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Date : 20141114


Dossier : T-1800-13

Référence : 2014 CF 1081

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 novembre 2014

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

HORATIUS VITOLIS BROWN

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, M. Brown, sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la directrice générale de la sûreté aérienne, Mme Erin O’Gorman [la directrice générale], agissant au nom du ministre des Transports [Transports Canada], a annulé son habilitation de sécurité en matière de transport [HST], le privant ainsi d’un emploi continu auprès de Servisair, à l’aéroport international Lester B. Pearson.

[2]               La décision a été prise en application du pouvoir discrétionnaire conféré au ministre par l’article 4.8 de la Loi sur l’aéronautique, LRC 1985, c A-2 [la Loi], et en conformité avec le Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport [PHST].

Aperçu

[3]               Le demandeur prétend que la décision était déraisonnable, parce que la directrice générale a commis une erreur dans son appréciation des faits et des explications qu’il a données et qu’elle a mal interprété la preuve. De plus, il soutient que les principes de l’équité procédurale n’ont pas été respectés, parce qu’il n’a pas eu droit à une audience et qu’on ne lui a pas fourni les noms de ses supposés acolytes, ce qui l’empêchait de présenter une défense complète. De plus, le demandeur laisse entendre qu’il a été ciblé dans les enquêtes décrites dans le rapport de vérification des dossiers de police dont disposaient l’organisme consultatif et la directrice générale.

[4]               Le demandeur prétend que la décision se fonde sur des renseignements non prouvés se rapportant à une série d’incidents et sur l’hypothèse selon laquelle il aurait été associé à des personnes non nommées susceptibles d’être impliquées dans l’importation et l’exportation de drogue à l’aéroport Pearson.

[5]               Le demandeur a présenté de vive voix des observations détaillées, en donnant des explications possibles qui n’avaient pas été fournies à l’organisme consultatif ni à la directrice générale, en contestant les renseignements contenus dans le rapport de vérification des dossiers de police et en cherchant à expliquer la nature de son travail à Servisair. Il fait ressortir les répercussions que la décision avait eues sur lui, en soulignant que la perte de son habilitation de sécurité avait entraîné la perte de sa carte d’identité pour les zones réglementées [CIZR] et la perte de son emploi à l’aéroport Pearson, emploi qu’il occupait depuis plus de dix ans. Le demandeur souhaite idéalement que la Cour rétablisse son habilitation de sécurité. Toutefois, tel qu’il a été mentionné à l’audience, ce n’est pas le rôle de la Cour.

[6]               Le défendeur soutient que la décision était raisonnable compte tenu de l’importance de la preuve dont disposaient l’organisme consultatif et la directrice générale, et que le droit à l’équité procédurale du demandeur a été respecté de manière intégrale. Il soutient de plus qu’il n’y a aucune preuve à l’appui de son allégation de partialité.

[7]               Je comprends la situation du demandeur, mais la Cour a pour rôle d’établir si la décision examinée est raisonnable et si le processus pour parvenir à cette décision était juste sur le plan procédural. Comme il a été mentionné à l’audience, la Cour peut seulement s’appuyer sur le dossier – soit, sur les renseignements dont disposait le décideur – pour établir si la décision était raisonnable.

[8]               Le dossier dont disposait le décideur comporte des motifs amplement suffisants pour justifier la décision qu’il a prise. Les principes d’équité procédurale ont été respectés dans le processus de décision; le demandeur a obtenu tous les détails des allégations qui étaient en la possession de Transports Canada et il a eu la possibilité de présenter en réponse des observations qui ont été examinées par l’organisme consultatif et la directrice générale.

[9]               Pour les motifs exposés en détail ci‑dessous, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

Question préjudicielle

[10]           Comme l’a souligné le défendeur, le « procureur général du Canada » devrait être inscrit comme défendeur dans la présente affaire, à la place de « Transports Canada Sécurité et sûreté, Sécurité aérienne ».

Le contexte

[11]           Le demandeur travaillait comme agent de piste pour Servisair à l’aéroport Lester B. Pearson de Toronto, en Ontario, depuis octobre 2000. Il s’était vu accorder initialement une HST en 2001, qui a été renouvelée tous les cinq ans par la suite.

Le rapport de vérification des dossiers de police

[12]           Le 3 juin 2013, Transports Canada a reçu un rapport de vérification des dossiers de police de la Gendarmerie royale du Canada [GRC], qui révélait que le demandeur faisait partie d’un groupe criminel organisé, formé de bagagistes de l’aéroport, qui facilite l’importation de drogues au Canada.

[13]           Le rapport se fonde sur plusieurs sources, notamment : des bulletins de renseignements de la section antidrogue et des services du renseignement de l’aéroport de Toronto; des rapports de la GRC, des services de police de la région de Peel et de Toronto et de l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC]; la surveillance effectuée par la police et l’ASFC; trois projets de la GRC (OVRIDJAG, ONTANA et OTAG); des sources humaines confidentielles et des documents judiciaires.

[14]           Le rapport de vérification des dossiers de police révèle que les enquêtes de la GRC (plus particulièrement, les projets OTAG et ONTANA) ont permis de recueillir des éléments de preuve au moyen de la surveillance, de saisies de drogue et d’autres techniques d’enquête. Les enquêtes ont permis d’identifier plusieurs bagagistes, préposés à l’entretien cabine, préposés d’escale et autres fournisseurs de services qui, ensemble, facilitaient l’importation de substances au Canada et leur exportation dans d’autres pays. Ces enquêtes ont donné lieu à de multiples mandats et arrestations.

[15]           Le rapport de vérification des dossiers de police dresse une liste de 11 individus qui seraient les acolytes du demandeur et qui ont été soupçonnés, accusés ou déclarés coupables de s’être livrés à des activités liées à la drogue, y compris le sujet A qui a plaidé coupable et a été condamné à 23 mois de prison pour importation de drogue.

[16]           Le rapport souligne que les enquêtes n’ont pas permis d’accumuler suffisamment d’éléments de preuve pour porter des accusations contre le demandeur, mais que la GRC soutient qu’il représente une [traduction] « porte » (à savoir quelqu’un qui sert de moyen d’accès) bien établie et fructueuse à l’aéroport, et qu’il continue de faciliter l’entrée et la sortie de la drogue avec l’aide de ses collègues de travail.

