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Date : 20150116


Dossier : IMM‑786‑14

Référence : 2015 CF 64

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 janvier 2015

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

ANTHONIA ONOWU,

EMMANUEL ONOWU EN SON NOM, ET

À TITRE DE TUTEUR À L’INSTANCE DES MINEURS

DAVE ONOWU, JOEL ONOWU ET

EMMANUELLE ONOWU

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                    Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 14 janvier 2014 par laquelle une agente principale d’immigration (l’agente) a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire) présentée par les demandeurs au Canada en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la LIPR).

[2]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II.                 Le contexte

[3]               La présente demande de contrôle judiciaire est déposée par le demandeur principal, un citoyen nigérian âgé de 51 ans, et ses personnes à charge : sa conjointe nigériane âgée de 41 ans, son fils de 12 ans né au Nigéria, ainsi que son fils de 11 ans et sa fille de 5 ans, deux enfants nés à Hong Kong. De plus, le demandeur principal et sa conjointe ont un fils de 2 ans né au Canada et qui n’est pas inclus dans leur demande.

[4]               En février 2010, les demandeurs sont arrivés au Canada en provenance de Hong Kong. Ils ont déposé une première demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaires et une demande d’asile qui ont toutes deux été refusées. En septembre 2012, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a refusé la demande d’asile des demandeurs, car ils étaient exclus par l’article 1E de la Convention relative au statut des réfugiés, puisqu’ils détenaient le statut de résident permanent à Hong Kong.

[5]               Dans leur première demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, les demandeurs ont indiqué que le demandeur principal détenait le statut de résident permanent à Hong Kong tandis que son épouse et son fils de 12 ans avaient de visas pour personnes à charge; sa fille de 5 ans et son fils de 11 ans, nés à Hong Kong, avaient un droit de résider.

[6]               En mars 2013, ils ont présenté une seconde demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et ils ont reçu une lettre datée du 14 janvier 2014 les avisant que leur demande avait été rejetée. La demande de contrôle judiciaire en l’espèce vise cette décision.

III.               La décision faisant l’objet du présent contrôle

[7]               L’agente a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi qu’ils seraient exposés à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées s’ils devaient quitter le Canada pour présenter une demande de résidence permanente conformément au paragraphe 11(1) de la LIPR; les arguments présentés par les demandeurs étaient insuffisants pour justifier une dispense à titre exceptionnel.

[8]               D’après le résumé préparé par l’agente, les demandeurs ont fait valoir que [traduction] « l’établissement » et « l’intérêt supérieur des enfants » étaient deux facteurs à examiner.

[9]               L’agente a dressé la liste de tous les documents présentés par la famille des demandeurs et avant de commencer son analyse, elle a mentionné que [traduction] « un aspect crucial d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est d’appuyer les déclarations avec des preuves, dans la mesure du possible ».

A.                 L’intérêt supérieur de l’enfant

[10]           L’agente reconnaît qu’une décision quant à une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire doit tenir compte de l’intérêt supérieur des enfants; elle a dûment observé que l’intérêt supérieur des enfants, tel qu’il existe dans la législation, ne l’emporte pas sur tous les autres facteurs dans une affaire, mais qu’il faut néanmoins lui accorder un grand poids. Elle souligne l’âge des enfants, qu’un des enfants est Canadien, et elle examine les arguments du demandeur principal à l’égard de l’intérêt des enfants : (i) qu’un départ du Canada serait préjudiciable, car il y aurait [traduction] « d’importantes conséquences aux plans économique et pédagogique » pour les enfants qui demeurent au Canada, ceux-ci ayant besoin de lui pour répondre à leurs besoins financiers, matériels, éducatifs, psychologiques et affectifs; (ii) que son fils souffre d’anémie falciforme et ne peut recevoir les soins dont il a besoin au Nigéria; et (iii) que ses enfants seraient privés des possibilités qui leur sont offertes au Canada, et s’ils demeurent au pays, que l’environnement familial sain auquel ils sont habitués serait compromis.

[11]           L’agente remarque qu’un élément de preuve montre que les deux garçons du demandeur ont un bon rendement scolaire, mais qu’aucune lettre du médecin n’est présentée pour confirmer le diagnostic d’anémie falciforme de Dave et qu’aucun document ne corrobore l’affirmation selon laquelle le traitement médical n’est pas disponible au Nigéria.

[12]           L’agente estime qu’il est peu probable que les demandeurs soient séparés contre leur gré s’ils devaient quitter le Canada, car [traduction] « généralement, si une famille quitte le Canada, tous les membres partent ensemble », et en ce qui concerne l’enfant né au Canada, les parents peuvent décider si cet enfant les accompagnera ou non au Nigéria.

[13]           L’agente termine son analyse comme suit :

[traduction]

Il est généralement accepté qu’il est préférable que les enfants ne soient pas séparés de leur famille. En outre, le Canada offre de bons systèmes d’éducation et de santé. Je reconnais que le fait de vivre en permanence au Canada serait avantageux pour les enfants.

B.                 Établissement

[14]           L’agente est d’avis que le niveau d’établissement des demandeurs [traduction] « ne dépasse pas celui qu’aurait toute personne résidant au Canada grâce à un permis de travail ou d’étude ». Elle ne croit pas qu’une période de trois ans soit suffisamment longue pour développer [traduction] « un profond attachement envers le Canada » qui entraînerait des difficultés aux demandeurs s’ils devaient quitter le Canada pour présenter une demande de résidence permanente selon le cheminement habituel prévu par la loi.

[15]           L’agente examine d’abord comment les difficultés possibles envisagées dans le cadre du [traduction] « facteur de l’établissement » reposent [traduction] « sur la prémisse que la raison du séjour prolongé au Canada était indépendante de leur volonté ». À titre d’exemple, elle mentionne un scénario selon lequel les conditions dans le pays d’origine sont dangereuses et les mesures de renvoi vers ce pays sont suspendues.

