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Date : 20150120


Dossier : IMM-4870-13

Référence : 2015 CF 76

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 janvier 2015

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

TIMEA MARIA BALOGH

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], qui vise la décision par laquelle un agent principal d’immigration [l’agent], a rejeté, le 10 juillet 2013, la demande d’examen des risques à renvoi [ERAR] présentée par la demanderesse [la décision].

II.                LE CONTEXTE

[2]               La demanderesse est une citoyenne de la Hongrie. Elle craint d’être persécutée en raison de son origine ethnique rom. Elle craint aussi que son ancien conjoint et l’ancien conjoint de sa belle‑mère ne lui fassent du tort.

[3]               La demanderesse a quitté la Hongrie et elle est entrée au Canada le 25 novembre 2008. Elle a présenté une demande d’asile en janvier 2009. Sa demande d’asile a été rejetée le 27 septembre 2011, parce que la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État.

[4]               La demanderesse a présenté une demande d’ERAR le 17 juin 2013. Elle prétend que la situation des Roms en Hongrie s’est détériorée depuis l’audition de sa demande d’asile. Elle allègue aussi que l’ancien conjoint de sa belle‑mère l’a menacé de lui faire du tort si elle devait retourner en Hongrie. Elle affirme aussi que son ancien conjoint avait menacé de la tuer si elle retournait en Hongrie.

III.             LA DÉCISION VISÉE PAR LA DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

[5]               La demande d’ERAR présentée par la demanderesse a été rejetée le 10 juillet 2013.

[6]               L’agent a amorcé sa décision en mentionnant que l’ERAR n’était ni un appel interjeté à l’égard d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, ni une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Il a décrit le processus d’ERAR comme une occasion de produire de nouveaux éléments de preuve au sujet du risque auquel la demanderesse pourrait être exposée si elle devait retourner en Hongrie.

[7]               L’agent a relevé que la demanderesse avait produit un rapport de police qu’elle n’avait pas pu obtenir avant l’audition de sa demande d’asile. La demanderesse a allégué qu’elle s’était adressée à la police après que l’ancien conjoint de sa belle‑mère l’avait menacé au Canada. Elle a aussi allégué que l’homme en question l’avait traqué après cet incident. L’agent a accepté, à titre de nouvelle preuve, le rapport de police. Il a cependant noté que le nom du malfaiteur avait été caviardé. L’agent a aussi mentionné qu’il y avait peu de preuve démontrant que la demanderesse avait cherché de l’aide à l’égard de la traque dont elle affirme avoir fait l’objet.

[8]               L’agent a mentionné que la demanderesse avait produit une photocopie d’une lettre, dans laquelle elle affirme que son ancien conjoint menace de la tuer. L’agent a constaté que la lettre n’était pas adressée à la demanderesse et qu’elle portait la signature « Pecs N.A. ». Aucune explication n’a été donnée au sujet des initiales « N.A. ».

[9]               L’agent a examiné la preuve documentaire, qui comprenait des articles de nouvelles ainsi que des recherches documentaires au sujet de la discrimination et de la violence dont sont victimes les Roms en Hongrie, y compris en ce qui a trait à la violence familiale. Il a conclu que le caractère adéquat de la protection de l’État était le facteur déterminant quant à la demande (dossier certifié du tribunal [DCT], à la page 9) :

[traduction]

Je reconnais que les personnes d’origine ethnique rom sont victimes de discrimination sociale généralisée en Hongrie et qu’ils sont même, parfois, victimes de violence à caractère racial. Je reconnais aussi que des groupes et personnes bien en vue ont exprimé sans réserve et publiquement leurs sentiments anti‑Roms. De plus, je relève que la CISR renvoie au fait que « la violence conjugale contre les femmes roms est assez répandue et plutôt sérieuse ». Toutefois, je conclus que le facteur déterminant quant à la présente demande est le caractère adéquat de la protection de l’État dont une personne peut se réclamer en Hongrie.

[10]           L’agent a passé en revue la structure des services policiers en Hongrie ainsi que des diverses procédures en matière de plainte interne. Il a aussi examiné les efforts déployés par le gouvernement hongrois pour protéger les droits des Roms et pour favoriser l’intégration sociale des minorités. L’agent a aussi passé en revue les ressources auxquelles peuvent avoir accès les victimes de violence familiale en Hongrie. L’agent a conclu ainsi (DCT, à la page 13) :

[traduction]

Je reconnais qu’il existe des problèmes liés à la discrimination et à la violence dont font l’objet les Roms en Hongrie ainsi que des doutes quant au fait que les forces policières sont corrompues. Je reconnais aussi que certains rapports font état du fait que le droit ne prévoit pas une protection appropriée pour les victimes de violence et que les divers services qui leur offrent cette protection disposent de moyens limités. Cependant, la recherche dont je suis saisi démontre que le gouvernement hongrois déploie de sérieux efforts en vue d’intégrer les Roms et d’améliorer leur niveau de vie, en plus de traiter activement du problème de la corruption des forces policières, notamment au vu du fait que les autorités et l’appareil judiciaire réprimandent les agents et ont rendu des jugements les déclarant responsables de manquements disciplinaires et coupable de délits et d’infractions criminelles. Je conclus aussi, sous réserve des contraintes budgétaires, que le gouvernement dispose de services pour les victimes de violence familiale.

