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Tribunal de la protection de
l’environnement du Canada

Canada Coat of Arms

Environmental Protection

Tribunal of Canada

 

Date de publication :

Le 19 juin 2020

Référence :

Rice c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2020 TPEC 4

Numéro de dossier du TPEC :

020-2019

Intitulé :

Rice c. Canada (Environnement et Changement climatique)

Demandeur :

Kevin Rice

Défendeur :

Ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada

Objet de la procédure : Révision, au titre de l’article 15 de la Loi sur les pénalités administratives en matière d’environnement, L.C. 2009, ch. 14, art. 126 (la « LPAME »), d’une pénalité infligée en vertu de l’article 7 de cette loi relativement à une violation de l’article 8 du Règlement sur les réserves d’espèces sauvages, C.R.C., ch. 1609, pris en application de la Loi sur les espèces sauvages du Canada, L.R.C. 1985, ch. W‑9.

Instruit :

Le 29 mai 2020 (par téléconférence)

Comparutions :

Parties

 

Avocat ou représentant

Kevin Rice

 

Représenté par lui-même

Ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada

 

Elizabeth Koudys

DÉCISION RENDUE PAR :

 

LESLIE BELLOC-PINDER


Contexte et procédure

[1]           La présente décision fait suite à la demande de révision présentée au Tribunal de la protection de l’environnement du Canada (le « Tribunal ») par Kevin Rice (le « demandeur ») relativement à une sanction administrative pécuniaire (la « SAP ») infligée par Environnement et Changement climatique Canada (« ECCC ») le 10 octobre 2019.

[2]           L’agent d’application de la loi d’ECCC, Joshua Ladouceur, a infligé la SAP en vertu de l’article 7 de la Loi sur les pénalités administratives en matière d’environnement, L.C. 2009, ch. 14, art. 126 (la « LPAME ») relativement à une violation alléguée de l’article 8 du Règlement sur les réserves d’espèces sauvages, C.R.C., ch. 1609, pris en application de la Loi sur les espèces sauvages du Canada, L.R.C. 1985, ch. W‑9.

[3]           Le 17 octobre 2019, le demandeur a saisi le Tribunal de sa demande de révision en vertu de l’article 15 de la LPAME. ECCC a déposé un rapport sur la pénalité en réponse à la demande de révision, et une conférence préparatoire à l’audience a été tenue le 23 mars 2020 par téléconférence. L’avocate d’ECCC a ensuite déposé et signifié une requête en radiation de la demande de révision fondée sur des motifs de compétence le 22 avril 2020. Le demandeur a présenté par écrit sa réponse à la requête le 22 mai 2020, et une seconde téléconférence a été prévue afin de donner aux parties l’occasion de présenter des observations orales sur la requête.

[4]           Le 29 mai 2020, la téléconférence a débuté par une discussion sur la procédure, et les parties ont convenu de convertir l’audience sur la requête en audience complète sur le fond. À cette fin, les parties ont convenu que les principaux faits ayant donné lieu à la SAP n’étaient pas contestés. Les lettres du demandeur datées du 17 octobre 2019 et du 22 mai 2020 constituent son témoignage sur les événements survenus le jour de la violation alléguée ainsi que ses observations écrites sur le caractère inéquitable de l’avis de violation. L’avocate d’ECCC a accepté d’adopter le rapport sur la pénalité de l’agent Ladouceur en tant que preuve du ministre appuyant l’avis de violation. Les documents présentés à l’appui de la requête en radiation ainsi que la jurisprudence jointe à ceux‑ci constituaient les observations juridiques écrites du défendeur.

[5]           Les parties n’ont présenté aucun autre élément de preuve, et l’audience s’est terminée par les plaidoiries, qui sont venues s’ajouter aux documents écrits.

[6]           Pour les motifs énoncés ci‑après, la SAP est maintenue et la demande de révision est rejetée.

Questions en litige

[7]           Les questions à trancher en l’espèce sont les suivantes :

1.    ECCC a-t-il établi les éléments constitutifs d’une violation de l’article 8 du Règlement sur les réserves d’espèces sauvages et, dans l’affirmative, le montant de la SAP doit-il être modifié?

2.    Le Tribunal a-t-il compétence pour examiner l’exercice par un agent d’application de la loi de son pouvoir discrétionnaire d’infliger une SAP?

3.    Le demandeur peut-il invoquer le moyen de défense fondé sur la provocation policière et, dans l’affirmative, ce moyen de défense est-il établi par la preuve?