[17]           Le rapport décrit 21 incidents ou faits qui se sont produits entre 2005 et 2013. Il mentionne que, bien que des accusations criminelles n’aient jamais été portées contre le demandeur, ce dernier était un [traduction] « dénominateur commun » dans de nombreuses tentatives d’importation ayant échouées. Ces faits comprennent plusieurs saisies de drogue où le demandeur était présent ou se trouvait dans la zone du vol alors qu’il ne devait pas travailler; des renseignements provenant d’une source humaine fiable qui indiquaient que le demandeur et trois autres employés venaient à l’aéroport pendant leurs journées de congé pour récupérer les substances contrôlées à l’arrivée de vols internationaux; un bulletin de la section du renseignement de l’aéroport qui indiquait que le demandeur faisait partie d’un groupe soupçonné de faire sortir des stupéfiants de l’aéroport et que les membres de ce groupe venaient à l’aéroport pendant leurs journées de congé et franchisaient les portes sécurisées avec leur CIZR; des renseignements qui révélaient qu’un superviseur de Servisair organisait les quarts de travail pour permettre au demandeur de travailler sur certains vols, et plus récemment, soit en janvier 2013, la saisie de 12 kg de cocaïne effectuée sur un vol, au moment où le demandeur faisait des heures supplémentaires et s’occupait des bagages du vol .

La lettre de Transports Canada

[18]           Dans une lettre datée du 18 juin 2013, Mme N. Dupuis, chef des programmes de filtrage de sécurité à Transports Canada, a répété au demandeur presque mot pour mot les renseignements contenus dans le rapport de vérification des dossiers de police et l’a informé que, en raison de ces renseignements, son habilitation de sécurité avait été soumise à l’examen de l’organisme consultatif d’examen d’habilitation de sécurité en matière de transport.

[19]           Mme Dupuis a également fait état d’un autre incident qui s’est produit en octobre 2011, pendant que l’ASFC procédait à l’examen des bagages d’un vol [traduction] « présentant des risques élevés » à l’aérogare 3. Vers 2 h 40, trois heures après avoir terminé son quart de travail, le demandeur a été aperçu au moment où il quittait rapidement un remorqueur (soit le véhicule qui tire les chariots de bagages). Le demandeur a dit au service du renseignement de l’aéroport qu’il était retourné à l’aéroport après son quart de travail et y était resté pendant presque quatre heures pour travailler sur son ordinateur portatif. Il a nié avoir déjà travaillé avec une personne ayant déjà perdu sa CIZR ou son emploi parce qu’elle s’était livrée à des activités criminelles ou connaître pareille personne. Il a affirmé que la seule raison pour laquelle un employé viendrait constamment à l’aéroport pour décharger des bagages en dehors de ses heures de travail serait liée à la contrebande et que pareil cas devait être traité jusqu’aux limites permises par la loi et que l’employé devrait se voir retirer sa CIZR.

[20]           Mme Dupuis a invité le demandeur à consulter en ligne le Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport et elle l’a encouragé à fournir d’autres renseignements décrivant les circonstances des incidents et des associations, ainsi que toute autre information, explication ou circonstance atténuante, dans un délai de vingt jours, en soulignant que les renseignements fournis seraient minutieusement examinés dans le processus de décision concernant son habilitation de sécurité.

[21]           Le 2 juillet 2013, le demandeur a appelé Transports Canada. La note au dossier de Transports Canada indique qu’il manifestait de l’incrédulité et qu’il niait avoir déjà fait quelque chose de mal dans sa vie ou connaître quelqu’un qui se livrait à des activités illégales à l’aéroport. Il a souligné que, s’il avait su que des gens se livraient à de telles activités, il les aurait dénoncés. Il a demandé où il pourrait obtenir de l’information de toutes les sources énumérées dans la lettre. Il a expliqué qu’il avait été chef préposé d’escale, qu’il faisait des heures supplémentaires, qu’il entretenait des rapports avec bon nombre de personnes et qu’il aidait l’ASFC lorsqu’il le fallait. Il a ajouté qu’il ne pourrait jamais se souvenir des faits qui sont survenus il y a longtemps, ce qui rendait difficile le fait d’assurer sa défense.

[22]           Transports Canada l’a avisé de produire les documents à l’appui qu’il souhaitait soumettre et lui a rappelé la date butoir.

La réponse du demandeur à Transports Canada

[23]           L’avocat du demandeur a soumis une réponse qui abordait chacun des faits exposés dans la lettre de Transports Canada du 18 juin 2013.

[24]           Il souligne que le rendement du demandeur à Servisair lui valait des éloges, qu’il travaillait 60 heures par semaine et qu’il n’entretenait pas de liens étroits avec qui que ce soit à l’aéroport.

[25]           Il nie avoir été impliqué dans ces incidents. En ce qui a trait à la saisie de cocaïne du 7 août 2009, le demandeur nie en avoir eu connaissance et se demande bien pourquoi il ferait l’objet d’une enquête, tout en laissant entendre que c’était en raison de sa couleur ou de ses origines.

[26]           Il affirme être ciblé comme suspect dans des enquêtes sur les vols des Caraïbes en raison de ses origines jamaïcaines, mais rien ne permet de le lier aux allégations, mis à part le fait qu’il travaillait à l’aéroport comme agent principal en compagnie des employés qui ont été arrêtés et accusés pour des infractions liées à la drogue et qu’il n’avait jamais eu connaissance que l’un d’eux se livrait à pareilles activités. Il mentionne également, comme cause possible pour expliquer qu’il était visé par l’enquête, le fait qu’il était très visible à l’aéroport, parce qu’il y travaille souvent 60 heures par semaine. Il soutient que les allégations le visant sont des hypothèses et qu’elles sont sans fondement.

[27]           Le demandeur conclut sa réponse en répétant qu’il nie s’être livré à des activités illégales ou avoir été associé à quiconque s’y étant livré. Le demandeur ajoute que, par le passé, il a communiqué avec la police pour signaler des activités suspectes.

La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

[28]           Le 28 août 2013, l’organisme consultatif a examiné les allégations ainsi que les observations présentées par le demandeur avant de faire sa recommandation à la directrice générale.