[11]           L’agent a pris état de l’allégation de la demanderesse selon laquelle elle avait tenté de produire des rapports de police en Hongrie et que ceux-ci n’avaient été acceptés en raison de son origine ethnique rom. Cependant, il a mentionné qu’il [traduction« ne concluait pas que ces refus, par la police, équivalaient à une tendance lourde de l’incapacité ou du refus de l’État d’offrir sa protection à la demanderesse. Je conclus aussi que la demanderesse a produit peu de renseignements ou d’éléments de preuve selon lesquels elle avait épuisé tous les recours raisonnables en vue d’obtenir la protection de l’État en Hongrie » (DCT, à la page 13). L’agent a aussi conclu que si la demanderesse ne recevait pas l’aide policière dont elle avait besoin, elle pourrait avoir recours aux régimes de signalement des plaintes envers la police qui existent en Hongrie.

[12]           L’agent a conclu que, sans être parfaite, la protection de l’État dont peuvent se réclamer les Roms en Hongrie était adéquate.

IV.             LA QUESTION EN LITIGE

[13]           La demanderesse soulève une seule question en litige par la présente instance :

  1. L’analyse relative à la protection de l’État effectuée par l’agent était‑elle déraisonnable?

V.                LA NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[14]           La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], a statué qu’il n’est pas nécessaire d’effectuer l’analyse relative à la norme de contrôle applicable dans chaque cas. Ainsi, lorsque la norme de contrôle qui s’applique à la question particulière dont la cour est saisie a été établie de manière satisfaisante par la jurisprudence, il est loisible à la cour chargée du contrôle de l’adopter. C’est uniquement lorsque cette recherche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble être devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire que la cour de révision examine les quatre facteurs que comporte l’analyse relative à la norme de contrôle : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[15]           La demanderesse affirme que le litige a trait à une question de fait ainsi qu’à une question mixte de fait et de droit, et que la norme applicable est celle de la raisonnabilité : Dunsmuir, précité. Le défendeur affirme que les agents d’ERAR sont des décideurs administratifs spécialisés, à l’égard desquels il convient de faire preuve d’une importante retenue. Le défendeur affirme que les décisions rendues au stade de l’ERAR sont susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité : A.B. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF  94, aux paragraphes 12, 13 et 15; Pillai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1312, au paragraphe 28; Cabral De Medeiros c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 386, au paragraphe 15.

[16]           Les conclusions de l’agent qui concernent la protection de l’État sont des conclusions de fait. La Cour convient que la jurisprudence est claire quant au fait que ces conclusions sont susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité : voir les décisions Kim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 437; Johnson c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 311, au paragraphe 12; Bautista c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1187, au paragraphe 25.

[17]           Dans le cadre du contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse a trait « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.             LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[18]           Les dispositions suivantes de la Loi sont applicables en l’espèce :

Définition de « réfugié »

Convention refugee

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

Personne à protéger

Person in need of protection

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

Personne à protéger

Person in need of protection

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

[…]

[…]

Demande de protection

Application for protection

112. (1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

112. (1) A person in Canada, other than a person referred to in subsection 115(1), may, in accordance with the regulations, apply to the Minister for protection if they are subject to a removal order that is in force or are named in a certificate described in subsection 77(1).

[…]

[…]

Examen de la demande

Consideration of application

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

[…]

[…]

c) s’agissant du demandeur non visé au paragraphe 112(3), sur la base des articles 96 à 98;

(c) in the case of an applicant not described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of sections 96 to 98;

[…]

[…]

VII.          LES PRÉTENTIONS

A.                La demanderesse

(1)               L’agent s’est fondé sur les efforts inefficaces déployés par l’État en vue d’offrir de la protection

[19]           La demanderesse affirme que l’agent a commis une erreur dans son analyse relative à la protection de l’État, du fait qu’il s’est fondé sur les « efforts » déployés par l’État pour offrir la protection. La demanderesse affirme que cela constitue une erreur, parce que la preuve démontre que ces efforts se sont révélés inefficaces.

[20]           La demanderesse affirme que l’agent doit examiner ce qui se passe réellement dans les faits plutôt que les plans élaborés par l’État. Elle affirme que la volonté de l’État hongrois d’améliorer la situation de la minorité rom n’établit pas la protection de l’État, à moins que les efforts en question ne portent leurs fruits en pratique : voir la décision Hercegi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 250; Rezmuves c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 334 [Rezmuves].