[16]           Deuxièmement, l’agente accepte l’argument des demandeurs selon lequel un départ du Canada aurait des conséquences sur la scolarité des enfants, mais elle n’accepte pas qu’il y aurait des conséquences économiques : [traduction] « À la lumière des antécédents de travail du demandeur, je suis d’avis qu’il pourra trouver un emploi et soutenir sa famille, peu importe l’endroit où il vit. ». Ainsi, l’agente souligne les observations du demandeur principal à l’égard de son historique d’emploi stable, sa bonne gestion financière, ses pratiques commerciales au Canada, son accès à la propriété et son intégration dans sa communauté religieuse, incluant le fait qu’il a payé des impôts, contribué à l’économie canadienne et qu’il est [traduction] « une personne très honnête, qui travaille fort, qui respecte les lois et n’a fait l’objet d’aucune accusation criminelle. »

C.                 Difficultés

[17]           Dans la dernière partie de sa décision, l’agente conclut que les demandeurs n’ont pas démontré le niveau de difficulté envisagé par la loi. Elle résume ainsi son opinion sur la preuve dont elle disposait :

[traduction]

Le portrait général qui m’a été présenté montre que la famille du demandeur a travaillé au Canada, payé des impôts, géré une petite entreprise, fréquenté une Église et l’école, reçu des soins et fait du bénévolat. Les difficultés qui découleraient de leur retour dans leur pays comprennent le déracinement des enfants ainsi que la recherche d’un emploi et d’un endroit pour vivre au Nigéria.

[18]           Elle souligne la méthode utilisée pour prendre la décision; l’appréciation des [traduction] « éléments individuels et de l’effet cumulatif de ces éléments » associés à toutes les considérations d’ordre humanitaire présentées par les demandeurs et le fait qu’ils doivent s’acquitter du fardeau de la preuve et montrer comment leurs circonstances personnelles entraîneraient des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’ils présentaient une demande de visa de résident permanent à l’extérieur du Canada. Citant le juge Pelletier dans la décision Irimie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 ACF no 1906, [Irimie], au paragraphe 12, l’agente semble être d’avis que le niveau de difficulté des demandeurs est similaire :

[…] [L] es difficultés qui déclencheraient l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire pour des raisons d’ordre humanitaire doivent être autres que celles qui découlent du fait que l’on demande à une personne de partir une fois qu’elle est au pays depuis un certain temps. Le fait qu’une personne quitterait des amis, et peut-être des membres de la famille, un emploi ou une résidence ne suffirait pas nécessairement pour justifier l’exercice du pouvoir discrétionnaire en question.

[19]           L’agente reconnaît que le Nigéria est le pays d’origine des demandeurs, malgré l’absence de preuve à l’appui de l’observation des demandeurs selon laquelle [traduction] « Après avoir quitté Hong Kong en février 2010 et être arrivés au Canada en février 2010 avec l’intention de devenir des résidents permanents au Canada, tous les demandeurs ont perdu le statut qu’ils détenaient à Hong Kong – qu’il s’agisse d’un droit de résider ou d’une résidence temporaire reposant sur un visa de personne à charge. »

IV.              Les questions en litige et la norme de contrôle

A.                 Observations écrites ou observations orales

[20]           Les observations écrites des demandeurs ne sont pas très claires et elles sont implicitement révisées dans leur réponse.

[21]           Toutefois, pendant l’audience, le conseil des demandeurs a clairement posé les questions suivantes :

(1)               L’agente a‑t‑elle appliqué le mauvais critère pour évaluer l’établissement des demandeurs au Canada?

(2)               L’agente a‑t‑elle appliqué le mauvais critère pour évaluer l’intérêt supérieur des enfants?

(3)               L’agente a‑t‑elle commis une erreur en ne fournissant pas des motifs suffisants?

[22]           Les trois questions en litige sont contrôlées selon la norme de la décision raisonnable (pour les deux premières questions, voir Blas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 629, aux paragraphes 15 et 16; Serrano Lemus c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CAF 114, et Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CAF 113 [Kanthasamy] selon le juge Stratas, aux paragraphes 36 et 37, discussion sur Agraira c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CSC 36; pour la troisième question, voir Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve‑et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [N.L.N.U.] et Jnojules c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 531, au paragraphe 15).

[23]           Par conséquent, il faut en l’espèce établir si les critères juridiques utilisés par l’agente et ses motifs tiennent « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité » de façon à ce que la décision appartienne aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir], au paragraphe 47 et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59).

V.                 Analyse

A.                 Remarques préliminaires

[24]           Certains arguments présentés par les demandeurs et les preuves à l’appui n’avaient pas été portés à la connaissance de l’agente, mais figurent dans une déclaration sous serment faite par le demandeur. Il est notamment question de nouvelles considérations d’ordre humanitaire, telles que la crainte de persécution au Nigéria (je remarque que les observations soumises à l’agente font plutôt référence à la crainte de persécution à Hong Kong) et l’état de santé de l’enfant canadien du demandeur.

[25]           À l’exception des enjeux touchant l’équité procédurale et la compétence, il est bien établi en droit que la Cour doit évaluer une décision à la lumière du dossier dont disposait le décideur. Par conséquent, la Cour ne portera aucune attention aux conclusions de fait ou aux arguments qui ne figuraient pas dans la demande initialement présentée au décideur (Ribeiro Gadelha Simas Reis c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 179, au paragraphe 58; Smith c Canada, 2001 CAF 86, aux paragraphes 5 à 8; voir aussi Rodriguez Quiroa c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 495, au paragraphe 28).

