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Tribunal de la protection de
l’environnement du Canada

Canada Coat of Arms

Environmental Protection
Tribunal of Canada

 

Date de publication :

Le 17 septembre 2021

Référence :

BGIS O&M Solutions Inc. c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2021 TPEC 9

Numéro de dossier du TPEC :

0029-2020

Intitulé :

BGIS O&M Solutions Inc. c. Canada (Environnement et Changement climatique)

Demanderesse :

BGIS O&M Solutions Inc.

Défendeur :

Ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada

Objet de la procédure : Révision, au titre de l’article 15 de la Loi sur les pénalités administratives en matière d’environnement, LC 2009, c 14, art 126, d’une pénalité infligée en vertu de l’article 7 de cette loi relativement à la violation du paragraphe 31(1) du Règlement fédéral sur les halocarbures (2003), DORS/2003‑289, pris en vertu de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), LC 1999, c 33.

Comparutions :

Parties

 

Avocats

BGIS O&M Solutions Inc.

 

Mark Youden

Ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada

 

Marilou Bordeleau

 

DÉCISION RENDUE PAR :

 

PAUL DALY


[1]          Y a-t-il eu ou non une fuite le 22 mai 2019? Selon la réglementation fédérale, commet une infraction quiconque omet d’enregistrer les fuites de grandes quantités d’halocarbure. Le ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada (le « ministre ») a dressé un procès‑verbal à l’encontre de Brookfield Global Integrated Solutions Inc. (« BGIS ») pour omission d’enregistrer une fuite survenue à un centre d’information de Bell situé dans la ville de Québec. Bell a signalé une fuite au ministre, mais sans préciser la date où elle s’était produite. BGIS soutient qu’il n’y a pas eu de fuite ce jour‑là. Donc, y a‑t‑il eu ou non une fuite le 22 mai 2019? Telle est la question qui sous‑tend la présente instance.

[2]          La question est toutefois encore loin d’être réglée de façon définitive. Le Tribunal est saisi de deux requêtes, dont chacune soulève une question nouvelle à trancher.

[3]          D’abord, le ministre cherche à contraindre la demanderesse BGIS ainsi que des tiers ayant également participé à l’entretien du matériel au centre d’information de Bell à produire des documents. C’est la première fois que le ministre demande au Tribunal d’utiliser son pouvoir de forcer la production de documents. En vertu de la Loi sur les pénalités administratives en matière d’environnement, LC 2009, c 14, art 126 (la « LPAME »), qui établit la compétence du Tribunal, ce pouvoir ne peut être utilisé que dans la mesure où il est nécessaire de l’exercer aux fins de l’instance. Or, en l’espèce, un seul des huit documents demandés satisfait au critère de la nécessité.

[4]          La première question ne s’arrête pas là. BGIS soutient qu’il est inapproprié que le ministre demande au Tribunal d’utiliser son pouvoir de contraindre à la production de documents, compte tenu des vastes pouvoirs d’enquête conférés au ministre par la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), LC 1999, c 33 (la « LCPE »). Étant donné que le ministre dispose de pouvoirs amplement suffisants pour exiger la production de documents avant de dresser un procès‑verbal — et que, de fait, il doit avoir « des motifs raisonnables » de dresser un procès‑verbal au départ — BGIS soutient que des restrictions doivent être imposées à la capacité du ministre de tirer avantage du pouvoir du Tribunal de contraindre à la production de documents. Le Tribunal reconnaît que des restrictions s’imposent à cet égard et, plus précisément, que le ministre doit démontrer qu’il a fait des efforts raisonnables pour obtenir les renseignements dans le cadre d’une enquête. En l’espèce, le ministre a démontré avoir fait des efforts d’enquête raisonnables quant au seul document qui satisfasse au critère de la nécessité. Par conséquent, il convient que le Tribunal utilise son pouvoir d’en exiger la production. La requête du ministre est donc accueillie en partie.

[5]          Ensuite, BGIS présente une requête en rejet du procès‑verbal, en faisant valoir que celui‑ci ne repose sur aucun fondement factuel. Encore une fois, il s’agit d’une question nouvelle pour le Tribunal et, là encore, il faut procéder à une analyse minutieuse du régime législatif pour y répondre. Ce régime ne prévoit pas de requête en rejet sommaire, mais prévoit plutôt un mécanisme visant à régler rapidement les différends. Le Tribunal conclut qu’il ne peut entendre une requête en rejet d’un procès‑verbal présentée par un demandeur à ce stade‑ci de l’instance. Une requête en rejet d’un procès‑verbal ne peut être présentée par un demandeur qu’une fois que le ministre a clos sa preuve (et même alors, il est fort possible que le Tribunal demande à la partie requérante de faire un choix, soit celui de renoncer à son droit de présenter une preuve dans l’éventualité où la requête ne serait pas accueillie). Comme le ministre n’a pas encore clos sa preuve, la requête est (dans le meilleur des cas) prématurée. La requête de BGIS est donc rejetée.

Contexte

[6]          Le 7 juin 2019, Bell a envoyé un avis au ministre afin de signaler une fuite de 206,4kg de HFC‑134A dans le système 03‑004, au centre d’information de Bell situé au 930, rue d’Aiguillon, à Québec (le « système 03‑004 »). L’avis était daté du 28 mai 2019.

[7]          Cet avis a donné lieu à une inspection de conformité par le ministre, sous le Règlement fédéral sur les halocarbures (2003), DORS/2003‑289 (le « RFH »).

[8]          Le 11 juin 2020, Environnement et Changement climatique Canada (« ECCC ») a émis le procès‑verbal 8200‑0802 à BGIS en vertu de l’article 10 de la LPAME. Il y alléguait une omission d’enregistrer une fuite qui s’était produite le 22 mai 2019.

[9]          Le procès‑verbal infligeait une pénalité de 5 000 $ à BGIS.

[10]       Le 3 août 2020, BGIS a présenté une demande de révision du procès‑verbal au réviseur‑chef en vertu de l’article 15 de la LPAME.

