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Date : 20150206


Dossiers : IMM-1478-14

IMM-3931-13

IMM-3932-13

Référence : 2015 CF 157

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 février 2015

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

HARPREET KAUR DHALIWAL

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   La nature de l’affaire et le contexte

[1]               L’appel de la demanderesse à l’encontre d’une mesure d’exclusion a été rejeté par la Section d’appel de l’immigration [la SAI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission]. En vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], la demanderesse sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision (no de dossier de la Cour IMM‑1478-14) et de deux décisions interlocutoires par lesquelles la SAI a rejeté ses allégations de préclusion découlant d’une question déjà tranchée (no de dossier de la Cour IMM-3931-13) et de services d’interprétation inadéquats (no de dossier de la Cour IMM-3932-13). La Cour a ordonné que ces trois demandes de contrôle judiciaire soient entendues ensemble.

[2]               La demanderesse sollicite dans chaque demande des mesures spéciales légèrement différentes. Dans la demande portant sur la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, elle voudrait que la Cour annule la décision et accueille tout simplement la demande ou, subsidiairement, qu’elle la renvoie à la SAI et ordonne que la préclusion s’applique. Pour ce qui est de la demande relative à des services d’interprétation inadéquats, la demanderesse voudrait que l’on radie du dossier son témoignage antérieur et qu’un autre tribunal l’entende de nouveau. Quant à la demande sur le fond, la demanderesse sollicite une ordonnance annulant la décision et renvoyant l’affaire à un autre commissaire de la SAI, avec pour  instruction de rendre une nouvelle décision sur l’affaire conformément à la loi.

[3]               La demanderesse est une citoyenne de l’Inde qui, le 14 janvier 2001, a épousé un citoyen canadien du nom d’Harlakhbir Dhaliwal. Peu après, M. Dhaliwal a parrainé la demande de résidence permanente au Canada de la demanderesse. La demande de parrainage a tout d’abord été refusée parce qu’un agent des visas n’était pas convaincu que le mariage des Dhaliwal était authentique, mais M. Dhaliwal a fait appel de cette décision auprès de la SAI le 2 mai 2002. Avec le consentement du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration [le MCI], la SAI a statué le 4 novembre 2002 que le rejet de la demande de parrainage n’était pas invalide [la décision de 2002] et la demanderesse est devenue résidente permanente du Canada le 24 juillet 2003.

[4]               Un mois plus tard environ, M. Dhaliwal a demandé le divorce d’avec la demanderesse auprès de la Cour suprême de la Colombie-Britannique [la CSCB], disant qu’elle et lui étaient séparés depuis le 28 février 2001. La demanderesse n’a pas défendu l’action en divorce et leur mariage a été dissous le 29 novembre 2003. La demanderesse prétend n’avoir pris connaissance du divorce qu’en octobre 2006. Elle a plus tard demandé (après la prise de la mesure d’exclusion mentionnée ci-après) l’annulation de ce divorce, mais la demande qu’elle a déposée auprès de la CSCB a été rejetée par cette dernière dans des motifs rendus le 31 juillet 2013 (voir : Dhaliwal c Dhaliwal, 2013 BCSC 1376, 36 RFL (7th) 397 [Dhaliwal (CSCB]).

[5]               Le 25 février 2007, la demanderesse a épousé Navdeep Singh, un homme arrivé au Canada à titre de travailleur étranger temporaire et embauché par un cousin germain du père de la demanderesse. Cette dernière et M. Singh ont eu deux enfants ensemble, tous deux nés au Canada.

[6]               M. Singh a perdu son statut au Canada, mais, le 4 septembre 2007, la demanderesse a présenté une demande en vue de le parrainer, déclarant que le 22 janvier 2004 était la date applicable de son divorce et de sa séparation de son premier époux. Les différences entre cette date (le 22 janvier 2004) et la date de séparation inscrite dans la requête en divorce déposée auprès de la CSCB (le 28 février 2001) ont incité Citoyenneté et Immigration Canada [CIC] à examiner le dossier de la demanderesse. Le 8 juillet 2009, un agent d’immigration de CIC, en poste au bureau de Mississauga, a décidé que le premier mariage de la demanderesse avait été [traduction« conclu à seule fin de permettre à Harpreet Kaur Dhaliwal d’entrer au Canada à titre de résidente permanente ». En application du paragraphe 44(1) de la Loi, cet agent a donc recommandé que Mme Dhaliwal soit soumise à une enquête pour fausses déclarations, au sens de l’alinéa 40(1)a) de la Loi.

[7]               Conformément au paragraphe 44(2) de la Loi, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [le MSPPC] a ensuite renvoyé l’affaire à la Section de l’immigration de la Commission [la SIC], qui a finalement souscrit à la conclusion tirée et a rendu une mesure d’exclusion le 21 décembre 2010. La SIC a conclu que [traduction« le mariage [de la demanderesse] avec Harlakhbir Singh Dhaliwal n’était pas authentique et a été conclu dans le but d’obtenir la résidence permanente au Canada », ce qui voulait dire qu’elle avait contrevenu à  l’alinéa 40(1)a) de la Loi car le fait de faire une présentation erronée sur [traduction« l’authenticité du mariage a entraîné une erreur dans l’application de la Loi ».

[8]               La demanderesse a porté en appel la décision de la SIC devant la SAI. Après avoir témoigné en punjabi à l’audience tenue le 30 juillet 2012, la demanderesse s’est trouvée une nouvelle avocate. Celle-ci, notamment, a présenté deux demandes interlocutoires : l’une soutenant que la décision de 2002 empêchait par préclusion le ministre de contester maintenant l’authenticité du premier mariage de la demanderesse, et l’autre que l’interprétation du témoignage de la demanderesse lors de l’audience tenue en juillet était erronée.

II.                Les décisions faisant l’objet du présent contrôle

A.                Les décisions interlocutoires

[9]               La SAI a tranché les deux demandes interlocutoires dans des motifs datés du 17 mai 2013 [la décision de 2013].

[10]           La SAI a rejeté l’argument de la demanderesse selon lequel le principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée avait pour effet d’exclure toute question portant sur l’authenticité de son mariage avec M. Dhaliwal. À son avis, la décision de 2002 traitait de la question de savoir si le mariage était authentique, tandis que la présente affaire avait trait à la question de savoir si la demanderesse avait faussement déclaré qu’il était authentique. Il s’agissait de deux questions connexes, mais la SAI n’était pas convaincue qu’elles portaient sur le même point car elles mettaient en jeu des considérations différentes (citant Ramkissoon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] ACF no 971 (QL), au paragraphe 8, 6 Imm LR (3d) 223 (1re inst.) [Ramkissoon]). De plus, l’instance de 2002 opposait le répondant de la demanderesse et le MCI, tandis que celle de 2013 opposait la demanderesse et le MSPPC. La SAI a donc conclu que les parties n’étaient pas les mêmes et que, de ce fait, les conditions préalables à la préclusion n’étaient pas remplies. La SAI a fait remarquer de plus que l’on minerait l’intention du législateur concernant l’article 40 de la Loi si une conclusion antérieure de la SAI, à savoir qu’un mariage était vraisemblablement authentique, empêchait des formations ultérieures de la SAI de décider si une fausse déclaration importante avait été faite au sujet de cette question.

[11]           Pour ce qui est des services d’interprétation, la demanderesse avait fourni une transcription de l’audience établie par Mme Johar, qui comportait une traduction de tout ce qui avait été dit en punjabi par la demanderesse et par l’interprète [la transcription de Johar]. La demanderesse avait relevé un certain nombre d’erreurs censément problématiques, mais la SAI s’était dite [traduction« convaincue que ces erreurs n’[avaient] pas eu d’effet marqué sur l’instance, pas plus qu’elles n’[avaient] causé un préjudice sérieux à l’appelante ». La SAI n’a pas non plus jugé problématique le fait que l’interprète n’avait pas traduit entièrement quelques échanges entre le commissaire de la SAI et l’avocat qui représentait à ce moment la demanderesse. En fin de compte, le commissaire de la SAI a conclu qu’une interprétation orale sera toujours imparfaite, mais qu’elle est adéquate dans la mesure où l’on respecte le principe de la compréhension linguistique, et il s’est dit persuadé que cette compréhension était présente. La SAI a donc rejeté la demande de la demanderesse pour que l’on réentende son témoignage.

B.                 La décision sur le fond

[12]           Dans des motifs datés du 6 février 2014, la SAI a rejeté l’appel de la demanderesse.

[13]           La SAI n’a pas ajouté foi à la demanderesse, concluant en fin de compte que cette dernière, à son arrivée au Canada, n’avait pas l’intention de vivre avec son répondant en tant qu’épouse et époux. Elle a dit qu’elle croyait plutôt l’ancien époux et répondant de la demanderesse lorsqu’il avait déclaré qu’ils n’avaient jamais consommé le mariage et que la demanderesse lui avait dit, dès son arrivée au Canada, qu’elle ne voulait pas être son épouse. Cependant, étant donné qu’il était légalement et culturellement responsable d’elle, il l’avait installée chez ses parents à lui, à Kelowna (Colombie-Britannique), pour un certain temps, et il avait emménagé à son adresse commerciale pendant la durée du séjour de la demanderesse chez ses parents.