(1)               L’agente a‑t‑elle appliqué le mauvais critère pour évaluer l’établissement des demandeurs au Canada?

[26]           Les demandeurs font valoir que l’agente a utilisé un mauvais critère pour évaluer l’établissement au Canada en choisissant un critère qui : (i) compare ou évalue leur établissement par rapport à celui de [traduction] « toute personne résidant au Canada grâce à un permis de travail ou d’études »; (ii) réfère à [traduction] « un profond attachement au Canada »; et (iii) tient compte des éléments individuels et de [traduction] « l’effet cumulatif de ces éléments » — un critère réservé à la détermination du risque de persécution dans les cas de demande d’asile et d’examen des risques avant renvoi (ERAR). Les demandeurs allèguent que le critère appliqué par l’agente n’est pas fondé et que son analyse aurait dû reposer sur l’annexe B du Guide sur le traitement des demandes au Canada, chapitre 5, Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire (les Lignes directrices).

[27]           En se référant aux pages 45 à 36 du dossier du Tribunal, le défendeur répond qu’il est d’avis que le véritable problème est que les demandeurs n’ont pas réussi à s’acquitter du fardeau de la preuve exigée par le paragraphe 25(1) de la LIPR, qui a un seuil élevé (Landazuri Moreno c (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 481, au paragraphe 22; Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, au paragraphe 28; et Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38 [Owusu], au paragraphe 8).

[28]           Ainsi, le défendeur fait valoir que la Cour d’appel fédérale a soutenu que les difficultés « doivent être autres que celles qui découlent du fait que l’on demande à une personne de partir une fois qu’elle est au pays depuis un certain temps. Le fait qu’une personne quitterait des amis, et peut-être des membres de la famille, un emploi ou une résidence ne suffirait pas nécessairement pour justifier l’exercice du pouvoir discrétionnaire en question » (Ahmad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 646, au paragraphe 49; voir aussi Kanthasamy, au paragraphe 41).

[29]           De plus, le défendeur soutient que l’agente a choisi et appliqué le bon critère — [traduction] « les difficultés comme elles sont définies dans la loi » et qu’aucun nouveau critère n’a été établi. Il n’existe aucune manière préétablie et en appréciant [traduction] « l’ensemble des faits » présenté, l’agente a tenu compte des facteurs positifs et des facteurs négatifs.

[30]           À mon avis, si l’analyse est examinée dans son ensemble, l’agente a apprécié l’établissement des demandeurs au Canada d’une manière justifiable qui repose sur les faits présentés par les observations des demandeurs et les documents à l’appui. Le choix de mots ou les différents modes d’expression et de comparaison utilisés par l’agente pour expliquer que l’établissement des demandeurs n’était pas exceptionnel aux fins d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ne constituent pas en soi une mauvaise norme. L’agente a raisonné par analogie avec le juge Pelletier dans la décision Irimie — qu’elle ne voyait pas en quoi les difficultés qui découleraient de l’établissement des demandeurs au Canada seraient plus graves que si on demande à une personne de quitter « des amis, et peut-être des membres de la famille, un emploi ou une résidence ». Et il était parfaitement raisonnable que l’agente adopte une telle approche.

[31]           Le législateur a choisi de ne pas imposer un critère particulier au décideur qui doit déterminer s’il convient d’accorder une dispense pour considérations d’ordre humanitaire. Comme l’a déclaré le juge Noël dans l’arrêt Paz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 412 [Paz], au paragraphe 28, la Cour suprême du Canada a confirmé dans Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 RCS 3, que les demandeurs n’ont « aucun droit à un résultat précis ou à l’application d’un critère juridique particulier ». Il poursuit comme suit : « L’absence de critère officiel ou de paramètres stricts n’est pas une justification pour soumettre à un contrôle judiciaire la décision d’un délégué du ministre; il s’agit simplement de la nature d’une décision discrétionnaire ». Par la suite, l’arrêt Paz a été cité pour affirmer qu’un demandeur n’a aucun droit absolu à l’égard de l’application d’un critère juridique particulier dans l’évaluation de ses considérations d’ordre humanitaire (Iamkong c Canada Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2011 CF 355, au paragraphe 36).

[32]           Dans l’arrêt Kanthasamy, aux paragraphes 50 à 52, le juge Stratas, s’exprimant au nom de la Cour d’appel fédérale, écrit que les facteurs mentionnés dans le guide opérationnel constituent une énumération raisonnable du type d’éléments dont doit tenir compte l’agent lorsqu’il examine une demande de dispense pour considérations d’ordre humanitaire fondée sur des faits soulevés par un demandeur, mais ces éléments n’ont pas force de loi. Les lignes directrices ne peuvent pas entraver l’exercice du pouvoir discrétionnaire des décideurs. Ainsi, aucune méthode n’est imposée à un agent qui évalue ces facteurs. Toutefois, l’agent est tenu de les évaluer en fonction du contexte et des circonstances.

[33]           Pour le décideur, les facteurs administratifs favorisent la cohérence du processus décisionnel en faisant la lumière sur le sens de l’expression « difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives » qui a récemment été explicitement décrite par la Cour d’appel fédérale comme l’unique « bon critère » pouvant définir des limites au pouvoir discrétionnaire exercé dans les décisions fondées sur des motifs d’ordre humanitaire (voir Kanthasamy, aux paragraphes 45 à 47 au sujet de Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker], aux paragraphes 53 et 54). En ce qui a trait aux facteurs particuliers, l’agente n’était pas tenue de les aborder de façon méthodique pour répondre à la norme appropriée pour l’application du paragraphe 25(1), comme je l’ai mentionné ci‑dessus.