[11]       Le 9 novembre 2020, le ministre a informé le Tribunal qu’il consentait à réduire le montant de la pénalité à 1 000 $ conformément au Règlement sur les pénalités administratives en matière d’environnement, DORS/2017‑109 (le « RPAME »), puisqu’une erreur avait été commise dans le calcul de la pénalité.

[12]       Les parties ont produit un exposé conjoint des faits partiel, mais elles étaient nettement en désaccord dès le début du processus de révision sur la question de savoir s’il n’y avait jamais eu violation.

[13]       BGIS a toujours soutenu qu’il n’y avait pas eu de fuite le 22 mai 2019 et que le ministre n’avait pas fourni d’éléments de preuve étayant le procès‑verbal. Le ministre soutient tout aussi fermement qu’il y a eu une fuite le 22 mai 2019.

[14]       À l’appui de sa position, le ministre a présenté une requête visant à contraindre BGIS ainsi que des tiers ayant participé à l’entretien du matériel au centre d’information de Bell à produire des documents. En guise de réponse, BGIS a présenté une requête en rejet sommaire du procès‑verbal. La présente décision vise donc à trancher deux requêtes.

[15]       Comme il a été mentionné précédemment, le Tribunal accueille en partie la requête du ministre. Par voie de conséquence, la requête en rejet sommaire de BGIS ne peut être accueillie. La prémisse qui sous‑tend la requête de BGIS est que le ministre n’a pas établi un fondement suffisant à l’appui du procès‑verbal — ce que pourrait justement accomplir le document qui sera communiqué. Il est donc, dans ce sens, trop tôt pour aborder la requête en rejet sommaire de BGIS.

[16]       Le Tribunal est toutefois d’avis qu’il peut et doit trancher la requête en rejet sommaire à ce moment‑ci. Rien n’empêcherait BGIS de présenter ultérieurement une nouvelle requête en rejet sommaire s’il s’avère que le document communiqué n’étaye pas suffisamment la thèse du ministre. Les parties ont abordé la question de façon approfondie dans d’excellentes observations, et la question de la requête en rejet sommaire revêt une importance générale pour les activités du Tribunal. Le Tribunal est en outre d’avis qu’il ne peut entendre une requête en rejet d’un procès‑verbal présentée par un demandeur avant que le ministre n’ait clos sa preuve; une conclusion qui ne serait en rien modifiée par le contenu du document communiqué. Par conséquent, il convient que le Tribunal tranche la requête en rejet sommaire de BGIS à ce stade‑ci.

[17]       Le Tribunal examinera d’abord la requête en rejet sommaire et se penchera ensuite sur la requête visant à exiger la production de documents.

Analyse et conclusions

Requête en rejet sommaire

[18]       La question en l’espèce est de savoir si le Tribunal peut examiner une requête en rejet sommaire d’un procès‑verbal présentée par un demandeur avant que le ministre n’ait clos sa preuve. Il s’agit d’une question assez précise. Il peut se présenter d’autres situations — une demande de révision présentée hors délai ou une demande de révision présentée par une partie n’ayant pas qualité pour le faire — où le ministre pourrait vouloir présenter une requête en rejet sommaire d’une demande de révision. Il ne s’agit pas de ce type de situation en l’espèce. Par conséquent, l’analyse et les conclusions qui suivent se rapportent uniquement à la requête en rejet sommaire d’un procès‑verbal présentée par un demandeur avant que le ministre n’ait clos sa preuve.

[19]       Le ministre fait remarquer à juste titre que la LPAME ne renferme aucune disposition prévoyant la possibilité pour un demandeur de présenter une requête en rejet sommaire d’un procès‑verbal. BGIS réplique que le Tribunal a le pouvoir, dans le cadre du régime établi par la loi, d’élaborer une procédure qui permettrait à un demandeur de faire radier un procès‑verbal manifestement dénué de fondement.

[20]       Si l’on tient compte (comme le Tribunal doit le faire) du texte, du contexte et de l’objet de la loi, le Tribunal est d’avis qu’il ne peut se reconnaître compétent pour instruire une requête en rejet sommaire d’un procès‑verbal présentée par un demandeur avant que le ministre n’ait clos sa preuve. BGIS fait observer à juste titre que la Cour suprême du Canada a déclaré que les tribunaux administratifs étaient « maîtres chez eux » : Prassad c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 RCS 560, par. 46. Mais la Cour suprême a aussi déclaré, presque du même souffle, que cette autonomie était subordonnée au respect des règles de justice naturelle. Cette autonomie est, de la même façon, subordonnée au respect des restrictions que la loi apporte à la compétence du Tribunal : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, par. 108‑110.

[21]       D’abord, la reconnaissance d’une compétence pour examiner une requête en rejet sommaire d’un procès‑verbal s’accorde mal avec la structure du régime législatif de la LPAME et avec le libellé de l’article 20.

[22]       La LPAME confère à la personne qui reçoit un procès‑verbal le droit d’en demander la révision : article 15. L’exercice de ce droit donne lieu à une révision, laquelle est effectuée par un seul réviseur ou par un comité composé de trois réviseurs : article 17.

[23]       L’article 20 précise ce qui doit être décidé lors de l’audience :

(1) Après avoir donné au demandeur et au ministre un préavis écrit ou oral suffisant de la tenue d’une audience et leur avoir accordé la possibilité de présenter oralement leurs observations, le réviseur ou le comité décide de la responsabilité du demandeur.

 

(2) Il appartient au ministre d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur a perpétré la violation.

 

(3) Le réviseur ou le comité modifie le montant de la pénalité s’il estime qu’il n’a pas été établi conformément aux règlements.

(1) After giving the person, ship or vessel that requested the review and the Minister reasonable notice orally or in writing of a hearing and allowing a reasonable opportunity in the circumstances for the person, ship or vessel and the Minister to make oral representations, the review officer or panel conducting the review shall determine whether the person, ship or vessel committed a violation.