[29]           L’organisme consultatif a souligné que les vérifications faites révèlent que le demandeur n’a aucun dossier judiciaire et qu’aucune accusation n’a été portée contre lui.

[30]           Il a fait référence au rapport de vérification des dossiers policiers, qui contenait des renseignements concernant les soupçons qui pèsent sur le demandeur au sujet de son implication dans des activités d’importation ou d’exportation de drogue à l’aéroport et de ses liens avec 11 autres personnes également impliquées, dont une qui avait plaidé coupable à une accusation d’importation de hachisch et qui avait été condamnée à 23 mois de prison.

[31]           Il a souligné que ces renseignements provenaient de multiples sources fiables. De plus, plusieurs services de police agissant de manière indépendante ont établi que le demandeur était impliqué dans l’importation et l’exportation de drogue à l’aéroport. Les enquêtes de la GRC liées à l’importation et à l’exportation de drogue à l’aéroport en 2007 (projets ONTANA et OTAG) ont identifié le demandeur comme étant le dénominateur commun. Aucune accusation n’a été portée contre le demandeur, mais la section antidrogue de la GRC à Toronto croyait qu’il représentait une [traduction] « porte » bien établie à l’aéroport et qu’il continue de faciliter l’entrée et la sortie de la drogue à l’aéroport.

[32]           L’organisme consultatif a relevé que, bon nombre de fois, sur une longue période de temps, le demandeur se trouvait non loin du lieu où des saisies de drogue étaient exécutées et qu’à plusieurs occasions, il avait utilisé sa CIZR pour accéder à la zone réglementée de l’aéroport alors qu’il ne devait pas travailler. De plus, différentes sources, y compris des sources humaines fiables travaillant avec la GRC et le service du renseignement de l’aéroport de Toronto, avaient indiqué que le demandeur s’employait activement à faciliter l’importation illégale de substances contrôlées au Canada. En particulier, une source avait signalé qu’elle avait entendu le demandeur dire que [traduction] « [l]’argent est toujours là, ils [les agents de l’ASFC] trouveront ce qu’ils trouveront, mais nous continuerons de faire entrer la marchandise à chaque vol ».

[33]           Il a également souligné l’importance de l’importation et de l’exportation de la drogue à l’aéroport par rapport aux actes d’intervention illicites dans l’aviation civile.

[34]           Il a tenu compte des observations du demandeur qui niait avoir eu connaissance d’activités criminelles à l’intérieur ou à l’extérieur de l’aéroport et aussi du fait qu’il avait déjà communiqué avec la police pour signaler des activités suspectes au travail. Toutefois, compte tenu du fait que le demandeur était présent lors de l’exécution de plusieurs saisies de drogue et aussi du fait que des accusations avaient été portées contre d’autres travailleurs de l’aéroport, l’organisme consultatif n’a pas jugé crédible l’affirmation du demandeur selon laquelle il n’avait pas eu connaissance des activités criminelles à l’aéroport.

[35]           Le dossier d’analyse de l’organisme consultatif précise ce qui suit :

[traduction]

L’avocat de M. Brown a fourni une déclaration écrite, mais compte tenu des nombreux incidents et du fait que de multiples services de police ayant mené de nombreuses enquêtes indépendantes qui ont permis de recueillir des éléments de preuve provenant de diverses sources, notamment au moyen d’interception de communications, ainsi que des sources humaines fiables, sont parvenus à la même conclusion, à savoir que le demandeur était impliqué dans des activités d’importation et d’exportation de drogues à l’aéroport international Lester B. Pearson, cette déclaration n’était pas suffisante pour dissiper les doutes.

[36]           Il a ensuite conclu, en se fondant sur l’analyse du dossier et en tenant compte de la formulation du PHST, qu’il avait des motifs de croire que, selon prépondérance des probabilités, le demandeur pourrait être sujet ou incité à commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation ou aider ou inciter une personne à commettre pareil acte.

[37]           La directrice générale a accepté la recommandation de l’organisme consultatif et elle a annulé l’habilitation de sécurité du demandeur. Dans la lettre de décision qu’elle a envoyée au demandeur, la directrice générale précise que l’annulation était fondée sur l’examen du dossier, notamment des préoccupations décrites dans la lettre du 18 juin 2013, des observations écrites de l’avocat du demandeur, de la recommandation de l’organisme consultatif et des dispositions du PHST. Elle a souligné les multiples sources fiables qui sont parvenues à la même conclusion, à savoir que le demandeur était impliqué dans des activités d’importation et d’exportation de drogue à l’aéroport et que ces incidents avaient un lien direct avec la sûreté de l’aviation.

[38]           La directrice générale termine sa lettre de décision en mentionnant : [traduction] « Votre avocat a fourni une déclaration écrite, mais compte tenu du lien direct de ces incidents avec la sûreté de l’aviation, cette déclaration n’est pas suffisante pour dissiper mes doutes ».

Les questions en litige

[39]           Le demandeur a soulevé plusieurs points litigieux, qui peuvent d’une manière plus générale, se résumer à ce qui suit : la norme de contrôle applicable, la question de savoir si la décision de refuser l’habilitation de sécurité est raisonnable et celle de savoir si les principes de l’équité procédurale ont été respectés.

La norme de contrôle

[40]           Le demandeur avance que la décision est déraisonnable et comporte une erreur de droit et que, par conséquent, la Cour devrait l’examiner en appliquant la norme de la décision correcte (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] RCS 190 [Dunsmuir]).

[41]           Le défendeur souligne que la norme de contrôle applicable à la décision, qui se fonde sur une appréciation des faits et du droit, est celle de la raisonnabilité. Cette norme a été confirmée dans nombre d’affaires intéressant des annulations ou des refus d’habilitation de sécurité en matière de transport (Clue c Canada (Procureur général), 2011 CF 323, 200 ACWS (3d) 4 [Clue]; Thep-Outhainthany c Canada (Procureur général), 2013 CF 59, 224 ACWS (3d) 538 [Thep-Outhainthany]; Lorenzen c Canada (Transport), 2014 CF 273, 239 ACWS (3d) 10 [Lorenzen]), compte tenu de l’importance de la sûreté de l’aviation pour le public et de la nature discrétionnaire et spécialisée du processus de décision en matière d’habilitation de sécurité.