[14]           La SAI a donné un certain nombre de raisons de douter du récit de la demanderesse selon lequel, jusqu’en octobre 2006, elle avait pensé que son mariage était valide. Premièrement, elle avait indiqué qu’elle savait bien lire l’anglais dans sa demande de résidence permanente, et on lui avait signifié les documents de divorce peu après son arrivée au Canada. Quelques mois plus tard, le 22 janvier 2004, elle était partie pour un séjour d’un an en Inde sans son époux et, quand elle était revenue au Canada en janvier 2005, elle était partie vivre chez le cousin germain de son père, à Brampton (Ontario). Elle avait soutenu que son répondant était resté en contact avec elle jusqu’à ce moment-là et avait promis de venir la chercher, mais la SAI n’a pas cru que M. Dhaliwal prétendrait être marié à une personne dont il avait divorcé en bonne et due forme un an plus tôt. De plus, la demanderesse, peu après son retour au Canada, avait censément perdu contact avec M. Dhaliwal et n’avait presque rien fait pour le retrouver. La prétention de la demanderesse selon laquelle elle avait découvert avec surprise qu’elle était divorcée « de manière frauduleuse » en octobre 2006 a été contredite par le fait qu’elle n’avait rien fait pour contester l’ordonnance de divorce avant 2013, après que l’on eut ordonné son renvoi du Canada. Même dans sa demande de parrainage de M. Singh, la demanderesse a inscrit des dates qui ne correspondaient pas à sa présumée croyance qu’elle était divorcée en 2006, en indiquant que la date applicable du divorce ou de la séparation était le 22 janvier 2004. La SAI s’est donc dite convaincue que la demanderesse n’avait jamais eu l’intention de vivre avec son répondant au Canada, et sa fausse déclaration à l’effet contraire justifiait légalement la mesure d’exclusion.

[15]           La SAI a ensuite examiné s’il y avait lieu d’accorder des mesures spéciales pour motifs d’ordre humanitaire en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la Loi, disant qu’il devait y avoir des motifs convaincants pour le faire, car sans cela l’alinéa 40(1)a) perdrait tout son sens. Elle a conclu qu’il n’y avait pas de tels motifs en l’espèce. Au contraire, la demanderesse ne regrettait pas ses fausses déclarations et avait plutôt décidé de mentir encore plus. Même si elle était établie ici au Canada, la demanderesse avait passé ses années formatrices en Inde et n’aurait eu aucune difficulté à s’y réintégrer. De plus, la SAI a considéré qu’il était probable que le nouvel époux de la demanderesse et leurs enfants l’accompagnent, et elle n’a pas jugé que le soutien du cousin germain de son père et de la collectivité dans laquelle vivait la demanderesse au Canada était un facteur convaincant dans ces circonstances. La demanderesse aurait à quitter son emploi et à vendre sa maison, mais la seule raison pour laquelle elle avait un emploi et une maison au départ était parce qu’elle avait menti pour entrer au pays. En tout état de cause, la SAI a jugé qu’il ne s’agissait pas là d’un facteur important car elle pouvait vraisemblablement trouver un autre travail en Inde et que la part nette qu’elle détenait dans la maison était suffisante pour l’aider à s’établir dans ce pays.

[16]           La SAI a également pris en compte l’intérêt supérieur des enfants. Les enfants de la demanderesse étaient établis ici, mais, a-t-elle fait remarquer, ils étaient encore jeunes et s’adapteraient vraisemblablement à la vie en Inde. La SAI s’est également montrée peu disposée à prendre connaissance d’office du fait que la fille de la demanderesse risquait d’être victime de discrimination et de violence en tant que femme. La SAI a admis qu’il serait dans l’intérêt supérieur des enfants qu’ils restent au Canada, mais que cela n’était pas suffisant pour surmonter les nombreux aspects négatifs qui militaient contre la demanderesse.

III.             Les questions en litige

[17]           La demanderesse soutient que ses trois demandes soulèvent de nombreuses questions, mais il est possible de résumer comme suit les plus importantes d’entre elles :

1.                  Quelle est la norme de contrôle qui s’applique à chaque question?

2.                  La SAI a-t-elle refusé sans droit d’appliquer le principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée?

3.                  La SAI a-t-elle refusé sans droit la demande de nouvelle audience de la demanderesse?

4.                  La SAI a-t-elle confirmé sans droit la mesure d’exclusion?

5.                  La SAI a-t-elle refusé sans droit d’accorder la prise de mesures spéciales pour  motifs d’ordre humanitaire?

IV.             L’analyse

A.                Quelle est la norme de contrôle applicable?

[18]           Lorsqu’il existe des décisions antérieures qui règlent de manière satisfaisante la norme de contrôle à appliquer à des questions particulières, il est inutile de réitérer l’analyse requise  (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 57 et 62, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]).

1)                  La préclusion découlant d’une question déjà tranchée

[19]           Selon la demanderesse, la question de savoir si les conditions préalables à la préclusion sont remplies est une question de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Rahman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 1321, au paragraphe 12, 302 FTR 232 [Rahman]). Le défendeur convient que la Cour se doit de veiller à ce que la SAI choisisse le bon critère à appliquer dans le cas de la préclusion, mais il estime que c’est la norme de la raisonnabilité qui devrait s’appliquer à la manière dont la SAI applique le critère.

[20]           Dans la décision Rahman, aux paragraphes 12 et 13, le juge Noël a déclaré ce qui suit au sujet de la norme de contrôle qui concerne l’application, par la SAI, de la préclusion :

[12]      La question de savoir si les conditions d’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée sont remplies est une question de droit. Elle porte sur les droits en matière de procédure du demandeur et la SAI n’est pas plus spécialisée que la Cour dans l’application du droit en ce domaine. Ces facteurs pointent en direction d’une norme de contrôle stricte. En conséquence, la norme de contrôle applicable à l’analyse menée par la SAI sur la chose jugée, pour la première étape, est la décision correcte […].

[13]      Inversement, la deuxième étape comporte l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire et l’évaluation de facteurs pertinents qui permettent de juger si des circonstances particulières justifiaient en l’espèce la non‑application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Les facteurs discrétionnaires commandent un niveau de retenue plus élevé […]. En conséquence, la norme de contrôle appropriée applicable à la seconde étape est la décision manifestement déraisonnable. [Renvois omis]

[21]           La Cour a suivi à l’occasion la décision Rahman après l’arrêt Dunsmuir, sans toutefois faire référence au critère de la décision manifestement déraisonnable, maintenant aboli, pour la seconde étape (voir, p. ex., Chéry c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 922, au paragraphe 14, 416 FTR 14).

[22]           À mon avis, cependant, la norme de contrôle relative à la première étape de l’analyse de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée a également été supplantée par de récents arrêts de la Cour suprême. Dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c Southam Inc. (1996), [1997] 1 RCS 748, au paragraphe 35, 144 DLR (4th) 1, la Cour suprême déclare : « les questions de droit concernent la détermination du critère juridique applicable; les questions de fait portent sur ce qui s’est réellement passé entre les parties; et, enfin, les questions de droit et de fait consistent à déterminer si les faits satisfont au critère juridique. » Par conséquent, si le choix du critère à appliquer à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée est une question de droit, celle de savoir si les conditions préalables à l’application de la préclusion ont été remplies est une question mixte de droit et de fait. Pour les questions de ce type, la norme de la raisonnabilité doit être présumée dans tous les cas où l’on ne peut pas aisément dissocier les questions de droit (Dunsmuir, au paragraphe 53).

[23]           Par ailleurs, bien que le principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée présente des avantages procéduraux pour les parties au litige qui ont eu gain de cause (voir : Danyluk c Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, au paragraphe 18, [2001] 2 RCS 460 [Danyluk]; et Penner c Niagara (Commission régionale de services policiers), 2013 CSC 19, au paragraphe 29, [2013] 2 RCS 125 [Penner]), je ne suis pas convaincu que la question de savoir si chaque condition particulière est remplie peut être fondue en une seule question d’équité procédurale. Par exemple, la SAI pourrait découvrir qu’une personne dont la demande de parrainage antérieure a été rejetée a changé de nom et est donc en fait la même partie qu’auparavant. Il s’agirait là d’une conclusion purement factuelle, et je ne crois pas que la norme de la décision correcte doive s’appliquer uniquement parce qu’elle a été conçue pour servir un critère de nature procédurale.

[24]           En l’espèce, les conditions préalables à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne sont ni évidentes ni faciles à déterminer à partir du dossier. Toutes les conditions préalables contestées sont, en fin de compte, des questions de droit, mais des questions qui commanderaient normalement la retenue dans la mesure où elles mettent en cause l’interprétation de la loi habilitante de la SAI (Dunsmuir, au paragraphe 54). Tous les autres facteurs appellent aussi une certaine retenue (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 54 à 58, [2009] 1 RCS 339 [Khosa]). Je suis donc d’avis que la norme de la raisonnabilité s’applique lorsqu’on examine la manière dont la SAI a appliqué les deux étapes de l’analyse de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée.

2)                  Les problèmes d’interprétation

[25]           Quant aux problèmes dus à des services d’interprétation inadéquats, les parties ont convenu que la norme de contrôle qui permet de déterminer si le préjudice est une exigence est la décision correcte, mais que celle qui permet d’évaluer le caractère adéquat des services d’interprétation est la raisonnabilité. À mon avis, toutefois, la norme de contrôle qui s’applique à tous les aspects de cette question est la décision correcte. Chacun de ces aspects a trait à l’équité procédurale et à l’accès à un droit constitutionnel (Khosa, au paragraphe 43; Dunsmuir, au paragraphe 58).

[26]           En fait, bien que mon collègue, le juge Sean Harrington, se soit demandé s’il fallait contrôler la qualité des services d’interprétation en fonction de la norme de la raisonnabilité (voir : Sohal c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2011 CF 1175, aux paragraphes 12 et 13 [Sohal]), lui-même a appliqué la norme de la décision correcte dans la décision Sohal, et cela semble être la tendance dans le cas des décisions de la Commission (voir p. ex. Kamara c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 243, au paragraphe 34, 385 FTR 122 [Kamara]; Dhaliwal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1097, au paragraphe 12; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1161, à l’alinéa 2a); Licao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 89, au paragraphe 18, 303 CRR (2d) 228). C’est donc dire qu’il faudrait que la décision de la SAI sur les problèmes d’interprétation que la demanderesse a soulevés soit contrôlée selon la norme de la décision correcte.

