Tribunal de la protection de l’environnement du Canada |
Environmental Protection Tribunal of Canada |
Date de la décision : |
Le 3 mai 2022 |
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Référence : |
Cameron Wildlife Solutions c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2022 TPEC 2 |
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Numéro de dossier du TPEC : |
0021-2021 |
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Intitulé : |
Cameron Wildlife Solutions c. Canada (Environnement et Changement climatique) |
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Demanderesse : |
Cameron Wildlife Solutions |
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Défendeur : |
Ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada |
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Objet de la procédure : Révision, au titre de l’article 15 de la Loi sur les pénalités administratives en matière d’environnement, LC 2009, c 14, art 126 (la « LPAME »), d’une pénalité infligée en vertu de l’article 7 de cette loi relativement à une violation de l’alinéa 5a) de la Loi de 1994 sur la convention concernant les oiseaux migrateurs, LC 1994, c 22. |
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Instruit : |
Par écrit |
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Comparutions : |
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Parties |
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Avocat ou représentant |
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Cameron Wildlife Solutions |
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Trevor Cameron |
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Ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada
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Matthew Chao |
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DÉCISION RENDUE PAR : |
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LESLIE BELLOC-PINDER |
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Résumé et conclusion
[1] Le 29 mars 2021, Trevor Cameron (le propriétaire-exploitant de Cameron Wildlife Solutions ou « CWS ») a été embauché par les propriétaires d’une résidence de Sherwood Park, en Alberta, pour déloger deux oiseaux qui s’étaient retrouvés coincés dans une fausse cheminée. CWS a réussi à faire sortir les oiseaux et les a amenés à une clinique vétérinaire pour qu’ils y reçoivent des soins. L’un des oiseaux est mort à la clinique, et l’autre a finalement été libéré dans son habitat naturel. Ces oiseaux étaient des bernaches du Canada, une espèce protégée par la Loi de 1994 sur la convention concernant les oiseaux migrateurs, LC 1994, c 22 (la « LCOM ») et le Règlement sur les oiseaux migrateurs, CRC, c 1035 (le « ROM »).
[2] Après enquête, un agent fédéral de protection de la faune d’Environnement et Changement climatique Canada (« ECCC ») a conclu que CWS ne détenait pas le permis l’autorisant à avoir en sa possession les oiseaux, ce qui constituait une infraction à l’alinéa 5a) de la LCOM. L’agent a dressé un procès-verbal en conséquence et infligé une pénalité administrative de 2 500 $ conformément au Règlement sur les pénalités administratives en matière d’environnement, DORS/2017-109 (le « RPAME »).
[3] La demanderesse, CWS, demande la révision du procès-verbal et invoque à cette fin la compétence du Tribunal de la protection de l’environnement du Canada (le « Tribunal ») sous le régime de la Loi sur les pénalités administratives en matière d’environnement, LC 2009, c14, art 126 (la « LPAME »).
[4] Les parties conviennent que CWS a été en possession de deux bernaches du Canada, et ce, sans permis. Compte tenu du régime de responsabilité absolue imposé par le paragraphe 11(1) de la LPAME, cette admission pourrait, dans certains cas, suffire pour clore l’enquête. Comme le Tribunal l’a souligné dans bon nombre de décisions, l’absence d’intention de commettre une infraction, l’erreur de fait, la bonne foi ou la diligence raisonnable ne sont pas des moyens de défense pouvant être invoqués. En outre, le Tribunal n’a pas compétence pour modifier la décision prise par un agent qui a exercé son pouvoir discrétionnaire en dressant un procès-verbal. Par conséquent, la révision du Tribunal ne consiste souvent qu’à s’assurer que le montant de la pénalité imposée est approprié et conforme au RPAME.
[5] Toutefois, avant que le Tribunal ne puisse confirmer le procès-verbal et la pénalité administrative en cause, le ministre de l’Environnement et du Changement climatique (le « ministre ») doit prouver tous les éléments constitutifs de l’infraction selon la prépondérance des probabilités. En ce qui concerne l’alinéa 5a) de la LCOM, le ministre doit donc prouver la possession d’un ou de plusieurs oiseaux migrateurs ainsi que l’absence d’une excuse valable. La possession étant admise et établie, l’issue de la présente affaire dépend de la question de savoir si la preuve établit une excuse valable.
