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Date : 20150119


Dossier : IMM-5270-13

Référence : 2015 CF 65

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 19 janvier 2015

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

DONNA DENIS

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision défavorable (la décision) qui a été rendue par une agente (l’agente) de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) à l’égard de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire de la demanderesse en date du 7 juin 2013. La demande est présentée en vertu de l’article 72.1 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2]               La demanderesse est une citoyenne de 32 ans de Sainte‑Lucie qui est arrivée au Canada le 15 juin 2003, à l’âge de 22 ans. Elle habite maintenant au Canada depuis plus de 11 ans. Elle n’avait aucun statut dans ce pays avant qu’elle demande l’asile le 26 avril 2011. La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a instruit sa demande d’asile le 31 octobre 2011 et l’a rejetée le 5 janvier 2012. La demanderesse a ensuite présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR), qui a été rejetée le 5 juin 2013, soit deux jours avant que la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en cause en l’espèce soit rejetée (dossier certifié du tribunal [DCT], pages 110 et 111).

[3]               Le 26 novembre 2013, la demanderesse a reçu une convocation lui enjoignant de se présenter à un certain endroit en vue d’être renvoyée. Une demande de report présentée le 16 décembre 2013 a été rejetée le 27 décembre 2013. Le renvoi de la famille a été fixé au 2 janvier 2014 et un sursis d’urgence a été demandé à la Cour. Le 31 décembre 2013, le juge Zinn a sursis au renvoi, de sorte que la demanderesse est demeurée au Canada avec ses deux enfants en attendant l’issue de la présente demande.

[4]               Malgré les antécédents défavorables de la demanderesse en matière d’immigration, qui ont amené l’agente à écrire que la demanderesse [traduction« a fait fi des lois canadiennes relatives à l’immigration », la décision comporte deux conclusions injustifiables, à savoir le fait que l’agente n’a pas tenu compte : (i) de la preuve relative à l’orientation sexuelle de la demanderesse et (ii) d’une analyse appropriée de l’intérêt supérieur des deux jeunes enfants de la demanderesse nées au Canada. En conséquence, je dois renvoyer l’affaire pour que les motifs d’ordre humanitaire fassent l’objet d’un nouvel examen tenant compte de ce qui suit.

I.                   Contexte

[5]               Les observations d’ordre humanitaire de la demanderesse, qui sont datées du 17 mai 2012, reposaient sur les trois principales prétentions exposées ci‑dessous.

(i)         Agression sexuelle

[6]               La demanderesse a été violée à répétition par son oncle, de l’âge de 16 ans jusqu’à son départ de Sainte‑Lucie pour le Canada.

[7]               La SPR n’avait aucun doute quant à la crédibilité, affirmant :

Il n’y avait pas de différences importantes entre le témoignage de la demandeure d’asile et ses exposés circonstanciés à propos du fait qu’elle a été violée à répétition par son oncle alors qu’elle était adolescente et jeune adulte à Sainte‑Lucie.

[…]

En ce qui a trait à l’ensemble de la preuve, le tribunal est convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que la demandeure d’asile a été agressée sexuellement par son oncle à Sainte‑Lucie alors qu’elle était adolescente et jeune adulte.

(Décision de la SPR, aux paragraphes 9 et 16)

[8]               Dans une déclaration sous serment qu’elle a produite, la demanderesse affirme que la maison de ses parents, où elle aurait pu retourner, a été détruite lors d’un ouragan et que ses parents ont dû aller vivre chez sa grand‑mère, où habite aussi l’oncle qui l’a agressée. La demanderesse craint les conséquences de son déménagement à cet endroit avec ses filles.

(ii)        Orientation sexuelle

[9]               La demanderesse prétend être bisexuelle et elle craint que ses activités lesbiennes suscitent l’hostilité à Sainte‑Lucie, où l’homosexualité masculine est illégale et où une grande partie de la population est violemment anti‑homosexuelle, à l’égard des gays comme des lesbiennes.