[42]           Comme je l’ai mentionné à l’audience, lorsque la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité, le rôle de la Cour dans une demande de contrôle judiciaire n’est pas de rendre sa propre décision, mais d’établir si la décision du ministre appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précitée, au paragraphe 47; voir aussi Thep-Outhainthany, précitée, au paragraphe 18, et Lorenzen, précitée, au paragraphe 14, deux décisions portant sur des habilitations de sécurité).

[43]           La Cour ne peut apprécier la preuve à nouveau ou rendre sa propre décision. Si la décision est jugée déraisonnable, l’affaire est renvoyée au ministre pour nouvel examen.

[44]           En ce qui a trait à l’argument du demandeur selon lequel il s’était vu refuser la possibilité de bien présenter sa cause et de produire une réponse à l’égard des détails contenus dans le rapport de vérification des dossiers de police, la norme de contrôle applicable à l’égard des allégations de manquement à l’équité procédurale est celle de la décision correcte.

Dispositions législatives pertinentes

[45]           Les dispositions pertinentes sont présentées à l’annexe A.

[46]           Pour souci de commodité, je reproduis ci‑dessous la principale disposition d’intérêt du PHST, à savoir l’article 1.4.4.

L’objectif de ce programme est de prévenir l’entrée non contrôlée dans les zones réglementées d’un aéroport énuméré dans le cas de toute personne :

[…]

4. qui, selon le ministre et les probabilités, est sujette ou peut être incitée à :

          commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile; ou

          aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile.

La décision d’annuler l’habilitation de sécurité du demandeur était‑elle raisonnable?

La position du demandeur

[47]           Le demandeur prétend que la directrice générale n’a pas bien examiné et apprécié les éléments de preuve dont elle disposait, parce qu’elle n’a pas tenu compte de ses explications concernant le fait qu’il n’avait pas eu connaissance des incidents liés au trafic de la drogue à l’aéroport, qu’il niait son implication dans ces activités et qu’il n’avait pas de dossier judiciaire, et qu’elle a omis de prendre en considération son explication pour justifier le fait qu’il se trouvait à l’aéroport en dehors de ses heures normales de travail.

[48]           Le demandeur soutient que ses déclarations ont été faites sous serment, qu’elles sont véridiques et qu’il n’y a pas lieu de douter de leur véracité. Il ajoute que, lorsque la véracité d’un témoignage n’est pas mise en doute, ce témoignage ne peut être écarté ni rejeté (en citant Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302, 1 ACWS (3d) 167 (CFCA); Permaul c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1983), 23 ACWS (2d) 496, 53 NR 323). Le demandeur fait valoir que la directrice générale a tiré des conclusions qui allaient à l’encontre de la preuve qu’il avait présentée, laquelle, soutient‑il, demeure incontestée, et que cela équivalait à écarter des éléments de preuve pertinents versés au dossier.

[49]           Le demandeur fait de plus valoir que l’organisme consultatif aurait dû examiner la preuve en tenant compte du fait qu’il n’avait jamais été accusé ni déclaré coupable d’aucun crime commis à l’aéroport ou ailleurs. Il prétend aussi que l’organisme consultatif a également conclu à tort que le demandeur était associé à des individus qui avaient été accusés et déclarés coupables d’actes criminels, en se fondant seulement sur des observations circonstancielles, parce qu’ils travaillaient au même endroit que lui.

[50]           Comme je l’ai mentionné dans l’aperçu, le demandeur a présenté à l’audience des observations supplémentaires et d’autres explications possibles, qui n’avaient pas été fournies à Transports Canada.

[51]           Plus particulièrement, le demandeur conteste les renseignements contenus dans le rapport de vérification des dossiers de police. Il soutient que les allégations sont vagues et qu’elles ne semblent pas indiquer qu’il ait été impliqué directement dans la manutention des bagages contenant la drogue. Il affirme que l’horaire de travail doit être flexible pour s’adapter aux changements dans les heures d’arrivée et de départ, qu’il était présent pour les vols qu’on lui assignait et qu’il ne sait pas qui sont les autres employés impliqués, étant donné qu’ils ont seulement été identifiés par des lettres. Il s’interroge quant à savoir pourquoi les caméras de sécurité, qui auraient pu permettre de vérifier ses allées et venues dans les zones de l’aéroport, ne fonctionnaient pas aux dates où se sont produits plusieurs des incidents mentionnés dans le rapport. Il s’interroge également quant à savoir pourquoi, s’il était soupçonné d’être impliqué dans ces activités, qu’il n’ait jamais été accusé ni interrogé par la police, et pourquoi son habilitation de sécurité avait été renouvelée précédemment.

[52]           Il veut également donner des explications sur son expérience de travail à Servisair, sa disponibilité pour faire des heures supplémentaires, l’impossibilité de manipuler les quarts ou les équipes pour s’occuper d’un vol en particulier et le fait qu’il travaillait principalement à l’aérogare no 3 et, au besoin, à d’autres aérogares et qu’il pouvait ainsi se trouver non loin ou dans la zone de certains vols, ainsi que d’autres renseignements du genre concernant le travail des agents de piste et d’autres employés à l’aéroport, de manière générale. Il souligne également, pour expliquer sa présence à l’aéroport en dehors des heures normales de travail, qu’il était représentant syndical et aussi représentant en matière de sécurité et de santé au travail.

[53]           Il continue de nier toute implication dans des activités d’importation de drogue et son association à ceux qui auraient été mêlés à ces activités. Le demandeur soutient que les allégations vagues concernant son association à ces individus, parce qu’il se trouvait à proximité des lieux de saisie de la drogue et d’autres incidents, ce qu’il nie, et le critère selon lequel il est une personne « sujette » à commettre un acte illicite visant la sûreté de l’aviation n’est tout simplement pas suffisant pour entraîner une conséquence aussi rude que l’annulation de son habilitation de sécurité.

La position du défendeur

[54]           Le défendeur soutient que la décision était raisonnable, en soulignant que l’article 4.8 de la Loi confère au ministre un pouvoir discrétionnaire étendu pour décider si une HST doit être annulée. Ce pouvoir étendu est nécessaire pour faire respecter l’objectif de la Loi et du PHST – prévenir les actes d’intervention illicites dans l’aviation civile de manière à assurer la sécurité aérienne au Canada.