3)                  Le fond de la présente affaire

[27]           La demanderesse fait valoir que la décision correcte est la norme de contrôle qui s’applique à la question de savoir si l’existence de preuves documentaires corroborantes peut contrebalancer son manque de crédibilité, le choix des critères permettant de déterminer l’authenticité d’un mariage, ainsi que la manière dont la SAI interprète l’article 40 de la Loi (citant Ouk c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 891, au paragraphe 10, 316 FTR 15 [Ouk]; et Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 512, au paragraphe 22). Pour ce qui est des autres questions relatives à la détermination des motifs d’ordre humanitaire et à la fausse déclaration, la demanderesse reconnaît que la norme est la raisonnabilité (citant Dunsmuir, au paragraphe 53).

[28]           Le défendeur est d’avis que la norme de contrôle à appliquer à la manière dont la SAI applique l’article 40 de la Loi est la raisonnabilité (citant Sidhu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2014 CF 176, au paragraphe 16, 23 Imm LR (4th) 249; et Sidhu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2014 CF 419, au paragraphe 12). De plus, il fait valoir que les constatations et les conclusions de fait de la SAI, comme le fait de savoir si un mariage est authentique, méritent une certaine retenue de la part de la Cour (citant Khera c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 632, au paragraphe 7 [Khera]; Ekici c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CF 1133, aux paragraphes 22 et 23 [Ekici]; et Bin Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 1227, au paragraphe 8, 75 Imm LR (3d) 282).

[29]           Je conviens avec le défendeur que la norme de contrôle qui s’applique à la décision de la  SAI sur le fond de la présente affaire est la raisonnabilité. Bien que la demanderesse soutienne que la SAI a mal saisi les règles de droit qui portent sur divers points, les arguments qu’elle invoque reposent non pas sur des énoncés du droit erronés mais sur des inférences tirées des motifs et des présomptions concernant la preuve. Elle soutient, par exemple, que la SAI n’a pas compris que les preuves documentaires peuvent prouver une prétention même si le demandeur paraît par ailleurs peu crédible, mais cela repose sur des affirmations selon lesquelles, en l’espèce, les preuves documentaires étaient crédibles et prouvaient indiscutablement l’authenticité du mariage. Cependant, soupeser ces preuves et en évaluer la crédibilité sont manifestement des questions de fait à l’égard desquelles la SAI a droit à une certaine retenue (voir, p. ex., Aguebor c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1993), 160 NR 315, au paragraphe 4; Singh c Canada (Ministre de de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 169 NR 107, au paragraphe 3; et Ekici, aux paragraphes 22 et 23). Dans le meilleur des cas, cette question ainsi que les autres que la demanderesse a soulevées sont des questions mixtes de fait et de droit dont on ne peut dissocier les aspects juridiques, et c’est la norme de la raisonnabilité qu’il convient d’appliquer (Dunsmuir, au paragraphe 53; Khosa, aux  paragraphes 52 à 58).

[30]           C’est donc dire que la Cour n’a pas à modifier la décision que la SAI a rendue sur le fond si elle est justifiable, transparente et compréhensible et si elle appartient aux issues pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47). Ces critères sont respectés dans la mesure où « les motifs […] permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708).

B.                 La SAI a-t-elle refusé sans droit d’appliquer le principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée?

1)                  Les arguments de la demanderesse

[31]           D’après la demanderesse, même si la SAI a appliqué le bon critère relatif à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée qui a été énoncé dans l’arrêt Angle c Canada (Ministre du Revenu national) (1974), [1975] 2 RCS 248, 47 DLR (3d) 544 [Angle], la SAI a conclu à tort que la décision de 2002 et sa décision de 2013 ne portaient pas sur la même question. La SAI n’aurait pas fait droit à l’appel en 2002 si le mariage n’était pas authentique, et ce fait règle également la décision de 2013 car, dit la demanderesse, elle ne peut pas avoir fait une déclaration inexacte sur l’authenticité de son mariage si ce dernier était, en fait, authentique (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Peirovdinnabi, 2010 CAF 267, aux paragraphes 4 et 5, 409 NR 161 [Peirovdinnabi]). Cette erreur, dit-elle, porte un coup fatal à la décision de 2013.

[32]           La demanderesse soutient par ailleurs que la SAI a eu tort de conclure que l’on n’a pas répondu à l’exigence de réciprocité. Selon elle, il ressort clairement de l’arrêt Angle que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’applique non seulement aux parties, mais aussi à celles qui ont un lien avec elles. Il était question dans la décision de 2002 d’un appel de M. Dhaliwal, mais c’était le statut de résidente permanente de la demanderesse qui avait été refusée et qui faisait l’objet de l’appel. La demanderesse est d’avis qu’elle a clairement un lien avec cet appel parce que son répondant représentait ses intérêts.

[33]           En outre, la demanderesse déclare qu’il n’y a pas de différence pertinente entre le MCI et le MSPPC. Malgré leurs responsabilités différentes, le MCI et le MSPPC représentent tous deux la Couronne, et tous deux sont représentés par le ministère de la Justice. Les deux ont eu une possibilité pleine et équitable de contester l’authenticité du premier mariage de la demanderesse à l’époque de la décision de 2002, et, soutient-elle, ils ne devraient pas avoir une autre chance de le faire.

2)                  Les arguments du défendeur

[34]           Le défendeur défend la décision de la SAI selon laquelle la décision de 2002 et sa propre décision de 2013 ne mettent pas en cause les mêmes parties. Le répondant de la demanderesse exerçait ses propres droits dans le cadre du premier appel devant la SAI, et le fait que cet appel pouvait bénéficier à la demanderesse ne faisait pas d’elle une personne qui avait un lien avec cet appel De plus, le MCI et le MSPPC assument des responsabilités différentes et n’ont pas d’intérêts juridiques identiques sous le régime de la Loi.

[35]           Le défendeur soutient que la SAI a fait remarquer à juste titre que l’authenticité du mariage n’est qu’une question parmi plusieurs autres dont on traite dans la décision de 2013 (Ramkissoon, au paragraphe 8), dont de fausses déclarations quant au temps durant lequel la demanderesse a cohabité avec son premier époux. Les questions sur lesquelles porte la décision de 2013 sont donc, de l’avis du défendeur, d’une plus grande portée que celles auxquelles le MCI a consenti dans le cadre de la décision de 2002.

3)                  L’analyse

[36]           Comme la SAI l’a reconnu, le principe de la chose jugée comporte deux volets. Le premier est la préclusion fondée sur la cause d’action, qui « empêche une personne d’intenter une action contre une autre lorsque la même cause d’action a déjà été décidée dans des procédures antérieures par un tribunal compétent » (Angle, à la page 254). Le second est la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, qui s’applique à des causes d’action distinctes et qui « vise les faits substantiels, les conclusions de droit ou les conclusions mixtes de fait et de droit […] à l’égard desquels on a nécessairement statué (même si on ne l’a pas fait de façon explicite) dans le cadre de l’instance antérieure » (Danyluk, au paragraphe 24).

[37]           Dans l’arrêt Penner, au paragraphe 29, la Cour suprême du Canada a résumé en termes succincts le critère relatif à l’applicabilité du principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée : « une partie ne peut pas engager une nouvelle instance à l’égard d’une question tranchée de façon définitive à l’issue d’une instance judiciaire antérieure opposant les mêmes parties ou celles qui les remplacent. Toutefois, même si ces éléments sont réunis, la cour de justice conserve le pouvoir discrétionnaire de ne pas appliquer la préclusion découlant d’une question déjà tranchée lorsqu’il en découlerait une injustice ». Il ne fait aucun doute que le principe peut également s’appliquer aux décideurs administratifs tels que la SAI (Danyluk, au paragraphe 21; Rahman, au paragraphe 18), et nul ne conteste que la décision de 2002 était une décision définitive.

[38]           La SAI a conclu que la décision de 2002 et la décision de 2013 ne portaient pas sur la même question et ne mettaient pas en cause les mêmes parties. La demanderesse a fait valoir que si l’une ou l’autre conclusion est annulée, la décision tout entière doit être annulée, mais je ne suis pas d’accord. Il faut que toutes les conditions préalables à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée soient remplies avant que le principe puisse s’appliquer, et il faudrait que la SAI ait eu tort sur toutes ces conditions avant que l’on puisse modifier la décision de 2013.

[39]           Dans la présente affaire, la SAI a déclaré que les deux instances qui ont mené à la décision de 2002 et à la décision de 2013 ne portaient pas sur la même question : l’appel initial avait trait à la question de savoir si le mariage de la demanderesse avec M. Dhaliwal n’était pas authentique ou avait été conclu principalement dans le but d’acquérir un statut ou un privilège quelconque sous le régime de la Loi, alors que la présente instance portait sur un sujet nettement différent, soit le fait de savoir si la demanderesse avait fait une fausse déclaration importante.

[40]           Toutefois, dans la décision Ramkissoon, la Cour fédérale reconnaît expressément (au paragraphe 8) que, dans ce contexte, l’analyse d’une fausse déclaration « exige […] une évaluation de l’authenticité du mariage et de la question de savoir si la demanderesse s’est mariée dans l’intention de vivre en permanence avec [son répondant] ». Telle était la question déterminante dans la décision de 2013 de la SIC, où celle-ci a conclu que [traduction« le mariage [de la demanderesse] avec Harlakhbir Singh Dhaliwal n’était pas authentique et a été conclu dans le but d’obtenir la résidence permanente au Canada ».