[10]           À ce sujet, la SPR a conclu au paragraphe 19 de sa décision qu’« [a]ucune lettre ni aucun affidavit provenant des femmes avec lesquelles la demandeure d’asile aurait eu des relations sexuelles depuis son arrivée au Canada n’ont été présentés afin de confirmer le témoignage de la demandeure d’asile selon lequel celle‑ci a eu des relations sexuelles avec des femmes et qu’il s’agit de sa préférence actuelle ». Cette femme avec laquelle la demanderesse a eu une liaison, Melissa Joseph, était censée assister à l’audience, mais elle ne s’est pas présentée.

[11]           Toutefois, la demanderesse a produit une déclaration sous serment de Mme Joseph qui renfermait des détails au sujet de leur passé sexuel avant que la décision relative à l’ERAR soit rendue.

[12]           Le 5 juin 2013, l’agente d’ERAR (la même agente qui allait rendre la décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire deux jours plus tard) a fait état de la déclaration sous serment de Melissa Joseph dans la décision relative à l’ERAR :

[traduction] J’ai examiné la déclaration sous serment de Melissa Joseph que la demandeure d’asile a produite. Dans ce document, Melissa Joseph affirme qu’elle a fréquenté la demandeure d’asile pendant six mois en 2007, mais qu’elles ont rompu lorsque cette dernière a décidé d’entretenir une relation avec un homme. Melissa Joseph affirme qu’elle n’a plus eu de rapport avec la demandeure d’asile jusqu’à ce qu’elle la voie au parc Downsview en juillet 2012. Melissa Joseph affirme qu’elle et la demandeure d’asile ont alors recommencé à se fréquenter et qu’elles sont ensemble actuellement.

Je constate que la déclaration sous serment de Melissa Joseph est le seul document qui a été produit, outre les propres déclarations de la demandeure d’asile, pour établir que celle‑ci est bisexuelle.

(Décision relative à l’ERAR, à la page 6)

[13]           L’agente de CIC a conclu dans la décision relative à l’ERAR que cette preuve en soi était insuffisante pour conclure que la demanderesse courrait un risque à Sainte‑Lucie en raison de son orientation sexuelle.

[14]           Le 7 juin 2013, la même agente a rejeté la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, soulignant ce qui suit :

[traduction] Je constate que la demandeure d’asile a produit peu de documents au soutien de ses déclarations selon lesquelles elle a eu des relations avec d’autres femmes ou qu’elle est ou serait perçue comme une personne appartenant aux GLBT. Aucun document comme des lettres ou des courriels d’anciennes partenaires ou de partenaires actuelles de la demandeure d’asile, à Sainte‑Lucie ou au Canada, n’a été produit.

[Non souligné dans l’original.] (Décision, DCT, à la page 9)

(iii)       Intérêt supérieur des enfants

[15]           L’agente a analysé l’intérêt supérieur des enfants du point de vue de la demanderesse. Elle a examiné le fait que celle‑ci réussirait probablement à se trouver un emploi à Sainte‑Lucie – et à être ainsi plus en mesure d’offrir un foyer stable à ses filles – et le fait qu’un certain nombre de programmes d’aide sociale existaient à Sainte‑Lucie. Elle a conclu que la demanderesse pourrait tenir ses enfants éloignées de son oncle à Sainte‑Lucie et que, de toute façon, les femmes victimes de violence familiale disposent de recours qu’elle et ses filles pourraient exercer si l’oncle causait éventuellement des problèmes.

II.                Questions en litige

[16]           Trois questions ont été soulevées en l’espèce :

1.                  l’interprétation erronée de la preuve;

2.                  l’examen inadéquat de l’intérêt supérieur des enfants;

3.                  l’omission de tenir compte d’éléments de preuve importants.

III.             Analyse

A.                Interprétation erronée de la preuve

[17]           La demanderesse a fait valoir que l’agente avait commis une erreur en considérant le viol comme de la violence familiale plutôt que comme une agression sexuelle et en tenant compte de la preuve démontrant que les femmes victimes de violence familiale ont accès à de l’aide.

[18]           Le défendeur a répondu que la demanderesse avait elle‑même parlé de violence familiale dans divers documents et observations transmis au gouvernement et fait référence aux passages des documents sur les conditions existant à Sainte‑Lucie qui traitaient de ce sujet.

[19]           Cette question n’a pas été abordée à l’audience, car l’avocat a parlé de violence familiale pour désigner le viol dans les observations relatives aux motifs d’ordre humanitaire. La question doit néanmoins être prise en compte dans le cadre de l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants, ci‑dessous.