[34]           Cette conclusion peut facilement être extrapolée de l’arrêt Kanthasamy, ci‑dessus, au paragraphe 53; de la même manière, la Cour d’appel fédérale a jugé bon de préciser que le guide ne fournit pas une liste exhaustive des facteurs liés au paragraphe 25(1), et on ne peut affirmer qu’une liste quelconque devrait être utilisée par les décideurs comme s’il s’agissait d’une formule préétablie.

[35]           La Cour a soutenu que les lignes directrices sont utiles pour évaluer le caractère raisonnable de l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’un agent à l’égard des motifs d’ordre humanitaire (Baker, aux paragraphes 53 et 72). De plus, ces facteurs « englobent le type de conséquences qui, en fonction des faits particuliers de chaque cas, peuvent satisfaire au critère rigoureux des difficultés découlant du fait de quitter le Canada, au fait d’arriver et de demeurer dans le pays étranger, ou encore à ces deux faits à la fois » (Kanthasamy, précité, au paragraphe 50).

(2)               L’agente a‑t‑elle appliqué le mauvais critère pour évaluer l’intérêt supérieur des enfants?

[36]           Les demandeurs font valoir que l’agente a examiné l’intérêt supérieur des enfants en utilisant un critère inapproprié. Ainsi, ils affirment que, même si l’agente mentionne l’intérêt des enfants, son approche n’est pas « réceptive, attentive et sensible » aux intérêts des enfants demandeurs et de l’enfant canadien, puisque l’analyse ne compare pas l’intérêt supérieur des enfants à d’autres facteurs, l’intérêt des enfants est minimisé et la décision est donc déraisonnable. Ils soutiennent que le critère énoncé par la Cour dans la décision Williams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 166 [Williams], au paragraphe 63, aurait dû être utilisé.

[37]           Les demandeurs citent cet extrait des motifs de l’agente, que l’on trouve dans la partie touchant l’évaluation de l’intérêt supérieur des enfants :

[traduction]

Il est généralement accepté qu’il est préférable que les enfants ne soient pas séparés de leur famille. En outre, le Canada offre de bons systèmes d’éducation et de santé. Je reconnais que le fait de vivre en permanence au Canada serait avantageux pour les enfants.

[38]           Les demandeurs font valoir que ce passage n’explique pas comment l’agente a envisagé d’autres facteurs pour évaluer l’intérêt supérieur des enfants, ou si elle l’a fait ou non; il est question de l’intérêt des enfants en matière d’éducation et de l’enfant qui souffre d’anémie falciforme. Les demandeurs font également valoir que l’enfant canadien a un problème de santé qui n’a pas été présenté à l’agente, car cet enfant est exclu de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Les demandeurs admettent que l’agente a mentionné l’enfant souffrant d’anémie falciforme dans ses motifs, mais ils affirment que nonobstant l’absence de documentation : a) le demandeur a informé l’agente que le traitement médical n’était pas disponible au Nigéria; b) des preuves corroborant le fait que l’enfant recevait des soins spécialisés au Canada ont été présentées; et c) l’agente a décidé de formuler des hypothèses non corroborées sur d’autres circonstances; notamment, comme il a été mentionné ci‑dessus, en affirmant que le demandeur principal [traduction] « pourra trouver un emploi et soutenir sa famille, peu importe l’endroit où il vit. ».

[39]           Ainsi, ils soutiennent que l’agente a eu tort de rejeter leur observation à l’égard de l’absence de traitement médical au Nigéria et qu’elle a omis de tenir compte du fait que les enfants n’avaient jamais vécu au Nigéria, car ils avaient habité à Hong Kong, un endroit où ils ne pouvaient pas retourner.

[40]           Le défendeur fait valoir que l’agente a utilisé l’approche appropriée en étant simplement réceptive, attentive et sensible à l’intérêt supérieur des enfants, conformément à l’arrêt Baker; aucune méthode préétablie selon la décision Williams n’est requise.

[41]           Le défendeur déclare qu’à la lumière de la preuve dont elle disposait, l’agente a non seulement utilisé le bon critère, mais elle l’a appliqué efficacement; l’agente s’est montrée réceptive, attentive et sensible, car elle a adéquatement rappelé ce que dit la loi au sujet de l’intérêt supérieur des enfants, l’âge des enfants et les observations des demandeurs, et elle a correctement résumé les faits, accompagné des éléments de preuve soumis, y compris l’enfant souffrant d’anémie falciforme, et les préoccupations à l’égard d’une séparation de l’enfant canadien. Ensuite, le défendeur fait valoir à la Cour la décision Owusu, aux paragraphes 5 et 8 :

[5]        L’agent d’immigration qui examine une demande pour des raisons d’ordre humanitaire doit être « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur des enfants, sur lesquels l’expulsion du père ou de la mère peut avoir des conséquences préjudiciables, et il ne doit pas « minimiser » cet intérêt : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 75. Toutefois, l’obligation n’existe que lorsqu’il apparaît suffisamment clairement des documents qui ont été soumis au décideur, qu’une demande repose, du moins en partie, sur ce facteur. De surcroît, le demandeur a le fardeau de prouver toute allégation sur laquelle il fonde sa demande pour des raisons humanitaires. Par voie de conséquence, si un demandeur ne soumet aucune preuve à l’appui de son allégation, l’agent est en droit de conclure qu’elle n’est pas fondée.

[…]

[8]        Le demandeur qui invoque des raisons d’ordre humanitaire n’a pas un droit d’être interviewé ni même une attente légitime à cet égard. Et, puisque le demandeur a le fardeau de présenter les faits sur lesquels sa demande repose, c’est à ses risques et périls qu’il omet des renseignements pertinents dans ses observations écrites. Selon nous, dans sa demande pour des raisons humanitaires, M. Owusu n’a pas suffisamment insisté sur les répercussions de son expulsion potentielle sur l’intérêt supérieur de ses enfants de manière à ce que l’agente n’ait d’autre choix que d’en tenir compte. [Non souligné dans l’original.]