(2)               L’agent s’est fondé sur des éléments de preuve non pertinents

[21]           La demanderesse affirme que l’agent a aussi commis une erreur du fait qu’il s’est fondé sur des facteurs non pertinents pour conclure que la protection de l’État existe bel et bien en Hongrie : Rezmuves, précitée, au paragraphe 11. Les efforts déployés en vue de l’intégration sociale des Roms en Hongrie sont eux aussi non pertinents quant à la question de savoir si les Roms qui sont victimes de crimes à caractère racial peuvent se réclamer de la protection de l’État. La demanderesse prétend aussi que l’agent a commis une erreur en se fondant sur les statistiques au sujet de la corruption policière et des taux de réprimande.

B.                 Le défendeur

[22]           Le défendeur affirme que la demanderesse invoque les mêmes risques que ceux qui avaient été appréciés par la SPR et qu’elle n’a pas réussi à établir que la situation des Roms en Hongrie avait empiré. La demanderesse a soulevé la violence familiale à titre de nouveau risque, mais l’agent était convaincu que les victimes de violence familiale peuvent se réclamer de la protection de l’État.

[23]           Le défendeur soutient aussi que l’agent est présumé avoir tenu compte de toute la preuve produite : voir la décision Cruz Rosales c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 257, au paragraphe 20, ainsi que l’arrêt Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c Flores Carillo, 2008 CAF 94, aux paragraphes 30 et 36. Le défendeur fait de plus valoir que l’agent s’est penché non seulement sur les efforts déployés par l’État hongrois, mais aussi sur leur caractère adéquat.

[24]           En outre, le défendeur soutient que l’agent est présumé avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve qui a été produite : Nation-Eaton c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 294, aux paragraphes 18 à 23.

[25]           Le défendeur affirme que le fait que certaines des affirmations de la demanderesse sont étayées par la preuve documentaire ne signifie pas que l’agent a commis une erreur. La preuve documentaire concernant la disponibilité de la protection de l’État pour les Roms en Hongrie est mitigée; par conséquent, elle ne constitue pas un fondement suffisant pour annuler une décision : G.M. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 710, aux paragraphes 88.

VIII.       ANALYSE

[26]           L’agent fait mention des divers problèmes de la preuve produite par la demanderesse (notamment, le fait que le nom de l’agresseur a été caviardé du rapport de police; la lettre rédigée par Gabor Nagy, son ancien conjoint, n’était pas datée et ne mentionnait pas le nom de la demanderesse, et le fait qu’il y avait plus de renseignements pour dire qui « N.A. » était), mais il n’a tiré aucune inférence défavorable quant à la crédibilité, ni de conclusions quant au caractère insuffisant de la preuve. L’agent a déclaré ceci : [traduction« je conclus que le facteur déterminant quant à la présente demande est le caractère adéquat de la protection de l’État dont une personne peut se réclamer en Hongrie » (DCT, à la page 9), et il expose ensuite une discussion et une analyse de cinq pages et demie quant à cette question déterminante.

[27]           Cette discussion concernant le sujet de la protection de l’État contient plusieurs lacunes que la Cour a, à maintes reprises, qualifiées d’erreurs susceptibles de contrôle. Je traiterai de chacune de ces lacunes, une à la fois.

A.                L’absence d’efficacité opérationnelle

[28]           L’analyse s’en tient en grande partie à la preuve selon laquelle [traduction« la police et l’appareil judiciaire de la Hongrie déploient de sérieux efforts pour protéger les citoyens Roms dans le pays des groupes anti‑Roms, y compris la Garde hongroise », plutôt que d’examiner l’efficacité opérationnelle des efforts déployés (voir les décisions Meza Varela c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1364, au paragraphe 16; Majoros v Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 421, au paragraphe 12 [Majoros]) ou de mettre l’accent sur la preuve qui traite de la violence familiale dont les femmes sont victimes en Hongrie, qui est le risque précis auquel est exposé la demanderesse.

B.                 Discussion non pertinente

[29]           Certaines parties de la discussion et certains des éléments de preuve invoqués ne sont pas pertinents quant à la situation de violence familiale à laquelle était exposée la demanderesse. Par exemple, la mention de l’agent au sujet de la structure interne de la police hongroise (DCT, aux pages 10‑11); le rôle de la Commission indépendante des plaintes sur la police [la CIPP] dans le cadre des enquêtes sur les plaintes de victimes [traduction« d’abus mineurs de la police » (DCT, à la page 11); la création d’un [traduction« nouveau régime intégré d’ombudsmans », lequel remplaçait quatre ombudsmans par un ombudsman et deux adjoints (DCT, aux pages 11 et 12), et l’adoption de la loi qui autorise les gouvernements autonomes chez les [traduction« groupes ethniques inscrits » (DCT, à la page 12).