[6] Le ministre ne peut s’acquitter de son fardeau de la preuve si un demandeur sollicitant une révision peut produire une preuve suffisante étayant l’existence d’un moyen de défense de common law, comme le prévoit le paragraphe 11(2) de la LPAME. Pour les motifs exposés ci-dessous, le Tribunal conclut que la preuve établit les éléments constitutifs du moyen de défense de common law fondé sur la nécessité. La demande de révision est accueillie, et le procès-verbal no 9400-5977 est annulé.
Contexte
[7] Dans le cadre de la présente révision, la preuve a été présentée par écrit. Les parties se sont entendues sur les faits essentiels, dont l’exposé était accompagné d’un affidavit du ministre et de deux affidavits de CWS. Les parties ont aussi toutes deux présenté des observations écrites détaillées comprenant des arguments juridiques et des références à la jurisprudence. Voici la liste des documents et les dates auxquelles ils ont été présentés :
a. exposé conjoint partiel des faits daté du 18 janvier 2022;
b. affidavit de Jason John Cunningham daté du 14 janvier 2022 (pour le ministre);
c. observations écrites du ministre datées du 8 février 2022;
d. affidavit de Kim Berscheid daté du 27 janvier 2022 (pour la demanderesse);
e. affidavit de Trevor Cameron daté du 27 janvier 2022 (pour la demanderesse);
f. observations écrites de la demanderesse datées du 18 février 2022;
g. observations du ministre en réponse datées du 1er mars 2022;
h. observations supplémentaires de la demanderesse datées du 5 avril 2022;
i. observations supplémentaires du ministre datées du 5 avril 2022.
[8] Les faits à l’origine du procès-verbal ne sont guère contestés. Le 29 mars 2021, CWS s’est présentée à une résidence privée à la demande des propriétaires. CWS avait apporté de l’équipement pour accéder à la fausse cheminée de la résidence et aller chercher les bernaches, ce qui a été fait. Après s’être assurée de la sécurité des lieux, CWS a transporté les bernaches chez Pulse Veterinary Specialists and Emergency (« Pulse ») à Sherwood Park, comme elle l’avait prévu après avoir consulté l’organisme WILDNorth Northern Alberta Wildlife Rescue and Rehabilitation. Les propriétaires ont payé CWS pour ses services. Le lendemain, soit le 30 mars 2021, CWS a publié sur sa page Instagram (« @cameronwildlifesolutions ») des photographies de Trevor Cameron portant une cage de transport pour chien dans laquelle se trouvaient les bernaches devant un camion arborant une publicité de CWS.
[9] La publication des photographies a porté les activités menées par CWS le 29 mars 2021 à l’attention d’un agent de la protection de la faune terrestre et aquatique de l’Alberta, Eric Von Platten, qui s’est renseigné sur les permis de l’entreprise. Le 28 avril 2021, l’agent Von Platten a communiqué avec Jason John Cunningham, un agent de protection de la faune d’Environnement et Changement climatique Canada (« ECCC »), qui a ouvert son enquête.
[10] L’agent Cunningham a communiqué avec l’un des propriétaires, qui a confirmé qu’ils avaient embauché et payé CWS pour déloger les bernaches de leur résidence. L’agent Cunningham a confirmé auprès de Pulse que CWS y avait transporté les deux bernaches pour qu’elles y reçoivent des soins. L’une est morte après avoir été confiée à Pulse, mais l’autre a été réanimée. L’agent Cunningham a communiqué avec la direction de WILDNorth, qui a confirmé que l’organisme était allé chercher la bernache qui avait survécu chez Pulse et l’avait libérée au parc Hermitage le 1er avril 2021. L’agent Cunningham a vérifié si CWS détenait le permis approprié et il a constaté que ni Trevor Cameron ni CWS n’avait demandé ou obtenu de permis pour enlever ou déplacer les bernaches. Il a alors dressé le procès-verbal à l’encontre de CWS.
[11] Essentiellement, CWS fait valoir qu’il était approprié, raisonnable et nécessaire pour elle de prendre les mesures d’urgence qu’elle a prises pour sauver les deux bernaches coincées dans la fausse cheminée. Dans son affidavit, Trevor Cameron détaille ses communications et le raisonnement qu’il a suivi pour décider de répondre à la demande des propriétaires.