B.                 Intérêt supérieur des enfants

[20]           La demanderesse soutient que l’agente n’a pas pris en considération le fait que la preuve dont elle disposait démontrait que les deux enfants nées au Canada devraient déménager dans un environnement où régnait la violence familiale, à savoir la maison où l’ancien agresseur de leur mère habitait. Elle affirme que l’agente (i) n’a pas examiné l’intérêt supérieur des enfants au regard de la vulnérabilité de ces dernières aux mains d’un prédateur sexuel avec lequel elles allaient vivre et (ii) n’a pas effectué une analyse appropriée de l’intérêt supérieur des deux enfants dans le but de décider si cet intérêt exigeait qu’elles demeurent au Canada ou qu’elles retournent à Sainte‑Lucie. La demanderesse s’appuie sur l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant que j’ai effectuée récemment dans Bautista c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1008 (Bautista).

[21]           Le défendeur répond que l’agente a effectué une analyse complète de l’intérêt supérieur des enfants et que la demanderesse veut simplement que la preuve soit soupesée à nouveau, ce qui n’est pas le rôle de la Cour. Il s’appuie sur Owusu c Canada (MCI), 2004 CAF 38, pour faire valoir que le problème était l’insuffisance de la preuve présentée à l’agente, non le fait que celle‑ci n’en a pas tenu compte. Il prétend, au contraire, que l’agente a été réceptive et attentive à l’intérêt supérieur des enfants lorsqu’elle a conclu qu’il était dans cet intérêt qu’elles demeurent avec leur mère.

[22]           À mon avis, les deux parties ont raison à certains égards. Je conviens avec le défendeur que la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire aurait pu être plus complète si elle avait été fondée sur d’autres éléments de preuve clairement disponibles, notamment des lettres des autorités scolaires et d’autres documents semblables qui avaient été produits au soutien de la demande de sursis instruite par le juge Zinn. D’autres éléments de preuve auraient pu aussi être fournis pour étayer les prétentions relatives à l’intérêt des enfants au Canada.

[23]           Si l’avocat de la demanderesse avait produit tous les éléments de preuve et arguments pertinents concernant l’intérêt supérieur des enfants avec la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire de sa cliente, les affirmations du défendeur concernant l’insuffisance de la preuve auraient eu moins de poids et la question no 3 concernant l’omission de l’agente de prendre en considération la déclaration sous serment produite avec la demande d’ERAR, mais non avec la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, ne se serait pas posée.

[24]           Cela dit, malgré le peu de documents concernant l’intérêt supérieur des enfants qui ont été produits à l’appui de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, j’estime que l’agente n’a pas été suffisamment réceptive et attentive aux difficultés auxquelles seraient confrontées à Sainte‑Lucie les deux enfants nées au Canada. L’agente disposait assurément de faits suffisants pour se pencher sur cette question.

[25]           Comme je l’ai mentionné précédemment, la demanderesse s’appuie sur Bautista. Cette décision était fondée sur l’exigence établie par la Cour suprême du Canada dans Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, à la page 863, selon laquelle les agents doivent être « réceptifs, attentifs et sensibles » à l’intérêt supérieur des enfants lorsqu’ils sont appelés à statuer sur des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire. Dans Bautista, la Cour a aussi passé en revue les directives données par la Cour d’appel fédérale dans des arrêts comme Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475 (Hawthorne), et Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189 (Kisana), voulant que, en l’absence de circonstances exceptionnelles, l’intérêt supérieur de l’enfant penche en faveur du non‑renvoi d’un parent. L’analyse ne s’arrête pas là, toutefois, sinon une telle conclusion serait presque toujours tirée. Comme le juge Décary de la Cour d’appel l’a écrit dans Hawthorne et comme le juge Nadon l’a rappelé dans Kisana, l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas le facteur déterminant ni le seul facteur à prendre en compte. Il s’agit seulement d’un élément de l’analyse qui doit être pris en compte avec les autres motifs d’ordre humanitaire :

[6]        Il est quelque peu superficiel de simplement exiger de l’agente qu’elle décide si l’intérêt supérieur de l’enfant milite en faveur du non-renvoi – c’est un fait qu’on arrivera à une telle conclusion, sauf dans de rares cas inhabituels. En pratique, l’agente est chargée de décider, selon les circonstances de chaque affaire, du degré vraisemblable de difficultés auquel le renvoi d’un parent exposera l’enfant et de pondérer ce degré de difficultés par rapport aux autres facteurs, y compris les considérations d’intérêt public, qui militent en faveur ou à l’encontre du renvoi du parent.

