de la LCDP?

3.      L’Arbitre a-t-il erré en n’octroyant aucune indemnisation à la demanderesse en vertu de l’alinéa 53 (3) de la LCDP?


V.                Dispositions pertinentes (en vigueur en date de la décision)

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6

Canadian Human Rights Act, R.S.C., 1985, c. H-6

53. (1) À l’issue de l’instruction, le membre instructeur rejette la plainte qu’il juge non fondée.

53. (1) At the conclusion of an inquiry, the member or panel conducting the inquiry shall dismiss the complaint if the member or panel finds that the complaint is not substantiated.

Plainte jugée fondée

Complaint substantiated

(2) À l’issue de l’instruction, le membre instructeur qui juge la plainte fondée peut, sous réserve de l’article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire :

(2) If at the conclusion of the inquiry the member or panel finds that the complaint is substantiated, the member or panel may, subject to section 54, make an order against the person found to be engaging or to have engaged in the discriminatory practice and include in the order any of the following terms that the member or panel considers appropriate:

a) de mettre fin à l’acte et de prendre, en consultation avec la Commission relativement à leurs objectifs généraux, des mesures de redressement ou des mesures destinées à prévenir des actes semblables, notamment :

(a) that the person cease the discriminatory practice and take measures, in consultation with the Commission on the general purposes of the measures, to redress the practice or to prevent the same or a similar practice from occurring in future, including

(i) d’adopter un programme, un plan ou un arrangement visé au paragraphe 16(1),

(i) the adoption of a special program, plan or arrangement referred to in subsection 16(1), or

(ii) de présenter une demande d’approbation et de mettre en œuvre un programme prévu à l’article 17;

(ii) making an application for approval and implementing a plan under section 17;

b) d’accorder à la victime, dès que les circonstances le permettent, les droits, chances ou avantages dont l’acte l’a privée;

(b) that the person make available to the victim of the discriminatory practice, on the first reasonable occasion, the rights, opportunities or privileges that are being or were denied the victim as a result of the practice;

c) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l’acte;

(c) that the person compensate the victim for any or all of the wages that the victim was deprived of and for any expenses incurred by the victim as a result of the discriminatory practice;

d) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction des frais supplémentaires occasionnés par le recours à d’autres biens, services, installations ou moyens d’hébergement, et des dépenses entraînées par l’acte;

(d) that the person compensate the victim for any or all additional costs of obtaining alternative goods, services, facilities or accommodation and for any expenses incurred by the victim as a result of the discriminatory practice; and

e) d’indemniser jusqu’à concurrence de 20 000 $ la victime qui a souffert un préjudice moral.

(e) that the person compensate the victim, by an amount not exceeding twenty thousand dollars, for any pain and suffering that the victim experienced as a result of the discriminatory practice.

Indemnité spéciale

Special compensation

(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le membre instructeur peut ordonner à l’auteur d’un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de 20 000 $, s’il en vient à la conclusion que l’acte a été délibéré ou inconsidéré.

(3) In addition to any order under subsection (2), the member or panel may order the person to pay such compensation not exceeding twenty thousand dollars to the victim as the member or panel may determine if the member or panel finds that the person is engaging or has engaged in the discriminatory practice wilfully or recklessly.

Intérêts

Interest

(4) Sous réserve des règles visées à l’article 48.9, le membre instructeur peut accorder des intérêts sur l’indemnité au taux et pour la période qu’il estime justifiés.

(4) Subject to the rules made under section 48.9, an order to pay compensation under this section may include an award of interest at a rate and for a period that the member or panel considers appropriate.

VI.             Analyse

[20]           Je note que la demanderesse a soulevé certaines erreurs de faits dans la décision de l’Arbitre, tel que le fait que la demanderesse n’aurait pas entrepris les démarchés afin d’obtenir une vignette pour personne handicapée. Bien que je prenne note de ces remarques, je suis d’avis que ces questions sont accessoires au présent litige.

A.                La norme de contrôle applicable

[21]           Dans Dunsmuir c New Brunswick, 2008 CSC 9, au para 62 la Cour suprême du Canada établit qu’une analyse de la norme de contrôle n’est pas nécessaire lorsque « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier. »

[22]           En l’espèce, les parties soumettent à juste titre que la norme de la décision raisonnable s’applique à l’ensemble des questions en litige dans la présente affaire : Stringer c Canada (Procureur général), 2013 CF 735, aux paras 61 à 67 (Stringer).

