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Date : 20150203


Dossier : IMM-4142-13

Référence : 2015 CF 139

Ottawa (Ontario), le 3 février 2015

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

BLERIM SKORO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, en application du paragraphe 72 (1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, SC 2001, c 27 (LIPR), de la décision rendue le 16 mai 2013, par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du Statut de Réfugié, rejetant la demande d’asile du demandeur en vertu de l’article 98 de la LIPR sur la base que le demandeur a commis des crimes graves de droit commun au sens de l’alinéa 1Fb) de la Convention de 1951 des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention).

II.                Faits

[2]               Le demandeur allègue qu’au début des années 90 il a quitté le Kosovo après avoir déserté l’armée avant de se rendre aux États-Unis.

[3]               Au milieu des années 90, le demandeur se serait joint à d’autres criminels afin de faire le trafic international d’héroïne et de cocaïne. Durant cette période, le demandeur a voyagé à cinq ou six reprises pour transporter au moins 14 kg d’héroïne et de cocaïne et a blanchi environ 670 000 dollars américains provenant de la vente de stupéfiant.

[4]               En mai 2000, le demandeur a été accusé aux États-Unis d’importation d’héroïne et de blanchiment d’argent et en juin de la même année il fut condamné à une peine de 84 mois de prison pour ses crimes. Le demandeur a obtenu une sentence plus clémente pour avoir fourni aux autorités de l’information sur d’autres narcotrafiquants et avoir témoigné contre eux.

[5]               Le demandeur allègue que différentes agences américaines, dont la CIA, l’ont contacté alors qu’il était en prison afin qu’il infiltre des groupes islamiques terroristes et qu’en échange de cette coopération les autorités américaines lui auraient promis qu’il serait relâché avant la fin de sa sentence et qu’il pourrait par la suite demeurer aux États-Unis. Il allègue avoir ainsi avoir collaboré avec les autorités américaines en infiltrant des cellules islamiques terroristes. Le demandeur aurait été relâché avant la fin de sa sentence conformément à son entente avec les autorités américaines, mais aurait néanmoins été déporté au Kosovo.

[6]               Le demandeur allègue qu’en mars 2010, des djihadistes du Kosovo ont tenté de l’assassiner car ils ont découvert qu’il était un espion pour la CIA et il aurait alors été blessé par balle. Afin de fuir cette menace, le demandeur aurait quitté le Kosovo en octobre 2010, et est arrivé au Canada le 2 novembre 2010.

III.             Question en litige

[7]               Il y a une question en litige :

1.      La SPR a-t-elle erré en concluant que le demandeur était visé par l’alinéa 1Fb) de la Convention?

[8]               Le seul argument soulevé par le demandeur est relatif à l’interprétation de l’article 1Fb) et est maintenant contraire aux conclusions de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Febles c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CSC 68 (Febles). Cet arrêt a été rendu par la Cour suprême du Canada entre la soumission du mémoire du demandeur et l’audition de la présente affaire devant cette Cour.

IV.             Décision

[9]               La SPR souligne que selon l’avis du ministre, l’exclusion de l’alinéa 1Fb) devrait être considéré en vertu du fait que le demandeur a été reconnu coupable aux États-Unis de « Conspiracy to import one kilogram of heroin – Title 21 » en vertu des articles 963, 960 (a)(1) et 960 (b)(1)(a) du « U.S. Code » et qu’un tel crime est passible d’une peine minimale de 10 ans de prison.

[10]           La SPR souligne que durant l’audience, le demandeur n’a pas tenté de minimiser les crimes qu’il a commis.

[11]           Selon la SPR, en considérant les faits et les principes de l’arrêt Jayasekara c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CAF 404 (Jayasekara), notamment les critères établis au paragraphe 44 de cet arrêt en ce qui concerne la gravité du crime commis, il existe des raisons sérieuses de croire que le demandeur a commis un crime grave de droit commun au sens de l’article 1Fb) de la Convention. Le paragraphe 44 de l’arrêt Jayaseka mentionne « que l’interprétation de la clause d’exclusion de l’alinéa 1Fb) de la Convention exige, en ce qui concerne la gravité du crime, que l’on évalue les éléments constitutifs du crime, le mode de poursuite, la peine prévue, les faits et les circonstances atténuantes et aggravantes sous-jacentes à la déclaration de culpabilité », mais qu’il n’est pas nécessaire de mettre « en balance des facteurs étrangers aux faits et aux circonstances sous-jacents à la déclaration de culpabilité comme, par exemple, le risque de persécution dans le pays d’origine. »

[12]           Par ailleurs, malgré les propos du juge La Forest dans Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 (Ward), qui semblaient initialement limiter l’application de l’article 1Fb) aux personnes accusées qui cherchent à échapper à des poursuites, la SPR considère que suivant l’arrêt Jayasekara l’application de l’alinéa 1Fb) de la Convention ne s’applique pas uniquement aux personnes cherchant à échapper à des poursuites criminelles, mais également à ceux qui ont purgé leur peine. La SPR conclut donc que l’exclusion prévu à l’article 98 de la LIPR et à l’alinéa 1Fb) de la Convention peut s’appliquer au demandeur bien qu’il a purgé sa peine et qu’il a par la suite collaboré avec les autorités américaines.