[12] Selon son affidavit, après avoir été informé du problème des propriétaires, M. Cameron a communiqué avec [traduction] « Pêche et faune sauvage d’Edmonton » (probablement le bureau de district de l’agence de la pêche et de la faune sauvage de l’Alberta) pour se renseigner à propos des permis. On lui a répondu que l’organisme ne [traduction] « s’occup[ait] pas des bernaches ». Il a ensuite communiqué avec WILDNorth. On l’a informé que l’organisme ne disposait ni du personnel ni de l’équipement requis pour se présenter sur les lieux et aller chercher les animaux, et n’avait pas le mandat de le faire. M. Cameron a déclaré que WILDNorth lui avait [traduction] « donné la directive » d’aller chercher les oiseaux et de les amener chez Pulse. Il a également déclaré avoir eu une conversation avec un représentant de WILDNorth qui lui a assuré que [traduction] « son permis » autorisait CWS à aller chercher les oiseaux, pourvu qu’ils soient par la suite amenés chez WILDNorth.
[13] Rien, ni dans l’affidavit de l’agent Cunningham, ni dans les documents déposés, ne confirme que Pulse et WILDNorth détiennent un permis les autorisant à avoir en leur possession des oiseaux migrateurs, mais il serait raisonnable d’inférer que la clinique, l’organisme ou les deux détiennent un tel permis, et que ECCC accepte qu’ils soient en possession d’oiseaux migrateurs de temps à autre. Au paragraphe 9 de son résumé, l’agent Cunningham affirme que [traduction] « Pulse Veterinary Specialists and Emergency, située à Sherwood Park, en Alberta, est un endroit désigné où les animaux sauvages blessés peuvent être déposés avant d’être transférés chez WILDNorth ».
[14] À son arrivée à la résidence, M. Cameron a constaté que deux bernaches du Canada blessées étaient coincées dans une fausse cheminée. Il a remarqué des vis faisant saillie qui avaient dû blesser les oiseaux lors de leur chute de quatre ou cinq mètres dans la cheminée, et il a vu une quantité non négligeable de sang et de plumes le long de celle-ci. Il en a conclu que les bernaches étaient dans une grande détresse et qu’elles avaient besoin de soins médicaux d’urgence. Il lui a fallu environ 90 minutes pour sortir les oiseaux de la cheminée. Il a constaté qu’il n’y avait pas de matériaux de nidification ni d’œufs dans la fausse cheminée, puis il a placé les bernaches dans une cage de transport.
[15] M. Cameron a déclaré que les propriétaires lui avaient dit que les oiseaux étaient [traduction] « coincés dans le mur de la maison depuis au moins deux jours ». Après avoir évalué la situation, il a considéré qu’il s’agissait d’une urgence qui l’obligeait à [traduction] « agir rapidement et diligemment pour sortir les oiseaux encore vivants de la maison, et ce, en toute sécurité afin d’éviter que les oiseaux ne se blessent davantage et que la maison ne subisse plus de dommages. Les oiseaux étaient visiblement en détresse — ils étaient couverts de sang, ils avaient perdu des plumes, leur état général était mauvais — […] l’un des deux est mort à cause de son état et de ses blessures alors qu’il était chez Pulse. Si je n’avais pas sauvé les oiseaux coincés dans la maison, ils seraient peut-être morts dans le mur et ils auraient alors causé des dommages matériels encore plus graves, comme une contamination bactérienne causée par leur décomposition[1]. »
Analyse et conclusions
Le cadre législatif
[16] La convention concernant les oiseaux migrateurs est un accord conclu par le Canada et les États-Unis, dans lequel les deux pays ont reconnu que les multinationales devaient protéger les oiseaux migrateurs des nombreux dangers qui les guettent au cours de leur migration annuelle. La LCOM expose le plan du Canada visant la conservation des populations d’oiseaux migrateurs par la réglementation des activités humaines potentiellement nuisibles sur son territoire. Elle autorise notamment la délivrance de permis afin de réglementer les activités qui affectent les oiseaux migrateurs, comme la chasse, l’agriculture, la recherche scientifique et la taxidermie.
[17] Il est généralement interdit d’avoir en sa possession un oiseau migrateur, comme le prévoit l’article 5 de la LCOM :
Interdiction relative aux oiseaux migrateurs et à leurs nids
5 Sauf conformément aux règlements, nul ne peut, sans excuse valable :
a) avoir en sa possession un oiseau migrateur ou son nid;
b) acheter, vendre, échanger ou donner un oiseau migrateur ou son nid, ou en faire le commerce. |
5 Except as authorized by the regulations, no person shall, without lawful excuse,
(a) be in possession of a migratory bird or nest; or
(b) buy, sell, exchange, or give a migratory or nest or make it the subject of a commercial transaction. |
[18] Suivant l’alinéa 13(1)a) de la LCOM, quiconque contrevient à l’article 5 commet une infraction, et une infraction est passible d’une des peines prévues au paragraphe 13(2). En outre, une violation de la LCOM est assujettie à la procédure établie dans la LPAME, suivant laquelle des pénalités administratives peuvent être infligées et calculées conformément aux formules exposées dans le RPAME.