 

(2) The Minister has the burden of establishing, on a balance of probabilities, that the person, ship or vessel committed the violation.

 

(3) If the review officer or panel determines that the penalty for the violation was not determined in accordance with the regulations, the review officer or panel shall correct the amount of the penalty.

[24]       Le paragraphe 20(1) prévoit qu’une audience est tenue. Lus dans leur ensemble, les paragraphes 20(1) et 20(3) indiquent que cette audience vise à décider : 1) si l’infraction reprochée dans le procès‑verbal s’est vraiment produite et 2) si la pénalité infligée a été calculée correctement. Fait à noter, le paragraphe 20(2) impose le fardeau de la preuve au ministre. C’est pourquoi, lors d’une audience devant le Tribunal, le ministre est entendu le premier.

[25]       Ainsi, au vu du libellé de la LPAME, le demandeur ne peut pas présenter une requête en rejet sommaire d’un procès‑verbal. Le procès‑verbal impose une responsabilité au demandeur, mais il appartient au ministre de prouver les allégations sous‑jacentes selon la prépondérance des probabilités. Si le ministre ne le fait pas, le procès‑verbal tombe : voir, p. ex., Andrade c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2021 TPEC 4. Fait éminemment important, le paragraphe 20(1) de la LPAME dispose que le Tribunal doit rendre une décision « [a]près » avoir entendu les parties. En ce sens, une requête en rejet sommaire du procès‑verbal présentée avec succès ferait obstacle à la tenue d’une audience, ce qui irait à l’encontre du paragraphe 20(1).

[26]       Ensuite, la reconnaissance d’une compétence pour examiner une requête en rejet sommaire d’un procès‑verbal présentée par un demandeur cadre difficilement avec l’objet de la LPAME. Le législateur a expliqué ainsi l’objet du régime législatif à l’article 3 de la LPAME : apporter une solution de rechange au régime pénal en vigueur pour les infractions environnementales. Il faut donc se garder de transplanter aveuglément les procédures criminelle et civile élaborées par les cours de justice dans le régime de la LPAME : voir, de façon générale, BCE Inc. c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2021 TPEC 4. Nombre de ces boutures ne prendront tout simplement pas, et le législateur nous a mis en garde contre un tel procédé.

[27]       Si le Tribunal devait instruire des requêtes en rejet sommaire d’un procès‑verbal présentées par les demandeurs, une étape procédurale additionnelle dans la demande de révision serait ainsi introduite. Ce fait, à lui seul, nuirait à la réalisation des objectifs en matière d’efficacité que souhaitait atteindre le législateur en adoptant la LPAME.

[28]       Mais le fait, pour le Tribunal, d’examiner des requêtes en rejet sommaire d’un procès‑verbal à la demande d’un demandeur aurait aussi comme conséquence systémique de miner l’intention manifeste du législateur. Ainsi, les procès‑verbaux devraient alors ressembler davantage à un acte introductif d’instance, et être suffisamment détaillés pour résister à une requête en rejet sommaire. Une telle situation imposerait un lourd fardeau administratif au ministre.

[29]       BGIS soutient que la requête en rejet sommaire d’un procès-verbal présentée par un demandeur constitue [traduction] « un moyen proportionné, expéditif et moins coûteux d’arriver à un résultat juste dans les circonstances » (réplique de la demanderesse, par. 17). Même si cela était généralement vrai — ce qui est peu probable compte tenu des conséquences systémiques —, les considérations liées à la célérité ne sauraient l’emporter sur le régime établi par la loi.

[30]       De toute façon, point n’est besoin de laisser les considérations liées à la célérité l’emporter sur le texte, le contexte et l’objet de la loi, car le Tribunal dispose assurément d’outils lui permettant d’élaborer des procédures qui s’apparentent à une requête en rejet sommaire d’un procès‑verbal présentée par un demandeur. À plusieurs reprises, des parties devant le Tribunal ont collaboré à l’élaboration d’un fondement factuel permettant de trancher une question de droit déterminante. Par exemple, dans Hoang c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2019 TPEC 2, le Tribunal s’était penché sur son pouvoir d’examiner l’exercice du pouvoir discrétionnaire de dresser un procès‑verbal à titre de question préliminaire. Répondre à la question par la négative avait permis de statuer sur la demande de révision. Puis, dans Deep River (Ville) c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2020 TPEC 3, le Tribunal s’était penché sur une question liée au délai à l’intérieur duquel le procès‑verbal devait être dressé et, la question ayant été tranchée à l’encontre de la demanderesse, la demande de révision avait par la suite été retirée. Le Tribunal a proposé une stratégie semblable aux parties en l’espèce, mais les parties n’ont pas réussi à s’entendre sur la question à soumettre au Tribunal. Cependant, de façon générale, il faut préférer l’utilisation créative de cette procédure de [traduction] « questions préliminaires » plutôt qu’à l’instruction d’une requête en rejet sommaire d’un procès‑verbal. Cette façon de faire est parfaitement compatible avec l’article 20 de la LPAME, car le résultat d’une réponse défavorable à une question préliminaire est, pour le demandeur, le retrait de la demande de révision (si c’est ce que choisit le demandeur) et, pour le ministre, la tenue d’une audience.

[31]       De plus, le régime de la LPAME offre une autre possibilité évidente. Une fois que le ministre a clos sa preuve, le demandeur peut tout bonnement refuser de présenter des éléments de preuve et faire valoir que le ministre n’a pas établi le bien‑fondé de ses arguments selon la prépondérance des probabilités. Il s’agit de ce qui est communément appelé une requête en non‑lieu. Se pose alors la question distincte de savoir si le demandeur devrait [traduction] « faire un choix » en pareil cas; c’est‑à‑dire, renoncer à son droit de présenter une preuve dans l’éventualité où la requête en non‑lieu serait rejetée. Le Tribunal ne se prononce pas sur la question du choix à ce stade‑ci. Il suffit de dire que, dans les cas où le demandeur estime que les arguments du ministre sont fondamentalement viciés, il peut exprimer cet avis une fois que le ministre a clos sa preuve. Cette façon de faire est, encore une fois, compatible avec l’article 20 de la LPAME.

