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Tribunal de la protection de
l’environnement du Canada

Canada Coat of Arms

Environmental Protection

Tribunal of Canada

 

Date de publication :

Le 27 octobre 2021

Référence :

Neault c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2021 TPEC 11

Numéro de dossier du TPEC :

0031-2020

Intitulé :

Neault c. Canada (Environnement et Changement climatique)

Demandeur :

Patrick Neault

Défendeur :

Ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada

Objet de la procédure : Révision, au titre de l’article 15 de la Loi sur les pénalités administratives en matière d’environnement, L.C. 2009, ch. 14, art. 126, d’une pénalité infligée en vertu de l’article 7 de cette loi relativement à la violation de l’alinéa 3(1)(a) du Règlement sur les réserves d’espèces sauvages, C.R.C., ch. 1609, pris en vertu de la Loi sur les espèces sauvages du Canada, L.R.C. (1985), ch. W-9.

Instruit :

Le 5 octobre 2021 (par téléconférence)

Comparutions :

Parties

 

Avocat ou représentant

Patrick Neault

 

Représenté par lui-même

Ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada

 

Maude Normand

DÉCISION RENDUE PAR :

 

PAUL DALY


Introduction

[1]          Le 12 septembre 2020, des agents de la faune du ministre de l’Environnement et du Changement climatique Canada (« le ministre ») effectuaient une patrouille dans la Réserve nationale de faune des Îles de Contrecoeur (« la Réserve). Ils y ont vu Patrick Neault (« le demandeur ») qui était assis sur la Réserve avec son équipement de pêche.

[2]          Ce dernier a reçu une sanction administrative pécuniaire imposée sous l’égide de la Loi sur les pénalités administratives en matière d'environnement, LC 2009, c 14, art 126 (« la LPAME »), pour avoir pêché sur une réserve de faune. Le procès-verbal imposant la sanction fait état d’une violation à l’alinéa 3(1)(a) du Règlement sur les réserves d’espèces sauvages, CRC, c 1609 (« RRES ») et prévoit le paiement d’un montant de 400$.

[3]          Le demandeur conteste la sanction administrative pécuniaire en soutenant qu’il n’avait pas encore commencé à pêcher et qu’il ne savait pas qu’il se trouvait sur une réserve. Pour les motifs qui suivent, la demande de révision est rejetée : le demandeur était en train de « pêcher » dans la Réserve au sens du RRES et, malgré sa bonne foi, le Tribunal ne peut identifier de faille dans le procès-verbal qui lui permettrait d’accueillir sa demande de révision.

Analyse et constatations

Infraction

[4]          La disposition règlementaire dont il est principalement question en l’espèce est l’alinéa 3(1)(a) du RRES :

Sous réserve du paragraphe (2), il est interdit à quiconque se trouve dans une réserve d’espèces sauvages

(a) de chasser ou de pêcher […]

Subject to subsection (2), no person shall, in any wildlife area,

(a) hunt or fish […]

[5]          Le terme « pêcher » n’est pas défini dans le RRES. Ce silence réglementaire est important car le demandeur prétend qu’il n’était pas en train de pêcher quand les agents de la faune sont arrivés sur la Réserve. Le demandeur convient qu’il était sur la Réserve, qu’il avait son équipement de pêche et qu’il avait accroché un appât à sa ligne, mais il insiste qu’il ne l’avait pas encore mis à l’eau.

[6]          Dans une telle situation, peut-on dire que le demandeur était en train de « pêcher » sur la Réserve au sens du RRES? Une réponse positive s’impose.