C.                 « Recours subsidiaires »

[30]           L’agent fait mention de [traduction« plusieurs recours subsidiaires », comme [traduction« un palier d’autorité plus élevé [...] la Commission indépendante des plaintes sur la police » et [traduction« l’Autorité pour l’égalité de traitement, l’ombudsman et ses adjoints, une ligne d’assistance ouverte en tout temps, les refuges et l’aide juridique gratuite » qui sont disponibles pour les [traduction« victimes de violence familiale », sans expliquer en quoi ces solutions de rechange feront en sorte que la demanderesse sera protégée de manière adéquate à l’égard de son ancien conjoint qui avait menacé de la tuer. La Cour a traité de ces recours subsidiaires par le passé et elle a statué que ceux‑ci ne peuvent pas offrir de protection. Voici ce que j’avais à dire à ce sujet dans la décision Gulyas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 254, aux paragraphes 31 et 79 :

[31]      La CIPP a été qualifiée d’organisme de surveillance crédible et indépendant, mais on a reproché à la police de ne donner suite qu’à une faible partie des recommandations de la CIPP. L’avocate des demandeurs a également fait valoir que les crimes violents commis contre les Roms sont en hausse. En réponse aux critiques formulées relativement aux enquêtes menées en Hongrie au sujet de ces crimes, une unité spéciale d’enquête (qui comptait 100 membres en 2009) a été mise sur pied pour faire enquête sur ces agressions. La SPR a conclu que, suivant la preuve, la police se livrait encore à des violences contre les Roms, mais qu’il était raisonnable de s’attendre à ce que les autorités interviennent dans ces affaires et que la police était en mesure de protéger les Roms.

[…]

[79]      Disposant d’éléments de preuve fort semblables, le juge Yves de Montigny a déclaré ce qui suit dans une décision récente, Katinszki c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1326, aux paragraphes 14 à 18 :

La Commission a également mentionné diverses organisations qui pourraient assurer une protection aux demandeurs et, encore une fois, semble supposer que ces organisations seraient mieux en mesure de leur fournir une telle protection à Budapest, étant donné que leurs administrations centrales se trouvent dans cette ville. Le problème avec cette supposition est qu’il n’y a pas de preuve au dossier attestant que ces organisations seraient mieux en mesure de « protéger » les demandeurs à Budapest qu’ailleurs dans le pays. Qui plus est, assurer une protection ne fait pas partie du rôle des organisations mentionnées par la Commission (soit la Commission indépendante chargée de traiter les plaintes contre la police, le Bureau des commissaires parlementaires, l’Autorité pour l’égalité de traitement, l’Association des agents de police roms, ainsi que le Bureau des plaintes au Bureau de la Police nationale) – leur rôle est de formuler des recommandations et, au mieux, de faire enquête sur l’inaction de la police après les incidents.

La jurisprudence de la Cour établit très clairement que la police est présumée être la principale institution chargée d’assurer la protection des citoyens et que les autres institutions publiques ou privées sont présumées n’avoir ni les moyens ni le rôle d’assumer une telle responsabilité. Comme la juge Tremblay-Lamer l’a si justement affirmé dans Zepeda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 491, [2009] 1 RCF 237, aux paragraphes 24 et 25

En l’espèce, la Commission a fait état de divers autres organismes auprès desquels les demandeurs, ce disant insatisfaits des efforts de la police et croyant celle-ci corrompue, auraient pu s’adresser, comme la Commission nationale des droits de la personne, la Commission des droits de la personne d’un État, le Secrétariat de l’administration publique, le Programme de lutte contre l’impunité, la Direction d’aide du contrôleur général, ou encore le Bureau du procureur général de la République au moyen de sa procédure de plainte.

Or, j’estime que ces autres institutions ne constituent pas, en soi, des voies de recours. Sauf preuve du contraire, la police est la seule institution chargée d’assurer la protection des citoyens d’un pays et disposant, pour ce faire, des pouvoirs de contrainte appropriés. Par exemple, il est expressément mentionné dans la preuve documentaire que la loi ne confère à la Commission nationale des droits de la personne aucun pouvoir de contrainte (« Mexique : Situation des témoins des crimes et de la corruption, des femmes victimes de violences et des victimes de discrimination fondée sur l’orientation sexuelle » [Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. Recherche sur les pays d’origine : Exposé]).

Voir également : Risak c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 1581, 25 Imm LR (2d) 267, au paragraphe 11

Par conséquent, je conclus qu’il n’était pas loisible à la Commission de conclure selon la prépondérance des probabilités qu’il n’y avait pas de possibilité sérieuse que les demandeurs soient persécutés à Budapest. Le demandeur a subi des agressions à Budapest en raison de son origine ethnique rom. Il n’y a rien dans l’analyse de la Commission se rapportant à la PRI et il n’y a rien dans la preuve qui suggère que Budapest est plus sûre que tout autre endroit au pays, à part le fait que « Budapest est une grande ville » et qu’elle « héberge diverses organisations, et le gouvernement hongrois y offre des services gouvernementaux aux Roms qui sont victimes de discrimination […] » Ni la taille de la ville, ni les organisations énumérées n’offrent une protection efficace contre la persécution à Budapest.