[32]       Il est vrai, comme le fait remarquer BGIS, qu’il doit exister des « motifs raisonnables » appuyant l’exercice du pouvoir discrétionnaire de dresser un procès‑verbal : LPAME, par. 10(1). Mais le Tribunal n’a pas compétence pour examiner l’exercice du pouvoir discrétionnaire des agents d’application de la loi environnementale : BCE Inc. c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2021 TPEC 2, par. 30‑51. Si le Tribunal ne peut pas examiner la décision de dresser un procès‑verbal, il ne peut pas non plus se prononcer sur l’existence ou non de motifs raisonnables de dresser un procès‑verbal. Comme il est expliqué plus loin (notamment au paragraphe 53), l’exigence relative à l’existence de « motifs raisonnables » est un facteur pertinent lorsqu’il s’agit d’interpréter la portée du pouvoir du Tribunal de contraindre à la production de documents. Toutefois, cette exigence ne justifie pas que le Tribunal examine l’exercice du pouvoir discrétionnaire de dresser un procès‑verbal, et encore moins qu’il radie un procès‑verbal à un stade préliminaire à la demande d’un demandeur.

[33]       Comme il est mentionné au début de la présente section, soit au paragraphe 18 ci‑dessus, différentes considérations peuvent entrer en jeu lorsque le ministre cherche à faire rejeter sommairement une demande de révision. Je tiens toutefois à souligner que, dans l’une et l’autre des situations hypothétiques mentionnées ci-haut — une demande tardive ou une demande présentée par une partie n’ayant pas qualité pour le faire — il existerait, dans la LPAME, un fondement législatif permettant de refuser d’examiner la demande de révision. En effet, l’article 15 impose un délai de 30 jours (qui peut être prorogé par le réviseur‑chef) et autorise seulement la personne qui a reçu « signification » d’un procès‑verbal à présenter une demande de révision. Alors qu’instruire une requête en rejet sommaire d’un procès‑verbal présentée par un demandeur serait incompatible avec le régime établi par la loi, le fait de traiter une demande viciée comme une demande qui, de fait, est nulle et non avenue, trouverait un fondement valable dans le texte de la LPAME. Il pourrait donc y avoir — bien qu’il ne soit pas nécessaire d’exprimer une opinion définitive sur ce point dans la présente décision — une différence entre une requête en rejet sommaire d’un procès‑verbal présentée par le demandeur et une requête présentée par le ministre en vue d’obtenir le rejet sommaire d’une demande de révision : le Tribunal peut connaître de la seconde, mais pas de la première.

[34]       Par conséquent, la requête en rejet sommaire de BGIS est rejetée.

La requête visant à exiger la production de documents

[35]       Avant d’aborder en détail la requête du ministre visant à exiger la production de documents, il est utile de décrire ici les éléments de preuve sur lesquels se fonde le Tribunal pour déterminer s’il y a lieu d’accueillir ou de rejeter une demande de révision.

[36]       À cet égard, les deux parties ont fait état de la décision Kost c. Canada (Environnement et Changement climatique); Distribution Carworx Inc. c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2019 TPEC 3. Mais cette décision du Tribunal doit être considérée avec une certaine prudence parce qu’elle a été rendue en vertu du pouvoir conféré au Tribunal par la LCPE, et non en vertu du pouvoir conféré au Tribunal par la LPAME. Plus précisément, l’examen de la question de savoir si l’ordre d’exécution faisant l’objet de la révision est fondé sur des « motifs raisonnables » revêt une importance capitale lorsque le Tribunal procède à une révision en vertu de la LCPE; il s’agit d’ailleurs de l’une des « principales tâches » du Tribunal : Kost, par. 21. Par contre, comme il est mentionné ci‑dessus au paragraphe 32, et réitéré ci‑dessous au paragraphe 47, la LPAME n’autorise pas le Tribunal à examiner l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière d’application de la loi, y compris la question de savoir s’il existait des « motifs raisonnables » de dresser un procès-verbal.

[37]       La décision Kost n’en demeure pas moins utile pour déterminer la portée de l’examen du dossier dans le cadre d’une révision fondée sur la LPAME. Le Tribunal a tenu les propos suivants, au paragraphe 15 :

Différents types de « révisions » administratives sont prévues par diverses lois. Certaines révisions se limitent à l’examen du dossier dont était saisi le décideur initial et ne comportent pas l’audience habituelle où des observations sont présentées de vive voix, tandis que d’autres sont plus vastes et comportent une représentation orale de la preuve. Si le Parlement avait voulu que le Tribunal limite son examen aux seuls renseignements dont disposait l’agent au moment où l’ordre d’exécution a été délivré, le pouvoir d’assignation prévu à l’article 260, par exemple, aurait eu peu d’utilité. De plus, on ne trouverait pas à l’article 257 l’expression « procède à la révision de l’ordre, notamment en tenant une audience ». Les renvois dans la LCPE au droit des parties de comparaître en personne ou par l’entremise d’un représentant (article 259) et à la possibilité de présenter oralement des observations (article 263) auraient aussi vraisemblablement été exclus si le Parlement avait voulu que l’examen du dossier de révision par le Tribunal soit restreint. De plus, les articles 257 ou 263 auraient vraisemblablement été rédigés d’une manière qui énonce expressément que le Tribunal doit limiter son examen dans le cadre d’une révision aux seuls éléments de preuve qui faisaient partie du dossier dont était saisi l’agent d’application de la loi.