[42]           En conséquence, le défendeur soutient que les observations des demandeurs étaient insuffisantes, car ils n’ont pas présenté suffisamment de documents pertinents; les éléments de preuve à l’appui de l’intérêt supérieur des enfants malades sont insuffisants.

[43]           J’accepte le fait que l’intérêt des enfants n’a pas été le point de départ (Chandidas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 258, au paragraphe 63).

[44]           Toutefois, je suis d’accord avec le défendeur sur le fait que la jurisprudence est claire : le décideur n’est pas obligé d’utiliser l’approche décrite dans la décision Williams pour prouver qu’il s’est montré « réceptif, attentif et sensible » envers « l’intérêt supérieur de l’enfant », comme le demande l’arrêt Baker. Conformément à Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 2 CF 555 [Hawthorne], la Cour a maintenu qu’il existe plusieurs approches et a confirmé de façon explicite que le critère dans la décision Williams n’est qu’une seule des méthodes pouvant être utilisées par les décideurs pour évaluer « l’intérêt supérieur de l’enfant » (Webb c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1060 [Webb], au paragraphe 13).

[45]           Dans la décision Webb, le demandeur a également cité le paragraphe 63 de la décision Williams pour faire valoir qu’il y avait une erreur susceptible de révision. Le juge Mosley a conclu que l’approche n’était pas pratique; de façon comparable à la situation en l’espèce, il est difficile de voir comment l’agente aurait pu évaluer dans quelle ampleur l’intérêt des enfants du demandeur, y compris l’enfant canadien, serait compromis par une décision négative, compte tenu du thème central des observations, du fait qu’elles étaient courtes et de l’insuffisance de preuves documentaires sur la maladie de Dave et du traitement non disponible au Nigéria. Les observations abordaient, de manière vague et générale, les conséquences négatives qu’aurait un départ du Canada sur l’avenir des enfants relativement à leur désir d’apprendre, aux possibilités, à la séparation et à l’adaptabilité au mode de vie.

[46]           La question n’est pas de savoir si le décideur a choisi et appliqué le bon critère, mais plutôt s’il a choisi et utilisé une approche raisonnable. Pour qu’une approche soit raisonnable, l’analyse doit montrer que l’agent a été « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur des enfants (Baker, précité, au paragraphe 75).

[47]           Un agent ne peut dûment satisfaire à cette exigence s’il n’arrive pas à séparer analytiquement l’évaluation de l’intérêt supérieur des enfants de l’analyse des motifs d’ordre humanitaire, cette dernière reposant sur la norme des difficultés « inhabituelles, injustifiées ou excessives ». Le fondement de cette obligation se trouve au paragraphe 25(1) de la LIPR, contrairement aux facteurs qui se dégagent des lignes directrices. La Cour a annulé des décisions pour la simple raison que l’évaluation de l’intérêt supérieur des enfants reposait sur la norme des difficultés « inhabituelles, injustifiées ou excessives » (voir par exemple, Medina Moya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 971, aux paragraphes 27 et 28).

[48]           La Cour d’appel fédérale a conclu qu’un agent n’est pas « réceptif, attentif et sensible » s’il omet de reconnaître et de définir correctement l’intérêt supérieur de l’enfant (Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, au paragraphe 12). À ce moment‑là, l’obligation est remplie, et en vertu de son pouvoir discrétionnaire, l’agent décide quel sera le poids qu’il accordera dans les circonstances.

[49]           Toutefois, la capacité qu’a un agent de définir correctement l’intérêt supérieur des enfants dépend du fardeau qui incombe aux demandeurs, avec une mise en garde. Je suis d’accord avec le défendeur lorsqu’il dit que le paragraphe précité est crucial (Owusu, précité, au paragraphe 5). La profondeur de l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants dépendra de l’importance accordée à l’intérêt supérieur des enfants dans les observations du demandeur et la preuve présentée, mais cette dernière n’est pas absolue. Dans Owusu, la Cour d’appel fédérale a conclu que le demandeur avait omis de fournir des renseignements importants à ses risques et péril, car il n’avait pas suffisamment insisté sur les répercussions de son expulsion potentielle sur l’intérêt supérieur de ses enfants. Cependant, la Cour d’appel a par la suite laissé entendre que, dans les cas où les preuves documentaires présentées sont insuffisantes, une obligation positive peut être imposée à l’agent de s’enquérir davantage sur l’intérêt supérieur des enfants, c’est-à-dire si les conséquences sur les enfants sont suffisamment mentionnées dans les observations; les observations ne doivent pas être « indirecte[s], succincte[s] et obscure[s] » (Owusu, au paragraphe 9).

[50]           Dans la décision Griffiths c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 434 [Griffiths], le juge Near a conclu que le décideur avait, en dépit de l’absence de preuves, une obligation positive de se renseigner et s’enquérir davantage sur le risque allégué par la demanderesse dans l’exposé circonstancié de sa demande d’ERAR puisque son affirmation selon laquelle on l’avait taxée d’informatrice après l’audience sur son statut de réfugié « n’est pas formulée de façon aussi obscure » que dans Owusu (au paragraphe 18). Cependant, dans cette affaire, le décideur avait commis une erreur susceptible de contrôle, car il n’avait pas tenu compte de l’allégation relative à la réputation d’informatrice de la demanderesse, peu importe ses raisons, au sujet de laquelle la Cour a ensuite conclu qu’il ne s’agissait pas d’un risque simplement mentionné au passage par la demanderesse (Griffiths, précitée, aux paragraphes 12 et 15). L’arrêt Owusu se distingue de la décision Griffiths par des circonstances très différentes du cas en l’espèce. En l’espèce, l’agente a mentionné la maladie de l’enfant des demandeurs et la preuve soumise à cet égard. Elle a semblé laisser entendre qu’elle n’était pas en mesure d’évaluer pleinement l’intérêt supérieur des enfants sans avoir une lettre du médecin.