[26]           Il n’y a pas de « formule magique » pour déterminer l’intérêt supérieur de l’enfant ou les répercussions des difficultés associées au renvoi d’un parent sur les autres facteurs d’ordre humanitaire. Cet exercice de mise en équilibre constitue l’essentiel du vaste pouvoir discrétionnaire de l’agent chargé des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire. Ce qui est certain, c’est que l’agent doit procéder à une analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant qui est « bien identifié[e] et défini[e] » afin d’être en mesure de soupeser ce facteur important (mais non déterminant) par rapport aux autres facteurs et de rendre une décision : voir Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, au paragraphe 12.

[27]           Il n’appartient pas à la Cour de trancher une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ou de procéder à une analyse sur le fond de l’exercice de mise en équilibre que l’agent doit effectuer. Il lui appartient en revanche de vérifier que ce facteur d’ordre humanitaire important a été bien identifié et défini du point de vue des filles de la demanderesse. Or, cet exercice n’est pas complet. Le problème que je relève au regard de l’analyse des motifs d’ordre humanitaire en l’espèce n’est pas le fait que l’agente n’a pas du tout pris en considération l’intérêt supérieur des enfants, mais plutôt qu’elle l’a analysé de manière déraisonnable, et ce, pour les motifs qui suivent.

[28]           Même si l’avocat de la demanderesse aurait sans doute pu produire beaucoup plus d’éléments de preuve au soutien du facteur relatif à l’intérêt supérieur des enfants, il a écrit ce qui suit dans la lettre accompagnant la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire :

[traduction] La présence de ses deux filles nées au Canada qu’elle élève seule l’empêche de travailler. Il est clairement dans l’intérêt supérieur de ses enfants, en tant que Canadiennes, de demeurer au Canada. De plus, Mme Denis craint que, si elle retourne à Sainte‑Lucie, ses filles devront faire face aux mêmes problèmes qu’elle lorsqu’elles seront adolescentes ou, pire encore, avant cela. Elle croit fermement que son oncle, qui a près de 40 ans, tentera non seulement de la violer, mais aussi de violer ses filles.

(Observations relatives aux motifs d’ordre humanitaire, DCT, à la page 86)

[29]           Il ne s’agit pas du seul élément de preuve dont l’agente disposait à ce sujet lorsqu’elle a rendu sa décision concernant la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. L’agente disposait aussi de la décision de la SPR, dans laquelle celle‑ci a reconnu que l’oncle de la demanderesse était violent, ainsi que de documents sur les conditions existant à Sainte‑Lucie, où il était question de violence sexuelle, notamment à l’égard des enfants.

[30]           Malgré cette preuve personnelle et cette preuve objective sur le pays, l’agente a décidé que la demanderesse [traduction« n’a pas été en mesure de régulariser son statut en matière d’immigration au Canada » et que ses filles [traduction« sont encore très jeunes et […] dépendent entièrement de la demandeure d’asile. En conséquence, j’estime qu’il serait dans l’intérêt supérieur de Desiree et de Dee de vivre avec la demandeure d’asile à Sainte‑Lucie et de ne pas être séparée d’elle » (décision, à la page 8, non souligné dans l’original).

[31]           Dans son analyse, l’agente suppose que les enfants devraient accompagner leur mère à Sainte‑Lucie, et elle examine la protection et les programmes à la disposition des victimes de violence familiale. Toutefois, les difficultés auxquelles les enfants seraient confrontées en raison de ce déménagement ne sont pas bien identifiées et définies et ne sont pas prises en compte dans cette analyse.

[32]           On ne peut pas tout simplement présumer que les filles de la demanderesse seront en mesure de s’adapter parce qu’elles sont jeunes, en particulier lorsque leur mère a été victime d’agressions sexuelles graves dans le passé et qu’elle a déclaré dans son témoignage que ses filles devront vivre dans la même maison que le prédateur sexuel qui s’en est pris à elle. De plus, les filles de la demanderesse ont toujours vécu au Canada dans un environnement qui semble sûr et sans danger. Il ressort de la preuve que l’endroit où elles vivraient serait complètement différent. De plus, elles ne connaissent pas Sainte‑Lucie.