Dispositions législatives pertinentes

[8]           Les dispositions les plus pertinentes de la LPAME sont les suivantes :

7. La contravention à une disposition, un ordre, une directive, une obligation ou une condition désignés en vertu de l’alinéa 5(1)a) constitue une violation pour laquelle l’auteur — personne, navire ou bâtiment — s’expose à une pénalité dont le montant est déterminé conformément aux règlements.

11(1). L’auteur présumé de la violation — dans le cas d’un navire ou d’un bâtiment, son propriétaire, son exploitant, son capitaine ou son mécanicien en chef — ne peut invoquer en défense le fait qu’il a pris les mesures nécessaires pour empêcher la violation ou qu’il croyait raisonnablement et en toute honnêteté à l’existence de faits qui, avérés, l’exonéreraient.

(2) Les règles et principes de la common law qui font d’une circonstance une justification ou une excuse dans le cadre d’une poursuite pour infraction à une loi environnementale s’appliquent à l’égard d’une violation dans la mesure de leur compatibilité avec la présente loi.

20(1). Après avoir donné au demandeur et au ministre un préavis écrit ou oral suffisant de la tenue d’une audience et leur avoir accordé la possibilité de présenter oralement leurs observations, le réviseur ou le comité décide de la responsabilité du demandeur.

(2) Il appartient au ministre d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur a perpétré la violation.

(3) Le réviseur ou le comité modifie le montant de la pénalité s’il estime qu’il n’a pas été établi conformément aux règlements.

22. En cas de décision défavorable, l’auteur de la violation est tenu au paiement de la pénalité mentionnée dans la décision.

[9]           La disposition pertinente de la Loi sur les espèces sauvages du Canada est la suivante :

12. Le gouverneur en conseil peut, par règlement :

a) régir l’interdiction quant à l’accès, de manière générale ou pour une période ou un objet déterminés, à la totalité ou à une partie des terres dont la gestion est confiée au ministre ou des terres domaniales visées par un décret pris au titre du paragraphe 4(3);

[10]        La disposition pertinente du Règlement sur les réserves d’espèces sauvages est la suivante :

8. Il est interdit à quiconque de pénétrer dans une réserve d’espèces sauvages ou dans une partie de celle-ci lorsqu’un avis y interdisant l’accès, émanant du ministre, a été publié dans un journal local ou est affiché à l’entrée d’une réserve d’espèces sauvages ou à ses limites.

[11]        Selon l’article 6 de la partie IV de l’annexe I du Règlement sur les réserves d’espèces sauvages, la réserve nationale de faune de la baie Wellers est une partie de terrain visée par l’article 12 de la Loi sur les espèces sauvages du Canada.

Faits convenus et observations

[12]        Comme je l’ai déjà mentionné, les parties conviennent des principaux faits pertinents énoncés dans la demande de révision du demandeur et le rapport sur la pénalité d’ECCC. En résumé, quatre agents se livraient à des activités d’application de la loi dans la baie Wellers, dans le comté de Prince Edward, en Ontario, le 3 août 2019, lorsqu’ils ont vu le demandeur diriger son bateau de pêche vers la rive est de la baie Wellers pour ensuite le voir pénétrer, environ six minutes plus tard, dans la zone faunique protégée et marcher vers la rive ouest pour ensuite se déplacer sur celle‑ci.

[13]        Les agents d’application de la loi ont informé le demandeur que le fait de pénétrer dans la réserve nationale de faune (la « RNF ») constituait une infraction, et le demandeur a déclaré qu’il n’était pas au courant de l’existence de la RNF. Les agents ont informé le demandeur qu’il avait commis une violation et qu’il se verrait infliger une SAP.

[14]        Le premier avis de violation signifié au demandeur le 11 octobre 2019 contenait une erreur. L’avis de violation corrigé, daté du 17 octobre 2019, a ensuite été signifié au demandeur par courriel.

[15]        Le montant de la SAP est de 400 $, ce qui constitue le montant de la pénalité de base applicable à une personne physique pour ce type de violation, comme l’indique l’annexe 4 du Règlement sur les pénalités administratives en matière d’environnement, DORS/2017‑109 (le « RPAME »). Aucun montant pour antécédents, pour dommages environnementaux ou pour avantage économique n’a été ajouté.

Observations du demandeur

[16]        Le demandeur ne nie pas avoir violé l’article 8 du Règlement sur les réserves d’espèces sauvages en marchant du [TRADUCTION] « côté fédéral » de la plage dans la baie Wellers, qu’il a décrite comme une île dans le lac Ontario. Il n’a remarqué les panneaux interdisant l’accès installés le long de la rive qu’après avoir été informé de sa violation, et il a tenu pour acquis que les agents d’application de la loi habillés en civil étaient des pêcheurs.