[51]           Cependant, la décision Hussain c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 719 [Hussain] est plus utile en l’espèce. Malgré les conditions au Pakistan, le juge Lemieux a conclu que les demandeurs n’avaient pas soulevé auprès du décideur leurs préoccupations en matière d’éducation, de soins de santé et de possibilités d’emploi au Pakistan; par conséquent, les observations étaient trop indirectes, succinctes et obscures pour imposer une obligation positive à l’agente de se renseigner davantage sur l’intérêt supérieur des enfants.

[52]           Bien que je constate que la décision contestée comporte une analyse plus complète, les faits de cette affaire ressemblent étonnamment à ceux dans Hussein : les demandeurs avaient démontré que les enfants d’âge scolaire avaient tissé des liens au Canada, qu’ils s’étaient bien adaptés à la vie au Canada et au système scolaire public francophone du Québec, que les demandeurs avaient un enfant né au Canada et âgé de dix-sept mois, et le demandeur principal n’avait également pas fourni de preuve qu’il serait incapable de trouver du travail au Pakistan (au paragraphe 9). Dans leurs observations, les demandeurs ont soutenu que l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants était insuffisante, car les lacunes du système d’éducation du Pakistan rural et des services de santé offerts aux enfants dans ce pays n’avaient pas été considérées.

[53]           En l’espèce, je suis d’avis que les observations des demandeurs sont en substance trop « indirectes, succinctes et obscures » pour imposer une obligation à l’agente de se renseigner davantage sur l’intérêt supérieur des enfants, en l’absence de preuve adéquate. Je remarque que dans l’arrêt Owusu, la Cour d’appel a mentionné la longueur des observations, mais je crois que le principe s’applique autant au contenu.

[54]           Tout d’abord, l’argument des demandeurs au sujet des conséquences négatives d’une interruption dans la fréquentation scolaire est abstrait et n’inclut aucun renseignement sur les possibilités de poursuivre des études au Nigéria. Deuxièmement, en ce qui a trait à la séparation de l’enfant canadien, contrairement à ce que les demandeurs font valoir, cet enfant a été mentionné, sans qu’il soit question de sa maladie, seuls les éléments suivants sont inclus dans le formulaire de demande : [traduction] « Mon fils (Ikenna) est un citoyen canadien et je lui sers de modèle. Je me suis efforcé d’être le meilleur père possible pour lui. Depuis sa naissance, j’ai été présent et j’ai veillé à ce qu’il reçoive les soins appropriés et l’éducation requis pour qu’il devienne une personne productive au Canada, et aussi une personne qui respecte Dieu. » À la page 55 du dossier du Tribunal, le conseil des demandeurs fait valoir à l’agente la dépendance financière ou affective de l’enfant canadien envers ses parents comme suit : [traduction] « Il s’agit de plus qu’une simple relation biologique, il s’agit d’une relation constante de soins, de soutien et d’interdépendance »; et le raisonnement se poursuit sur un ton semblable dans les pages qui suivent. Aucun détail n’est fourni en ce qui touche la substance. Une déclaration de naissance vivante a été présentée avec la demande.

[55]           Je constate que ce paragraphe de la décision Hawthorne est particulièrement utile :

5          L’agente n’examine pas l’intérêt supérieur de l’enfant dans l’abstrait. Elle peut être réputée savoir que la vie au Canada peut offrir à un enfant un éventail de possibilités et que, règle générale, un enfant qui vit au Canada avec son parent se trouve dans une meilleure position qu’un enfant vivant au Canada sans son parent. À mon sens, l’examen de l’agente repose sur la prémisse -- qu’elle n’a pas à exposer dans ses motifs -- qu’elle constatera en fin de compte, en l’absence de circonstances exceptionnelles, que le facteur de « l’intérêt supérieur de l’enfant » penchera en faveur du non-renvoi du parent. Outre cette prémisse que je qualifierais d’implicite, il faut se rappeler que l’agente est saisie d’un dossier particulier dans lequel un parent, un enfant ou les deux, comme en l’occurrence, allèguent des raisons précises quant à savoir pourquoi le non-renvoi du parent est dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Il va de soi que l’agente doit examiner attentivement ces raisons précises. [Non souligné dans l’original.]

[56]           Aucune raison précise n’a été présentée à l’agente pour l’inciter à mener une analyse plus complète; aucune explication n’a été donnée sur les raisons pour lesquelles on ne pourrait prendre soin de l’enfant canadien, dans son intérêt supérieur, au Nigéria. Je constate également que dans la décision Hawthorne, lorsque le juge Décary explique que les difficultés auxquelles font face des enfants représentent un côté de la médaille, la Cour d’appel fédérale ne s’était pas encore prononcée dans Owusu (et Hawthorne n’a pas été cité dans Owusu).

[57]           Dans une certaine mesure, cette affaire rappelle Hawthorne, mais elle s’en distingue à certains égards. Dans Hawthorne, la Cour d’appel fédérale n’a pas conclu que l’évaluation de l’intérêt supérieur des enfants de l’agente était bien cernée ou définie bien que l’agente ait affirmé que les preuves étaient insuffisantes — la Cour a conclu que l’analyse avait été dédaigneuse. La demanderesse avait notamment fait valoir ses préoccupations sur la possibilité que son enfant aille vivre avec son père, car elle pensait que celui-ci avait été accusé d’abus sexuels à l’encontre sa belle-fille. La Cour a conclu que l’agente avait commis une erreur susceptible de révision en refusant la demande en raison d’une insuffisance de preuve et qu’aucun document ne corroborait les accusations contre le père; toutefois, la demanderesse avait présenté des preuves suggérant qu’un service d’aide à l’enfance avait émis des réserves sur les aptitudes parentales de M. Allen.