[41]           Cette conclusion était manifestement aussi la question en litige dans la décision de 2002. L’agent qui avait rejeté au départ la demande de résidence permanente de la demanderesse lui avait dit ce qui suit : [traduction« [j]e ne suis pas convaincu que le principal motif de votre mariage avec votre répondant vise une fin autre que celle d’être admise au Canada et que vous avez l’intention de vivre en permanence avec votre répondant ». Même si la décision de 2002 par laquelle cette conclusion a été annulée ne dit pas expressément que le mariage était authentique, cela importe peu car le principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée s’applique à toute question qui a été nécessairement tranchée dans l’instance antérieure (Danyluk, au paragraphe 24). Si la conclusion de non-authenticité du mariage était toujours valide, jamais la demanderesse n’aurait obtenu le statut de résidente permanente.

[42]           En conséquence, s’il était loisible à la SAI de conclure que d’autres questions avaient été soulevées aussi, il était déraisonnable de sa part de décider que cette question en particulier n’était pas la même que celle sur laquelle portait la décision de 2002.

[43]           La SAI a également conclu que la demanderesse n’est pas la même personne que son répondant, mais elle ne semble pas avoir examiné si la demanderesse avait néanmoins un lien avec la décision de 2002. Le « lien de droit » est une notion élastique qu’il n’est possible de trancher qu’au cas par cas (Danyluk, au paragraphe 60). Dans l’arrêt Carl Zeiss Siftung c Rayner & Keeler Ltd (No 2) (1966), [1967] 1 AC 853, [1966] 2 All ER 536 (UKHL), celui dont la Cour suprême du Canada s’est inspirée pour adopter le critère relatif à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée dans l’arrêt Angle, à la page 254, le lord Reid a déclaré (à la page 910) que le lien de droit peut se présenter de nombreuses façons, mais qu’il est [traduction« essentiel que la personne que l’on veut maintenant empêcher par préclusion de se défendre ait eu un intérêt quelconque dans le litige antérieur ou dans son objet ».

[44]           En l’espèce, il était déraisonnable de conclure que la demanderesse n’avait pas de lien avec la décision de 2002. Certes, son répondant était la personne qui avait porté en appel le rejet de la demande de parrainage de la demanderesse, mais c’était parce qu’il était le seul autorisé à interjeter appel (la Loi, au paragraphe 63(1); Loi sur l’immigration, LRC 1985, c I‑2, au paragraphe 77(3) (en vigueur le 2 mai 2002)). En raison de l’alinéa 72(2)a) de la Loi qui est actuellement en vigueur, les demandeurs ne sont même pas autorisés à solliciter séparément un contrôle judiciaire en cas de rejet de leurs demandes de résidence permanente; ils doivent se fier entièrement à leur répondant pour contester les décisions les plus défavorables (Somodi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 288, [2010] 4 RCF 26 [Somodi]). La Cour d’appel fédérale a justifié ce résultat dans l’arrêt Somodi (au paragraphe 29) en faisant remarquer que « dans le cas d’une demande de parrainage d’un membre de la famille, les intérêts des parties sont compatibles » [non souligné dans l’original]. Étant donné que, en l’espèce, seul le répondant était autorisé à porter la décision en appel et à représenter les intérêts de la demanderesse pour l’obtention de la résidence permanente, je ne crois pas qu’il soit défendable de dire qu’elle n’avait pas de lien avec la décision de 2002.

[45]           La SAI a également conclu que le MCI n’était pas la même partie que le MSPPC. La demanderesse soutient que tous deux représentent en fin de compte la Couronne.

[46]           Dans l’arrêt Town Investments Ltd c Department of Environment (1977), [1978] AC 359, à la page 381 (CLRU), le lord Diplock a décrété que la [traduction« Couronne » peut être synonyme du [traduction« gouvernement » et qu’elle englobe [traduction« à la fois collectivement et individuellement tous les ministres de la Couronne et les secrétaires parlementaires sous la direction desquels les fonctionnaires travaillant dans les divers ministères exécutent les tâches administratives du gouvernement ». Cependant, [traduction« [d]ans tous les cas ou presque, l’idée que la Couronne soit une entité unique et indivisible est tout à fait trompeuse » (Peter W Hogg, Constitutional Law of Canada, 5e éd., vol. 1, feuilles mobiles (mises à jour en 2014), (Toronto, ON : Thomson Reuters, 2007), ch. 10 à 2), surtout dans un État fédéral tel que le Canada.

[47]           Dans l’arrêt Ontario c SEEFPO, 2003 CSC 64, [2003] 3 RCS 149 [SEEFPO], la Cour suprême a examiné si la condition de l’identicité des parties que requiert le principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée était remplie par la présence de ministères provinciaux distincts. Dans cette affaire, deux employés de l’État avaient été reconnus coupables d’agression sexuelle contre des personnes confiées à leurs soins, et ils avaient été congédiés à cause de cela. Les syndicats avaient déposé un grief, et les arbitres avaient refusé de considérer les déclarations de culpabilité comme une preuve concluante des infractions. La Cour suprême a décidé (au paragraphe 11) que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne s’appliquait pas, et ce pour les raisons suivantes :

[L]a Couronne, en sa qualité de poursuivante dans les instances criminelles, n’est pas une ayant droit de la Couronne en sa qualité d’employeur. Les ministères employeurs n’ont joué aucun rôle dans les instances criminelles, et ils n’auraient pas pu, non plus, se porter partie à ces instances. Le procureur général, qui voit à la marche des poursuites criminelles, ne représente pas les intérêts de parties déterminées, mais bien l’intérêt général. Malgré leur personnalité juridique et malgré la désignation sous laquelle ils figurent aux poursuites judiciaires, les ministères en cause comme employeurs en l’espèce n’ont pas de relation significative avec la Couronne en tant que poursuivante. [Non souligné dans l’original.]

[48]           Dans ce contexte, la question pertinente est de savoir si le MCI et le MSPPC ont entre eux une relation significative pour ce qui est de la décision de 2002. Certes, leurs intérêts, aux termes de l’article 4 de la Loi, sont étroitement alignés. Dans des situations telles que la présente, leur objectif général est le même : tous deux s’efforcent de garantir que n’immigrent au Canada que les personnes répondant aux exigences applicables. Le MCI tente d’exclure les immigrants non admissibles, et le MSPPC expulse ceux qui parviennent néanmoins à immigrer. Au risque de simplifier exagérément la question, ils jouent à des positions différentes mais font partie de la même équipe. En fait, même si le MSPPC a renvoyé la présente affaire à la Section de l’immigration, c’est un agent de CIC qui a établi le rapport fondé sur le paragraphe 44(1).

[49]           En outre, le paragraphe 4(3) de la Loi autorise le gouverneur en conseil à préciser par décret les responsabilités précises de chaque ministre, ce qu’il a fait dans le cas du Décret précisant les responsabilités respectives du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et de la ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile en vertu de la Loi, TR/2005-120. Il semble artificiel de les traiter comme des entités parfaitement différentes quand, par une simple mesure de la part de l’exécutif, l’un pourrait aisément se charger des responsabilités que l’autre assumait. D’après le raisonnement de la SAI, si, par exemple, le gouverneur en conseil décidait un jour de confier au MSPPC la responsabilité des décisions en matière de parrainage conjugal, tout appel en cette matière que l’on aurait entendu dans le passé cesserait tout à coup d’être un fondement de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Le moins qu’on puisse dire c’est que ce serait là une conséquence curieuse.

[50]           Néanmoins, si l’on examine la décision de la SAI sur cette question dans son ensemble, elle était raisonnable.

[51]           La SAI aurait probablement exercé son pouvoir discrétionnaire d’entendre la preuve pesant contre la demanderesse même en étant convaincue que les conditions préalables à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée étaient remplies. Au paragraphe 28 de sa décision, la SAI a écrit que l’on minerait l’intention du législateur qui sous-tend l’article 40 de la Loi en décrétant que [traduction« une décision antérieure de la SAI selon laquelle un mariage est probablement authentique lie les formations futures qui sont tenues de par la [Loi] d’évaluer s’il y a eu une fausse déclaration importante au sens de l’article 40. »

[52]           C’est là une conclusion raisonnable. Une fausse déclaration importante « entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi » (la Loi, alinéa 40(1)a)). Cet énoncé reconnaît expressément que la fausse déclaration aurait déjà pu entraîner une erreur dans l’application de la Loi, et il ne faudrait pas que l’on empêche la SAI d’analyser cette possibilité juste parce que c’est la SAI elle-même qui a été censément induite en erreur.

[53]           Par ailleurs, même la demanderesse a reconnu, aux paragraphes 24 à 26 de son mémoire en réponse, que de nouvelles preuves importantes pourraient raisonnablement justifier une décision de ne pas appliquer la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. La SAI avait en main des preuves selon lesquelles le répondant de la demanderesse avait divorcé de cette  dernière un mois seulement après son arrivée au Canada - et la date de séparation était nettement antérieure à celle à laquelle elle avait obtenu la résidence permanente - et il avait expressément informé CIC qu’elle ne l’avait épousé que pour pouvoir entrer au Canada. Même si la SAI n’a jamais envisagé expressément de recourir au pouvoir discrétionnaire qu’elle avait de ne pas appliquer la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, il est bien évident qu’elle aurait décidé d’entendre la preuve pesant contre la demanderesse même si elle avait été convaincue que les conditions préalables étaient remplies.

[54]           En conséquence, même si la décision de la SAI sur ce point n’est peut-être pas parfaite en tous points, elle est quand même raisonnable.

C.                 La SAI a-t-elle refusé sans droit la demande de nouvelle audience de la demanderesse?

1)                  Les arguments de la demanderesse

[55]           La demanderesse soutient que la SAI a commis essentiellement deux erreurs au moment de trancher la demande relative aux services d’interprétation inadéquats. Premièrement, dit-elle, la SAI l’a obligée à faire la preuve que les erreurs de traduction lui avaient causé un préjudice important, ce qui est contraire aux deux arrêts faisant autorité : R c Tran, [1994] 2 RCS 951, aux pages 994 et 995, 117 DLR (4th) 7 [Tran], et Mohammadian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CAF 191, au paragraphe 4, [2001] 4 RCF 85 [Mohammadian (CAF)].