[17]        Le demandeur s’est dirigé vers les agents et leur a demandé [traduction] « la pêche est bonne, les gars? », ce à quoi l’un des agents a répondu, en réprimant un rire, [traduction] « assez bonne ». Le demandeur soutient que cette brève conversation a fourni aux agents une occasion de l’avertir qu’il se trouvait à proximité d’une zone interdite. Le demandeur estime que les agents d’ECCC auraient dû [traduction] « expliquer la situation » et exercer leur pouvoir discrétionnaire de donner un avertissement. Aucun avertissement n’a toutefois été donné. Au lieu de cela, le demandeur soutient que les agents l’ont regardé pénétrer de nouveau dans la zone interdite de la plage pour ensuite le photographier s’y trouvant afin d’étayer l’avis de violation finalement délivré.

[18]        Selon le demandeur, l’omission des agents de l’avertir qu’il était sur le point de pénétrer (ou de pénétrer de nouveau) dans une zone interdite constitue un [traduction] « cas limite de provocation policière ». Il soutient que la conduite des agents lui permet d’invoquer à l’encontre de la SAP un moyen de défense fondé sur ce motif ou sur le fait qu’il ignorait avoir pénétré dans une zone interdite.

Observations du défendeur

[19]        Selon le défendeur, le fait que le demandeur ait reconnu qu’il se trouvait sur la plage d’une RNF constitue un aveu complet selon lequel il a commis la violation. De plus, le demandeur ne conteste pas le montant de la SAP, qui constitue la pénalité minimale. Par conséquent, le défendeur soutient qu’il s’est entièrement déchargé de son fardeau de preuve et que la SAP doit être maintenue.

[20]        Le défendeur soutient que le Tribunal n’a pas compétence pour réduire le montant de la SAP ou en faire grâce, pas plus qu’il ne peut examiner des moyens de défense fondés sur la prise des mesures nécessaires ou l’erreur de fait, comme le prévoit le paragraphe 11(1) de la LPAME. Le défendeur assimile l’argument du demandeur concernant le [traduction] « cas limite de provocation policière » à un moyen de défense [traduction] « fondé sur l’erreur de fait» mal formulé, qui ne peut pas non plus être invoqué dans un [traduction] « régime de responsabilité absolue ».

Analyse et conclusions

[21]        Selon l’article 20 de la LPAME, le Tribunal doit déterminer si une violation a été commise et si le montant de la SAP a été calculé correctement. Il incombe à ECCC d’établir, selon la prépondérance des probabilités, les éléments constitutifs de la violation. En l’espèce, la preuve indique clairement que le demandeur a pénétré dans la RNF de la baie Wellers en contravention du Règlement sur les réserves d’espèces sauvages. Le demandeur a déclaré, après avoir été informé de sa violation, qu’il ne savait pas que la rive faisait partie d’une zone protégée ou RNF, et que s’il avait vu les panneaux interdisant l’accès, il n’y aurait pas pénétré. Il n’y a aucune raison de douter de la sincérité de la déclaration du demandeur à cet égard, mais il reste que l’article 11 de la LPAME prévoit expressément que les moyens de défense relatifs à l’erreur de fait et à la prise des mesures nécessaires ne peuvent être invoqués.

[22]        Bien qu’il reconnaisse s’être trouvé sur les terres protégées, le demandeur estime que les agents d’application de la loi auraient dû lui parler avant et l’empêcher de marcher le long de la rive interdite. Il soutient qu’il aurait été préférable que les agents lui donnent un [traduction] « avertissement verbal », ayant ainsi recours au moyen le moins coercitif possible pour [traduction] « atténuer le préjudice ». Le demandeur demande donc au Tribunal de déterminer si les agents d’application de la loi ont exercé correctement ou raisonnablement leur pouvoir discrétionnaire. Or, le Tribunal n’a pas compétence pour examiner l’exercice par les agents d’application de la loi de leur pouvoir discrétionnaire d’infliger la SAP. Les articles 15 et 20 de la LPAME habilitent le Tribunal à déterminer uniquement si une violation a été commise et si le montant de la SAP a été calculé correctement (voir : Bhaiyat c Canada (Environnement et Changement climatique Canada), 2019 TPEC 1 et Hoang c Canada (Environnement et Changement climatique), 2019 TPEC 2).

