Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20150107


Dossier : IMM-5549-13

Référence : 2015 CF 15

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 janvier 2015

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

OLUWAFUNMILAYO ADESHINA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La demanderesse soutient que la décision rendue à l’issue de l’examen des risques avant renvoi [ERAR] doit être annulée et que sa demande doit être renvoyée pour nouvel examen parce que l’agent a mal interprété l’alinéa 113a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, fait un examen déraisonnable des éléments de preuve et omis d’évaluer le risque auquel la demanderesse serait exposée si elle retournait au Nigéria. Pour les motifs exposés ci‑dessous, je suis d’accord.

[2]               La demanderesse est entrée au Canada le 25 juin 2011, à l’aide du passeport d’une autre personne. Sa demande d’asile était fondée sur le fait qu’elle était Nigériane et sur sa crainte d’être tuée par les membres de Boko Haram. Elle affirme que l’époux de sa mère les forçait à devenir membres de Boko Haram et que le groupe les avait persécutés, elle et son mari, parce qu’ils refusaient.

[3]               La Section de la protection des réfugiés [SPR] n’a pas accueilli la demande d’asile de la demanderesse, au motif qu’elle n’avait pas établi son identité à titre de Nigériane et qu’elle manquait de crédibilité. La demanderesse avait produit son permis de conduire du Nigéria lors de l’audience, mais la SPR a remis en question l’authenticité de ce document. La SPR a souligné que la demanderesse n’avait pu produire de passeport, d’acte de naissance ni de certificat de mariage. La SPR n’a pas abordé les conditions au Nigéria, ayant conclu, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse n’avait pas établi son identité.

[4]               Avec sa demande d’ERAR, la demanderesse a présenté des éléments de preuve documentaire, dont les suivants :

a)                  des certificats de mariage et de baptême;

b)                  des témoignages concernant son identité, son enlèvement et la persécution qu’elle avait subie;

c)                  des pièces de correspondance confirmant la validité de son permis de conduire, laquelle avait été remise en question par la Commission;

d)                 des évaluations médicales indiquant que la demanderesse avait déjà subi des agressions;

e)                  des évaluations psychologiques et des recherches sur la situation de la demanderesse lorsqu’elle avait témoigné devant la SPR;

f)                   des documents sur la situation actuelle au Nigéria relativement à la menace posée par Boko Haram et à la protection de l’État.

[5]               Selon l’agent, la demanderesse n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve « nouveaux » au sens de l’alinéa 113a) de la Loi pour le convaincre de tirer une conclusion différente de celle de la SPR. Plus particulièrement, l’agent estimait que les documents produits par la demanderesse ne concernaient pas des faits nouveaux :

[traduction] [L]a jurisprudence est claire : les nouveaux éléments de preuve doivent porter sur des faits nouveaux, soit dans la situation au pays, soit dans la situation personnelle du demandeur. Il ne faut pas tenir compte uniquement de la date à laquelle les nouveaux éléments de preuve ont été produits. Autrement, le demandeur d’asile débouté pourrait facilement rassembler de « nouveaux » affidavits et éléments de preuve documentaire pour contrer la conclusion de la Commission et appuyer son récit, et transformer le processus de demande d’ERAR en appel de la décision de la Commission. J’estime que c’est le cas en l’espèce.

[6]               L’agent a accordé peu de poids aux opinions des experts parce que ceux‑ci n’étaient pas des experts de la situation au Nigéria et que leurs opinions étaient fondées sur les faits racontés par la demanderesse. L’agent a conclu ceci :

[traduction] J’ai examiné la demande et la preuve documentaire actuelle, et je conclus que, depuis le rejet de la demande par la Commission, la situation au pays ne s’est pas détériorée au point d’exposer la demanderesse à un risque de persécution, à un risque de torture, à un risque pour sa vie, ni au risque de traitements ou peines cruels et inusités au Nigéria. La demande n’est pas accueillie.

[7]               L’agent n’a examiné ni le certificat de baptême, ni le certificat de mariage, et n’a pas analysé la situation au Nigéria.