[55]           Le défendeur note que la Cour fédérale a toujours affirmé que cet objectif revêt une importance capitale et que l’intérêt du public l’emporte sur celui des personnes dont l’habilitation est révoquée (Fontaine c Canada (Transports), 2007 CF 1160, au paragraphe 30, 313 FTR 309 [Fontaine]; Rivet c Canada (Procureur général), 2007 CF 1175, aux paragraphes 15 et 20, 325 FTR 178 [Rivet]). Pour cette raison, l’accès à une zone réglementée doit être considéré comme un privilège, et non comme un droit (Fontaine, précitée, au paragraphe 59).

[56]           Le défendeur souligne que le PHST énonce des facteurs particuliers que le ministre peut prendre en compte, y compris l’implication dans des activités criminelles ou des soupçons quant à l’entretien de liens étroits avec des personnes impliquées dans des activités criminelles. De plus, le ministre peut également prendre en compte tout autre facteur considéré comme étant pertinent (Fontaine, précitée, au paragraphe 78).

[57]           Le défendeur fait état du critère prévu dans le PHST et souligne que la norme de preuve est relativement faible comparativement à la règle en matière criminelle qui exige que la culpabilité soit prouvée hors de tout doute raisonnable.

[58]           Le rapport de vérification des dossiers de police se fondait sur des renseignements obtenus de multiples services de police qui ont agi de façon indépendante, ainsi que sur des éléments de preuve recueillis lors de la surveillance, dans plusieurs rapports sur les renseignements policiers et grâce à de multiples sources humaines confidentielles et à deux importants projets d’enquête. Il était loisible à l’organisme consultatif et à la directrice générale de s’appuyer sur ces renseignements.

[59]           Le défendeur souligne également que plusieurs des prétendus acolytes ont été accusés relativement à des activités illégales mentionnées dans le rapport de vérification des dossiers de police. Ces renseignements à eux seuls seraient suffisants pour justifier un doute raisonnable concernant l’aptitude du demandeur à conserver une habilitation de sécurité. La Cour a déjà conclu que la fréquentation d’individus susceptibles d’avoir une influence négative constitue un motif suffisant pour que le ministre croie raisonnablement qu’une personne est sujette ou peut être incitée à commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile (Fontaine, précitée, aux paragraphes 83 et 84).

[60]           Le défendeur conteste l’affirmation du demandeur selon laquelle l’organisme consultatif et la directrice générale ont écarté sa preuve. L’organisme consultatif et la directrice générale ont expressément fait état des observations du demandeur et les ont examinées, mais ils ont jugé qu’elles étaient insuffisantes pour dissiper leurs doutes. Des raisons claires ont été fournies pour justifier le rejet des observations, notamment le manque de crédibilité de ses dénégations, compte tenu du fait qu’il était souvent présent à l’aéroport lors de l’exécution de plusieurs saisies de drogue et que des accusations ont été portées contre certains de ses collègues de travail.

[61]           En ce qui a trait aux observations supplémentaires présentées de vive voix par le demandeur, le défendeur souligne que la Cour doit s’en tenir au dossier dont disposait le décideur pour juger si la décision était raisonnable. Bon nombre des observations formulées de vive voix constituent des précisions sur des éléments du dossier, et d’autres sont de toutes nouvelles observations qui n’avaient pas été fournies en réponse à la lettre de Transports Canada.

La décision était raisonnable

[62]           L’article 4.8 de la Loi sur l’aéronautique confère au ministre, et à la directrice générale qui agit au nom du ministre, un vaste pouvoir discrétionnaire en vertu duquel il peut « accorder, refuser, suspendre ou annuler une habilitation de sécurité » et prendre en compte tout facteur pertinent pour le faire.

[63]           À la base de sa décision, la directrice générale avait des motifs raisonnables de croire, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur « est [sujet] ou susceptible d’être [incité] à : commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile; aider ou inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile », à savoir la norme énoncée dans le PHST.

[64]           Le demandeur a prétendu que cette norme peu rigoureuse ne devrait pas justifier les rudes conséquences entraînées par la perte de son habilitation de sécurité. Même si je comprends sa position et conviens que les conséquences sont graves, le PHST est clair, et la jurisprudence de la Cour a confirmé que la norme est dans une certaine mesure moins rigoureuse que la simple prépondérance des probabilités, compte tenu des mots « est sujette » et « acte d’intervention illicite ».

[65]           La directrice générale s’est appuyée sur le rapport de vérification des dossiers de police, ce qu’il lui était loisible de le faire, et elle a fait état des liens entre M. Brown et les personnes impliquées dans l’importation et l’exportation de la drogue à l’aéroport, ainsi que de la preuve portant qu’il était lui aussi impliqué dans ces activités et qu’il pourrait y jouer un rôle clé. Le rapport de vérification des dossiers de police était détaillé et se fondait sur des renseignements provenant de multiples sources policières et sur au moins deux sources humaines qui ont fourni des renseignements à des services de police indépendants.

[66]           Le demandeur a donné des explications possibles dans les observations qu’il a présentées de vive voix, mais bon nombre de ces observations n’avaient pas été présentées dans les observations écrites soumises à l’organisme consultatif.

[67]           Les résultats des enquêtes de la GRC, l’information obtenue des services du renseignement de l’aéroport et les saisies exécutées par l’ASFC constituaient la justification de l’organisme consultatif et de la directrice générale.

[68]           Même si le demandeur n’a aucun dossier judiciaire et qu’il n’a pas fait l’objet d’une accusation par suite d’une enquête au cours des dix dernières années, les déclarations de culpabilité au criminel ne sont pas un critère applicable pour justifier la révocation d’une habilitation de sécurité.

[69]           Comme le juge Rennie l’a souligné dans la décision Thep-Outhainthany, précitée, au paragraphe 20 :

Deuxièmement, l’absence d’une déclaration de culpabilité au criminel ne peut pas être déterminante, compte tenu des normes de preuve différentes qui s’appliquent dans les deux contextes juridiques distincts. On confirme une déclaration de culpabilité au criminel en se fondant sur la preuve hors de tout doute raisonnable. Le refus d’accorder une habilitation de sécurité ne requiert qu’une conviction raisonnable, selon la prépondérance des probabilités, qu’une personne est sujette ou susceptible d’être incitée à commettre un acte qui peut être préjudiciable pour l’aviation civile.