[33]           Dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants, l’agente mentionne aussi le fait que la demanderesse n’avait pas d’emploi stable au Canada, mais qu’elle travaillait à Sainte‑Lucie lorsqu’elle a quitté ce pays il y a dix ans. Elle fait état de programmes du marché du travail, qui offrent de l’aide en matière d’emploi, en plus de programmes d’aide sociale qui pourraient aider la demanderesse à subvenir aux besoins de ses filles si elle ne trouvait pas d’emploi. À nouveau, cette analyse est axée sur la mère et porte sur la façon dont celle‑ci pourrait se débrouiller. Elle ne s’intéresse pas à la manière dont elle veillera en même temps à l’adaptation de ses filles. Et elle ne traite pas de tous ces facteurs de réinstallation, ou de toutes ces difficultés, du point de vue de celles‑ci.

[34]           L’affaire Diarra c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1228 (Diarra), ressemble quelque peu à l’espèce. Mme Diarra avait deux filles à peu près du même âge que celles de Mme Denis. L’une était citoyenne canadienne, l’autre, citoyenne américaine. De plus, les filles couraient un risque si elles étaient renvoyées avec leur mère en Guinée, le pays natal de celle‑ci, parce que la preuve démontrait que les mutilations génitales étaient extrêmement courantes dans ce pays; elles couraient un risque encore plus grand parce que la famille de leur père était très pratiquante. Le juge Harrington a conclu que l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants n’était pas conforme à l’article 25 de la LIPR et, en conséquence, que la décision n’était pas raisonnable :

4          Si Mme Diarra n’avait pas d’enfant, il va sans dire que cette Cour n’aurait aucune hésitation à rejeter la présente demande. Toutefois, les considérations d’ordre humanitaire doivent être axées sur les deux filles de la demanderesse principale : Félicité, 13 ans, née aux États-Unis et Jeannette, 5 ans, née au Canada. Ni l’une ni l’autre ne peuvent être envoyées en Guinée. Quel genre de vie mènerait alors Félicité si renvoyée aux États-Unis sans sa mère? Et quel genre de vie mènerait Jeannette si elle vivait au Canada sans sa mère?

5          La demanderesse principale soulève sa crainte de la menace d’excision qui plane sur ses deux filles advenant qu’elles se retrouvent en Guinée avec elle. Le décideur en reconnait la possibilité, mais en minimise la gravité, du moins en partie, au motif du manque de crédibilité de Mme Diarra. Elle est musulmane. Elle allègue que son père est un iman radical. Elle a épousé un homme chrétien. Ce mariage cause de grandes difficultés au sein de la famille.

[…]

7          Mme Diarra fait face à un choix impossible – soit qu’elle retourne en Guinée et laisse ses enfants au Canada et aux États‑Unis, ou soit qu’elle les apporte avec elle en Guinée où ses filles risquent l’excision, et où les trois enfants auraient de la difficulté à s’intégrer à une culture qu’ils ne connaissent pas. Il serait raisonnable de conclure, sur la prépondérance des probabilités, que Félicité et Jeannette seront victimes de mutilation génitale féminine si elles accompagnent leur mère en Guinée.

[…]

11        Dans les circonstances, l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants directement touchés n’a pas été faite conformément au paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiées. La décision n’était pas raisonnable.

[35]           En l’espèce, l’agente avait l’obligation d’aller plus loin et d’examiner les conséquences que pourrait avoir sur les filles le fait de vivre éventuellement très près d’un prédateur sexuel à Sainte‑Lucie (voire dans la même maison que lui). À mon avis, l’agente a examiné les difficultés du point de vue de la mère plutôt que de celui des enfants. Elle a écrit :

[traduction] Les observations relatives aux motifs d’ordre humanitaire de la demandeure d’asile indiquent que [les filles] courraient le risque d’être agressées par l’oncle violent de leur mère si elles retournaient à Sainte‑Lucie. Je souligne cependant que je ne dispose d’aucun renseignement indiquant que la demandeure d’asile ne pourrait pas prendre des mesures pour que [ses filles] soient gardées loin de son oncle violent à Sainte‑Lucie. Je souligne également que j’ai conclu précédemment que les femmes victimes de violence familiale ont des recours à Sainte‑Lucie et que ces recours seraient à la disposition de la demandeure d’asile et de ses filles si elles rencontraient des problèmes à Sainte‑Lucie à cause de l’oncle violent de la demandeure d’asile.