[23]          Pour conclure sur la première question, les éléments constitutifs d’une violation de l’article 8 du Règlement sur les réserves d’espèces sauvages ont été établis et le montant de la SAP a été calculé correctement. Quant à la deuxième question, le Tribunal conclut qu’il n’a pas compétence pour examiner l’exercice par un agent d’application de la loi de son pouvoir discrétionnaire d’infliger une SAP au lieu de donner un avertissement.

[24]        Le dernier argument du demandeur concerne la possibilité d’invoquer un moyen de défense qui, si la preuve en est faite, pourrait réfuter la conclusion selon laquelle tous les éléments constitutifs de la violation ont été établis malgré son aveu. Le paragraphe 11(1) de la LPAME empêche d’invoquer la prise des mesures nécessaires ou l’erreur de fait comme moyens de défense à l’encontre d’un avis de violation délivré dans un cas comme celui‑ci. Le paragraphe 11(2) prévoit toutefois que d’autres moyens de défense peuvent être invoqués pour établir « une justification ou une excuse dans le cadre d’une poursuite pour infraction à une loi environnementale ». C’est cette disposition qui permet au demandeur de faire valoir qu’il a été traité d’une manière injuste ou déraisonnable, ou qu’il a été victime de provocation policière de la part des agents d’application de la loi.

[25]        L’avocate du défendeur a déposé un mémoire faisant état de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Doyon c. Procureur général du Canada, 2009 CAF 152. Dans cette affaire, la Cour était saisie d’un appel interjeté à l’encontre d’une décision de la Commission de révision agricole du Canada (la « CRAC ») concernant une infraction réglementaire de responsabilité absolue, une situation identique à celle en l’espèce. De plus, la même disposition législative sur les moyens de défense de la common law possibles que celle applicable en l’espèce régissait la CRAC dans l’arrêt Doyon, et la Cour a examiné ladite disposition législative, équivalente au paragraphe 11(2) de la LPAME, de la façon suivante :

[11]      Elles sont sources de responsabilité absolue pour laquelle, comme l’énonce l’article 18, il ne peut être opposé une défense de diligence raisonnable ou d’erreur de fait raisonnable […] Par contre, ce même article maintient comme moyen de défense à une poursuite pour violation les règles et les principes de common law qui font d’une circonstance une justification ou une excuse lors d’une poursuite pour une infraction à une loi agroalimentaire, pourvu qu’ils ne soient pas incompatibles avec la Loi. Elles s’entendent de l’intoxication, l’automatisme, la nécessité, l’aliénation mentale, la légitime défense, la chose jugée, l’abus de procédure et celle du piège (provocation policière).

[26]        Plus récemment, la Cour d’appel fédérale a tiré la même conclusion dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Klevtsov, 2018 CAF 196, qui citait l’arrêt Doyon, au paragraphe 5. Là encore, la Cour se penchait sur une décision de la CRAC concernant une infraction de responsabilité absolue :

[5] … L’infraction s’établit sur la seule preuve de l’acte prohibé ou l’actus reus. L’erreur de fait et la prise des mesures nécessaires ne peuvent pas constituer des moyens de défense. Il existe toutefois des moyens de défense reconnus en common law, comme la nécessité, l’aliénation mentale et l’abus de procédure…

[6]        Par conséquent, les troubles mentaux, y compris l’automatisme, constituent des moyens de défense qu’il est possible d’invoquer.

[7]        La question de savoir si le juge a établi l’existence des éléments constitutifs du moyen de défense en est une de droit, susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte […] En l’espèce, la Commission ne s’est pas penchée sur les éléments relatifs à la preuve et les éléments juridiques qui doivent être établis pour que l’on puisse conclure à l’applicabilité de la défense d’automatisme.

[27]        Appliquant les balises posées par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Klevtsov, le Tribunal doit déterminer si l’existence des éléments constitutifs de la défense de provocation policière est établie par la preuve avant de pouvoir conclure que l’accusation n’est pas prouvée. Autrement dit, le Tribunal doit d’abord se demander quels sont les éléments relatifs à la preuve et les éléments juridiques qui doivent être établis pour que l’on puisse conclure à l’applicabilité de la défense de provocation policière invoquée à l’encontre de l’accusation énoncée dans l’avis de violation. Il doit ensuite examiner la preuve elle‑même et déterminer si elle est suffisante pour établir les éléments qui doivent l’être.