La Commission a également commis une erreur en se fondant sur les efforts déployés par l’État pour répondre aux problèmes auxquelles font face les Roms. Au paragraphe 15 de ses motifs, la Commission a écrit : « Le tribunal reconnaît que des crimes violents visant les Roms sont encore commis. Cependant, il est raisonnable de s’attendre à ce que les autorités prennent des mesures à la suite de signalements. » C’est au niveau opérationnel qu’il faut évaluer la protection. Cela s’avère d’autant plus exact dans un État où le niveau de démocratie est à son niveau le plus bas de l’histoire récente, d’après la preuve documentaire versée au dossier. De plus, le 2010 Human Rights Report : Hungary (rapport de 2010 sur les droits de la personne en Hongrie) du Département d’État américain, daté du 8 avril 2011, sur lequel se fonde la Commission pour étayer sa conclusion que les Roms peuvent compter sur la protection de l’État, contredit expressément cette conclusion. Dans l’aperçu (à la page 1), les auteurs du rapport font valoir ce qui suit :

[traduction]

Parmi les atteintes aux droits de la personne, il y a l’usage d’une force excessive par la police contre les suspects, particulièrement les suspects roms, la corruption au sein du gouvernement, la violence sociétale envers les femmes et les enfants, le harcèlement sexuel des femmes ainsi que la traite de personnes. D’autres problèmes ont pris de l’ampleur, comme la violence d’extrémistes et le discours antagoniste contre les minorités ethniques et religieuses, ainsi que la discrimination envers les Roms dans les domaines de l’éducation, du logement, de l’emploi et de l’accès aux services sociaux.

Il n’y a rien dans ce rapport qui laisse croire qu’il est raisonnable de s’attendre à ce que les autorités prennent des mesures à la suite de signalements. En fait, le rapport du Département d’État américain étaye la conclusion contraire.

[31]           La Cour a rejeté la thèse selon laquelle la CIPP offre une protection de l’État. Le juge Zinn a déclaré ce qui suit dans la décision Orgona c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1438 :

[14]      La SPR mentionne aussi que les particuliers peuvent s’adresser à [la CIPP] pour demander réparation lorsque la police n’agit pas correctement. Elle écrit qu’il s’agit d’un organisme indépendant qui examine les plaintes relatives à des actes commis par des policiers et qui fait des recommandations au chef de la police nationale; elle ajoute que si les recommandations ne sont pas entérinées, l’affaire peut être portée devant un tribunal. À première vue, il semble s’agir d’un outil efficace qui garantit que les plaintes faites au sujet des policiers sont réellement examinées; cependant, selon un autre document, « en pratique », le chef de la police nationale « n’accorde aucune considération à 90 p. 100 des décisions » de cet organisme. Il semble donc n’exister aucun moyen réel de réparation pour la grande majorité des plaignants. La conclusion de la SPR selon laquelle ce processus fournit aux Roms une occasion raisonnable d’obtenir une réparation est déraisonnable.

[32]           La preuve ne laisse pas croire que l’efficacité la CIPP se soit accrue. L’agent affirme que la CIPP a examiné 364 plaintes en 2012 et qu’elle a conclu à l’existence de contraventions aux lois et règlements dans environ la moitié de ces plaintes. Seules 81 de ces plaintes ont été renvoyées au chef de la police nationale. Le chef de la police nationale a souscrit aux conclusions dans quatre de ces cas (c’est‑à‑dire, dans 5 p. 100 des plaintes qui lui ont été transférées et dans 1 p. 100 de l’ensemble des cas examinés). Le chef de la police nationale a partiellement souscrit aux conclusions dans 23 cas, a rejeté les conclusions dans 26 cas et les autres cas sont toujours en traitement. Il n’y a aucun indice quant à la réparation dont peuvent se réclamer les quelques plaignants dont la plainte a été accueillie par le chef de la police nationale. En outre, l’agent a décrit le mandat de la CIPP et son pouvoir comme étant [traduction« limité à faire des recommandations aux quartiers généraux de la police nationale et à faire un rapport de ses conclusions au Parlement » (DCT, à la page 11).

[33]           Dans la même veine, la Cour s’est inscrite en faux à l’égard de la thèse selon laquelle un résumé de la structure de la police hongroise constitue une analyse relative à la protection de l’État. Le juge Zinn a dit ce qui suit dans la décision Rezmuves, précitée :

[11]      L’analyse de la Commission sur la protection offerte par l’État pose également problème. La Commission examine la preuve concernant la détention arbitraire en Hongrie, la structure des forces policières hongroises, la corruption policière, l’association des agents de police roms qui voit à la protection des Roms qui sont policiers et militaires, d’autres associations connexes en Hongrie et en Europe visant les policiers et les militaires roms, l’expert indépendant et l’organisme chargé de surveiller la mise en application des mesures législatives visant à enrayer la discrimination. Toutefois, la Commission ne s’est pas penchée sur la question pertinente : la protection offerte aux Roms par l’État est-elle suffisante en Hongrie?

[34]           La Cour a rejeté la thèse selon laquelle l’AET constitue un moyen par lequel l’État peut offrir sa protection Beri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 854. La juge Strickland a affirmé que l’AET ne pouvait pas offrir la protection de l’État et elle a conclu qu’il « est difficile de voir en quoi la protection de l’État aurait été plus efficace ou plus accessible s’ils avaient transmis leurs plaintes à ces organismes » (au paragraphe 57).