B.                 L’analyse relative au caractère discriminatoire de la politique de l’employeur

[23]           La révision des motifs d’un décideur administratif doit se faire de façon globale et « le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit-il, qui a mené à sa conclusion finale » (Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, aux paras 14 et 16). Tel que le mentionne la juge Sharlow dans Tipple c Canada (Procureur général), 2012 CAF 158, au para 13, « [l]es motifs de l’arbitre doivent être lus dans leur ensemble, à la lumière de la preuve et de la jurisprudence qui lui ont été présentées. » Récemment la Cour d’appel fédérale dans Forest Ethics Advocacy Association v National Energy Board, 2014 FCA 245, aux paras 63 et 67, a rappelé qu’il importe de faire preuve de déférence devant la décision d’un décideur administratif de ne pas effectuer une analyse de l’une des questions soulevées par les parties afin de trancher le litige dans son ensemble.

[24]           Dans la présente affaire, l’employeur a admis devant l’Arbitre qu’une preuve prima facie de discrimination fut mise de l’avant par la demanderesse. L’Arbitre mentionne dans ses motifs que les parties ont choisi de ne pas traiter adéquatement de la question du caractère discriminatoire de la politique de l’employeur dans leurs plaidoiries.

[25]           Dans sa décision, l’Arbitre mentionne aux paras 33 et 38 :

Pour deux raisons, je doute de la nature discriminatoire de la politique de Statistique Canada sur le stationnement. Si je soulève des doutes plutôt que de me prononcer formellement sur ces questions, c’est parce que les parties ne les ont guères abordées dans les plaidoiries.

[…]

Même si Statistique Canada a violé la convention collective et la LCDP en imposant à la fonctionnaire une prime supplémentaire comme condition afin de conserver sa place réservée (ce dont je doute), il est impossible de conclure qu’elle aurait droit à l’octroi de dommages moraux.

[26]           À la lecture de la décision de l’Arbitre, je suis d’avis que celui-ci a choisi de ne pas déterminer si la politique de Statistique Canada est discriminatoire. Cependant, je suis d’avis, à la lumière des conclusions de l’Arbitre que celui-ci a choisi de tenir pour acquis que la demanderesse fût victime de discrimination aux fins de l’analyse de l’octroi de dommages moraux. Ce choix m’apparaît raisonnable eu égard aux faits de la présente affaire et dans la mesure où l’analyse de l’Arbitre de l’octroi d’une indemnité qui s’ensuit en vertu de l’alinéa en vertu de l’alinéa 53 (2) e) LCDP et de l’alinéa 53 (3) de la LCDP est raisonnable. Le résultat de l’analyse de l’Arbitre aurait été le même, peu importe sa conclusion sur la question de la discrimination. Qui plus est, il est courant que les cours de justice et les tribunaux choisissent de ne pas trancher une question en litige lorsque cette question n’aurait aucun effet sur les conclusions globales du dossier.

[27]           Je suis donc d’avis que la décision de l’Arbitre de ne pas déterminer de façon définitive si la politique de Statistique Canada était discriminatoire appartient aux issues possibles et acceptables et qu’elle est raisonnable au regard des faits et du droit.

C.                 La raisonnabilité de l’absence d’indemnisation en vertu de l’alinéa en vertu de l’alinéa 53 (2) e) LCDP

[28]           La demanderesse soutient que la jurisprudence de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) et du Tribunal canadien des droits de la personne établit que le témoignage d’une personne alléguant avoir été victime d’un préjudice moral peut suffire à faire la preuve d’un préjudice moral en vertu de l’alinéa 53 (2) (e) de la LCDP. Je suis d’accord avec la demanderesse sur ce point. Cependant, cela n’indique pas pour autant qu’il était déraisonnable pour l’Arbitre de souligner et de considérer l’absence de preuve médicale corroborant les allégations de la demanderesse.

[29]           D’une part, l’analyse de l’Arbitre n’entre pas en contradiction avec la jurisprudence puisque celui-ci n’a pas considéré que la demanderesse était dans l’obligation de fournir une preuve médicale au soutien de ses allégations. De fait, la position de l’Arbitre indique plutôt que la demanderesse devait faire la preuve du préjudice psychologique subit « de préférence » par une preuve émanant d’un professionnel de la santé. La demanderesse a soutenu devant la CRTFP qu’elle a souffert de stress, d’humiliation, d’une perte d’estime de soi, du syndrome de l’intestin irritable, d’insomnie, et de dépression. Devant la nature et la gravité du préjudice moral allégué par la demanderesse, l’Arbitre constate que la demanderesse n’a soumis aucune preuve médicale afin de supporter ses allégations et qu’elle « n’a pas indiqué avoir dû consulter un professionnel de la santé » relativement au préjudice moral qu’elle allègue avoir subi. À mon avis, il n’était pas déraisonnable pour l’Arbitre de tirer une inférence négative de l’absence de preuve médicale ou d’une preuve corroborant le préjudice allégué. En d’autres mots, je suis d’avis que l’Arbitre a considéré que selon toute vraisemblance le préjudice souffert par la demanderesse n’était pas assez sérieux pour demander l’aide d’un professionnel de la santé et que l’amplitude du préjudice était donc insuffisante pour justifier l’octroi d’une indemnisation suivant l’alinéa 53 (2) e) LCDP.