[7]          Comme le ministre le constate, même si le rédacteur de RRES reste muet sur la définition de « pêcher », le Législateur, lui, en a parlé ailleurs, soit dans la Loi sur les pêches, LRC 1985, c F-14, qui offre la définition suivante :

pêche s’entend de l’action de capturer ou de tenter de capturer du poisson par tout moyen et, en outre, notamment des espèces, populations, assemblages et stocks de poissons pêchés ou non, du lieu ou de la période où il est permis de pêcher ou de la méthode ou des types d’engins, d’équipements ou de bateaux de pêche utilisés

fishing means fishing for, catching or attempting to catch fish by any method

[8]          Certes, la définition ne s’applique pas expressément au RRES. Il convient néanmoins d’interpréter le corps législatif afin d’amener de la cohérence à l’état du droit. Notamment, lorsque le Législateur utilise un terme, il s’ensuit normalement qu’on doive l’interpréter de façon constante. En l’espèce, il faut interpréter le RRES, qui représente de la législation déléguée, à la lumière d’une définition qui se trouve dans une loi adoptée par le Parlement, où siège des élus.

[9]          Le ministre constate, en outre, qu’il y a de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada à ce sujet, soit Frederick Gerring Jr (The) v. The Queen, 1897 CanLII 84 (SCC), 27 SCR 271, aux pages 280-281 :

The act of fishing is a pursuit consisting, not of a single but of many acts according to the nature of the fishing. It is not the isolated act alone either of surrounding the fish by the net, or by taking them out of the water and obtaining manual custody of them. It is a continuous process beginning from the time when the preliminary preparations are being made for the taking of the fish and extending down to the moment when they are finally reduced to actual and certain possession. That, at least, is the idea of what “fishing”, according to the ordinary acceptation of the word means and that, I think, is the meaning which we must give to the word in the statutes and treaty.

[10]       Il s’agit là de l’interprétation d’un traité entre le Canada et les États-Unis, un contexte très différent du présent. Pourtant, comme le ministre le soutient, et ce à juste titre, cette compréhension énoncée du terme « pêcher » a été appliquée et l’est toujours par des tribunaux partout au Canada : voir, par exemple, R. v. McKinnell Fishing Ltd., 2016 BCCA 472. Donc, il convient d’interpréter le mot « pêcher » dans le RRES à la lumière de cette décision de la Cour suprême, afin, encore une fois, de s’assurer que la jurisprudence soit cohérente. Ici, la Cour suprême, l’ultime autorité canadienne en ce qui a trait à l’interprétation législative, fourni une interprétation du terme « pêcher ». En l’utilisant afin d’interpréter le RRES, le Tribunal peut contribuer à une interprétation harmonieuse et pancanadienne du terme « pêcher ». Ainsi, l’acte de « pêcher » aura le même sens, que ce soit dans les eaux salées de l’Atlantique ou du Pacifique ou encore dans les Grands Lacs, et ce peu importe qu’on pêche le homard, le saumon ou l’esturgeon.

[11]       Bref, le même terme doit avoir le même sens dans tous les contextes, prenant compte de la jurisprudence interprétant le terme, sauf exception d’une disposition législative qui donne un sens différent au terme en question.

[12]       Revenons au demandeur. Bien sûr, il n’était pas en train de pêcher au sens littéral du terme. Mais il a pris toutes les démarches nécessaires afin de pêcher. Pour reprendre les mots de la Loi sur les pêches, il était en train de « tenter de capturer du poisson » (attempting to catch fish). Et s’il y avait le moindre doute à cet égard, il serait éliminé par la décision de la Cour suprême dans Gerring, parce que les préparations du demandeur représentent sans l’ombre d’un doute des « preliminary preparations … for the taking of the fish ».

[13]       Le demandeur était donc en train de pêcher dans une Réserve, un acte interdit par l’alinéa 3(1)(a) du RRES.

[14]       Un procès-verbal constatant une violation de ladite disposition peut être donné sous l’égide de la LPAME : voir Desrosiers c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2021 TPEC 5, aux paragraphes 8-9. Aux fins d’une demande de révision devant le Tribunal, il appartient au ministre de démontrer, sur la balance des probabilités, qu’une infraction a eu lieu : LPAME, art. 20(2). Les aveux du demandeur appuyant amplement le procès-verbal, le ministre s’est déchargé en l’espèce de son fardeau de preuve.