(Décision, DCT, à la page 10)

[36]           Le fait d’affirmer simplement que les organismes d’aide sociale peuvent offrir une protection contre un prédateur ne signifie pas, à mon avis, que l’analyse « bien identifié[e] et défini[e] » de l’intérêt supérieur des enfants qui est requise a été effectuée du point de vue des enfants.

[37]           Bien que l’intérêt supérieur des enfants ne soit qu’un des facteurs qui doivent être pris en compte lorsqu’il faut trancher une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et qu’il y a certainement d’autres facteurs importants, il s’agit d’un facteur fondamental dans une affaire qui concerne deux enfants nées au Canada. À mon avis, mettre l’accent sur la question de savoir si les enfants peuvent, en accompagnant leur parent, s’adapter à un pays étranger où il existe un risque crédible de violence sans effectuer une analyse complète de l’intérêt supérieur de ceux‑ci constitue une erreur susceptible de contrôle, tout comme dans Diarra.

C.                 Omission de tenir compte de certains éléments de preuve

[38]           Bien que la conclusion que j’ai tirée relativement à la deuxième question (l’intérêt supérieur des enfants) soit déterminante en ce qui concerne la nécessité de renvoyer l’affaire pour nouvel examen, je formulerai des observations au sujet de la troisième question.

[39]           La demanderesse a reconnu qu’une preuve indépendante de son orientation sexuelle n’avait pas été présentée à la SPR. Cependant, l’agente a analysé minutieusement la déclaration faite sous serment par Mme Joseph dans sa décision relative à l’ERAR. Selon la demanderesse, l’agente a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de cet élément de preuve dans sa décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, alors qu’elle l’avait analysée de manière détaillée dans sa décision relative à l’ERAR pas plus de deux jours plus tôt.

[40]           La demanderesse affirme que ce n’était que pure fiction que l’agente s’appuie sur le fait que la déclaration sous serment n’avait pas été incluse dans la demande d’ERAR qu’elle avait déposée au même bureau en même temps que la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Invoquant des décisions judiciaires, elle a affirmé que l’agente était tenue de prendre en considération la preuve dont elle n’avait pas tenu compte : voir Giron c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 114 (Giron); Sosi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1300, au paragraphe 14 (Sosi).

[41]           Faisant valoir que chaque demande est séparée, le défendeur a affirmé qu’il n’est pas prévu que les agents chargés des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire examinent les observations présentées dans le cadre d’autres demandes en matière d’immigration – une demande d’ERAR en l’espèce – comme la juge Gleason l’a statué dans Cobe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), dossier de la Cour fédérale IMM‑975‑12, décision rendue en date du 13 septembre 2012, aux paragraphes 4 et 5 (Cobe). Selon lui, les tribunaux ont bien établi qu’un agent chargé des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire doit seulement examiner les éléments qui lui sont présentés directement (Owusu, au paragraphe 5).

[42]           Je serais d’accord avec le défendeur, si ce n’était de l’exception limitée que le droit semble reconnaître dans le contexte particulier où la décision relative à l’ERAR et celle concernant la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire sont rendues par le même agent. Dans ces circonstances limitées, le juge Campbell a statué dans Sosi, précitée, que les demandeurs ne devaient pas « soumettre les mêmes documents pour chacune des demandes lorsque celles-ci sont inextricablement liées. En effet, comme l’agent des visas devait rendre les deux décisions, cela est tout à fait inutile » (Sosi, précitée, au paragraphe 15). Dans cette affaire, il ne faisait aucun doute que l’agent des visas avait considéré que les deux demandes étaient inextricablement liées parce que l’analyse des risques effectuée pour des motifs d’ordre humanitaire avait été importée de la décision relative à l’ERAR.