[58]           En l’espèce, les demandeurs n’ont pas donné à l’agente par leurs observations ou preuves documentaires une réelle possibilité de considérer l’état de santé de Dave, et encore moins les conséquences des soins qu’il recevrait au Nigéria. Le demandeur principal ne mentionne pas la maladie de son fils dans son formulaire de demande, et à la question lui demandant d’indiquer si lui ou des membres de sa famille nommés dans sa demande de résidence permanente ont déjà souffert d’une maladie grave ou d’un désordre physique ou mental, il n’a pas coché la case « Oui » (dossier du Tribunal, page 28). On trouve ce qui suit à la toute fin des observations du conseil qui accompagnent la demande (dossier du Tribunal, page 56) :

[traduction]

Je demande aussi à l’agent d’examen de tenir compte de l’état de santé de Dave Onowu. J’ai cru comprendre qu’il souffre d’anémie falciforme et qu’il ne peut obtenir au Nigéria le traitement médical qu’il reçoit au Canada.

[59]           Une confirmation de rendez-vous à l’hôpital SickKids précisant les différents examens que devait passer Dave, l’enfant malade, et un avis d’examen ophtalmologique ont été présentés. Il n’y avait aucun diagnostic, aucune explication sur la maladie ou le traitement, aucun détail qui aurait pu inciter l’agente à poser plus de questions dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants. On ne peut s’attendre à ce que les agents aient de profondes connaissances médicales.

[60]           À la lumière de ce qui précède, je suis d’avis que l’agente s’est montrée « réceptive, attentive et sensible » à l’intérêt supérieur des enfants compte tenu de la qualité des observations et du nombre d’éléments de preuve dont elle disposait; l’approche utilisée était raisonnable.

(3)               L’agente a-t-elle commis une erreur en ne fournissant pas des motifs suffisants?

[61]           Les demandeurs affirment que les conclusions de l’agente ne sont pas raisonnables parce qu’elles ne semblent pas logiques, transparentes ou intelligibles (Dunsmuir, précité). En conséquence, le conseil fait valoir que les motifs sont vagues; lorsque l’agente affirme que les demandeurs n’ont pas démontré un profond attachement au Canada, elle n’a pas expliqué comment elle avait tiré sa conclusion ni précisé le sens de l’expression [traduction] « attachement profond ». Plus particulièrement, les demandeurs font valoir que l’agente aurait dû décrire quel doit être le type et le degré de l’établissement pour que celui-ci soit considéré [traduction] « profond ».

[62]           Dans le même sens, les demandeurs font valoir que l’agente n’a pas fourni une comparaison complète entre l’établissement des demandeurs et celui de [traduction] « toute personne résidant au Canada grâce à un permis d’études ou de travail », et qu’en fait, cette norme n’avait pas été décrite.

[63]           Les demandeurs sont aussi d’avis que les motifs ne montrent pas que l’agente a équilibré les facteurs positifs et les facteurs négatifs dans l’évaluation de l’établissement. Les faits qui n’appuyaient pas la dispense n’ont pas été traités dans les motifs; les demandeurs citent l’extrait suivant :

[traduction]

Le portrait général qui m’a été présenté montre que la famille du demandeur a travaillé au Canada, payé des impôts, géré une petite entreprise, fréquenté une Église et l’école, reçu des soins et fait du bénévolat. Les difficultés qui découleraient de leur retour dans leur pays incluent le déracinement des enfants ainsi que la recherche d’un emploi et d’un endroit pour vivre au Nigéria.

[64]           Les demandeurs font valoir que les conclusions de l’agente ne constituent pas un juste résumé des 120 pages de documents soumises; ils citent ce passage qu’ils ont écrit :

[traduction]

Depuis notre arrivée au Canada, nous avons travaillé et nous avons été autonomes. Nous sommes engagés dans notre communauté et notre Église, nous prêchons à l’Église et nous encadrons des enfants en bas âge. Des membres de notre communauté nous demandent de l’aide et des conseils. Nous avons réussi à élever nos enfants dans un environnement fondé sur les règles et les aspirations chrétiennes. Nous avons payé des impôts et nous contribuons à l’économie canadienne. Nous avons notre propre entreprise et nous sommes propriétaires de notre maison. Depuis notre arrivée au Canada, nous avons été honnêtes, nous avons travaillé fort et nous avons respecté les lois sans jamais fait l’objet d’accusations criminelles.

[65]           Au contraire, ils affirment que ce passage ne se penche pas sur la situation d’enfants de plusieurs nationalités qui doivent faire face à des difficultés et à des risques dans un pays inconnu, qui éprouvent des difficultés accrues malgré une demande d’asile refusée et un enfant atteint d’une maladie sérieuse; cette situation est bien différente de celle d’une personne qui détient un permis d’études ou de travail.

[66]           Toutefois, les demandeurs admettent qu’aucune preuve relative à l’ERAR n’a été présentée à l’agente et que la seule preuve médicale corroborant la maladie de l’enfant est la confirmation de rendez-vous et la brève mention dans la lettre soumise par leur conseil.

[67]           Ils s’interrogent également sur la conclusion de l’agente selon laquelle le demandeur principal [traduction] « pourra trouver un emploi et soutenir sa famille, peu importe l’endroit où il vit », car celle-ci n’est pas fondée et que les motifs n’expliquent pas pourquoi l’agente a tiré cette conclusion. Cette conclusion est donc conjecturale et inadéquate, car le fardeau de la preuve n’est pas précisé.