[15]       Le demandeur soutient également qu’il ne savait pas qu’il était interdit de pêcher sur la Réserve, surtout parce qu’il n’y avait pas d’affichage indiquant que la pêche et d’autres activités y sont interdites. Bien que la Tribunal comprenne la frustration du demandeur, il n’y a pas lieu d’accueillir sa demande de révision pour autant. D’une part, il n’y a aucune obligation pour le ministre de poser des affiches dans une réserve identifiées par le RRES afin d’indiquer ce qui y est permis et ce qui ne l’est pas. Le RRES prévoit qu’il est interdit de pêcher sur une réserve – dont la Réserve – et comme nous l’avons expliqué, le demandeur y était en train de pêcher. D’autre part, la LPAME écarte certains moyens de défense que des demandeurs pourraient sinon invoqués, tels que la diligence raisonnable : LPAME, art. 11. Le fait que le demandeur ne savait pas qu’il commettait une infraction n’est pas une considération que le Tribunal peut prendre en considération dans le cadre d’une demande de révision sous l’égide de la LPAME : voir, par exemple, Desrosiers c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2021 TPEC 5, au paragraphe 13. Il s’agit ici d’un régime de responsabilité absolue, non seulement stricte, parce que la prise en compte de l’intention du demandeur a été exclue par le Législateur.

[16]       Aussi, le demandeur prétend que les agents n’ont pas bien identifié l’infraction sur place. En revanche, il semble que le demandeur ait contrevenu (sans, bien sûr, une intention coupable quelconque) à plusieurs dispositions du RRES et que les agents aient décidé de n’imposer qu’une sanction administrative pécuniaire. Lorsqu’il est saisi d’une demande de révision, le Tribunal ne peut regarder que le procès-verbal ciblé par la demande de révision, afin de déterminer si une violation tel qu’alléguée a bel et bien eu lieu et que le montant de la sanction administrative pécuniaire était exact : Sirois c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2020 TPEC 6, au paragraphe 38. Le fait que d’autres infractions ont possiblement eu lieu n’est pas pertinent à la présente affaire.

Montant de la pénalité

[17]       Pour bien calculer le montant d’une sanction administrative pécuniaire émise sous l’égide de la LPAME il faut se tourner vers l’alinéa 4(1) du Règlement sur les pénalités administratives en matière d'environnement, DORS/2017-109 (« le RPAME »):

(1) Le montant de la pénalité applicable à une violation de type A, B, ou C est calculé selon la formule suivante :

W + X + Y + Z

où :

W représente le montant de la pénalité de base prévu à l’article 5;

X le cas échéant, le montant pour antécédents prévu à l’article 6;

Y le cas échéant, le montant pour dommages environnementaux prévu à l’article 7;

Z le cas échéant, le montant pour avantage économique prévu à l’article 8.

(1) The amount of the penalty for each Type A, B or C violation is to be determined by the formula

W + X + Y + Z

where

W is the baseline penalty amount determined under section 5;

X is the history of non-compliance amount, if any, as determined under section 6;

Y is the environmental harm amount, if any, as determined under section 7; and

Z is the economic gain amount, if any, as determined under section 8.

[18]       En l’espèce, nous nous intéressons simplement à la variable « W ». Le procès-verbal n’a pas imposé un montant pour antécédents, dommages environnementaux ou avantage économique. Il faut simplement et uniquement identifier le montant de base applicable.

[19]       À cet égard, l’alinéa 5 du RPAME nous apprend où trouver les montants pertinents :

Le montant de la pénalité de base applicable à une violation est celui prévu à la colonne 3 de l’annexe 4 ou de l’annexe 5, selon l’auteur et le type de violation commise figurant, respectivement, aux colonnes 1 et 2 de cette même annexe.