[56]           La seconde erreur, dit la demanderesse, est que la SAI a décidé de manière déraisonnable que les services d’interprétation étaient adéquats. Elle reproduit dans son mémoire un certain nombre des présumées erreurs, et soutient que la SAI ne les a pas évaluées en fonction de la norme de fidélité énoncée dans l’arrêt Tran. En fait, affirme-t-elle, le résumé qu’a fait la SAI de son témoignage est erroné à des égards importants.

[57]           En outre, la demanderesse soutient que la compréhension linguistique n’est que l’une des exigences d’une traduction adéquate, et que certaines des autres sont la fidélité, la continuité, la concomitance et l’impartialité. Aux dires de la demanderesse, l’obsession de la SAI pour l’existence d’un préjudice important l’a empêchée de considérer ces autres facteurs, ce qui, soutient-elle, est déraisonnable.

2)                  Les arguments du défendeur

[58]           Le défendeur est d’avis qu’une interprétation mot-à-mot est difficile et, à certains égards, impossible, dans la mesure où l’on ne peut pas toujours obtenir la perfection. On ne peut pas examiner la traduction à la loupe, comme la demanderesse tente de le faire, et se concentrer exagérément sur l’aspect de la fidélité. Tout ce qui est exigé, d’après le défendeur, c’est que l’on préserve les divers éléments de la compréhension linguistique.

[59]           Le défendeur soutient que même si la SAI a parlé de préjudice, elle n’en a jamais fait une exigence. Au contraire, elle a employé ce mot pour dire que la demanderesse bénéficiait d’une compréhension linguistique suffisante et pour évaluer si les parties se comprenaient l’une l’autre, ce qui était tout ce que l’on exigeait (Boyal c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2000] ACF no 72 (QL), au paragraphe 7, 181 FTR 158 [Boyal]). Selon le défendeur, quelles que soient les erreurs que l’interprète ait pu commettre, jamais les parties ne se sont mal comprises.

[60]           Le défendeur dit que les exemples d’erreurs d’interprétation dont la demanderesse fait état ne sont pas de nature à montrer clairement, selon la prépondérance des probabilités, que les parties n’avaient pas une compréhension linguistique suffisante. La SAI, dit‑il, a appliqué de manière raisonnable et appropriée les principes pertinents de la compréhension linguistique.

3)                  L’analyse

[61]           L’article 14 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c 11, énonce ce qui suit :

14. La partie ou le témoin qui ne peuvent suivre les procédures, soit parce qu’ils ne comprennent pas ou ne parlent pas la langue employée, soit parce qu’ils sont atteints de surdité, ont droit à l’assistance d’un interprète.

14. A party or witness in any proceedings who does not understand or speak the language in which the proceedings are conducted or who is deaf has the right to the assistance of an interpreter.

[62]           Dans l’arrêt Tran, la Cour suprême du Canada a traité de l’application de l’article 14 dans un contexte criminel et a conclu que le principe central est la compréhension linguistique, ce qui veut dire qu’il est nécessaire que les personnes éprouvant des difficultés linguistiques « comprennent et soient comprises tout autant que si elles connaissaient la langue employée dans les procédures » (Tran, à la page 985). Cela s’évalue au moyen de critères qui incluent « notamment la continuité, la fidélité, l’impartialité, la compétence et la concomitance » (Tran, à la page 985).

[63]           Cette même norme a été adoptée dans le cas des instances en matière d’immigration (Mohammadian (CAF), au paragraphe 4; Kamara, aux paragraphes 35 à 37). En l’espèce, la demanderesse ne conteste que la fidélité de l’interprétation, un facteur à l’égard duquel la Cour suprême, dans l’arrêt Tran (aux pages 986 et 987), a souscrit à la citation suivante de Graham G. Steele, « Court Interpreters in Canadian Criminal Law » (1992), 34 Crim LQ 218, aux pages 240-241 :

[traduction] […] l’interprétation doit, autant que possible, reprendre chaque mot et chaque idée; l’interprète ne doit pas « nettoyer » le témoignage pour lui donner une forme, une grammaire ou une syntaxe qu’il ne possède pas; l’interprète ne devrait faire aucun commentaire sur le témoignage et il ne devrait s’exprimer qu’à la première personne, en disant, par exemple, « je suis allé à l’école » plutôt que « il dit qu’il est allé à l’école ».

[64]           Mais on ne peut s’attendre à la perfection, et la Cour suprême a conclu que la norme est moins sévère pour l’interprétation, qui vise la langue parlée, qu’elle ne l’est pour la traduction de documents, car l’interprétation « comporte un processus de médiation entre deux personnes qui doit se produire sur‑le‑champ, avec peu de possibilité de réfléchir » (Tran, à la page 987).

[65]           La demanderesse a raison de faire remarquer que le préjudice n’est pas une exigence (Tran, aux pages 994 et 995). Comme le juge J.D. Denis Pelletier l’a signalé : « [l]a protection constitutionnelle se trouve affaiblie s’il est nécessaire de démontrer l’existence d’un préjudice pour obtenir réparation face à la violation d’un droit protégé par la Constitution » (Mohammadian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 309 (QL) au paragraphe 12, [2000] 3 RCF 371, conf. par Mohammadian (CAF), au paragraphe 4).

[66]           Selon la SAI, les erreurs d’interprétation alléguées par la demanderesse [traduction« n’ont pas eu un effet marqué sur l’instance, pas plus qu’elles n’ont causé à l’appelante un préjudice important ». Cependant, cette observation de la SAI ne veut pas dire qu’elle a fait de l’existence d’un préjudice une exigence. Quoi qu’il en soit, étant donné que la norme de contrôle qui s’applique aux problèmes d’interprétation est la décision correcte, il importe peu que la SAI ait commis une erreur à cet égard car ses conclusions ne commandent aucune retenue.

[67]           À mon avis, les services d’interprétation n’ont pas été aussi précis qu’ils auraient pu l’être. L’interprète s’est parfois exprimée à la troisième personne, plutôt qu’à la première; elle a fait de nombreuses paraphrases; elle a parfois ajouté des informations qui n’étaient pas dites; et elle s’est parfois trompée. Cependant, la Cour suprême l’a reconnu, l’interprétation « est fondamentalement une activité humaine qui s’exerce rarement dans des circonstances idéales » (Tran, à la page 987). Malgré les imperfections relevées en l’espèce, je crois que la demanderesse a toujours compris ce qui se disait et qu’elle-même a été comprise. Il y a eu compréhension linguistique entre les parties au sujet des questions essentielles dont la SAI était saisie.

[68]           En fait, la seule méprise « importante » que la demanderesse a mentionnée est que la SAI a écrit que la demanderesse avait déclaré s’être entretenue la dernière fois avec M. Dhaliwal le jour de son retour au Canada en 2005, alors qu’elle avait dit en fait s’être entretenue avec lui le lendemain. Non seulement ce détail est-il sans importance, mais l’interprète a traduit avec exactitude le témoignage de la demanderesse, à la page 18 de la transcription de Johar :

[traduction
[L’avocate] : […] [en anglais] Quelle est la dernière fois où vous avez parlé à votre ex-époux?

L’interprète : [en punjabi] Quelle est la dernière fois où vous avez parlé à votre ex-époux?

[L’appelante] : [en punjabi] Quand je suis arrivée ici à Brampton, à mon arrivée ici. J’ai téléphoné le deuxième jour.

L’interprète : [en anglais] Quand je l’ai appelé, le deuxième jour après être arrivée à Brampton à la maison de mon oncle. [Caractères gras ajoutés.]

[69]           La demanderesse s’est plainte aussi que le problème d’interprétation le plus sérieux était le fait que certains échanges entre le commissaire et l’avocate n’avaient pas été interprétés du tout. Cependant, ces conversations portaient uniquement sur des questions de nature administrative, et la Cour suprême a déclaré dans l’arrêt Tran (aux pages 993 et 994) que « si l’absence d’interprétation ou une lacune dans celle‑ci porte sur une question purement administrative ou logistique qui ne touche pas aux intérêts vitaux de l’accusé, comme le fait de prévoir un ajournement ou d’y consentir, l’art. 14 de la Charte ne sera pas violé. »

[70]           En conséquence, les services d’interprétation entre les parties, devant la SAI, étaient adéquats et je rejette les arguments contraires de la demanderesse.

D.                La SAI a-t-elle confirmé sans droit la mesure d’exclusion?

1)                  Les arguments de la demanderesse

[71]           La demanderesse soutient que la SAI a commis trois erreurs de droit.

[72]           Premièrement, dit-elle, la SAI a fait abstraction d’éléments de preuve documentaires qui montraient clairement qu’elle s’était séparée de son premier époux le 22 janvier 2004, et que la date de séparation la plus rapprochée possible était le 23 juillet 2003. Même si elle a paru peu crédible, la demanderesse soutient que la SAI ne peut pas simplement écarter une foule de preuves documentaires indépendantes et crédibles qui sont susceptibles d’étayer une décision favorable (citant Sellan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CAF 381, au paragraphe 3, 384 NR 163 [Sellan]).

[73]           Deuxièmement, la demanderesse prétend que la SAI a omis de faire une distinction entre la question de savoir si son premier mariage était authentique et celle de savoir si elle avait déclaré faussement qu’il était authentique. Elle soutient que ces deux questions doivent demeurer distinctes (citant Ouk, au paragraphe 17).

[74]           Troisièmement, la demanderesse fait valoir que la SAI a commis une erreur en omettant d’appliquer le critère établi dans Khera pour déterminer si son premier mariage était authentique (citant Khera, au paragraphe 10; et Paulino c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 542, au paragraphe 61, 368 FTR 188). Cela est inexcusable, selon la demanderesse, qui dit que l’authenticité de ce mariage se situait au cœur même de la décision de la SAI au sujet de la fausse déclaration alléguée et qu’il aurait fallu l’évaluer convenablement.