[28]        L’avocate du défendeur a présenté deux arrêts en réponse à l’argument du demandeur fondé sur la provocation policière. Dans l’arrêt R. c. Amato, [1982] 2 RCS 418, qui concernait une poursuite criminelle, les juges majoritaires de la Cour suprême du Canada ont souscrit à l’opinion du juge du procès, ainsi libellée :

[20]      [TRADUCTION] Pour que la preuve soit suffisante pour permettre une défense de provocation policière, elle doit indiquer que la police a provoqué le crime et que si elle ne l’avait pas fait, l’accusé n’aurait pas pris part à l’opération. La provocation doit certes aller plus loin que la simple instigation ou l’imposture.

[29]        Avec le passage du temps et l’inclusion subséquente de la Charte canadienne des droits et libertés dans la Constitution canadienne, l’opinion dissidente exprimée par le juge Estey dans R. c. Amato constitue la caractéristique la plus persistante de cet arrêt. Dans ses motifs dissidents, le juge Estey a conclu que, lorsqu’il y a provocation policière, la suspension d’instance relève de la mise en œuvre judiciaire de la règle juridique appropriée trouvant sa source dans la common law. Comme le laissait présager l’opinion dissidente du juge Estey, l’article 7 de la Charte a introduit la doctrine de l’abus de procédure dans le contexte criminel, de sorte que l’abus de procédure puisse ensuite clairement constituer une violation du principe de justice fondamentale. De cette mise en contexte émerge le deuxième arrêt cité par l’avocate du défendeur.

[30]        Dans l’arrêt R. c. Clothier, 2011 ONCA 27, la Cour d’appel de l’Ontario s’est penchée sur la [traduction] « question générale » de savoir si la défense de provocation policière s’applique à une infraction réglementaire et sur la [traduction] « question particulière » de savoir si certaines techniques de surveillance de la conformité peuvent être utilisées en l’absence d’un soupçon raisonnable que la personne surveillée est engagée dans une activité illégale qui contrevient à la Loi favorisant un Ontario sans fumée, LO 1994, c 10.

[31]        Les extraits suivants de l’arrêt R. c. Clothier sont éclairants en l’espèce :

[traduction]

(i)       Provocation policière

[13] La doctrine de la provocation policière en droit criminel canadien est un aspect de la doctrine plus générale de l’abus de procédure.  Elle reflète la désapprobation judiciaire d’une conduite inacceptable des policiers ou de la poursuite lorsqu’ils enquêtent sur des crimes.  Le juge Lamer a analysé en profondeur ce moyen de défense dans l’arrêt R. c. Mack, 1988 CanLII 24 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 903, et dans l’arrêt subséquent R. c. Barnes, 1991 CanLII 84 (CSC), [1991] 1 R.C.S 449.

[14] En définissant les contours de la doctrine de la provocation policière, le juge Lamer a mis en balance deux objectifs opposés.  D’une part, il a reconnu que les policiers doivent disposer d’une marge de manœuvre considérable quant aux techniques qu’ils utilisent pour enquêter sur les activités criminelles.  D’autre part, il a également reconnu que le pouvoir des policiers d’enquêter sur des crimes ne doit pas être sans entraves.  La police ne saurait être autorisée à éprouver au hasard la vertu du citoyen en lui fournissant l’occasion de perpétrer un crime sans le moindre soupçon raisonnable qu’il est déjà engagé dans une activité criminelle, ou pire encore, en allant jusqu’à employer des techniques conçues pour inciter le citoyen à perpétrer une infraction criminelle.  Permettre le recours à pareilles techniques d’enquête violerait nos notions de décence et de franc‑jeu.

[15] Le juge Lamer a établi un équilibre entre ces deux objectifs en concluant que l’accusé peut invoquer le moyen de défense fondé sur la provocation policière dans l’une ou l’autre des deux situations suivantes :

         Premièrement, lorsque les autorités gouvernementales fournissent à une personne l’occasion de perpétrer un crime, à moins qu’elles puissent raisonnablement soupçonner que cette personne est déjà engagée dans une activité criminelle, ou qu’elles agissent au cours d’une véritable enquête.

         Deuxièmement, lorsque les autorités gouvernementales, quoi qu’elles aient ce soupçon raisonnable ou qu’elles agissent au cours d’une véritable enquête, font plus que fournir une occasion et incitent à perpétrer une infraction.