[35]           La Cour a aussi rejeté la thèse selon laquelle l’État offre sa protection du fait de l’existence d’une nouvelle loi par laquelle la police a le pouvoir des ordonnances de non-communication prononcées d’urgence dans les cas de violence familiale. La question de l’efficacité de ces ordonnances de non-communication prononcées d’urgence a été abordée par la juge Snider sans la décision Sebok c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1107 :

[22]      Au cours de son analyse de la protection de l’État à l’égard des victimes de violence conjugale, la Commission se fonde en grande partie sur la possibilité d’obtenir des ordonnances de non‑communication conformément à une loi hongroise adoptée en 2009. Cependant, selon la preuve documentaire que la Commission elle-même a mentionnée, l’efficacité de ce recours est douteuse. La Commission reconnaît que, de l’avis des ONG, ces nouvelles dispositions ne protègent pas vraiment les victimes ni ne favorisent la responsabilisation des agresseurs. La Commission ajoute qu’il n’y a aucune formation spéciale ni unité d’exécution de la loi qui pourrait faciliter la mise en oeuvre des dispositions législatives. Comme le montre la preuve documentaire, des ordonnances de non-communication n’ont été rendues que dans 12 p. 100 des cas de violence conjugale signalés en 2010 et il n’y avait aucune donnée concernant les violations de ces ordonnances. Eu égard à cette preuve, la conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse et même le demandeur auraient pu obtenir une protection significative de l’État en invoquant ces nouvelles dispositions législatives n’est pas bien fondée.

[36]           Dans la décision visée par le contrôle, l’agent omet aussi de rapprocher la disponibilité de ce pouvoir de la police avec les éléments de preuve démontrant que [traduction« les femmes roms qui se plaignent de la violence familiale sont exposées aux préjugés, à la discrimination, et au rejet de leur plainte par les autorités ou lorsqu’ils demandent d’avoir accès aux services de l’État » (DCT, à la page 12). L’agent a aussi admis de reconnaître les éléments de preuve qui démontrent que les organismes non gouvernementaux ont formulés des critiques à l’égard de ce pouvoir de la police, parce qu’il n’offre pas aux victimes une protection adéquate (DCT, aux pages 354, 385).

[37]           La Cour a aussi rejeté la thèse selon laquelle la protection de l’État peut être fournie par un ombudsman. Le juge Rennie a discuté de l’ancien système d’ombudsman dans la décision Salamon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 582, au paragraphe 9 :

[…] La Commission s’est aussi fondée sur l’existence des quatre ombudsmans de Hongrie auxquels on peut transmettre des plaintes de harcèlement et de discrimination. Ces ombudsmans ne peuvent pas rendre de décisions exécutoires, mais seulement favoriser l’atteinte d’un consensus et militer en faveur de changement de politiques. Bien qu’ils jouent un rôle utile, les ombudsmans, à l’instar de la CIPP ou du Comité Helsinki de Hongrie, n’ont ni le rôle ni le pouvoir de fournir une protection.

[38]           L’agent affirme qu’un nouveau poste d’ombudsman a été mis sur pied, et que celui‑ci a un [traduction« pouvoir accru […] pour introduire des procédures en vue de défendre les droits fondamentaux de grands groupes de citoyens à l’égard de violations commises par les institutions étatiques, les banques, les entreprises et les organismes sociaux » (DCT, à la page 12). Rien ne nous laisse croire que le [traduction] « pouvoir accru » du nouvel ombudsman comprend le mandat ou le pouvoir de fournir la protection de l’État.

[39]           En conclusion, dans son examen des recours subsidiaires dont disposerait la demanderesse pour obtenir de la protection de l’État, l’agent omet de répondre à la même question énoncée par le juge Zinn dans la décision Majoros, précitée, au paragraphe 20 : « [L]a protection de l’État aurait-elle été plus facile à obtenir si les demandeurs avaient tenté de faire un suivi, par exemple auprès de l’Ombudsman des minorités? Auraient-ils été plus en sécurité ou mieux protégés? » L’agent dresse une liste d’un certain nombre d’organismes en Hongrie et il conclut que ceux‑ci fourniront de la protection à la demanderesse, mais il ne traite pas de la façon dont ces organismes vont réellement protéger la demanderesse.