[43]           Le juge O’Reilly a statué au paragraphe 16 de Giron, précitée :

[…] dans des circonstances où l’agent qui statue sur la demande CH a également procédé à l’ERAR, et lorsque cet agent s’appuie sur l’analyse faite dans le cadre de l’ERAR pour trancher la question des difficultés dans la décision CH, l’équité commande que l’agent tienne compte de toutes les observations présentées dans le cadre de la demande d’ERAR.

[44]           La Cour a également examiné le fait que la décision relative à l’ERAR et celle concernant la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire rendues l’une après l’autre dans un court laps de temps par la même agente n’étaient pas fondées sur les mêmes éléments de preuve dans Durrant c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 329  (Durrant). Concluant que l’agente avait commis une erreur dans la deuxième décision (celle relative aux motifs d’ordre humanitaire) rendue le lendemain de la décision relative à l’ERAR, le juge Mandamin écrit :

[21]      Il n’est pas inhabituel qu’un même agent d’immigration se charge aussi bien de l’ERAR que de la demande CH d’un immigrant. Comme ce fut le cas en l’espèce, ces deux examens se sont suivis de près. Idéalement, la connaissance du dossier permet à l’agent de rendre de meilleures décisions. Toutefois, la Cour a parfois exprimé des inquiétudes relativement aux répercussions négatives d’une telle pratique.

[…]

[32]      L’agente ne s’est pas fondée sur la même preuve pour rendre sa décision relative à l’ERAR le 27 juillet 2009 et sa décision sur la demande CH le 28 juillet 2009. Ainsi, elle a évalué le risque dans un cas, mais pas dans l’autre.

[33]      L’agente a pris acte du fait que la demanderesse serait exposée à un risque si elle retournait à SaintVincent, mais elle n’en a pas tenu compte dans son évaluation du préjudice dans le contexte de la demande CH. Au lieu de cela, elle a ostensiblement passé outre aux éléments de preuve relatifs au risque auquel la demanderesse serait exposée, parce que ces éléments étaient disponibles au moment où CIC a demandé à la demanderesse de mettre ses informations à jour. L’agente n’a pas motivé une telle distinction, se contentant de dire qu’elle s’attendait à ce que la demanderesse présente cette information de nouveau si elle était cruciale.

[45]           La situation en cause dans Durrant est analogue à celle de la demanderesse en l’espèce et les faits en cause dans la présente affaire ressemblent davantage à ceux de Giron et de Sosi qu’à ceux de Cobe. Dans cette dernière affaire, la décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire était contestée au motif que l’agent n’avait pas tenu compte des risques auxquels seraient exposés les enfants mineurs. Contrairement à la présente affaire cependant, les arguments relatifs à ces risques n’avaient pas, dans Cobe, été présentés à l’agent chargé de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. La juge Gleason a écrit :

Je ne vois pas le bien-fondé de cette prétention puisqu’il est bien établi qu’il incombe à ceux qui présentent une demande CH de soumettre à l’agent tous les éléments de preuve et les arguments dont ils veulent qu’il tienne compte (voir, par exemple, Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, au paragraphe 5, [2004] 2 RCF 635).

[Non souligné dans l’original.]

[46]           Contrairement à Cobe, la question de l’orientation sexuelle et les risques qui y sont associés ont été abordés dans les observations relatives aux motifs d’ordre humanitaire et ont donc été correctement présentés à l’agente en l’espèce.

[47]           Le défendeur soutient que, selon Cobe et Owusu, il est impossible d’attendre de l’agente chargée de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire qu’elle vérifie le dossier relatif à l’ERAR et elle ne peut se fonder, pour trancher cette demande, que sur l’information contenue dans le dossier de celle‑ci. Or, j’estime que l’exception limitée à cette règle qui est décrite dans Giron, Sosi et Durrant s’applique en l’espèce également. Ainsi, lorsque le même agent statue sur la demande d’ERAR peu de temps avant de statuer sur la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, il doit tenir compte de la preuve relative à la première demande pour trancher la deuxième, car il peut supposer que les mêmes arguments sous‑jacents ont été soulevés dans les deux cas.