[75]           La demanderesse critique de plus les constatations de fait de la SAI ainsi que sa conclusion selon laquelle elle était interdite de territoire pour fausses déclarations. En particulier, elle dit que M. Dhaliwal est un menteur dont le témoignage est rempli de contradictions, et qu’il était déraisonnable que la SAI arrive à une conclusion contraire. À cet égard, elle soutient que la conclusion de la SAI selon laquelle M. Dhaliwal avait déclaré à CIC, peu de temps après qu’elle était partie pour l’Inde en 2004, qu’il croyait que la demanderesse ne l’avait épousé que pour obtenir un statut au Canada, est [traduction« carrément fausse ». Elle dit aussi que le témoignage de son ex-époux sur cette déclaration était manifestement mensonger, et que son témoignage selon lequel il ne se trouvait pas au domicile de ses parents le 14 décembre 2003, quand sa sœur à lui s’était disputée avec elle, était contredit par un rapport de police.

[76]           De plus, la demanderesse soutient qu’il était déraisonnable que la SAI croie un homme qui avait présenté une demande en vue de parrainer son épouse en juillet 2001, qui avait porté en appel le refus de la demande de résidence permanente de son épouse en mai 2002, qui avait payé le billet d’avion de son épouse pour qu’elle se rende au Canada en juillet 2003 et qui avait ensuite prétendu qu’ils s’étaient séparés le 28 février 2001, dans sa requête en divorce présentée à la CSCB. Elle a ajouté que, si tel était le cas, la SAI aurait donc dû conclure que M. Dhaliwal avait menti en vue d’obtenir gain de cause dans son appel en 2002 et qu’il était déraisonnable de se fier néanmoins à son témoignage.

[77]           La demanderesse dit aussi qu’il était déraisonnable que la SAI décide que la demanderesse savait avant octobre 2006 qu’elle était divorcée. Selon elle, cela reposait sur des conclusions d’invraisemblance au sujet de la conduite de la demanderesse, des conclusions qui étaient déraisonnablement fondées sur les idées préconçues de la SAI à propos de [traduction« l’épouse canadienne ordinaire caractéristique » (citant Mann c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1479, 33 Imm LR (3d) 282). Elle soutient qu’il s’agissait là d’une erreur car elle était une [traduction« jeune fille indienne traditionnelle et timide », mariée à un époux dominateur dont elle dépendait entièrement. Il était donc illogique, soutient-elle, que la SAI conclue qu’une personne ayant sa personnalité dise à son époux [traduction« [d’]aller au diable » dès son arrivée au Canada, même si elle n’était pas en mesure de subvenir à ses propres besoins dans un pays étranger. De plus, demande-t-elle, pourquoi M. Dhaliwal l’aurait-il installée chez ses parents pour six mois si c’était ainsi qu’elle l’avait accueilli? En outre, ajoute-t-elle, si la SAI croyait son ex-époux, elle aurait dû souscrire à son témoignage selon lequel il avait toujours prétendu à ses parents que tout allait bien dans le couple. Il n’aurait donc pas été exagéré de croire qu’il poursuivrait cette mascarade pendant qu’elle se trouvait en Inde.

[78]           Par ailleurs, dit la demanderesse, sa conduite a toujours concordé avec sa personnalité et la culture dont elle est issue. Elle n’a jamais nié qu’on lui a signifié les documents de divorce, mais elle a témoigné que son époux les lui avait aussitôt enlevés des mains. La demanderesse soutient que même si elle avait été au courant de l’action, il était déraisonnable de la part de la SAI de s’attendre à ce qu’une personne ayant un profil comme le sien la conteste rapidement. Pour les mêmes raisons, dit-elle, on ne pouvait pas s’attendre à ce qu’elle tente de trouver son époux ou qu’elle signale son absence quand il avait disparu, car elle était triste et savait par d’autres sources qu’il allait toujours bien.

2)                  Les arguments du défendeur

[79]           Le défendeur soutient que l’affaire repose essentiellement sur les dires de l’un et de l’autre, et que ce fait se situe au cœur de la décision de la SAI. Pour cette raison, le [traduction« panier de choix de résultats » dont dispose la SAI est ici de plus grande taille. Les conclusions de fait de la SAI, selon le défendeur, appellent un degré de retenue supérieur.

[80]           À cet égard, le défendeur dit que la SAI a traité les éléments de preuve de manière raisonnable. Même si la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Sellan, a conclu qu’un manque de crédibilité ne porte pas nécessairement un coup fatal à une demande d’asile, cette affaire-là ne s’applique pas au litige dont il est question en l’espèce, où les enjeux sont d’un degré nettement inférieur. Quoiqu’il en soit, la preuve utilisée pour duper la SAI en 2002 n’était ni indépendante ni crédible car elle avait été produite et soumise par la demanderesse elle-même en vue de démontrer l’authenticité d’un mariage que l’on sait maintenant frauduleux à cause d’autres éléments de preuve. Le défendeur fait donc valoir que l’on n’a pas fait abstraction de la preuve; celle-ci a tout simplement été éclipsée et rendue inopérante par la découverte de la malhonnêteté et des manigances de la demanderesse.

[81]           Le défendeur rejette également l’argument voulant que la SAI ait confondu les questions de savoir, d’une part, si la demanderesse était interdite de territoire en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la Loi pour fausses déclarations et, d’autre part, si son mariage était authentique aux termes de l’article 4 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement]. Premièrement, le défendeur indique que l’arrêt Ouk est désuet parce qu’il applique de la jurisprudence qui date d’avant la modification de l’article 4 du Règlement. Deuxièmement, soutient-il, il ressort d’une lecture objective de la décision que la SAI a appliqué un critère à deux volets, en évaluant d’abord si le mariage n’était pas de bonne foi avant de décider si cette absence de bonne foi avait été cachée aux autorités.

[82]           Le défendeur fait valoir également qu’il n’est pas nécessaire de passer au peigne fin les facteurs énoncés dans la décision Khera. À son avis, dans cette dernière, le juge Luc Martineau disait simplement que les facteurs qu’il énumérait étaient pertinents dans cette affaire, et jamais il n’a voulu qu’ils soient exclusifs ou exhaustifs.

[83]           Le défendeur défend aussi les conclusions de fait de la SAI, disant qu’il était raisonnable que celle-ci privilégie le témoignage de M. Dhaliwal plutôt que celui de la demanderesse. La date à laquelle il a signalé le mariage factice à CIC était peu importante pour la décision de la SAI, et le défendeur soutient que la crédibilité de M. Dhaliwal ne peut pas être minée par le fait qu’il a parrainé la demanderesse parce qu’il a été amené par duperie à conclure le mariage de convenance. En outre, le rapport de police ne contredit pas le récit de son ex-époux, puisque ce dernier n’a jamais nié qu’il était présent à la maison quand la police s’était présentée; il a seulement dit qu’il était arrivé par la suite.

[84]           Enfin, le défendeur déclare qu’il était raisonnable que la SAI trouve invraisemblable la prétention de la demanderesse selon laquelle elle n’était pas au courant du divorce, et que les arguments contraires de cette dernière n’étaient que de simples affirmations.

3)                  L’analyse

a)                  L’omission alléguée de prendre en considération des éléments de preuve indépendants

[85]           Dans l’arrêt Sellan, la Cour d’appel a déclaré (au paragraphe 3) : « lorsque la Commission tire une conclusion générale selon laquelle le demandeur manque de crédibilité, cette conclusion suffit pour rejeter la demande, à moins que le dossier ne comporte une preuve documentaire indépendante et crédible permettant d’étayer une décision favorable au demandeur ». Le défendeur soutient qu’il ne faudrait pas assimiler « automatiquement » à la situation dont il est question en l’espèce les décisions rendues sur les demandes d’asile.

[86]           La tentative que fait le défendeur pour établir une distinction entre la présente espèce et l’arrêt Sellan est mal fondée. Cet arrêt ne crée pas une règle juridique spéciale pour les demandes d’asile. Il s’agit plutôt d’une question de simple logique : une preuve non fiable que l’on produit pour une demande ne neutralise pas une preuve indépendante qui s’applique à la même demande, et on ne prouve pas qu’un argument est faut juste parce qu’une partie de la preuve avancée à l’appui de cette demande ne peut pas montrer à elle seule que celle-ci est véridique. Disons, pour simplifier les choses, que le fait de considérer avec méfiance les cris de panique d’un garçon qui crie au loup ne permet pas de faire abstraction des images, prises par une caméra de sécurité, d’un loup le pourchassant. Ce principe n’est le fruit d’aucune considération spéciale concernant la protection des réfugiés; il s’applique à n’importe quel processus de recherche de la vérité.

[87]           Cependant, la demanderesse a tort d’affirmer que la SAI a fait abstraction des [traduction« lettres, photographies, factures du téléphone, affidavits, timbres postaux, cartes d’invitation à un mariage et lettres personnelles » qui ont été produites à l’appui de l’appel interjeté devant la SAI en 2002. Au contraire, tous ces éléments de preuve concordent parfaitement avec la conclusion de la SAI selon laquelle la demanderesse a amené par duperie M. Dhaliwal à l’épouser afin qu’elle puisse venir au Canada et poursuivre la mascarade jusqu’à ce qu’elle soit admise au pays.