[38]       Ces considérations s’appliquent tout autant aux révisions en vertu de la LPAME, dont le régime, de la même façon, prévoit expressément la tenue d’une audience de révision (article 20), y compris le droit de comparaître (article 18) et le pouvoir du Tribunal de contraindre à la production d’éléments de preuve (article 19). Manifestement, donc, le Tribunal qui procède à une révision en vertu de la LPAME ne doit pas limiter son examen au dossier documentaire qui existait juste avant la délivrance du procès-verbal, mais il peut faire reposer ses conclusions sur un fondement probatoire plus large.

[39]       Le demandeur et le ministre peuvent tous deux contribuer à ce fondement probatoire, par exemple en soumettant au Tribunal des témoignages (écrits ou oraux) ou des documents qu’ils ont en leur possession.

[40]       L’Ébauche des règles de procédure du Tribunal crée des moyens supplémentaires d’étoffer le dossier soumis au Tribunal. L’une de ces dispositions, en vertu de laquelle le ministre a présenté sa requête, est l’article 15.1 (l’italique est ajouté) :

Le réviseur peut, tout au long de l’instance en révision, exiger qu’une partie ou toute autre personne fournisse des renseignements, des documents ou d’autres pièces qu’il juge nécessaires pour pouvoir acquérir pleine connaissance de l’objet de la procédure de révision.

A Review Officer, at any time in the review, may require a Party or any other person to provide such information, documents, or other things as the Review Officer determines to be necessary in order to obtain a full and satisfactory understanding of the subject matter of the review.

[41]       Cette disposition prend appui sur l’article 19 de la LPAME (l’italique est ajouté) :

Le réviseur ou le comité peut citer toute personne à comparaître devant lui et ordonner à celle-ci de déposer oralement ou par écrit, ou de produire toute pièce qu’il juge nécessaire à la révision.

The review officer or panel conducting the review may summon any person to appear as a witness and may order the witness to

(a) give evidence orally or in writing; and

(b) produce any documents and things that the review officer or panel considers necessary for the purpose of the review.

[42]       Pour que le Tribunal accueille une requête présentée en vertu de l’article 15.1, il doit être convaincu que le document dont on cherche à obtenir la production est « nécessaire ». La nécessité doit être appréciée en fonction de l’objet de la révision (LPAME, article 19) qui, comme le précise l’article 15.1, est d’« acquérir pleine connaissance de l’objet de la procédure de révision ».

[43]       Dans BCE Inc. c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2021 TPEC 2, le Tribunal a examiné l’article 15.1 de façon assez détaillée et a conclu ce qui suit, au paragraphe 22 :

Il faut donc que la demanderesse démontre que la production de documents est « nécessaire » afin d’acquérir une pleine connaissance de l’objet de la procédure de révision, ou, autrement dit, le processus simplifié créé par la LPAME. La barre est plus haute que celle mise en place par les Règles des Cours fédérales et la jurisprudence de la Cour suprême.

[44]       Ainsi, une partie à la demande de révision peut demander au Tribunal d’utiliser les pouvoirs que lui confère l’article 15.1, comme c’est le cas en l’espèce. Il importe de souligner que les documents dont le ministre cherche à obtenir la production sont antérieurs à la délivrance du procès-verbal. L’analyse et les conclusions qui suivent ne concernent pas une situation où les documents demandés seraient postérieurs à la délivrance du procès-verbal.

[45]       Il est bien établi que le ministre doit satisfaire au critère de la nécessité prévu à l’article 15.1 et à l’article 19 de la LPAME. BGIS soutient que l’utilisation du pouvoir de contraindre à la production à la demande du ministre est assujettie à des restrictions supplémentaires. Or, il n’existe pas de restrictions de ce genre aux articles 15.1 ou 19 de la LPAME, comme le fait remarquer le ministre. D’où, alors, BGIS tient‑elle ces restrictions supplémentaires?

[46]       D’abord, BGIS fait observer que la partie 10 de la LCPE confère au ministre d’importants pouvoirs lui permettant de contraindre à la production de documents dans le cadre d’enquêtes sur des violations présumées des lois canadiennes en matière d’environnement : voir, p. ex., l’article 218 (pouvoir de faire des inspections), l’article 219 (pouvoir de contraindre à la production de documents et d’échantillons) et l’article 223 (pouvoir de saisir et de retenir tout objet lié à une infraction aux lois canadiennes sur l’environnement).

[47]       Ensuite, BGIS souligne qu’un procès-verbal ne doit être dressé que dans les cas où l’agent d’application de la loi environnementale a des « motifs raisonnables » de croire qu’une violation a été commise : paragraphe 10(1) de la LPAME. La question de savoir s’il existait de tels motifs raisonnables dépasse, évidemment, la compétence du Tribunal : BCE Inc., par. 30‑51. Mais l’exigence des « motifs raisonnables » indique, selon BGIS, que le ministre devrait faire tous les efforts possibles pour utiliser les pouvoirs d’enquête que lui confère la LCPE avant de dresser un procès-verbal. L’exigence relative aux « motifs raisonnables » est une condition préalable importante, et il s’ensuit, de l’avis de BGIS, que le procès-verbal doit reposer sur un solide fondement concomitant.

[48]       En résumé, BGIS soutient qu’il ne convient pas que le ministre se serve de l’article 15.1 et de l’article 19 de la LPAME pour recueillir maintenant des éléments de preuve qu’il aurait fallu récolter dans le filet qu’il aurait dû tendre avant de dresser le procès‑verbal :

[traduction]

Le fait qu’une révision soit en cours n’autorise pas le défendeur à rouvrir son inspection en demandant au Tribunal de prendre la place de l’agent d’application de la loi et de mener sa propre recherche des faits approfondie et de grande portée; cela irait à l’encontre des objectifs du processus administratif […]. (Réponse et demande de rejet reconventionnelle de la demanderesse, par. 51.)

[49]       Le Tribunal convient avec BGIS qu’il faut limiter les circonstances dans lesquelles le Tribunal peut accueillir une requête présentée par le ministre en vertu de l’article 15.1 et de l’article 19 de la LPAME relativement à des renseignements antérieurs à la délivrance d’un procès-verbal, non seulement en fonction du critère de la nécessité, mais aussi par l’imposition de restrictions supplémentaires.