[68]           Le défendeur soutient que les motifs s’appuient directement sur la quantité et la qualité des éléments de preuve présentés par les demandeurs. En ce qui concerne la conclusion de l’agente selon laquelle le demandeur principal pourra trouver du travail, le défendeur fait valoir que les motifs de l’agente expliquent clairement que sa conclusion repose sur les antécédents de travail du demandeur principal, y compris son expérience à Hong Kong, et qu’il n’y a aucune hypothèse concernant ses possibilités d’emploi au Nigéria. Le demandeur n’a fourni aucune preuve corroborant l’argument selon lequel il serait incapable de trouver un emploi au Nigéria.

[69]           Je ne peux malheureusement pas être d’accord avec les demandeurs qui ont cité de courts extraits pour faire valoir qu’il existe des lacunes relativement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité—mais dans l’ensemble, les motifs sont adéquats : ils expliquent pourquoi la demande est refusée, résument un peu le processus par lequel l’agente a tiré ses conclusions (elle a exposé les faits, résumé les observations, l’état du droit), un fondement utilisé par la Cour pour examiner les raisons pouvant justifier un contrôle judiciaire, et les aspects pour lesquels les preuves documentaires ont été jugées insuffisantes.

[70]           Le processus de raisonnement n’est pas sans faille, notamment en ce qui a trait à l’équilibre entre les facteurs positifs et les facteurs négatifs, mais il ne s’agit pas d’une obligation—entre autres, il faut seulement que les motifs montrent que le décideur a suivi un processus de raisonnement qui expose et examine les principaux facteurs pertinents (VIA Rail Canada Inc c Canada (Office national des transports), [2001] 2 RCF 25, au paragraphe 22). En ce qui a trait à la norme du caractère raisonnable, le processus de raisonnement de l’agente est jugé acceptable, car il montre clairement qu’un examen détaillé et réfléchi des principaux facteurs pertinents a été mené.

[71]           Avec sympathie, je peux comprendre que la façon choisie par l’agente pour énoncer le point de référence utilisé pour évaluer l’établissement (c’est‑à‑dire des concepts tels que l’ [traduction] « attachement profond ») selon la LIPR n’est pas idéale ni intéressante pour les demandeurs qui ont vu leur travail et le fruit de leurs efforts résumés brièvement en quelques phrases. Cependant, la Cour a soutenu que « lorsque les notes servent à motiver une décision, le caractère suffisant des motifs est apprécié à la lumière d’un critère relativement peu élevé »; la loi établit clairement que les agents administratifs ne sont pas obligés de motiver leurs décisions de façon aussi détaillée que doit le faire un tribunal administratif — une telle exigence ne serait pas appropriée (He c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 33, au paragraphe 39, et Ozdemir c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 331 [Ozdemir], au paragraphe 11).

[72]           De plus, la Cour doit reconnaître respectueusement le « vaste éventail de décideurs spécialisés qui rendent des décisions — qui paraissent souvent contre‑intuitives aux yeux d’un généraliste — dans leurs sphères d’expertise, et ce en ayant recours à des concepts et des termes souvent propres à leurs champs d’activité » (N.L.N.U. précité, au paragraphe 13).

[73]           En ce qui a trait à la quantité de documents présentée par un demandeur, « [u]n décideur n’est pas tenu d’expliquer, pour chaque preuve produite, les raisons pour lesquelles il n’a pas accepté telle ou telle d’entre elles. Il faut considérer l’importance relative de cette preuve par rapport aux autres éléments sur lesquels est fondée la décision » (Ozdemir, précité, au paragraphe 9).

[74]           Je suis d’avis que l’agente a suffisamment examiné la preuve à la lumière de tous les documents présentés. Les motifs montrent que l’agente a considéré ce qui était en jeu pour la famille en fonction des éléments de preuve et des observations présentés. Il est possible que les motifs ne décrivent pas les difficultés ni les dangers possibles de façon aussi détaillée que les demandeurs l’auraient souhaité, mais ceci est dû au fait que la majorité des documents présentés concernent l’autonomie, l’adaptabilité, l’engagement communautaire et les résultats scolaires des demandeurs au Canada — et non la probabilité de préjudices ou le manque de traitement médical au Nigéria.

VI.              La question proposée aux fins de certification

[75]           À l’audience, l’avocat du défendeur a soumis la question suivante aux fins de certification :

                      Dans une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, l’agent est‑il tenu d’appliquer le critère énoncé dans la décision Williams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 166, au paragraphe 63, pour démontrer qu’il a été « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur de l’enfant?

[76]           Le défendeur a demandé à quelques reprises que cette question soit soumise aux fins de certification – notamment dans : Gomez Jaramillo c (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 744, aux paragraphes 76 et 77 et Martinez Hoyos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 998, au paragraphe 40. La Cour ne peut certifier qu’une question grave de portée générale qui transcende l’intérêt des parties au contentieux et qui doit permettre de régler l’affaire (Zazai c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 89, au paragraphe 11). Je suis d’avis que dans l’arrêt Hawthorne, la Cour d’appel fédérale s’est déjà prononcée sur le principal enjeu et aucune question de portée générale n’est soulevée.

VII.            Conclusion

[77]           Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée et aucune question de portée générale ne sera certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                   La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                   Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Jocelyne Gagné »

Juge

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-786-14

 

INTITULÉ :

ANTHONIA ONOWU, EMMANUEL ONOWU EN SON NOM, ET À TITRE DE TUTEUR À L’INSTANCE DES MINEURS, DAVE ONOWU, JOWL ONOWU ET EMMANUELLE ONOWU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO, ONTARIO

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 SEPTEMBRE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 JANVIER 2015

 

COMPARUTIONS :

Stella Iriah Anaele

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Suranjana Bhattacharryya

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stella Iriah Anaele

Avocate

Toronto, Ontario

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto, Ontario

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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