[70]           La décision de la directrice générale cerne la question de la propension des employés d’aéroport à d’adopter des comportements susceptibles de nuire à la sûreté de l’aviation. Une démarche générale et prospective doit être adoptée. Comme l’a mentionné le juge Harrington dans MacDonnell c Canada (Procureur général), 2013 CF 719, au paragraphe 29, 435 FTR 202 :

La politique est prospective; autrement dit, elle tient de la prédiction. La politique n’exige pas que le ministre croie selon la prépondérance des probabilités qu’un individu « commettra » un acte qui « constituera » un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ou qu’il « aidera ou incitera » toute autre personne à commettre un acte qui « constituerait » une intervention illicite pour l’aviation civile, mais seulement qu’il soit « sujet » à le faire.

[71]           De plus, il est loisible au ministre de privilégier la sécurité du public. Dans la décision Rivet, précitée, au paragraphe 15, le juge Pinard mentionne que, dans la mise en balance des intérêts de la personne visée et de ceux de la sécurité du public, ces derniers l’emportent. Voici son explication :

Par ailleurs, tant l’objet de la Loi que la nature de la question ont trait à la protection du public en prévenant des actes d’intervention illicite dans l’aviation civile. Même si la décision du ministre vise directement les droits et les intérêts du demandeur, ce sont les intérêts du grand public qui sont en jeu et qui ont préséance sur la capacité du demandeur d’avoir son HST pour pouvoir travailler à titre de pilote. L’objectif de la Loi émane d’un problème élargi qui englobe les intérêts de la société tout entière et non seulement ceux du demandeur.

[72]           En ce qui a trait à l’argument du demandeur selon lequel il n’était pas directement impliqué (ni impliqué du tout) dans les activités illicites et qu’il n’aurait jamais mis en péril la sûreté de l’aviation, la jurisprudence a établi que l’implication directe n’est pas nécessaire. Dans Thep‑Outhainthany, le mari de la demanderesse était impliqué dans un réseau de vente de drogue sur appel, mais la demanderesse, qui travaillait dans un aéroport, a nié toute implication (précitée, au paragraphe 27). Toutefois, la Cour a souligné que le fait que la demanderesse avait accès à une zone réglementée d’un aéroport était susceptible d’attirer l’attention de son époux ou de ses acolytes et elle a conclu à l’existence d’un lien entre le trafic de la drogue dans la collectivité et la sûreté de l’aviation.

[73]           D’autres décisions soutiennent également la proposition suivant laquelle il n’est pas nécessaire que la conduite en question entrave directement la sûreté de l’aviation (voir par exemple Pouliot c Canada (Transports, Infrastructure et Collectivités), 2012 CF 347, 216 ACWS (3d) 527 [Pouliot]; Russo c Canada (Transports, Infrastructure et Collectivités), 2011 CF 764, 406 FTR 49; Rivet, précitée; Canada (Transports, Infrastructure et Collectivités) c Farwaha, 2014 CAF 56, 238 ACWS (3d) 282 [Farwaha]).

[74]           L’organisme consultatif peut considérer l’association avec des individus susceptibles d’avoir une influence négative comme un point pertinent pour trancher la question de savoir si une personne est sujette à commettre ou à aider ou inciter à commettre un acte d’intervention illicite susceptible d’être préjudiciable à l’aviation civile, de sorte que son habilitation de sécurité serait révoquée (voir Fontaine, précitée, au paragraphe 7; Farwaha, précitée, au paragraphe 101).

[75]           En ce qui a trait aux observations du demandeur selon lesquelles ses déclarations avaient été faites sous serment et que la preuve qu’il avait produite n’avait pas été contredite, on peut dire que ce n’est pas le cas. L’organisme consultatif a mentionné clairement que, compte tenu de la preuve dont il disposait, il ne croyait pas les dénégations du demandeur.

[76]           L’organisme consultatif et la directrice générale ont examiné toute la preuve dont ils disposaient, notamment le rapport de vérification des dossiers de police et les observations que le demandeur a présentées en réponse à la lettre de Transports Canada, qui reprenait les renseignements contenus dans le rapport de vérification des dossiers de police, ainsi que les dénégations d’implication du demandeur qui apparaissaient dans la note au dossier. Il était loisible à l’organisme consultatif et à la directrice générale d’accorder l’importance voulue à cette preuve, et ils l’ont fait. La preuve était suffisante pour étayer un motif raisonnable de croire, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur est une personne sujette à commettre un acte susceptible d’être préjudiciable à l’aviation civile. L’organisme consultatif et la directrice générale ont bien motivé leur décision. Et la décision était raisonnable.

Les principes de l’équité procédurale ont‑ils été respectés?

La position du demandeur

[77]           Le demandeur soutient que les principes de l’équité procédurale n’ont pas été respectés : i) il n’a pas eu droit à une audience; ii) on ne lui a pas fourni les noms de ses prétendus complices; iii) il pouvait avoir ciblé par l’enquête. Dans ses observations écrites, le demandeur laisse entendre que l’organisme consultatif et la directrice générale avaient fait montre de partialité.

[78]           Le demandeur prétend les conséquences graves de la décision (il a perdu son emploi et il ne peut plus subvenir aux besoins de sa grande famille) font en sorte qu’il aurait dû se voir accorder toutes les garanties procédurales, conformément aux principes de justice fondamentale (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, 174 DLR (4th) 193). Le ministre ne s’est pas conformé à ces principes, en ne lui accordant pas d’audience pour répondre aux allégations.

[79]           De plus, le peu de renseignements qui lui ont été fournis concernant l’identité de ses prétendus complices, qui étaient identifiés seulement par une lettre, l’a empêché de bien répondre aux allégations.

[80]           Dans ses observations écrites, le demandeur allègue de plus que l’organisme consultatif et la directrice générale avaient fait preuve de partialité. Dans les observations qu’il a présentées de vive voix, le demandeur a plutôt laissé entendre qu’il avait été ciblé dans les enquêtes de la GRC et l’ASFC pour des motifs qui lui étaient inconnus et que les « sources humaines fiables » pouvaient avoir eu un conflit avec lui.