[50]       Il est utile de situer l’argument par rapport au libellé, au contexte et à l’objet de la loi. Les libellés de l’article 15.1 et de l’article 19 de la LPAME ne limitent pas les circonstances dans lesquelles le ministre peut demander au Tribunal de contraindre à la production de documents : la nécessité est le seul critère.

[51]       Mais l’article 15.1 et l’article 19 doivent être interprétés dans leur contexte global, qui comprend l’exigence relative aux « motifs raisonnables » prévue à l’article 10 de la LPAME et les pouvoirs d’enquête énoncés à la partie 10 de la LCPE. Lorsqu’on les interprète dans leur contexte global, il devient évident que le critère de la nécessité — à lui seul — ne suffit pas.

[52]       L’article 10 de la LPAME et la partie 10 de la LCPE sont tous deux pertinents pour déterminer la portée de l’article 15.1 et de l’article 19 de la LPAME.

[53]       L’article 10 de la LPAME est pertinent parce qu’il indique clairement que le ministre doit avoir des « motifs raisonnables » de dresser un procès‑verbal. Pour que soit établie l’existence de motifs raisonnables, la croyance du décideur doit « posséder un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi » : Mugesera c. Canada (M.C.I.), 2005 CSC 40, par. 114. Cela donne à penser que le ministre doit s’efforcer d’obtenir ces renseignements avant de dresser un procès‑verbal — sans quoi l’exigence de « motifs raisonnables » perdrait tout son sens. Cette exigence porte également à croire qu’il ne convient pas que le ministre dresse un procès-verbal en espérant que des « renseignements concluants et dignes de foi » surgissent au cours du processus de demande de révision, ou que le Tribunal juge ces renseignements « nécessaire[s] » à la révision et en exige la production en vertu de l’article 15.1 et de l’article 19 de la LPAME.

[54]       Quant à la partie 10 de la LCPE, elle est pertinente parce qu’elle confère au ministre une série de pouvoirs d’enquête pouvant servir à générer les « renseignements concluants et dignes de foi » nécessaires pour justifier la délivrance d’un procès-verbal. Ces renseignements peuvent ensuite être (et le sont, normalement) soumis au Tribunal dans le cadre de la demande de révision. La partie 10 de la LCPE, l’article 15.1 et l’article 19 de la LPAME se recoupent, en ce qu’ils peuvent tous trois être utilisés pour établir un fondement probatoire permettant au Tribunal de statuer sur la demande de révision. Le pouvoir du Tribunal de contraindre à la production d’éléments de preuve devrait donc être interprété en harmonie avec ces pouvoirs d’enquête, compte tenu surtout de l’exigence relative à l’existence de « motifs raisonnables » de dresser un procès-verbal. Si le ministre dispose d’un pouvoir précis pour atteindre ses objectifs en matière d’application des lois canadiennes sur l’environnement, ce pouvoir devrait restreindre la portée de tout pouvoir du Tribunal que le ministre peut chercher à utiliser aux mêmes fins, étant donné que le ministre est en tout cas tenu d’acquérir des « motifs raisonnables » avant qu’une demande de révision ne soit présentée.

[55]       Le Tribunal devrait donc interpréter l’article 15.1 et l’article 19 de la LPAME en harmonie avec les pouvoirs d’enquête conférés au ministre par la LCPE et avec l’exigence des motifs raisonnables prévue à l’article 10 de la LPAME. Le critère de la nécessité, lorsqu’il est appliqué au ministre, devrait être suffisamment rigoureux pour faire en sorte que celui-ci utilise les pouvoirs d’enquête que lui confère la partie 10 de la LCPE pour obtenir les renseignements nécessaires, afin que le fondement probatoire du procès‑verbal soit solide, au lieu de recourir au pouvoir coercitif du Tribunal pour en forcer la production. Il est loisible au ministre de présenter une requête fondée sur l’article 15.1, mais lorsqu’il le fait relativement à des renseignements qui sont antérieurs à la délivrance du procès‑verbal, le Tribunal devrait appliquer une norme suffisamment exigeante. Le ministre doit donc être assujetti à des restrictions supplémentaires.

[56]       À quoi ces restrictions supplémentaires devraient‑elles ressembler? Le fait que l’article 15.1 et l’article 19 de la LPAME doivent être interprétés comme exigeant davantage que la nécessité dans les cas où le ministre cherche à contraindre à la production ne nous indique pas précisément ce qui devrait être exigé. La partie 10 de la LCPE et l’article 10 de la LPAME représentent les dispositions pertinentes du contexte législatif général. Les restrictions supplémentaires en question devraient donc être compatibles avec celles‑ci. La restriction supplémentaire qu’il convient d’imposer est que le ministre doit démontrer qu’il a fait des efforts raisonnables pour obtenir les renseignements dans le cadre d’une enquête avant de demander au Tribunal d’exercer le pouvoir que lui confèrent l’article 15.1 et l’article 19.

[57]       Si le ministre ne l’a pas fait, et qu’il cherche à invoquer les pouvoirs coercitifs du Tribunal pour obtenir des renseignements qui sont antérieurs à la délivrance du procès‑verbal, le Tribunal est en droit de rejeter la requête du ministre.

[58]       Compte tenu du critère de la nécessité, qui ressort clairement du libellé de l’article 15.1 et de l’article 19 de la LPAME, et de l’exigence relative aux efforts d’enquête raisonnables, qui se dégage lorsque l’article 15.1 et l’article 19 de la LPAME, le tout interprété dans son contexte global, le Tribunal n’exigera la production que d’un seul des documents ou catégories de documents demandés par le ministre.