[48]           Il faut mentionner que, en l’espèce, l’agente chargée de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a fait référence à la décision relative à l’ERAR dans la décision concernant cette demande qu’elle a rendue le 7 juin 2013. Elle s’est aussi appuyée sur une grande partie des documents sur lesquels elle avait fondé sa décision relative à l’ERAR deux jours plus tôt, le 5 juin 2013. Ces documents comprenaient les sources relatives aux conditions existant dans le pays (rapport du département d’État des États‑Unis et Réponse à une demande d’information de la CISR – quoique la version dont il est question dans la décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire date de 2006‑2009 et celle utilisée dans la décision relative à l’ERAR est une version à jour de 2009‑2012 – mais elle s’est fondée sur les mêmes observations et a tiré les mêmes conclusions sur la protection offerte aux victimes de violence familiale à Sainte‑Lucie).

[49]           L’agente ne peut pas s’appuyer sur certaines parties de la décision relative à l’ERAR qu’elle a rendue auparavant lorsque cela est commode et ne pas tenir compte de la preuve comprise dans la demande d’ERAR lorsque cela ne l’est pas (c.‑à‑d. affirmer qu’il n’y avait aucune preuve relative à la question de l’orientation sexuelle).

[50]           En l’espèce, l’agente qui a rendu la décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a aussi effectué l’ERAR et s’est implicitement appuyée sur celui‑ci pour trancher la question des difficultés relativement à cette demande.

[51]           Comme dans Giron, Sosi et Durrant, l’équité exige que l’agente ait tenu compte du témoignage, sous forme de déclaration sous serment, de la partenaire de même sexe, ce qu’elle n’a pas fait. Si l’agente n’avait rien dit au sujet de la preuve dont elle avait tenu compte relativement à la question liée aux GLBT, il aurait été possible de présumer qu’elle avait tenu compte de l’ensemble de la preuve. Or, comme elle a déclaré qu’[traduction« [a]ucun document comme des lettres ou des courriels d’anciennes partenaires ou de partenaires actuelles de la demandeure d’asile, à Sainte‑Lucie ou au Canada, n’a été produit » dans la décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, après avoir formulé des remarques détaillées au sujet de la déclaration faite sous serment par Mme Joseph deux jours auparavant, la norme de la raisonnabilité exigeait qu’elle tienne compte de la preuve.

[52]           La conclusion tirée par l’agente dans sa décision relative à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire selon laquelle [traduction« une personne appartenant aux LGBT à Sainte‑Lucie subirait probablement des difficultés importantes » (décision, à la page 7) étaie ce qui précède. Compte tenu de cette conclusion, il est possible que l’agente ait accueilli la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire si elle avait été convaincue que la demanderesse était bisexuelle.

[53]           Le défendeur soutient que, vu l’analyse de la déclaration faite sous serment par Mme Joseph dans le cadre de la demande d’ERAR, la décision rendue relativement à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire aurait été identique même si cette déclaration avait été prise en compte. Cette demande inclut cependant d’autres facteurs que le risque auquel la demanderesse serait exposée en raison de son orientation sexuelle si elle retournait à Sainte‑Lucie et je ne suis pas disposé à supposer que la décision de l’agente aurait été la même si ces facteurs avaient été soupesés.

IV.             Conclusion

[54]           La demande est accueillie et devrait faire l’objet d’un nouvel examen par un autre agent.

[55]           À l’audience, la demanderesse a proposé la question suivante à des fins de certification :

Si le même décideur est chargé de rendre les décisions relatives à la demande d’ERAR et à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire du même demandeur, la preuve produite relativement à la première demande doit‑elle, malgré le fait qu’elle n’est pas produite à nouveau dans le cadre de la deuxième demande, être prise en considération aux fins de cette dernière si les deux demandes sont inextricablement liées?

[56]           Le défendeur s’est opposé à la certification de cette question. 

[57]           Étant donné que l’analyse incomplète de l’intérêt supérieur des enfants est suffisante pour renvoyer la présente affaire pour nouvel examen, la question proposée à des fins de certification n’est pas déterminante et ne devrait donc pas être certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

2.                  Aucune question n’est certifiée.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DoSSIER :

IMM-5270-13

INTITULÉ :

DONNA DENIS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 novembRE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE diner

 

DATE DES MOTIFS :

LE 19 JANVIER 2015

 

COMPARUTIONS :

Milan Tomasevic

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Hilary Adams

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Milan Tomasevic

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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