[19] Comme l’indique clairement l’article 13.09 de la LCOM reproduit ci-dessous, l’objectif de l’imposition de pénalités à l’encontre des contrevenants est de décourager les comportements illégaux et de souligner l’importance qu’ont les oiseaux migrateurs au Canada, et ce, à divers égards :
Objectif premier de la détermination de la peine
13.09 La détermination des peines relatives aux infractions à la présente loi a pour objectif premier de contribuer, compte tenu de la reconnaissance de longue date de l’importance sociale, culturelle et environnementale des oiseaux migrateurs, au respect des lois visant la protection et la conservation des oiseaux migrateurs et de leurs nids. Cet objectif est atteint par l’imposition de sanctions justes visant ce qui suit :
a) dissuader le contrevenant et toute autre personne de commettre des infractions à la présente loi;
b) dénoncer les comportements illégaux causant des dommages ou des risques de dommages aux oiseaux migrateurs ou à leurs nids;
c) renforcer le principe de pollueur-payeur et rétablir les oiseaux migrateurs et leurs habitats. |
Fundamental purpose of sentencing
13.09 The fundamental purpose of sentencing for offences under this Act is to contribute, in light of the long-standing recognition of the social, cultural and environmental importance of migratory birds, to respect for the law protecting and conserving migratory birds and their nests through the imposition of just sanctions that have as their objectives
a) to deter the offender and any other person from committing offences under this Act;
b) to denounce unlawful conduct that damages or creates a risk of damage to migratory birds or their nests; and
c) to reinforce the “polluter pays” principle and to restore migratory birds and their habitats.
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[20] Le fait que des permis soient délivrés pour des activités pouvant nuire aux oiseaux migrateurs (comme la chasse) démontre qu’il est possible d’atteindre et de maintenir un équilibre dans le domaine complexe de la protection de l’environnement. Bien que la LCOM ait pour objet la protection et la conservation des populations d’oiseaux migrateurs et de leurs habitats, les menaces, les préjudices et les intérêts opposés ne peuvent jamais être entièrement éliminés. Dans ce contexte, les agents de protection de la faune décident de la meilleure façon de s’acquitter de leurs responsabilités et de faire appliquer la loi. Ils sont souvent confrontés à des situations nouvelles, et ils doivent exercer leur pouvoir discrétionnaire en mettant à profit leur formation et leur expérience pour prendre des décisions favorables à la protection de la faune.
[21] Lors d’une révision, le Tribunal ne réexamine pas le pouvoir discrétionnaire exercé par l’agent. Il se penche plutôt sur le fondement juridique du procès-verbal et sur ses conséquences. Pour cette raison, l’issue de la présente affaire dépend de l’interprétation de l’expression « excuse valable » et de l’examen de la question de savoir si l’infraction a été établie en droit.
Directives du Tribunal et précédents
[22] Le Tribunal a rendu plusieurs décisions dans lesquelles il a interprété l’étendue de sa compétence sous l’effet du régime de responsabilité absolue imposé par le paragraphe 11(1) de la LPAME.
Exclusion de certains moyens de défense
11 (1) L’auteur présumé de la violation — dans le cas d’un navire ou d’un bâtiment, son propriétaire, son exploitant, son capitaine ou son mécanicien en chef — ne peut invoquer en défense le fait qu’il a pris les mesures nécessaires pour empêcher la violation ou qu’il croyait raisonnablement et en toute honnêteté à l’existence de faits qui, avérés, l’exonéreraient. |
Certain defences not available
11 (1) A person, ship or vessel named in a notice of violation does not have a defence by reason that the person or, in the case of a ship or vessel, its owner, operator, master or chief engineer
(a) exercised due diligence to prevent the violation; or
(b) reasonably and honestly believed in the existence of facts that, if true, would exonerate the person, ship or vessel.
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[23] Il découle de la disposition ci-dessus qu’une erreur de fait, une erreur de droit, la bonne foi ou la diligence raisonnable ne sont pas des moyens de défense pouvant être invoqués à l’encontre d’un procès-verbal (voir Hoang c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2019 TPEC 2, Sirois c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2020 TPEC 6, Kruger c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2020 TPEC 1, Legault c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2021 TPEC 1).
