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Date : 20150205


Dossier : IMM-427-14

Référence : 2015 CF 155

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 février 2015

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

AISHA IYABO LAWAL

ZAINAB OLAWUNMI LAWAL

NABEELAH OLATOM LAWAL

FUAD GBOLAHAN LAWAL

TAOFEEQ OLADAPO LAWAL

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               Les demandeurs demandent le contrôle judiciaire, conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) de la décision rendue le 17 décembre 2013 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la SPR) a décidé que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger aux termes des articles 96 et 97, respectivement, de la Loi. Pour les motifs exposés ci‑dessous, la demande est rejetée.

[2]               Les demandeurs, à savoir la mère (Mme Lawal), ses deux filles (Zainab Olawinmi Lawal et Nabeelah Olatomiwa Lawal) et deux de ses fils (Toafeeq Oladapo Lawal et Fuad Gbolahan Lawal), sont citoyens du Nigéria. Ils ont présenté une demande d’asile le 7 novembre 2012, alléguant craindre que les filles ne subissent la mutilation génitale des femmes (MGF) et ne soient obligées à se marier de force.

[3]               Le 17 décembre 2013, la SPR a rejeté la demande d’asile des demandeurs au motif que leur crainte de persécution alléguée n’était pas objectivement fondée et que, de toute façon, ils avaient une possibilité de refuge intérieur (PRI) au Nigéria.

[4]               La présente demande soulève la question de savoir si la SPR, en tirant sa conclusion, a commis une erreur susceptible de contrôle au sens du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC, 1985, c F-7.

[5]               Mme Lawal et ses enfants se sont envolés à destination du Canada le 2 novembre 2012 pour aller visiter le fils aîné de Mme Lawal, qui vit et étudie actuellement au Canada. Mme Lawal était accompagnée de son mari, le père des enfants. Une fois au Canada, Mme Lawal a dit à son mari qu’elle n’avait pas l’intention de retourner au Nigéria avec les enfants, parce que l’excision de sa fille aînée était fixée au 20 décembre 2012. Son mari est rentré au Nigéria comme prévu. Les demandeurs sont restés et ont demandé l’asile le 7 novembre 2012.

[6]               Mme Lawal affirme avoir commencé à sentir les pressions exercées par la famille de son mari en juin 2012, quand un des oncles de son mari a visité la famille et s’est mis à parler d’excision. En août de cette année‑là, la famille s’est rendue au village ancestral du mari au Nigéria, et Mme Lawal a alors été informée que l’excision de sa fille était prévue pour le 20 décembre 2012. Mme Lawal affirme que toute opposition de sa part se soldait par des appels de menaces et par de la brutalité à son endroit de la part du dirigeant de la communauté du village de son mari.

[7]               Selon la SPR, la crainte alléguée de Mme Lawal n’avait pas de fondement objectif. Dans une longue analyse, la SPR a examiné le fait que Mme Lawal et son mari étaient des professionnels instruits occupant des emplois, et qu’ils s’opposaient tous deux à la MGF. De plus, la SPR a accordé beaucoup d’importance au fait que le mari de Mme Lawal était contre la MGF, qu’il avait épousé Mme Lawal même si elle n’était pas elle‑même excisée, que sa famille ne s’était jamais opposée au mariage, et qu’il ne dépendait pas du soutien financier de ses oncles, avec lesquels il n’avait eu que des contacts sporadiques au fil des ans. Pour parvenir à sa conclusion, la SPR a examiné le rapport sur l’état psychologique de Mme Lawal et la preuve documentaire sur le Nigéria. Enfin, a estimé la SPR, même si la crainte alléguée avait été fondée, les demandeurs avaient une PRI au Nigéria dans la ville d’Abuja.

[8]               Les demandeurs affirment que la SPR a commis une erreur : 1) en tirant des conclusions défavorables sur la crédibilité fondées sur des hypothèses arbitraires; 2) en tirant des conclusions défavorables sur la crédibilité sans tenir compte de la preuve; et 3) en concluant qu’ils avaient une PRI à Abuja malgré la preuve documentaire sur le pays montrant les risques présents dans cette ville.