[88]           Quant à l’insistance avec laquelle la demanderesse soutient que [traduction« la date de séparation la plus rapprochée ne peut être que le 28 juillet 2003 », cela confirme implicitement que les conjoints ne peuvent pas être légalement séparés avant que l’un des deux fasse savoir à l’autre qu’il veut divorcer. La demanderesse ne cite aucune source à l’appui de cette conviction, et celle-ci est contraire à l’alinéa 8(3)a) de la Loi sur le divorce, LRC 1985, c 3 (2e suppl.), qui dit que « les époux sont réputés avoir vécu séparément pendant toute période de vie séparée au cours de laquelle l’un d’eux avait effectivement l’intention de vivre ainsi » [non souligné dans l’original]. Quand la CSCB a examiné cette question en 2013, elle a confirmé que si la demanderesse dupait M. Dhaliwal depuis le début, cela veut dire qu’il [traduction« existait des motifs de divorce en 2003 » puisque la demanderesse avait formé l’intention de se séparer de son époux plus d’un an avant que le divorce soit accordé » (Dhaliwal (CSCB), au paragraphe 19).

b)                  Des questions distinctes

[89]           La demanderesse fait valoir que la SAI se devait d’évaluer l’authenticité de son mariage séparément de la question de savoir si elle avait déclaré faussement qu’il était authentique. À l’appui de ses dires, elle invoque la décision Ouk, dans laquelle le juge Richard Mosley a déclaré : « [l]e tribunal d’appel pouvait conclure que la personne parrainée était interdite de territoire pour fausses déclarations suivant l’article 40 de la Loi ou que le mariage n’était pas authentique, mais ces deux questions doivent demeurer clairement séparées » (Ouk, au paragraphe 17 [souligné dans l’original]).

[90]           La demanderesse soutient que, dans l’un des passages introductifs de sa décision, la SAI commet cette erreur. Au paragraphe 14, la SAI a résumé brièvement ses conclusions, comme suit :

La preuve dont je dispose m’incite à conclure que [la demanderesse] n’avait pas l’intention de vivre avec son répondant dans une relation de mari et femme lorsqu’elle est venue au Canada 2003. Étant donné que cette information n’a pas été déclarée au bureau des visas ni à l’agent d’immigration au point d’entrée, je conclus que l’alinéa 40(1)a) de la [Loi] s’applique en l’espèce.

[91]           Le défendeur souligne à juste titre que l’analyse est séparée plus clairement dans le corps de la décision, mais même le résumé qui précède ne révèle aucune erreur. Ayant conclu que la demanderesse n’avait pas l’intention de vivre avec M. Dhaliwal comme son épouse quand elle est arrivée au Canada, il était raisonnable de la part de la SAI de conclure que la demanderesse avait donc « fait une présentation erronée sur un fait important quand à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui [avait] entraîné ou aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la LIPR » (Loi, alinéa 40(1)a)). Il était également raisonnable que la SAI conclue, au paragraphe 41 de sa décision, que « sans sa fausse déclaration, elle n’aurait pu se voir accorder un statut au Canada à titre d’épouse de son répondant ».

[92]           La décision Ouk n’est d’aucune utilité à la demanderesse et n’a pas d’incidence marquée sur la situation dont il est question en l’espèce. Dans cette affaire, la SAI avait décidé que le mariage n’était pas authentique parce que la demanderesse et son répondant n’avaient pas révélé qu’ils vivaient avec la demi-sœur du répondant. Dans Ouk, le juge Mosley a infirmé la décision parce que, même s’il s’agissait peut-être bien d’une fausse déclaration, celle-ci ne mettait pas en doute l’authenticité du mariage et la SAI n’avait jamais réellement conclu que la demanderesse était interdite de territoire pour fausse déclaration.

[93]           Une affaire nettement plus pertinente est Peirovdinnabi, où la Cour d’appel fédérale a déclaré (au paragraphe 26) : [traduction« une personne qui présente une demande de prestations sous le régime de la Loi à titre d’époux ou épouse fait une fausse déclaration si son mariage n’est pas authentique, en ce sens que ce mariage a été conclu dans le but d’obtenir un avantage sous le régime de la Loi ». Ce commentaire pourrait également s’appliquer à la conclusion selon laquelle la demanderesse n’a jamais eu l’intention de vivre avec son répondant au Canada en tant que son épouse. Quand une prétention si essentielle à la demande se révèle fausse, on conclut presque automatiquement à l’interdiction de territoire pour fausse déclaration. Il n’est guère utile de mener des examens distincts.

c)                  L’omission alléguée d’évaluer l’authenticité du mariage

[94]           La demanderesse dit que la SAI a commis une erreur en concluant que son mariage n’était pas authentique sans évaluer les facteurs énoncés dans la décision Khera. Cependant, il n’est pas obligatoire de le faire dans tous les cas. Dans la décision Stuart c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1139, au paragraphe 24, le juge Noël a résumé en ces termes le droit applicable :

[C]ette Cour a déjà noté qu’il n’existe pas de test précis pour établir le caractère authentique d’un mariage (Zheng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 432 au para 23, 388 FTR 61). Dans Khera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2007 CF 632 au para 10, [2007] WDFL 3916, cette Cour a validé l’approche de la SAI selon laquelle les facteurs tels que la durée de la relation des époux, la différence d’âge, leur situation financière et d’emploi, leur connaissance respective du passé de l’autre, leur langue, leurs intérêts et le fait que certains membres de la famille de l’épouse habitent au Canada sont pertinents pour déterminer l’authenticité d’un mariage. Le critère qui doit guider la SAI dans son analyse des faits et de la preuve est donc la pertinence et il lui est loisible de prendre en considération tous les éléments qu’elle juge pertinents.

[Non souligné dans l’original.]

[95]           La fausse déclaration que la SAI a relevée était que la demanderesse, à son arrivée au Canada, avait omis de révéler à CIC qu’elle n’avait pas l’intention de vivre avec M. Dhaliwal dans le cadre d’une relation conjugale. Cette conclusion et les constatations de fait qui la sous‑tendent ont été amplement étayées par le témoignage de M. Dhaliwal, qui a déclaré :

[traduction
AVOCATE [DE LA DEMANDERESSE] : Et quand est-ce que… Vous avez déclaré que Harpreet vous a dit qu’elle avait un petit ami en Inde et qu’elle n’allait pas vivre avec vous, qu’elle n’avait pas l’intention de (inaudible); quand vous l’a-t-elle dit, monsieur?

M. DHALIWAL : À l’aéroport même.

[…]

AVOCATE [DE LA DEMANDERESSE] : Donc, dites-moi exactement qu’est-ce qu’elle… qu’est-ce qu’elle vous a dit?

M. DHALIWAL : Elle m’a dit qu’elle ne voulait pas vivre avec moi, qu’elle avait un petit ami en Inde, c’est tout. (inaudible) pas divorcer, elle fera de ma vie un enfer, elle démolira le nom de ma famille en (inaudible).

[96]           Si M. Dhaliwal est digne de foi, c’est donc dire que la conclusion selon laquelle la demanderesse n’a jamais eu l’intention de vivre avec lui en tant qu’épouse découle forcément de son témoignage, et qu’il aurait été impossible de la modifier en évaluant des facteurs tels que la différence d’âge entre la demanderesse et M. Dhaliwal ou leur situation financière respective. Il était donc raisonnable que la SAI ne considère pas ces facteurs comme pertinents.

d)                 Les erreurs de fait alléguées

[97]           La demanderesse a dit que l’une des conclusions [traduction« les plus inexactes » de la SAI est la déclaration selon laquelle « [a]près qu’elle est retournée en Inde en janvier 2004, M. Dhaliwal a avisé Citoyenneté et Immigration Canada qu’il croyait qu’elle ne l’avait épousé que pour obtenir un statut au Canada ». Elle soutient que c’était en réalité avant son départ pour l’Inde, et les notes non datées du SSOBL étayent cette prétention de manière quelque peu ambigüe. Mais ce détail importe peu. Bien que la SAI en ait fait mention quand elle a résumé la version des faits de M. Dhaliwal, toute erreur de date ne met pas en doute sa crédibilité car il a dit qu’il ne se souvenait pas du moment où il avait communiqué avec CIC.

[98]           La seule autre contradiction alléguée est que M. Dhaliwal a déclaré qu’il ne se trouvait pas au domicile de ses parents quand sa sœur s’était disputée avec la demanderesse et que l’on avait appelé la police. Il a déclaré qu’il n’était arrivé que dans la soirée, alors que les notes de l’agent de police indiquent que M. Dhaliwal se trouvait sur les lieux quand l’agent avait quitté la maison, à 14 h 23. Dans la meilleure des hypothèses, cela montre que M. Dhaliwal s’est trompé à propos de l’heure de la journée à laquelle il était arrivé au domicile de ses parents après un incident qui était survenu environ dix ans plus tôt. Cela ne porte pas un coup fatal à sa crédibilité.

[99]           La demanderesse a également soutenu qu’il était déraisonnable que la SAI croie un homme qui s’était efforcé de la faire venir au Canada jusqu’au mois de juillet 2003 au moins, et qui avait pourtant fait état d’une date de séparation en février 2001, au moment de demander le divorce. Cependant, comme il a été mentionné plus tôt, la CSCB a conclu que le fait d’indiquer cette date de séparation n’avait rien de répréhensible si la version des faits de M. Dhaliwal était véridique (Dhaliwal (CSCB), au paragraphe 19). De plus, comme la SAI a jugé que la demanderesse avait dupé M. Dhaliwal jusqu’à son arrivée au Canada en juillet 2003, on ne pouvait pas lui reprocher les mesures qu’il avait prises pour tenter de la faire venir ici. Dans ce contexte, il était raisonnable que la SAI ne tire pas d’inférences défavorables.

[100]       Les autres arguments qu’invoque la demanderesse contestent les conclusions de vraisemblance de la SAI, mais ils reposent entièrement sur les affirmations selon lesquelles la demanderesse est une [traduction« épouse indienne peu instruite, timide et traditionnelle » et que M. Dhaliwal était un époux dominateur. Il s’agit là d’un raisonnement circulaire : la demanderesse adopte comme prémisse la conclusion en faveur de laquelle elle plaide. La SAI était en droit d’évaluer la vraisemblance du témoignage de la demanderesse et de M. Dhaliwal à la lumière de ses propres impressions sur les deux en tant que témoins. Dans quelques passages clés de ses motifs, la SAI explique de manière cohérente pourquoi elle a préféré le témoignage de M. Dhaliwal :

[17]      […] l’appelante n’est pas un témoin crédible. Son témoignage à l’égard de certains points était contradictoire et celui au sujet de l’échec de sa relation avec M. Dhaliwal était, à mon avis, tout à fait invraisemblable.