[24] La disposition qui suit le paragraphe 11(1) est ainsi libellée :
Principes de la common law
11 (2) Les règles et principes de la common law qui font d’une circonstance une justification ou une excuse dans le cadre d’une poursuite pour infraction à une loi environnementale s’appliquent à l’égard d’une violation dans la mesure de leur compatibilité avec la présente loi. |
Common law principles
11 (2) Every rule and principle of the common law that renders any circumstance a justification or excuse in relation to a charge for an offence under an Environmental Act applies in respect of a violation to the extent that it is not inconsistent with this Act. |
[25] Le paragraphe 11(2) rappelle qu’un moyen de défense de common law doit être conforme aux objectifs généraux de la législation environnementale qu’il vise à faire appliquer. Il est donc important de vérifier que l’alinéa 5a) de la LCOM et le paragraphe 11(2) de la LPAME sont compatibles, et d’examiner les raisons pour lesquelles la demanderesse a agi comme elle l’a fait.
[26] Bien que les termes employés ne soient pas identiques, il convient de noter que la LCOM n’interdit pas de façon absolue d’avoir en sa possession un oiseau migrateur et qu’une « excuse valable » peut rendre la possession acceptable. Se demander s’il existe une excuse valable revient à se demander si une défense, une justification ou une excuse reconnue en common law s’applique à un procès-verbal et à une pénalité administrative.
[27] Le ministre concède que des excuses ou des justifications de la common law peuvent être invoquées dans les instances relatives aux pénalités administratives, mais il soutient qu’en l’espèce, la preuve n’appuie pas un tel moyen de défense[2]. Dans trois décisions antérieures, le Tribunal a exploré la possibilité d’invoquer des moyens de défense de common law, dont celui fondé sur la provocation policière : (voir Rice c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2020 TPEC 4, Legault c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2021 TPEC 1, Bell Canada c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2021 TPEC 3.
[28] Dans la décision Rice, le Tribunal a conclu que la preuve à l’appui du moyen de défense fondé sur la provocation policière était insuffisante, mais il a exposé le processus permettant de décider s’il est possible d’invoquer un moyen de défense de common law :
Appliquant les balises posées par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Klevtsov, le Tribunal doit déterminer si l’existence des éléments constitutifs de la défense de provocation policière est établie par la preuve avant de pouvoir conclure que l’accusation n’est pas prouvée. Autrement dit, le Tribunal doit d’abord se demander quels sont les éléments relatifs à la preuve et les éléments juridiques qui doivent être établis pour que l’on puisse conclure à l’applicabilité de la défense de provocation policière invoquée à l’encontre de l’accusation énoncée dans l’avis de violation. Il doit ensuite examiner la preuve elle‑même et déterminer si elle est suffisante pour établir les éléments qui doivent l’être.
[29] La demanderesse a soumis plusieurs moyens de défense de common law possibles à l’examen du Tribunal. Pour les brefs motifs qui suivent, l’argument constitutionnel avancé par la demanderesse est exclu, et il en va de même de tous les moyens de défense qu’elle a soumis, sauf un.
Le moyen de défense fondé sur la nécessité
[30] Les tribunaux du Canada se sont penchés sur le moyen de défense fondé sur la nécessité dans des affaires où l’inobservation de la loi était excusée par une situation d’urgence ou justifiée par la réalisation d’un plus grand bien. En l’espèce, ce moyen de défense se fonde sur l’affirmation qu’il était contraire à la loi, mais nécessaire et donc excusable, que CWS ait brièvement en sa possession deux bernaches du Canada. À cet égard, il repose sur une « appréciation réaliste de la faiblesse humaine, tout en reconnaissant qu’un droit […] humain et libéral ne peut astreindre des personnes à l’observation stricte des lois dans des situations d’urgence où les instincts normaux de l’être humain, que ce soit celui de conservation ou d’altruisme, commandent irrésistiblement l’inobservation de la loi » (Perka c. La Reine (1984), 2 RCS 232 à la p 248).
[31] D’abord énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Perka, puis développés dans l’arrêt R. c. Latimer, (2001) 1 RCS 3, les trois éléments suivants doivent être présents pour que le moyen de défense fondé sur la nécessité soit retenu :
(1) Il doit y avoir situation urgente de danger imminent et évident dans laquelle « un être humain normal serait instinctivement forcé d’agir et de considérer tout conseil de temporiser comme déraisonnable » (Perka à la p 251);
(2) L’accusé ne doit pas avoir d’autre solution raisonnable et légale que celle d’agir comme il l’a fait;
(3) Il doit y avoir proportionnalité entre le mal infligé et le mal évité au moyen de l’acte illégal, ce qui est évalué selon une norme objective.