[8]               Les parties conviennent que l’application de l’alinéa 113a) de la Loi commande la norme de contrôle de la décision raisonnable : voir Aboud c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1019. Toutefois, il a déjà été établi auparavant que l’interprétation de l’alinéa 113a) de la Loi était susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte : Hillary c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1462.

[9]               L’alinéa 113a) de la Loi est rédigé ainsi :

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

 

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

[10]           Dans l’arrêt Raza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385 [Raza], au paragraphe 13, la Cour d’appel fédérale a interprété ainsi le critère de la « nouveauté » exigé par cette disposition :

Nouveauté : Les preuves sont‑elles nouvelles, c’est‑à‑dire sont‑elles aptes :

a)         à prouver la situation ayant cours dans le pays de renvoi, ou un événement ou fait postérieur à l’audition de la demande d’asile?

b)         à établir un fait qui n’était pas connu du demandeur d’asile au moment de l’audition de sa demande d’asile?

c)         à réfuter une conclusion de fait tirée par la SPR (y compris une conclusion touchant la crédibilité)?

Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

[11]           Le critère de la « nouveauté » décrit ci‑dessus est disjonctif, comme en témoigne la répétition du mot « or » (ou) dans la version anglaise. Par conséquent, les documents produits par un demandeur sont « nouveaux » s’ils sont aptes à réfuter une conclusion de fait tirée par la SPR (y compris une conclusion touchant la crédibilité). L’agent a commis une erreur en interprétant la jurisprudence comme si elle signifiait que les documents sont nouveaux seulement s’ils peuvent servir à établir un nouveau fait dans la situation au pays ou un changement dans la situation du demandeur. Sur ce seul fondement, la décision doit être annulée.

[12]           L’omission de l’agent d’examiner les pièces d’identité (certificats de naissance et de baptême) constitue un autre motif permettant d’annuler la décision. Ces éléments de preuve sont manifestement importants. Ils pourraient être jugés non crédibles ou rejetés par un agent pour un autre motif; toutefois, les éléments de preuve ne peuvent être simplement ignorés. De même, les lettres et les courriels produits par la demanderesse qui parlaient de la crédibilité de son récit auraient dû être examinés. Ils ne pouvaient être rejetés simplement parce qu’ils ne parlaient pas d’un changement qui serait survenu dans la situation de la demanderesse depuis la décision de la SPR.

[13]           Enfin, l’agent n’a pas dûment tenu compte de la preuve psychologique, qu’il a rejetée en se fondant sur des faits qu’il estimait non crédibles. Toutefois, la demanderesse avait présenté des éléments de preuve établissant l’état psychologique dans lequel elle se trouvait au moment de l’audience devant la SPR parce qu’ils étaient pertinents au regard des conclusions sur la crédibilité tirées par la SPR. De tels éléments de preuve ont été admis dans la décision Abbasova c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 43.

[14]           La Cour estime très troublant, et déraisonnable, voire contraire à la loi, que la demanderesse soit renvoyée au Nigéria sans qu’une réelle évaluation des risques n’ait été effectuée. La SPR n’a pas fait une telle analyse, ayant rejeté la demande d’asile au motif que la demanderesse n’avait pas établi son identité. L’agent d’ERAR a seulement noté que les situations à risque n’avaient pas changé au Nigéria depuis la décision de la SPR, sans évaluer ce qu’étaient les risques. Dans l’arrêt Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, la Cour suprême du Canada a clairement statué qu’une personne avait droit à une évaluation des risques adéquate avant d’être renvoyée. La demanderesse n’est peut‑être pas exposée à des risques, mais son exposition aux risques n’a jamais été déterminée.

[15]           Aucune partie n’a proposé de question à certifier.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est accueillie, la décision est annulée, la demande d’examen des risques avant renvoi de la demanderesse doit être évaluée par un autre agent et aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5549-13

 

INTITULÉ :

OLUWAFUNMILAYO ADESHINA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 DÉCEMBRE 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 JANVIER 2015

 

COMPARUTIONS :

Nir Gepner

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Leila Jawando

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Flemingdon Community Legal Services

Avocats

Don Mills (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.