[9]               Tous ces arguments doivent être rejetés. Il est bien établi que, lorsqu’il s’agit de la crédibilité ou de la vraisemblance du récit d’un demandeur d’asile ou de la crainte de persécution, les conclusions de la SPR sont de nature factuelle et commandent un degré élevé de retenue, compte tenu du rôle de juge des faits de la SPR (Khosa, au paragraphe 89; Camara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 362, au paragraphe 12; Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1052, au paragraphe 13; Giron c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 7, au paragraphe 14; Dong c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 55, au paragraphe 17, Lawal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 558, au paragraphe 11; Sanchez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 491, au paragraphe 12).

[10]           Il s’ensuit que la Cour n’a pas pour rôle de soupeser à nouveau la preuve qui a été présentée à la SPR ni de substituer sa propre conclusion à celle de la SPR. Le rôle de la Cour consiste à examiner la décision contestée et à intervenir seulement si la décision n’a pas les attributs de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité, et qu’elle n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

[11]           Premièrement, soutiennent les demandeurs, il était déraisonnable de la part de la SPR de juger non crédible que Mme Lawal ait pris la décision de demeurer au Canada une fois rendue ici, et non avant de quitter le Nigéria. Ils affirment que cette conclusion a entaché le reste de l’analyse. Je ne suis pas d’accord. Cette conclusion ne forme qu’une petite partie de la décision de la SPR. En réalité, la SPR n’a pas centré son analyse sur l’allégation selon laquelle les demandeurs étaient venus au Canada et avaient décidé, une fois rendus ici, de demander l’asile. La SPR a plutôt centré son analyse sur le pouvoir allégué qu’avaient les oncles du mari de Mme Lawal d’obliger les filles à subir la MGF et à se marier de force. Il s’agissait du cœur de l’affaire dont la SPR était saisie. Les conclusions défavorables de la SPR concernant le risque allégué étaient fondées sur l’incapacité de Mme Lawal d’expliquer pourquoi son mari, qui était contre la MGF, n’avait pas pu tenir tête à ses oncles et refuser simplement leurs plans.

[12]           En effet, la conclusion de la SPR, au paragraphe 31, est très claire, et n’a pas grand‑chose à voir avec le moment où les demandeurs ont demandé l’asile :

[...] Étant donné que la majorité de la preuve documentaire mentionne que la MGF constitue une tradition transmise par les femmes de la famille qui souhaitent que leurs filles évitent l’isolement social, le tribunal ne trouve pas crédible que des grands‑oncles éloignés, qui habitent loin des demandeurs d’asile et qui ont peu de contacts avec ceux‑ci, puissent soudainement s’intéresser aux filles d’une femme qui n’est pas elle‑même excisée ou qu’ils soient si puissants, au point d’imposer leur volonté par la force. Fait important en l’espèce, l’époux de la demandeure d’asile est contre l’excision ainsi que le mariage forcé et, vu sa position, il aurait le pouvoir, en sa qualité de père, de mettre fin aux plans de mariage forcé, si cette tradition était toujours courante à Abeokuta.

[13]           Deuxièmement, l’argument des demandeurs concernant la preuve examinée par la SPR ne peut pas non plus être retenu. La SPR a analysé et examiné longuement et entièrement la preuve documentaire sur le pays. Elle s’est fondée sur les éléments de preuve établissant l’aspect coutumier et culturel de la MGF pour conclure que la famille des demandeurs ne présentait pas le profil qui correspondait à celui des femmes soumises à la MGF. Plus particulièrement, la SPR a conclu que la MGF n’était associée à aucune religion, qu’elle était généralement exécutée à la naissance, que les parents pouvaient, selon plusieurs sources, refuser que leurs filles subissent la MGF étant donné le rôle important qu’ils jouaient dans la prise de décision à cet égard, et que l’incidence de la MGF dépendait du niveau de scolarité et de la situation économique de la famille, les familles plus instruites et plus aisées s’opposant davantage à cette pratique. Elle a aussi noté que, selon la preuve documentaire sur le pays, la MGF correspondait aux normes sociétales transmises par les mères et les grands‑mères, mais que, dans le cas de Mme Lawal, la mère de son mari avait accepté le choix de son fils, même si Mme Lawal n’était pas elle‑même excisée. Enfin, a souligné la SPR, s’il n’y avait pas de loi fédérale criminalisant cette pratique au Nigéria, certains États avaient néanmoins adopté des lois à cet égard.