D.                La preuve à l’appui de la thèse de la demanderesse

[40]           Lorsque l’agent renvoie à des éléments de preuve relatifs à la violence familiale, ceux‑ci appuient la thèse de la demanderesse selon laquelle elle ne peut pas se réclamer de la protection de l’État (DCT, à la page 8 et 12) :

[traduction]

Selon la réponse à la demande d’information Hongrie : information sur la violence conjugale dans la communauté rom, y compris les lois, la protection de l’État et les services offerts aux victimes (2008-février 2012), la CISR déclare que, selon certaines sources, les femmes roms font l’objet de discrimination tant en raison de leur sexe que de leur origine ethnique. La réponse contient aussi la mention selon laquelle une femme rom qui se plaint de la violence familiale est susceptible « d’être méprisée et punie par sa propre communauté ». De plus, les sources font état du fait que les relations entre la police et les femmes roms sont empreintes de méfiance et que la police traite souvent les incidents de violence familiale entre Roms comme une situation qui devraient être réglée à l’intérieur de la famille. En ce qui concerne la violence familiale dont les femmes font l’objet, je constate que les rapports du Département d’État américain rapportent le fait que la loi n’interdit pas de manière expresse la violence familiale ou conjugale. L’accusation de voies de fait, laquelle emporte une peine d’emprisonnement maximale de huit ans, est celle qui est principalement utilisée pour les mises en accusation dans les cas de violence familiale.

[…]

Selon la réponse à la demande d’information Hongrie : information sur la violence conjugale dans la communauté rom, y compris les lois, la protection de l’État et les services offerts aux victimes (2008-février 2012), la CISR fait état de plusieurs sources qui mentionnent qu’il n’y a pas de programmes ou de services gouvernementaux visant expressément les victimes de violence familiale d’origine ethnique rom. De plus, cette réponse fait état du fait que les femmes roms qui se plaignent de la violence familiale sont exposées aux préjugés, à la discrimination, et au rejet de leur plainte par les autorités ou lorsqu’ils demandent d’avoir accès aux services de l’État.

E.                 L’agent cite la preuve de manière sélective

[41]           L’agent cite la preuve de manière sélective et omet les renvois à l’absence de protection (voir la décision Hanko c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 474). À titre d’exemple, la décision cite un rapport du Département d’État des États‑Unis, intitulé 2012 Country Reports on Human Rights Practices – Hungary, 19 avril 2013 (DCT, à la page 12‑13) :

[traduction]

Selon le rapport du Département d’État des États‑Unis, au cours des 10 premiers mois de l’année 2012, les quartiers généraux de la police nationale hongroise ont consigné 10 927 cas de violence contre les femmes et 3 581 cas de violence familiale contre les femmes. De plus, le rapport du Département d’État américain mentionne que les policiers appelés sur les lieux lors d’incidents de violence familiale peuvent, en vertu de la loi, délivrer une ordonnance de non-communication d’urgence valide pour trois jours, plutôt que de déposer immédiatement des accusations, alors que les tribunaux peuvent délivrer des ordonnances de non‑communication de trois jours en matière de droit civil et d’un maximum de 60 jours dans les instances criminelles. De plus, le rapport du Département d’État américain mentionne que le ministre des Ressources humaines continue de maintenir en activité une ligne téléphonique d’assistance ouverte en tout temps pour les victimes de violence. Au cours de la dernière année, le Ministère exploitait un réseau régional de gestion de crise à 14 endroits différents à l’intérieur du pays pour les victimes de violence familiale : ce réseau fournissait un logement immédiat ainsi que des soins avancés pour les personnes et familles victimes de violence. Le Ministère continue de maintenir en activité quatre maisons de transition au pays, là où il offre des possibilités de logement à long terme (pour un maximum de cinq ans) ainsi que de l’aide professionnelle pour les familles sorties des centres de crises. De plus, le gouvernement finance un refuge secret pour les femmes victimes ayant fait l’objet de gestes graves de violence et dont la vie était en danger.

[42]           Cette discussion est tirée presque mot pour mot du rapport. Les phrases omises sont intéressantes, en ce sens qu’elles traitent de l’incapacité de ces services de fournir la protection de l’État (DCT, aux pages 385‑386) :

[traduction]

La loi n’interdit pas de manière expresse la violence familiale ou conjugale. L’accusation de voies de fait, laquelle emporte une peine d’emprisonnement maximale de huit ans, est celle qui est principalement utilisée pour les mises en accusation dans les cas de violence familiale. Les policiers appelés sur les lieux lors d’incidents de violence familiale peuvent, en vertu de la loi, délivrer une ordonnance de non-communication d’urgence valide pour trois jours, plutôt que de déposer immédiatement des accusations, alors que les tribunaux peuvent délivrer des ordonnances de non-communication de trois jours en matière de droit civil et d’un maximum de 60 jours dans les instances criminelles. Les ONG de défense des droits des femmes critiquent depuis longtemps la loi, du fait qu’elle ne fournit pas une protection adéquate aux victimes et qu’elle ne met pas suffisamment l’accent sur la responsabilité des agresseurs.

Au cours des 10 premiers mois de l’année 2012, les quartiers généraux de la police nationale hongroise ont consigné 10 927 cas de violence contre les femmes et 3 581 cas de violence familiale contre les femmes.