[32] Avant de traiter de l’élément de preuve applicable à chacun des trois éléments ci-dessus, il faut dire un mot au sujet du fardeau de la preuve. Le fait que CWS ait invoqué la nécessité comme moyen de défense en l’espèce ne dispense pas le ministre du fardeau de prouver tous les éléments de l’infraction reprochée. CWS a présenté des éléments de preuve selon lesquels la situation était urgente et l’inaction aurait mis davantage en péril la vie ou la santé des bernaches coincées. Le ministre doit examiner ces éléments se rapportant à la question de savoir s’il était impossible, compte tenu de l’urgence de la situation, de se conformer à la loi en obtenant un permis autorisant à avoir en sa possession des bernaches avant d’opérer le sauvetage. La Cour suprême a donné des indications claires à cet égard dans le passage suivant tiré de la page 258 de l’arrêt Perka :
Bien que la nécessité soit désignée comme un moyen de défense en ce sens que c’est l’accusé qui l’invoque, il incombe toujours à la poursuite de faire la preuve d’un acte volontaire. La poursuite doit prouver chacun des éléments du crime imputé. Un de ces éléments est le caractère volontaire de l’acte. Normalement, le caractère volontaire peut se présumer, mais si l’accusé soumet à la cour, au moyen de ses propres témoins ou d’un contre-interrogatoire des témoins de la poursuite, des éléments de preuve suffisants pour soulever un doute que la situation engendrée par des forces extérieures était à ce point urgente que l’omission d’agir pouvait mettre en danger la vie ou la santé de quelqu’un et que, suivant une analyse raisonnable des faits, il était impossible d’observer la loi, alors la poursuite se doit d’écarter ce doute. Le fardeau de la preuve ne repose pas sur l’accusé.
[33] Les documents du ministre ne traitent guère du problème pratique auquel CWS était confronté, à savoir que l’obtention d’un permis impliquait de remplir et de présenter un formulaire de demande, d’attendre que le personnel administratif l’examine et de ne connaître l’issue de l’examen que quelques jours plus tard, à tout le moins. Le ministre se contente de soutenir que CWS aurait dû obtenir un permis avant de se présenter sur les lieux pour opérer le sauvetage des bernaches, mais il ne présente pas le moindre élément de preuve permettant d’inférer raisonnablement que le permis pouvait être, ou aurait été, délivré immédiatement.
[34] Dans ses documents, le ministre n’a pas répondu directement à la question de savoir dans quel délai aurait été délivré un permis demandé le 29 mars 2021 ou dans quel délai une demande est habituellement traitée. Il n’a pas non plus examiné les éléments de preuve présentés par CWS à cet égard, si ce n’est que pour faire valoir que les déclarations ou les conseils formulés de façon ponctuelle par des agents de protection de la faune n’ayant pas travaillé dans le dossier ne sont pas convaincants et ne lient pas ECCC. Le Tribunal est d’accord avec la majeure partie de l’évaluation critique faite par le ministre de l’affidavit de Kimberly Berscheid. Cela dit, quelques courriels échangés entre M. Cameron et l’agent des permis principal d’ECCC John Dunlop (dont plusieurs ont aussi été envoyés à l’agent Cunningham) sont pertinents et utiles. Ces courriels ont été envoyés entre le 10 et le 12 mai 2021, et l’agent Cunningham a dressé et signifié le procès-verbal le 18 mai 2021.
[35] Il semble que l’agent Cunningham ait demandé à l’agent Dunlop de guider M. Cameron dans le processus de demande de permis pour que ce dernier puisse y recourir au moment opportun. M. Cameron a demandé à l’agent Dunlop s’il était possible d’obtenir un permis le soir ou le week-end, dans l’éventualité où une situation telle que celle du 29 mars se produisait de nouveau, ce à quoi l’agent a répondu qu’[traduction] « il n’exist[ait] pas de permis général pour intervenir dans la situation à laquelle [il avait été] confronté » et qu’une demande devait être reçue à l’avance. De plus, l’agent Dunlop l’a informé que [traduction] « le personnel chargé de délivrer les permis n’est disponible que pendant les heures normales de bureau » et qu’un [traduction] « portail général » est utilisé pour présenter des demandes[3].