[14]           La SPR a apprécié la preuve produite par les demandeurs et la preuve documentaire sur le pays, et a décidé d’accorder plus de poids à la deuxième. Il était raisonnablement loisible à la SPR de tirer cette conclusion. Il est bien établi que la Cour ne modifiera généralement pas les conclusions de la SPR lorsque, comme en l’espèce, la source de la contestation touche directement le poids à accorder aux éléments de preuve qui ont été produits (Diallo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1062, 317 FTR 179, au paragraphe 30; Mikhno c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 385, au paragraphe 33; Olmos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 809, au paragraphe 35).

[15]           Les demandeurs soutiennent que la SPR s’est reportée aux éléments de preuve documentaire sur le pays qui appuyaient sa conclusion, et non le fondement de leur demande d’asile. Cet argument ne saurait être retenu. La SPR est présumée avoir soupesé et examiné l’ensemble de la preuve qui lui a été présentée, à moins que le contraire ne soit établi (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF), au paragraphe 1). Il incombait aux demandeurs de démontrer et d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que la décision de la SPR était déraisonnable à cet égard (Julien c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 351, au paragraphe 44; Taiwo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 731, au paragraphe 20; Tseng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 278, au paragraphe 10). Les demandeurs ne se sont pas acquittés de ce fardeau, ayant été incapables de diriger la Cour vers des éléments de preuve documentaire sur le pays qui auraient soutenu leur allégation.

[16]           Des conclusions semblables s’appliquent à la crainte alléguée de mariage forcé. D’après son examen de la preuve documentaire sur le pays, la SPR a conclu que cette pratique n’était pas très courante au sein des populations instruites et dans la région où vivait la famille du mari de Mme Lawal.

[17]           Une fois encore, la Cour n’a pas pour rôle de soupeser à nouveau la preuve qui a été présentée à la SPR ni de modifier les conclusions de fait de la SPR, à moins que la SPR n’ait tiré ses conclusions de manière abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Thanabalasingham, 2003 CF 1225, [2004] 3 RCF 523, au paragraphe 102, Selliah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2004 CF 872, 256 FTR 53, au paragraphe 38; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] ACS no 12, au paragraphe 59).

[18]           Les demandeurs avaient le fardeau d’établir les éléments subjectifs et objectifs de leur crainte de retourner dans leur pays d’origine (Chan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 RCS 593). Toutefois, ils n’ont pas réussi à démontrer que la SPR avait tiré sa conclusion primaire, à savoir qu’ils ne craignaient pas avec raison d’être persécutés parce qu’il était improbable que les oncles du mari de Mme Lawal puissent les forcer, elle et son mari, à faire subir la MGF à leurs filles et à les marier de force, d’une manière abusive ou arbitraire, ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

[19]           En d’autres mots, ils n’ont pas établi que cette conclusion primaire n’appartenait pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47), ce qui porte un coup fatal à leur cause.

[20]           Par conséquent, je n’ai pas besoin de décider s’il était raisonnable pour la SPR de conclure que les demandeurs avaient une PRI dans la ville d’Abuja (Uppal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1142, 300 FTR 139, au paragraphe 21; Faour c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 534, au paragraphe 35; Abid c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 483, au paragraphe 23).

[21]           Aucune question de portée générale n’a été proposée par les parties. Aucune ne sera certifiée.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« René LeBlanc »

Juge

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-427-14

INTITULÉ :

AISHA IYABO LAWAL, ZAINAB OLAWUNMI LAWAL, NABEELAH OLATOM LAWAL, FUAD GBOLAHAN LAWAL, TAOFEEQ OLADAPO LAWAL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QuÉbec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 JanVIER 2015

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

DATE DES MOTIFS :

LE 5 FÉVRIER 2015

COMPARUTIONS :

Me Idorenyin E. Amana

POUR LES DEMANDEURS

Pavol Janura

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Idorenyin E. Amana
Cornwall (Ontario)

POUR LES DEMANDEURs

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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