(1) Nécessité

[59]       La difficulté à laquelle est confronté le ministre en ce qui concerne la plupart des documents demandés tient au fait qu’ils n’apporteraient aucune preuve directe quant à la question qui est l’objet de la procédure de révision et qui consiste à savoir s’il y a eu ou non une fuite le 22 mai 2019. Ces documents fourniraient tout au plus une preuve indirecte supplémentaire qui pourrait permettre d’inférer qu’il y a eu une fuite ce jour‑là. On ne peut donc pas dire qu’ils sont nécessaires pour pouvoir acquérir pleine connaissance de l’objet de la procédure de révision, comme l’exigent l’article 15.1 et l’article 19 de la LPAME.

[60]       Le premier document demandé est la « Liste datée du registre d’entretien d’un système contenant des halocarbures » concernant le système 03‑004. Selon le ministre, ce document [traduction] « contient des renseignements sur la quantité d’halocarbure qui a été chargée ou régénérée, et sur la question de savoir si une personne accréditée a effectué un essai de détection de fuite, a détecté une fuite et a réparé une fuite » (observations écrites du défendeur, par. 35). Mais on ne sait pas exactement comment ce document pourrait permettre d’établir clairement la date de la fuite plutôt que d’apporter une preuve indirecte permettant de tirer une inférence.

[61]       Le deuxième document (ou ensemble de documents) demandé est une feuille de temps de Dany Simard et Dominic Plenzich, des employés de Carrier. Certaines feuilles de temps se trouvent déjà dans le dossier soumis au Tribunal. La difficulté réside dans le fait que ces feuilles de temps sont singulièrement peu susceptibles de confirmer la date d’une fuite. Elles confirmeront, tout au plus, (ce qui est d’ailleurs loin d’être clair) qu’une fuite s’est produite.

[62]       Le troisième document se compose des bons de travail de Carrier pour le mois de mai. Comme dans le cas des feuilles de temps, la difficulté fondamentale dans ce cas‑ci tient au fait que les bons de travail ne préciseront pas la date à laquelle une fuite s’est produite. Le ministre affirme que ces documents indiqueraient [traduction] « la quantité d’halocarbure qui a été chargée, rejetée ou régénérée, le résultat de l’essai de pression et de l’essai de détection de fuite, et si une fuite a été réparée » (observations écrites du défendeur, par. 45). Le Tribunal croit toutefois comprendre que les bons de travail ne feraient état que du travail effectué par les employés de Carrier lors du chargement, du rejet ou de la régénération d’halocarbure dans le cadre d’un essai de pression ou d’un essai de détection de fuite. Ils pourraient permettre au Tribunal d’inférer qu’une fuite s’est produite, mais sans préciser à quelle date.

[63]       Quant au quatrième document, il s’agit des rapports d’entretien de Carrier concernant le système 03‑004. Selon le ministre, ces documents indiqueront à quel moment le système 03‑004 [traduction] « a fait l’objet d’un entretien et la nature du travail effectué sur le système » (observations écrites du défendeur, par. 51). Encore une fois, la preuve contenue dans ces documents quant à la date d’une fuite ne peut être qu’indirecte. Un système doit faire l’objet d’un entretien s’il y a eu une fuite et, évidemment, la « nature du travail » permettrait au Tribunal d’inférer qu’une fuite s’est produite. Mais, fondamentalement, elle n’indiquerait pas la date exacte de la fuite, qui constitue précisément le point en litige dans la présente demande de révision.

[64]       Le cinquième document consiste en des bordereaux de marchandises pour la période allant de mars 2019 à juin 2019. Selon le ministre, ces documents fournissent [traduction] « des renseignements pertinents sur le type d’entretien qui a été effectué sur le système 03‑004 à une date donnée » (observations écrites du défendeur, par. 56). Encore une fois, ces documents permettraient seulement au Tribunal de tirer des inférences quant à savoir s’il y a eu une fuite, et non quant à la date de la fuite.

[65]       Le sixième document est une copie ou photo des alarmes enregistrées sur le système entre les mois de mars et juin. Comme l’affirme le ministre, [traduction] « la copie ou la photo du registre des alarmes sur le système 03‑004 ou des alarmes se rapportant au système 03‑004 est très pertinente quant à la décision que doit rendre le réviseur dans la présente affaire » (observations écrites du défendeur, par. 56). Effectivement, c’est le moins qu’on puisse dire. Ce document trancherait la question en litige. Il devrait établir de façon concluante si une fuite s’est ou non produite le 22 mai 2019. Il indiquerait presque assurément la date à laquelle s’est produite la fuite ayant occasionné les réparations effectuées sur le système 03‑004. Compte tenu de son caractère décisif, le sixième document est, par définition, nécessaire pour pouvoir acquérir pleine connaissance de l’objet de la procédure de révision.

[66]       Le septième document est une copie du « Rapport de service commercial » pour la période allant de mars à juin 2019. Le ministre n’indique pas pourquoi ce document est pertinent, si ce n’est pour dire qu’il a reçu un extrait, et non le rapport complet. Le motif fourni par le ministre ne permet pas de conclure que le document est nécessaire à la révision.

[67]       Enfin, le ministre demande une copie lisible d’un document qui lui a déjà été fourni, à savoir le rapport d’entretien no 107189 de Carrier. Ce document est daté du 15 mars 2019. Il ne se rapporte donc pas à la date de la fuite présumée et ne peut apporter d’éclaircissements sur la question sous‑jacente à la présente révision.

[68]       De ces documents, seul le sixième satisfait au critère de la nécessité prévu à l’article 15.1 et à l’article 19 de la LPAME.

(2) Efforts d’enquête raisonnables

[69]       À deux exceptions près, le ministre n’a pas démontré qu’il avait fait des efforts d’enquête raisonnables. L’agente Sabrina Duchesne a déclaré qu’elle avait eu des entretiens avec divers employés de Bell, de BGIS et de Carrier de juin 2019 à janvier 2020, en personne, par téléphone et par courriel. Au cours de ces entretiens, elle leur a demandé de lui fournir divers documents :

Au cours de ces communications, j’ai demandé aux gestionnaires et aux employés de BGIS et de Carrier de me fournir des documents spécifiques, y compris des bons de travail, des rapports de service, des feuilles de temps et des bordereaux de marchandise. À ce moment-là, certains documents m’ont été fournis, tandis que d’autres ne l’ont pas été (affidavit de Sabrina Duchesne, par. 13).