[36] Quelques années plus tôt, M. Cameron avait reçu un courriel de l’agent Dunlop en réponse à une question sur l’effarouchement des oiseaux migrateurs qui causent des dommages aux cultures ou aux biens. L’agent Dunlop avait répondu à cette question et avait également fourni des renseignements plus généraux sur le processus d’obtention de permis permettant, entre autres, d’effaroucher les oiseaux, de les déplacer ou de les tuer. Dans le courriel, l’agent Dunlop avait écrit que des renseignements étaient exigés pour chaque type de permis, et il avait précisé ce qui suit : [traduction] « Nous vous demandons de présenter une demande [de permis] seulement lorsqu’il y a une raison de le faire et que des dommages à des biens ou une menace pour la santé et la sécurité humaines sont imminents ou prévus. En général, nous pouvons traiter les demandes de permis en moins d’une semaine, mais ce peut être un peu plus long quand notre charge de travail est élevée[4]. »
[37] À la lumière de ces renseignements, la preuve présentée par CWS démontre que l’entreprise n’aurait pas pu obtenir de permis dans l’heure ou dans les deux heures suivant la réception de la demande des propriétaires de se présenter à leur résidence pour trouver les bernaches en danger. Les conseils donnés par l’agent Dunlop à M. Cameron avant et après l’incident qui a entraîné le procès-verbal étayent le point de vue de M. Cameron. Enfin, rien dans les documents du ministre, y compris dans l’affidavit de l’agent Cunningham, ne démontre qu’un permis aurait pu être obtenu le jour même où CWS a été appelé pour aller chercher les oiseaux.
[38] Presque immédiatement après avoir accédé à la fausse cheminée depuis le toit de la maison, M. Cameron a vu du sang, des plumes, des déjections et deux bernaches en détresse. Voyant dans quelle situation et dans quel état se trouvaient les bernaches, M. Cameron a raisonnablement jugé qu’elles étaient blessées, qu’elles étaient dans un état précaire et que celui-ci se détériorerait probablement si elles n’étaient pas rapidement mises hors de danger.
[39] La situation est différente de celle à laquelle était confronté le demandeur dans l’affaire Hoang mentionnée ci-dessus, au paragraphe 23. Dans l’affaire Hoang, un travailleur qui appliquait du stuc sur un immeuble a trouvé un nid d’oisillons, qui se sont révélés être des pics flamboyants, une espèce d’oiseaux migrateurs. Il a retiré les oisillons de leur nid, puis il a communiqué avec un agent de protection de la faune pour savoir ce qu’il devait faire ensuite. Malheureusement, une fois les oisillons délogés, leurs chances d’atteindre l’âge adulte sont réduites. L’agent a donné au travailleur la directive d’amener les oiseaux dans un refuge pour animaux sauvages, mais il a également dressé un procès-verbal. La distinction importante entre l’affaire Hoang et la présente affaire est que, dans la première, les oisillons n’étaient pas en péril et qu’il n’était pas du tout nécessaire de les retirer de leur nid. Le travailleur qui a pris l’initiative de les retirer et de les déplacer était bien intentionné, mais il n’était pas urgent d’agir. Son initiative était mal avisée et lui a valu une pénalité.
(2) Absence d’autre solution raisonnable et légale
[40] Avant de se présenter à la résidence, M. Cameron a eu le temps de se demander s’il allait accepter le travail et il savait qu’il devait détenir un permis pour manipuler ou avoir en sa possession des oiseaux migrateurs. À cette fin, M. Cameron a fait des appels et tenté de se renseigner. Il a appelé [traduction] « Pêche et faune sauvage d’Edmonton », et on lui a répondu que l’on ne [traduction] « s’occup[ait] pas des bernaches[5] ». Il a consulté le site Web d’ECCC pour se renseigner sur le processus de demande de permis en ligne, mais il a été interrompu par un appel téléphonique d’un employé de l’organisme WILDNorth, auquel il avait laissé un message. Selon M. Cameron, cette personne lui a donné la directive d’[traduction] « aller chercher les animaux et [de] veiller à ce qu’ils soient amenés aux vétérinaires de chez Pulse ». M. Cameron avait [traduction] « des doutes au sujet de la possession et du transport des bernaches du Canada à partir des lieux [mais] le représentant de WILDNorth a affirmé que les oiseaux pouvaient être amenés [à l’organisme] ». M. Cameron a [traduction] « demandé précisément si son permis l’autorisait à exercer ses activités », et on lui a répondu que [traduction] « oui, pourvu que les oiseaux y soient amenés », qu’il avait l’[traduction] « autorisation[6] ».