La position du défendeur

[81]           Le défendeur soutient que les garanties procédurales applicables dans ces circonstances se limitent au droit de connaître les allégations et au droit de présenter des observations en réponse (Peles c Canada (Procureur général), 2013 CF 294, aux paragraphes 15 et 16, 228 ACWS (3d) 314). Ces garanties ne comprennent pas le droit à une audience (Pouliot, précitée, aux paragraphes 9 et 10).

[82]           Le demandeur a été pleinement informé, dans la lettre du 8 juin 2013, des allégations et des incidents qui devaient être examinés par l’organisme consultatif et la directrice générale. Tous les renseignements dont disposait Transports Canada ont été communiqués au demandeur. Transports Canada n’avait pas les noms des collègues de travail identifiés seulement par une lettre. Le demandeur a eu la possibilité de présenter des observations et des éléments de preuve, et son avocat a répondu à la lettre du 18 juin 2013 en son nom.

[83]           Le défendeur souligne que les allégations de partialité sont des allégations graves, que le critère pour en faire la démonstration est rigoureux et qu’il n’y a tout simplement pas de preuve au dossier pour les corroborer.

Il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale

[84]           La portée de l’obligation d’équité procédurale est variable et dépend du contexte. Cette obligation dans le contexte de la révocation d’une habilitation de sécurité est plus exigeante que celle dans le contexte du refus d’une demande initiale d’habilitation de sécurité. Elle demeure toutefois au bas de l’échelle.

[85]           Comme l’a mentionné le juge Pinard dans la décision Rivet, précitée, au paragraphe 25, « [a]insi, les protections procédurales dont bénéficie le demandeur en l’instance se limitent au droit de connaître les faits reprochés contre lui et au droit de faire des représentations à l’égard de ces faits. Ces garanties procédurales ne comprennent pas le droit à une audience. »

[86]           Dans la lettre du 18 juin 2013, Mme Dupuis de Transports Canada a informé le demandeur des incidents et des allégations avec le même degré de précision que le rapport de vérification des dossiers de police. La lettre lui donnait suffisamment de renseignements sur les doutes et sur les allégations pour lui permettre de répondre. Mme Dupuis l’a invité à fournir des renseignements et des explications supplémentaires. L’appel téléphonique qu’il a fait à Transports Canada dès réception de la lettre a été détaillé dans une note au dossier, qui faisait partie des renseignements examinés par l’organisme consultatif et la directrice générale.

[87]           La directrice générale a souligné qu’elle avait passé en revue le dossier et examiné les observations présentées par l’avocat du demandeur, les recommandations de l’organisme consultatif, ainsi que le PSHT. Sa décision insiste sur la preuve communiquée dans le rapport de vérifications des dossiers de police. Les observations du demandeur – qui se résumaient à des dénégations et des affirmations selon lesquelles sa présence à l’aéroport en dehors des heures normales de travail était attribuable au fait qu’il faisait des heures supplémentaires – n’ont pas dissipé les doutes de la directrice générale. Comme il est mentionné dans la décision Lorenzen, précitée, au paragraphe 52, le représentant du ministre n’est pas obligé d’accepter l’explication ou la position du demandeur.

[88]           Les allégations de partialité sont des allégations graves et elles ne doivent pas être faites à la légère. En l’espèce, le demandeur a employé le mot [traduction] « partialité », mais il l’a fait sans avoir pleinement apprécié ce qu’implique pareille allégation, qui découle vraisemblablement de son désaccord avec la décision, des rudes conséquences de cette dernière, de ses dénégations continues quant à son implication et de sa frustration parce qu’il ne peut pas revenir en arrière et soumettre d’autres observations plus convaincantes à l’organisme consultatif et à la directrice générale.

[89]           Le ministre et la directrice générale disposent d’un pouvoir discrétionnaire étendu pour assurer la sûreté de l’aviation. Absolument rien n’indique que la race ou les origines du demandeur avaient influencé la décision – celle‑ci se fondait plutôt sur la preuve bien documentée et complète qui avait été fournie à l’organisme consultatif et à la directrice générale.

[90]           Le demandeur n’a pas non plus fait ressortir d’éléments de preuve démontrant que les enquêtes dont il était question dans le rapport de vérification des dossiers de police le ciblaient pour des raisons inconnues ou par mauvaise foi.

[91]           En conclusion, il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale.

Conclusion

[92]           La Cour comprend que les conséquences de la décision de révoquer l’habilitation de sécurité de M. Brown sont très graves et que ce dernier a déployé des efforts considérables pour convaincre la Cour de la nécessité d’un nouvel examen. Tel qu’il a été mentionné précédemment, il a donné des explications qui n’avaient pas été soumises à l’organisme consultatif. Cela ne veut pas dire que l’organisme consultatif ou la directrice générale auraient nécessairement accepté ces explications, compte tenu des renseignements détaillés contenus dans le rapport de vérification des dossiers de police, auxquels ils ont accordé beaucoup d’importance et qu’ils ont à bon droit jugé fiables. La question soulevée devant la Cour est de savoir si la décision de la directrice générale, qui se fonde sur la recommandation de l’organisme consultatif, est raisonnable. Cette décision est fondée sur les renseignements au dossier qui avaient été fournis à l’organisme consultatif et à la directrice générale. Si l’on se fie à ce dossier, tel qu’il a été expliqué précédemment, la décision est raisonnable, et elle ne devrait pas être modifiée.

[93]           Le défendeur a relevé que, dans la décision Lorenzen, précitée, où le demandeur niait également toute implication dans les activités reprochées, le juge Russell a affirmé ce qui suit, au paragraphe 53 :

Il se peut que ce que la demanderesse dit d’elle‑même soit vrai. La Cour n’a aucun moyen de le vérifier. Mais là n’est pas la question. La question est celle de savoir si, compte tenu des allégations et des éléments de preuve au dossier dont disposait la représentante du ministre, sa décision que la demanderesse est sujette ou susceptible d’être incitée à commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile était raisonnable. Je ne puis affirmer qu’elle ne l’était pas.