The baseline penalty amount for a violation is the amount set out in column 3 of Schedule 4 or of Schedule 5 that corresponds to the category of the violator and the type of violation committed as set out in columns 1 and 2, respectively, of the applicable schedule.

[20]       En appliquant la formule de l’alinéa 5, nous constatons que nous sommes en présence d’une violation de Type B : Annexe 1, Partie 2, Section 2 du RPAME.

[21]       Pour ce qui est d’une personne physique comme le demandeur ayant commis une infraction de Type B, le montant applicable est de 400 $ : Annexe 4, Article 1, Colonne 3 du RPAME.

[22]       Il s’ensuit que le calcul de la sanction administrative pécuniaire est exact.

[23]       Au moment de leur intervention, les agents ont dit au demandeur que le montant de la sanction administrative pécuniaire serait de 200 $. Il s’agissait là d’une erreur de leur part. Comme nous l’avons vu, le montant réglementaire applicable en l’espèce est de 400 $. Le fait que les agents n’aient pas bien communiqué cette information ne change rien au calcul du montant de la sanction. D’une part, le Tribunal n’a aucune compétence pour modifier le montant d’une sanction, parce que le calcul doit être effectué suivant les modalités établies par le RPAME : Hoang c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2019 TPEC 2, au paragraphe 23. D’autre part, le Tribunal ne peut pas contrôler l’exercice de discrétion par les agents du ministre : BCE Inc. c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2021 TPEC 2, au paragraphe 52. La décision de donner ou non un procès-verbal après avoir constaté qu’il y avait une erreur de communication comme dans le dossier actuel échappe à la compétence du Tribunal. Voici deux portes fermées au demandeur par application des limites aux pouvoirs du Tribunal, lesquels pouvoirs lui ayant été conférés par le Parlement.

Conclusion

[24]       Il y a donc lieu de rejeter la demande de révision.

[25]       Un dernier commentaire s’impose. Peu avant la tenue de l’audience, le demandeur a envoyé au Tribunal certaines communications qu’il a reçues dans le cadre de sa campagne de sensibilisation de la population dans la région de la Réserve aux interdictions du RRES. Une communication avec son Membre du Parlement en faisait partie. Lorsque le Tribunal a envoyé les documents au ministre pour ces commentaires, ce dernier a soutenu, à juste titre, que cette communication n’était pas pertinente aux fins de la demande de révision actuelle. À cet égard, le ministre a entièrement raison, eu égard des limites à la compétence du Tribunal. 

[26]       Au soutien de sa position, le ministre fait aussi référence à la séparation des pouvoirs. Par contre, dans la mesure où le Tribunal n’est pas le forum approprié pour contrôler la discrétion des agents, il est tout à fait compréhensible qu’un demandeur se tourne vers une autorité publique politique afin de remédier à ce qu’il perçoit comme une injustice : avec la LPAME, le Parlement a fermé plusieurs portes aux demandeurs, telles que celle permettant une défense sur la base d’une diligence raisonnable et celle du contrôle de la discrétion des agents du ministre.  Ce faisant c’est seulement le Parlement qui a la compétence de rouvrir désormais fermés; c’est ultimement au Parlement, d’ailleurs, que le ministre et ses agents doivent rendre des comptes. Que ce soit en légiférant ou en enquêtant, le Parlement est une entité compétente pour répondre aux représentations du demandeur. Aux fins de la demande de révision actuelle, ces représentations ne sont pas pertinentes, mais cela ne veut pas dire pour autant que de soulever des inquiétudes concernant le fonctionnement du régime de la LPAME porte atteinte à la séparation des pouvoirs.

Décision

[27]       La demande de révision est rejetée. Le procès-verbal N9200-2009 est donc maintenu. 

Demande de révision rejetée

 

« Paul Daly »

PAUL DALY

RÉVISEUR

 

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