[18]      En revanche, j’estime que le témoignage de M. Dhaliwal est crédible. M. Dhaliwal s’est présenté comme un témoin direct et fiable, et sa crédibilité n’a pas été minée de quelque façon importante que ce soit. […]

[…]

[31]      Je conclus que le témoignage de l’appelante sur ces questions [c.-à-d., sur le moment où elle a pris connaissance du divorce] n’était aucunement crédible. Il est totalement invraisemblable qu’une femme qui croyait être dans une relation matrimoniale authentique et stable perde tout contact avec son époux et ne prenne aucune mesure concrète pour le trouver, outre le fait d’essayer de l’appeler à quelques reprises. Les mesures qu’elle a prises ressemblent davantage à celles d’une personne qui était au courant du fait qu’une procédure en divorce avait été engagée en août 2003. En effet, je suis convaincu qu’il est plus probable que le contraire que les documents ont été signifiés correctement à l’appelante et qu’elle était en mesure d’en comprendre le contenu. Le fait qu’elle ait communiqué avec un conseil à l’automne 2006 pour qu’il effectue des recherches dans le registre des divorces découlait, dans les circonstances de l’espèce, plus probablement du fait qu’elle cherchait à obtenir une copie de l’ordonnance de divorce afin de pouvoir se remarier, ce qu’elle a fait quelques mois plus tard.

[32]      Le témoignage de M. Dhaliwal, en revanche, n’était pas en soi incohérent ou invraisemblable. Il a soutenu que l’appelante avait exprimé le souhait de mettre fin à leur mariage dès qu’elle est arrivée au Canada. Parce qu’il était responsable d’elle, non seulement aux yeux des membres de leur communauté, mais en raison de l’engagement qu’il avait pris auprès de Citoyenneté et Immigration Canada, il a accepté que l’appelante cohabite avec ses parents pendant qu’il emménageait dans les locaux de son entreprise. M. Dhaliwal a entamé une procédure en divorce à la demande de l’appelante un mois après qu’elle a obtenu le droit d’établissement, et les documents de divorce indiquent clairement qu’il ne vivait pas à la même adresse que l’appelante. À un certain moment après qu’elle est retournée en Inde en janvier 2004, M. Dhaliwal a avisé Citoyenneté et Immigration Canada qu’il croyait que l’appelante ne l’avait épousé que pour obtenir un statut au Canada. Le témoignage de M. Dhaliwal selon lequel ils n’ont pas du tout été en contact après que l’appelante soit retournée en Inde est plus sensé que l’allégation de l’appelante selon laquelle M. Dhaliwal a gardé le contact avec elle comme si leur union durait toujours et que tout était formidable.

 [Renvois omis.]

[101]       On peut comprendre pourquoi la SAI a tiré ces conclusions, et celles-ci peuvent se justifier au regard des faits et du droit (Newfoundland Nurses, au paragraphe 16). Cela étant, elles commandent la retenue et il n’y a pas lieu d’intervenir en vertu de l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7.

E.                 La SAI a-t-elle refusé sans droit d’accorder la prise de mesures spéciales pour des motifs d’ordre humanitaire?

1)                  Les arguments de la demanderesse

[102]       La demanderesse soutient que la SAI a refusé déraisonnablement d’accorder la prise de mesures spéciales pour motifs d’ordre humanitaire. Elle dit que la SAI a omis d’évaluer chaque facteur indépendamment des autres (citant Jiang c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CF 413, au paragraphe 10, 17 Imm LR (4th) 219 [Jiang]), et qu’elle a fondé son analyse relative à l’intérêt supérieur des enfants sur l’hypothèse non fondée que ces derniers bénéficieraient en Inde d’un soutien familial important.

2)                  Les arguments du défendeur

[103]       Le défendeur déclare que la conclusion de la SAI selon laquelle la demanderesse ne méritait pas de mesures spéciales appartient clairement aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Il allègue que la fausse déclaration de la demanderesse a été planifiée dès le départ et qu’il s’agit de la seule raison pour laquelle elle a obtenu un statut sous le régime de la Loi. De plus, son établissement n’a été que légèrement positif, toute dislocation familiale en cas de renvoi serait minime et la preuve étayait la conclusion de la SAI selon laquelle les enfants de la demanderesse bénéficieraient du soutien de leurs parents et de leur famille élargie en Inde. Par ailleurs, la demanderesse n’a affiché aucun remords au sujet de sa fausse déclaration. Le défendeur soutient que la SAI n’a rien fait d’erroné ici, étant donné qu’une fausse déclaration grave peut atténuer le poids favorable que l’on pourrait accorder à des facteurs relatifs aux difficultés ou à l’établissement au moment d’évaluer les motifs d’ordre humanitaire étayant la prise de mesures spéciales.

3)                  L’analyse

[104]       Quand elle a examiné s’il y avait lieu de prendre des mesures spéciales pour motifs d’ordre humanitaire, la SAI a formulé les six facteurs énoncés dans la décision Ribic, tout en les rajustant légèrement parce qu’il n’y avait pas de criminalité en cause. La SAI a donc évalué les facteurs sous les rubriques suivantes : a) les fausses déclarations et les remords, b) l’établissement, c) les bouleversements que vivrait la famille, d) l’appui dont l’appelante bénéficierait et e) les difficultés.

[105]       La demanderesse se plaint du fait que la SAI a compté sa fausse déclaration deux fois contre elle. Premièrement, la SAI a déclaré que cette déclaration était un facteur négatif, et elle a ensuite réduit le poids positif du facteur des difficultés, en partie parce que le fait de vendre sa maison et de quitter son emploi « ne constitue pas un préjudice indu ou démesuré, particulièrement étant donné qu’elle n’a pu faire l’acquisition de sa maison et trouver un emploi que grâce au statut de résident permanent qu’elle a obtenu en faisant une fausse déclaration ». Selon la demanderesse, ce genre d’inscription en double d’une fausse déclaration a été interdite dans la décision Jiang, au paragraphe 11.

[106]       Cependant, l’évaluation des facteurs énoncés dans la décision Ribic n’est pas un exercice quantitatif ou de mesure; il ne s’agit pas simplement d’additionner les facteurs positifs et de soustraire ceux qui sont négatifs. Il s’agit plutôt d’une évaluation qualitative ou relative, et la SAI « a toute latitude pour évaluer chaque facteur et il lui est donc loisible de n’accorder aucun poids à un facteur déterminé selon les circonstances » (Ambat c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 292, au paragraphe 32, 386 FTR 85).

[107]       Cela consiste naturellement à comparer les facteurs les uns aux autres, et la demanderesse n’a pas contesté sérieusement le raisonnement que la SAI a suivi pour décider que la fausse déclaration avait plus de poids que les difficultés. Comme l’a déclaré le juge Mosley à propos d’une demande présentée en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi, « [l]es fausses déclarations […] soulèvent des questions d’intérêt public touchant l’intégrité du système d’immigration » et « ces demandes ne sauraient toutes obtenir une dispense spéciale, en dépit de la séparation familiale et des difficultés qui en résultent puisque cela enlèverait toute signification au Règlement » (Kisana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 307, au paragraphe 32, conf. par 2009 CAF 189, au paragraphe 27, [2010] 1 RCF 360). Le fait que la demanderesse puisse perdre certains des avantages qu’elle a tirés du fait de duper son ex-mari et d’induire en erreur les autorités de l’immigration n’appelle pas exactement la prise de mesures spéciales pour motifs d’ordre humanitaire.

[108]       C’est donc dire que l’argument de la demanderesse se réduit simplement au fait que la SAI a effectué le processus d’évaluation trop tôt dans son raisonnement. Mais le fait d’infirmer la décision juste parce que la SAI a fait une partie de son analyse d’évaluation sous la mauvaise rubrique ressemble au genre de « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » que la Cour suprême a critiquée dans l’arrêt Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, auparagraphe 54, [2013] 2 RCS 458). Dans la mesure où on ne peut pas distinguer la décision Jiang de la présente espèce, je m’abstiens de la suivre.

[109]       La demanderesse s’oppose également à un des éléments de l’analyse de la SAI à propos de l’intérêt supérieur des enfants. Plus précisément, soutient-elle, dire que les enfants bénéficieraient d’un « important soutien de la part des membres de la famille » en Inde n’était qu’une conjecture. Comme le fait remarquer le défendeur, les enfants seraient probablement accompagnés de leurs deux parents. Il est raisonnable de qualifier d’important le soutien que procurent deux parents aimants. En outre, la demanderesse n’a fourni aucune preuve dénotant que sa famille élargie ou celle de son nouvel époux en Inde ne les soutiendrait pas.

V.                Conclusion

[110]       Je rejette les demandes présentées dans les dossiers de la Cour portant les numéros IMM‑1478-14, IMM-3931-13 et IMM‑3932-13. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et aucune ne sera donc certifiée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que les demandes de contrôle judiciaire présentées dans les dossiers de la Cour portant les numéros IMM‑1478-14, IMM-3931-13 et IMM‑3932-13 soient toutes rejetées.

« Keith M. Boswell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

IMM-1478-14, IMM-3931-13 et IMM-3932-13

 

INTITULÉ :

HARPREET KAUR DHALIWAL c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 octobre 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 FÉVRIER 2015

 

COMPARUTIONS :

J.S. Mangat

 

POUR LA demanderesse

 

Stephen Jarvis

 

POUR LE défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mangat Law Professional Corporation

Mississauga (Ontario)

 

pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE défendeur

 

 

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