[94]           C’est également vrai en l’espèce; il n’appartient pas à la Cour de décider si le demandeur était impliqué ou non dans les activités reprochées. Son rôle consiste à décider si la décision était raisonnable et équitable sur le plan procédural, et elle l’était.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.             La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.             Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes


ANNEXE A

Loi sur l’aéronautique, LRC 1985, c A-2, art. 4.8

4.8 Le ministre peut, pour l’application de la présente loi, accorder, refuser, suspendre ou annuler une habilitation de sécurité.

 

4.8 The Minister may, for the purposes of this Act, grant or refuse to grant a security clearance to any person or suspend or cancel a security clearance.

 

Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport – articles I.1, I.4 et II.35

Objet

I.1

L’objet du Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport est de prévenir les actes d’intervention illicite dans l’aviation civile en accordant une habilitation aux gens qui répondent aux normes dudit programme

Objectif

I.4

L’objectif de ce programme est de prévenir l’entrée non contrôlée dans les zones réglementées d’un aéroport énuméré dans le cas de toute personne:

1.  connue ou soupçonnée d’être mêlée à des activités relatives à une menace ou à des actes de violence commis contre les personnes ou les biens;

2.  connue ou soupçonnée d’être membre d’un organisme connu ou soupçonné d’être relié à des activités de menace ou à des actes de violence commis contre les personnes ou les biens;

3.  soupçonnée d’être étroitement associée à une personne connue ou soupçonnée

         de participer aux activités mentionnées à l’alinéa (a);

         d’être membre d’un organisme cité à l’alinéa (b); ou

         être membre d’un organisme cité à l’alinéa (e).

4.  qui, selon le ministre et les probabilités, est sujette ou peut être incitée à:

         commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile; ou

         aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile.

5.  est connu ou soupçonné d’être ou d’avoir été membre d’une organisation criminelle ou d’avoir pris part à des activités d’organisations criminelles, tel que défini aux articles 467.1 et 467.11 (1) du Code criminel du Canada;

6.  est membre d’un groupe terroriste, tel que défini à l’alinéa 83.01(1)(a) du Code criminel du Canada.

Annulation ou refus

II.35

1.  L’Organisme consultatif peut recommander au ministre de refuser ou d’annuler l’habilitation d’une personne s’il est déterminé que la présence de ladite personne dans la zone réglementée d’un aéroport énuméré est contraire aux buts et objectifs du présent programme.

2.  Au moment de faire la détermination citée au sous-alinéa (1), l’Organisme consultatif peut considérer tout facteur pertinent, y compris:

a.si la personne a été condamnée ou autrement trouvé coupable au Canada ou à l’étranger pour les infractions suivantes:

i.  tout acte criminel sujet à une peine d’emprisonnement de 10 ans ou plus;

ii.  le trafic, la possession dans le but d’en faire le trafic, ou l’exportation ou l’importation dans le cadre de la Loi sur les drogues et substances contrôlées;

iii.  tout acte criminel cité dans la partie VII du Code criminel intitulée « Maison de désordre, jeux et paris »;

iv.  tout acte contrevenant à une disposition de l’article 160 de la Loi sur les douanes;

v.  tout acte stipulé dans la Loi sur les secrets officiels; ou

vi.  tout acte stipulé dans la partie III de la Lois sur l’immigration et la protection des réfugiés.

3.  si elle possède une mauvaise réputation en matière de crédit et qu’elle occupe un poste de confiance; ou

4.  qu’il est probable qu’elle participe à des activités directes ou en appui à une menace ou qu’elle se livre à des actes de violence sérieuse contre la propriété ou des personnes.

Aim

I.1

The aim of the Transportation Security Clearance Program Policy is the prevention of unlawful acts of interference with civil aviation by the granting of clearances to persons who meet the standards set out in this Program.

Objective

I.4

The objective of this Program is to prevent the uncontrolled entry into a restricted area of a listed Airport by any individual who

1.  is known or suspected to be involved in activities directed toward or in support of the threat or use of acts of serious violence against persons or property;

2.  is known or suspected to be a member of an organization which is known or suspected to be involved in activities directed toward or in support of the threat or use of acts of serious violence against people or property;

3.  is suspected of being closely associated with an individual who is known or suspected of

       being involved in activities referred to in paragraph (a);

       being a member of an organization referred to in paragraph (b); or

       being a member of an organization referred to in subsection (e) hereunder.

4.  the Minister reasonably believes, on a balance of probabilities, may be prone or induced to

          commit an act that may unlawfully interfere with civil aviation; or

          assist or abet any person to commit an act that may unlawfully interfere with civil aviation.

5.  is known or suspected to be or to have been a member of or a participant in activities of criminal organizations as defined in Sections 467.1 and 467.11 (1) of the Criminal Code of Canada;

6.  is a member of a terrorist group as defined in Section 83.01 (1)(a) of the Criminal code of Canada

Cancellation or Refusal

II.35

1.  The Advisory Body may recommend to the Minister the cancellation or refusal of a security clearance to any individual if the Advisory Body has determined that the individual’s presence in the restricted area of a listed Airport would be inconsistent with the aim and objective of this Program.

2.  In making the determination referred to in subsection (1), the Advisory Body may consider any factor that is relevant, including whether the individual:

a. has been convicted or otherwise found guilty in Canada or elsewhere of an offence including, but not limited to:

i.  any indictable offence punishable by imprisonment for more then 10 years,

ii.  trafficking, possession for the purpose of trafficking or exporting or importing under the Controlled Drugs and Substances Act,

iii.  any offences contained in Part VII of the Criminal Code - Disorderly Houses, Gaming and Betting,

iv.  any contravention of a provision set out in section 160 of the Customs Act,

v.  any offences under the Security Of Information Act; or

vi.  any offences under Part III of the Immigration and Refugee Protection Act;

3.  is likely to become involved in activities directed toward or in support of the threat or use of acts of serious violence against property or persons.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1800-13

 

INTITULÉ :

HORATIUS VITOLIS BROWN c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 NovembRe 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 14 NovembRe 2014

COMPARUTIONS :

Horatius Vitolis Brown

 

LE DEMANDEUR

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Stewart Phillips

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Horatius Vitolis Brown

Mississauga (Ontario)

 

le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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