[70]       L’agente Duchesne a reçu certains documents en octobre 2019, et d’autres en janvier 2020 : affidavit de Sabrina Duchesne, paragraphes 18‑19. Elle n’a pas fait de suivi auprès des employés afin de leur expliquer pourquoi (comme le laisse maintenant entendre le ministre) ces documents étaient inadéquats ou quels autres documents seraient suffisants.

[71]       Le ministre n’a fourni aucune description de ce que l’agente Duchesne a fait entre janvier 2020 et juin 2020, date à laquelle elle a dressé le procès‑verbal. Bien sûr, en mars 2020, la vie au Canada a été bouleversée par la pandémie de COVID‑19. Mais l’affidavit de l’agente Duchesne n’en fait pas état — et ne fait pas état non plus, ce qui est d’une importance cruciale, des mesures supplémentaires qu’elle a prises pour faire un suivi auprès des employés en question, notamment en invoquant les pouvoirs conférés au ministre par la LCPE. Tout a été laissé en suspens de janvier 2020 jusqu’au moment où le ministre a présenté sa requête, un an plus tard. Le ministre n’a donc pas démontré qu’il avait fait des efforts d’enquête raisonnables, sauf à deux égards.

[72]       La première exception concerne le sixième document décrit ci‑dessus. Lors d’une réunion tenue en octobre 2019, l’agente Duchesne a demandé précisément — et on lui a promis qu’elle la recevrait — une photo de la liste des alarmes de pression enregistrées sur le système :

[M. Simard] m’a indiqué qu’il allait me transmettre une photo de la liste des alarmes de pression enregistrées sur le système le lendemain par courriel. Or, je n’ai jamais reçu de photo de la liste des alarmes enregistrées (affidavit de Sabrina Duchesne, par. 21).

[73]       Contrairement aux autres demandes, en réponse desquelles le ministre a reçu des documents insuffisants selon lui, le ministre n’a rien reçu en réponse à sa demande concernant ce sixième document.

[74]       Il s’ensuit que, dans ce cas, le ministre a bel et bien fait des efforts d’enquête raisonnables. En effet, le ministre pouvait raisonnablement tenir pour acquis que cette photo lui serait fournie.

[75]       La deuxième exception concerne le rapport d’entretien no 107189 de Carrier, que le ministre a obtenu dans le cadre d’une enquête. Cependant, tel que mentionné, une copie lisible de ce document n’est pas nécessaire pour trancher la présente demande de révision.

[76]       Par conséquent, le Tribunal accueille en partie la requête du ministre, soit en ce qui a trait au sixième document demandé.

Décision

[77]       La requête du ministre est accueillie en partie. Les parties doivent prendre les dispositions nécessaires en vue de la production du sixième document demandé. Si les parties ne réussissent pas à s’entendre, le ministre pourra présenter au Tribunal une ébauche de l’ordonnance à rendre en vertu de l’article 15.1.

[78]       La requête de BGIS est rejetée.

[79]       BGIS a sollicité des dépens. En l’absence d’un pouvoir expressément prévu par la loi l’autorisant à rendre une ordonnance relative aux dépens, et compte tenu du principe bien établi selon lequel il n’existe aucun pouvoir inhérent d’adjuger les dépens, le Tribunal n’a pas compétence pour rendre l’ordonnance demandée.

[80]       Il convient de formuler une dernière remarque. Celle‑ci ne doit pas être interprétée comme une critique à l’endroit des avocats dans la présente affaire, qui se retrouvent à devoir s’orienter dans le processus du Tribunal assez tôt dans l’existence de celui‑ci, alors que les limites de sa compétence ainsi que ses modes de fonctionnement demeurent en évolution, dans une certaine mesure.

[81]       Cependant, le déroulement de la présente demande de révision illustre certains des inconvénients qu’entraîne le fait de présenter trop hâtivement une demande de révision.

[82]       En vertu de l’article 16 de la LPAME, le ministre peut annuler le procès‑verbal ou corriger toute erreur qu’il contient, mais seulement avant qu’une demande de révision soit présentée.

[83]       En l’espèce, il y avait une erreur manifeste dans le calcul du montant de la pénalité. Les deux parties conviennent que l’erreur doit être corrigée.

[84]       Mais, une fois que la procédure de révision a été engagée, le Tribunal ne peut corriger l’erreur que dans le cadre de sa décision définitive sur la demande de révision : LPAME, par. 20(3).

[85]       Ainsi, dans certains cas où l’erreur est manifeste, le fait d’invoquer la compétence du Tribunal entraînera des frais et des retards inutiles.

[86]       Bien entendu, la personne qui reçoit un procès-verbal doit agir rapidement, car elle ne dispose que de 30 jours pour présenter une demande de révision : LPAME, art. 15. Mais la demande de révision peut être de nature sommaire, de telle sorte que même un délai de 30 jours donne amplement le temps de demander au ministre de corriger l’erreur et, si cette demande reste lettre morte, de présenter une demande de révision. De plus, le réviseur‑chef peut proroger le délai de 30 jours en vertu de l’article 15, lorsqu’il existe des motifs valables de le faire (et l’on peut raisonnablement penser que des négociations de bonne foi entre le ministre et un demandeur éventuel représenteront ces motifs valables nécessaires).

[87]       Je le répète, cette remarque ne constitue pas une critique à l’endroit des avocats dans la présente affaire, et ne vise pas à dissuader les personnes qui reçoivent des procès‑verbaux d’invoquer la compétence du Tribunal. Elle vise plutôt simplement à souligner que la façon la plus efficace et la plus rapide de corriger les erreurs manifestes contenues dans un procès-verbal est de communiquer sans délai ses préoccupations au ministre.

« Paul Daly »

PAUL DALY

RÉVISEUR

 

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