[30]           D’autre part, bien que je considère que l’affaire Tipple, sur laquelle se base l’Arbitre, doit être considérée avec prudence (car cette décision n’implique pas une atteinte aux droits de la personne sous la LCDP et que certaines des conclusions de la Cour fédérale dans Tipple, autres que celles relatives à l’octroi de dommages psychologiques, furent subséquemment renversées par la Cour d’appel fédérale), je ne suis pas enclin à ignorer l’analyse faite en première instance par le juge Zinn dans cette affaire qui concerne, entre autres, l’évaluation de l’octroi de dommages et intérêts pour préjudice psychologique.

[31]           À mon avis, le raisonnement du juge Zinn relatif à l’absence de preuve de traitements médicaux et à l’importance et la durabilité du préjudice peut être appliqué dans la présente affaire comme l’a fait l’Arbitre. L’objet de l’alinéa 53 (2) de la LCDP n’est pas de punir la personne à l’origine de la pratique discriminatoire, mais d’éliminer autant que possible l’effet de la discrimination sur le plaignant (Robichaud c Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 RSC 84, au para 13 ; Tremblay c Canada (Procureur général), 2006 CF 219, aux paras 49 et 50; Canada (Commission des droits de la personne) c Warman, 2012 CF 1162, aux paras 18 et 19; Hicks v Canada (Human Resources and Skills Development), 2013 CHRT 20, au para 75). Ainsi, un Arbitre doit pouvoir déterminer l’amplitude et la gravité du préjudice allégué afin d’évaluer l’indemnité qui doit être attribuée. Il était donc raisonnable pour l’Arbitre de suivre le raisonnement du juge Zinn et de se tourner vers l’absence de preuve médicale afin de tirer des conclusions quant à l’indemnité à laquelle la demanderesse a droit.

[32]           À cet égard, il importe également de noter que la politique de l’employeur prétendument discriminatoire a été corrigée volontairement par ce dernier, et que tous les frais supplémentaires encourus par la demanderesse pendant la période de mise en vigueur de la politique en question ont été remboursés.


D.                La raisonnabilité de l’absence d’indemnisation en vertu de l’alinéa 53 (3) de la LCDP

[33]           La demanderesse n’a soumis aucune preuve afin de démontrer qu’une indemnité spéciale sous l’alinéa 53 (3) de la LCDP doit être accordée. Tel que souligné par le défendeur, dans Canada (Procureur général) c Collins, 2011 CF 1168, au para 33, le juge Near mentionne :

Le Tribunal a conclu que les actes discriminatoires qui avaient pu être posés n’étaient pas intentionnels et par ailleurs, je ne souscris pas aux conclusions du Tribunal portant qu’il est possible de conclure à l’existence d’un acte discriminatoire délibéré ou inconsidéré sans qu’il y ait, dans une certaine mesure, une intention ou un comportement si dénué de prudence, ou encore, un mépris des conséquences de ce comportement (voir, par exemple, la définition du terme anglais «  reckless » (insouciance) comme étant un [TRADUCTION] « mépris des conséquences ou du danger » et un [TRADUCTION] « manque de prudence » dans le Canadian Oxford Dictionary, 2e éd. (Toronto : Oxford University Press Canada, 2005)). Je ne dispose d'aucunes preuve que le SCC s’est comporté de cette manière en l’espèce. En conséquence, je conclus qu’il n’y avait pas lieu d’accorder d’indemnité spéciale sous le régime du paragraphe 53(3) de la LCDP et j’annulerais cette décision.

[34]           La décision de l’Arbitre de n’octroyer aucune d’indemnisation en vertu de l’alinéa 53 (3) de la LCDP appartient aux issues possibles et acceptables et elle est donc raisonnable au regard des faits et du droit.

VII.          Conclusions

[35]           La présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.

« George R. Locke »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1922-13

 

INTITULÉ :

LINE LEBEAU c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 novembre 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 3 février 2015

 

COMPARUTIONS :

Me Line Leduc

 

Pour la demanderesse

 

Me Talitha Nabbali

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

SACK GOLDBLATT MITCHELL s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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