[41] Ces conversations ont renforcé l’impression de M. Cameron qu’il faisait preuve de bonne foi et de diligence raisonnable avant de se présenter à la résidence pour aller chercher les oiseaux. Si la preuve qu’il a présentée se limitait à cela, elle ne suffirait pas à lui donner gain de cause dans le cadre de la présente révision parce que l’application du paragraphe 11(1) de la LPAME exclut un tel argument (comme dans l’affaire Hoang). Cependant, la question relative à cet élément du moyen de défense fondé sur la nécessité n’est pas de savoir si M. Cameron pensait qu’il respectait la loi, mais plutôt s’il avait une solution raisonnable autre que d’enfreindre la loi. Il a supposé que le permis délivré par WILDNorth suffisait à lui donner l’autorisation légale qu’il n’avait pas, mais cette supposition était fausse. En fait, la preuve établit que M. Cameron ne disposait pas d’autre solution légale au moment où il a pris la décision d’aller chercher les bernaches. Elle établit, selon la prépondérance des probabilités, que CWS ne pouvait pas obtenir d’urgence ou immédiatement un permis.
(3) La proportionnalité entre le mal infligé et le mal évité
[42] CWS a enfreint la loi en ayant en sa possession des bernaches du Canada sans permis pendant quatre heures ou moins le 29 mars 2021. M. Cameron a eu en sa possession les bernaches du moment où il est allé les chercher à la résidence de Sherwood Park à celui où il les a laissées chez Pulse pour qu’elles y reçoivent des soins vétérinaires. Le mal que M. Cameron a cherché à éviter était la mort ou le prolongement de la souffrance de deux oiseaux migrateurs protégés par une loi fédérale et les dommages matériels que causait leur présence dans une résidence privée. Une fois sorties de la cheminée, les bernaches ont été placées dans une cage et, à ce moment-là, elles étaient toujours en vie. L’une est morte alors qu’elle recevait des soins vétérinaires d’urgence, mais l’autre a été réanimée et remise en liberté le lendemain ou le surlendemain.
Les autres moyens de défense invoqués et les questions soulevées par la demanderesse
[44] CWS a déposé plusieurs documents dans lesquels il soulevait de nouveaux arguments en plus du moyen de défense invoqué fondé sur la nécessité. Par exemple, M. Cameron a soutenu que l’alinéa 446(1)b) du Code criminel du Canada l’obligeait à secourir les bernaches pour éviter d’être poursuivi pour négligence envers des animaux. Son affidavit et l’affidavit de Kim Berscheid comprenaient également des descriptions de conversations téléphoniques tenues avec un ou plusieurs agents de protection de la faune bien après l’infraction. M. Cameron et Mme Berscheid ont avancé que ces conversations pouvaient constituer la preuve d’une [traduction] « erreur provoquée par une personne en autorité » et qu’elles pouvaient donc disculper CWS. Ces arguments, ainsi que d’autres, ne sont pas fondés, et ils ne sont pas raisonnablement liés à la preuve présentée ni au régime législatif applicable en l’espèce, comme l’avocat du ministre l’a fort bien soutenu dans ses observations écrites. Puisque la demanderesse a invoqué avec succès le moyen de défense fondé sur la nécessité, analysé ci-dessus, le Tribunal n’a pas de raison de traiter davantage de ces autres observations.
Conclusion
[45] Conformément aux indications de la Cour suprême à propos de la possibilité d’invoquer le moyen de défense fondé sur la nécessité, le Tribunal souligne que la situation et les faits sur le fondement desquels la demanderesse a eu gain de cause dans le cadre de la présente révision étaient très particuliers. La possibilité d’invoquer ce moyen de défense de la common law, ainsi que d’autres, doit être « strictement contrôlé[e] et scrupuleusement limité[e] » (Perka à la p 250), car le respect des lois environnementales est indispensable à la santé de notre écosystème et de notre société. Il est exceptionnel et inhabituel qu’une violation du régime législatif canadien en matière d’environnement soit excusée, et cela doit demeurer ainsi.
Décision
[46] La demande de révision est accueillie, et le procès-verbal no 9400-5977 est annulé.
Demande de révision accueillie. |
« Leslie Belloc-Pinder » |
LESLIE BELLOC-PINDER RÉVISEURE |
[1] Affidavit de Trevor Cameron, au para 24
[2] Observations du ministre, à la p 4, para 9.
[3] Affidavit de Trevor Cameron, courriels joints à la pièce A envoyés entre le 10 et le 12 mai 2021.
[4] Affidavit de Trevor Cameron, courriel joint à la pièce B envoyé le 17 août 2018.
[5] Affidavit de Trevor Cameron, au para 5
[6] Affidavit de Trevor Cameron, au para 8