[13]           Au soutien de son analyse, la SPR a notamment considéré que les crimes commis par le demandeur aux États-Unis seraient punissables d’une peine minimale de 10 ans de prison s’ils avaient été commis au Canada. La SPR a également considéré la preuve selon laquelle le demandeur a purgé sa peine et a collaboré avec les autorités américaines, la preuve soumise par le demandeur sur la situation au Kosovo et les allégations du demandeur selon lesquelles sa vie serait en danger s’il n’obtient pas la protection du Canada.

[14]           Se basant sur les arrêts de Feimi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 325 (Feimi) et Hernandez Febles c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CAF 324 (Hernandez Febles), la SPR a estimé que la dangerosité actuelle du demandeur et sa réadaptation ne sont pas des facteurs à considérer et conclut donc qu’elle doit se limiter à déterminer s’il existe des raisons sérieuses de considérer que le demandeur a commis un crime grave de droit commun. Tel que mentionné ci-haut, la SPR a considéré que cela est le cas.

[15]           Finalement, se basant sur le paragraphe 27 de l’arrêt Feimi, la SPR souligne que malgré sa décision, le demandeur pourrait éventuellement avoir l’occasion de convaincre le défendeur, dans le cadre d’une demande d’examen des risques avant renvoi, qu’il sera exposé à certains risques si la protection du Canada lui est refusée et que le défendeur pourra alors mettre en balance les risques auxquels il pourrait être exposé s’il est renvoyé du Canada avec le danger que constitue le demandeur pour le public.

V.                Dispositions pertinentes

[16]           La norme de contrôle applicable afin de déterminer si la SPR a erré dans son l’interprétation de l’article 1Fb) de la Convention est celle de la décision correcte (Feimi, au para 14; Hernandez Febles, au para 25; Febles).

VI.             Analyse

[17]           D’entrée de jeu, le demandeur souligne dans son mémoire que le demandeur a purgé sa peine aux États-Unis avant son arrivée au Canada, qu’il n’a pas commis de crime depuis et qu’il n’est pas un fugitif. Se basant sur la position du juge La Forest dans l’arrêt Ward, le demandeur argumente dans son mémoire que l’application de l’alinéa 1Fb) de la Convention est limitée aux personnes accusées qui cherchent à échapper à des poursuites criminelles et qu’il n’est donc pas visé par cet alinéa. De plus, le demandeur soutient que la SPR a contrevenu à la règle du stare decisis en suivant l’interprétation faite par la Cour d’appel fédérale de l’article 1Fb) de la Convention dans Jayasekara plutôt que le passage suivant de l’arrêt Ward :

Hathaway semblerait limiter l'application de l'al. b) aux personnes accusées qui cherchent à échapper à des poursuites.  La question de l'interprétation de cette modification n'a pas été débattue devant nous.  Toutefois, je remarque que l'interprétation du professeur Hathaway semble être compatible avec le point de vue exprimé dans les Travaux préparatoires, au sujet du besoin de conformité entre la Convention et le droit en matière d'extradition.

[18]           Or, tel que l’ont souligné les parties lors de l’audience de la présente affaire, la Cour suprême du Canada a récemment rejeté l’interprétation de l’article 1Fb) de la Convention initialement suggérée dans l’arrêt Ward. En effet, dans l’arrêt Febles, au para 60, la juge en chef McLachlin, au nom de la majorité, tranche le débat repris par le demandeur quant à l’interprétation de l’article 1Fb) de la Convention :

L’article 1Fb) exclut toute personne qui a déjà commis un crime grave de droit commun à l’extérieur du pays d’accueil avant son admission en tant que réfugié dans ce pays.  Cet article ne s’applique pas uniquement aux criminels fugitifs, et la gravité du crime n’a pas à être mise en balance avec des facteurs extrinsèques au crime tel le danger présent ou futur pour la société d’accueil, ou la réadaptation ou l’expiation subséquente au crime.

[19]           De plus, dans l’arrêt Febles la juge McLachlin souligne aux paras 46-49 le caractère incident des remarques des juges La Forest et Bastarache dans les arrêts Ward et Pushpanathan c Canada (Citoyenneté et Immigration), [1998] 1 RCS 982, respectivement, quant à l’interprétation de l’article 1Fb) de la Convention. À la lumière de l’arrêt Febles, je n’ai aucune difficulté à rejeter l’unique argument soulevé par le demandeur à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire.

VII.          Conclusions

[20]           La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Aucune question n’est certifiée.

« George R. Locke »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4142-13

 

INTITULÉ :

BLERIM SKORO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 novembre 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 3 février 2015

 

COMPARUTIONS :

Me Stéphane Handfield

 

Pour le demandeur

 

Me Ian Demers

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Handfield & Associés

Avocats

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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