Le ministre des Ressources humaines continue de maintenir en activité une ligne téléphonique d’assistance ouverte en tout temps pour les victimes de violence. Au cours de la dernière année, le Ministère exploitait un réseau régional de gestion de crise à 14 endroits différents à l’intérieur du pays pour les victimes de violence familiale : ce réseau fournissait un logement immédiat ainsi que des soins avancés pour les personnes et familles victimes de violence. Le Ministère continue de maintenir en activité quatre maisons de transition au pays, là où il offre des possibilités de logement à long terme (pour un maximum de cinq ans) ainsi que de l’aide professionnelle pour les familles sorties des centres de crises. De plus, le gouvernement finance un refuge secret pour les femmes victimes ayant fait l’objet de gestes graves de violence et dont la vie était en danger. Selon les ONG de défense des droits des femmes, les organismes offrant des services offerts aux femmes victimes de violence étaient soit limités dans leur capacité d’offrir de l’assistance ou ne répondaient pas aux normes internationales de bonnes pratiques.

[Non souligné dans l’original.]

F.                  Conclusion

[43]           Le paragraphe rédigé par l’agent en guise de conclusion témoigne du problème généralisé de la décision (DCT, aux pages 13 et 14) :

[traduction]

Je constate que le Centre européen de défense des droits des Roms mentionne, dans la réponse à la demande d’information, Hongrie : information sur le traitement réservé aux Roms et les efforts déployés par l’État pour les protéger (2009-juin 2012) de la CISR, que les autorités de l’État ne sont pas efficaces pour répondre à la violence dont sont victimes les Roms. Je reconnais que la protection de l’État n’est possiblement pas parfaite; cependant, compte tenu des renseignements et de la preuve dont je dispose, je conclus que la protection de l’État en Hongrie pour les personnes d’origine ethnique rom continue d’être adéquate. Je constate qu’il n’y a peu d’éléments de preuve dont je dispose qui me démontrent que la demanderesse a épuisé ou qu’elle s’est prévalue de tous les recours raisonnables pour se réclamer de la protection de l’État hongrois. Je conclus aussi que la demanderesse n’a pas réussi à réfuter la présomption relative à la protection de l’État en Hongrie au moyen d’une preuve claire et convaincante. Puisque je conclus que la demanderesse peut se réclamer d’une protection adéquate de l’État en Hongrie, je fais remarquer que cette conclusion annule les demandes d’asile de la demanderesse présentée au titre des articles 96 et 97 de la LIPR. De plus, je conclus que la demanderesse n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

[44]           Il est difficile de comprendre en quoi une déclaration selon laquelle « les autorités de l’État ne sont pas efficaces pour répondre à la violence dont sont victimes les Roms » appuie une conclusion selon laquelle « la protection de l’État n’est possiblement pas parfaite » ou portant que la protection de l’État est adéquate. De plus, cette conclusion ne fait aucun doute quant au fait que l’agent a apprécié la demande d’asile de la demanderesse selon la perspective des Roms en général et qu’il n’a pas mis l’accent sur le véritable problème, soit que la demanderesse est une femme d’origine ethnique rom envers qui son ancien conjoint a proféré des menaces de mort. La preuve citée par l’agent à ce sujet mentionne que « les femmes roms font l’objet de discrimination tant en raison de leur sexe que de leur origine ethnique » et que :

[traduction]

[…] une femme rom qui se plaint de la violence familiale est susceptible « d’être méprisée et punie par sa propre communauté ». De plus, les sources font état du fait que les relations entre la police et les femmes roms sont empreintes de méfiance et que la police traite souvent les incidents de violence familiale entre Roms comme une situation qui devraient être réglée à l’intérieur de la famille.

(DCT, à la page 8)

[45]           L’agent semble croire que ce problème fondamental des femmes roms peut être écarté si la demanderesse réclame l’assistance [traduction] « d’un palier d’autorité plus élevé ou de la Commission indépendante des plaintes sur la police » ou de [traduction] « l’Autorité pour légalité de traitement, l’ombudsman et ses adjoints », « d’une ligne d’assistance ouverte en tout temps » et des « refuges », mais la conclusion de l’agent, selon laquelle ces recours subsidiaires [traduction« peuvent accorder de la protection à une personne dans la situation de la demanderesse », est totalement conjecturale et ne traite aucunement des éléments particuliers de la présente affaire.

[46]           Il incombe à la demanderesse de réfuter la présomption selon laquelle la protection de l’État est adéquate, mais la décision, lorsqu’elle traite de la question à savoir si la demanderesse s’était acquittée de son fardeau, ne met pas suffisamment l’accent sur les questions liées à la violence liée au genre et à la violence familiale, lesquelles sont le fondement de la demande d’asile, et ne traite pas de la preuve selon laquelle les femmes d’origine ethnique rom ne sont pas protégées.

[47]           Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est du même avis.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

2.      Il n’y a aucune question à certifier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4870-13

 

INTITULÉ :

TIMEA MARIA BALOGH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

lE 13 NOVEMBRE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 20 JANVIER 2015

 

COMPARUTIONS :

Georgina Murphy

 

pour la demanderesse

 

Tamrat Gebeyehu

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Otis & Korman

Avocat

Toronto (Ontario)

 

pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

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