[32]        En l’espèce, le demandeur ne prétend pas que les agents d’application de la loi l’ont menacé ou incité à pénétrer dans la zone interdite. Malgré la définition de provocation policière donnée dans ses observations écrites, le demandeur a reconnu au cours de l’audience qu’il n’avait fait l’objet d’aucune [traduction] « ruse, persuasion ou supercherie ». Par conséquent, le Tribunal ne doit examiner que le premier volet de la provocation policière décrit ci‑dessus, qui vise deux genres d’affaires. La Cour d’appel de l’Ontario a conclu que, dans les deux genres d’affaires, les policiers ne peuvent légalement agir que s’ils peuvent raisonnablement soupçonner [traduction] « soit que la personne est engagée dans une activité criminelle, soit que le secteur est le théâtre d’une activité criminelle. La nécessité d’un soupçon raisonnable dans le contexte du droit criminel définit le débat dans le présent appel » (Clothier, au paragraphe 19). Mais ni la présente affaire ni l’affaire R. c. Clothier ne concernent une infraction criminelle – elles portent sur des infractions réglementaires visant à promouvoir des valeurs comme la santé et la sécurité ou la protection de l’environnement. Il s’agit donc de savoir si le soupçon raisonnable est nécessaire comme il le serait dans le contexte du droit criminel (où l’argument fondé sur la provocation policière peut être retenu si l’existence d’un tel soupçon n’est pas établie) ou si l’existence d’une véritable enquête suffit à étayer une déclaration de culpabilité à l’égard de l’infraction réglementaire et à réfuter une allégation de provocation policière.

[33]        S’exprimant au nom de la cour dans Clothier, le juge Laskin mentionne expressément que ses motifs se limitent à la question de savoir si le moyen de défense fondé sur la provocation policière peut être invoqué à l’égard d’une accusation découlant d’une vérification de conformité effectuée en vertu de la Loi favorisant un Ontario sans fumée. On pourrait donc soutenir que l’arrêt Clothier a une application limitée en l’espèce. Par contre, l’analyse effectuée par la cour dans Clothier établit un processus et un angle selon lesquels d’autres lois de nature réglementaire peuvent être considérées, notamment celle dont il est question en l’espèce. Il existe suffisamment de similitudes entre les régimes réglementaires qui visent à protéger et à promouvoir les valeurs publiques. Dans Clothier, le juge Laskin cite les propos qu’a tenus le juge Cory dans l’arrêt R. c. Wholesale Travel Group Inc. (1991) 3 RCS 154, aux pages 218‑219 :

[21] La législation réglementaire implique que la protection des intérêts publics et sociaux passe avant celle des intérêts individuels et avant la dissuasion et la sanction d’actes comportant une faute morale. […] les mesures réglementaires visent généralement à prévenir un préjudice futur par l’application de normes minimales de conduite et de prudence.

[34]        Selon le rapport sur la pénalité produit par le défendeur, aux pages 8-9 :

[TRADUCTION] … les réserves nationales de faune sont créées afin de protéger les oiseaux migrateurs, les espèces en péril ainsi que d’autres espèces sauvages et leurs habitats. Les réserves nationales de faune sont établies aux termes de la Loi sur les espèces sauvages du Canada et visent principalement la protection des espèces sauvages.

La réserve nationale de faune de la baie Wellers est située le long des rives du comté de Prince Edward, près de Trenton, dans la partie nord-est du lac Ontario. Elle a été créée en 1978 pour protéger la péninsule et les îles de la baie Wellers dans le lac Ontario dans l’intérêt de la sauvagine. Elle couvre au total une superficie de 41 hectares (ha) et est formée d’une langue de sable longue et étroite, connue sous le nom de péninsule Baldhead, et de trois petites îles avoisinantes… Le littoral des Grands Lacs est l’un des milieux naturels les plus modifiés au Canada et aussi l’un des habitats les plus importants pour les espèces migratrices de sauvagine, d’oiseaux de rivage et d’oiseaux chanteurs de l’Amérique du Nord…

L’accès à la RNF de la baie Wellers est interdit afin de protéger les fragiles écosystèmes de la plage et des dunes et les délicats habitats fauniques, ainsi que pour réduire le risque d’exposition à des munitions explosives non explosées (UXO) qui se trouvent sur le site et d’être blessé par elles.

[35]        Ainsi, les deux raisons pour lesquelles l’accès à la RNF est interdit au public sont la protection des écosystèmes et des habitats fragiles et la réduction du risque de blessures à la suite d’un contact inattendu avec des munitions non explosées. Le Tribunal est convaincu que, en accord avec l’objectif de protection de la RNF, l’observation de la loi est nécessaire pour prévenir toute conduite préjudiciable future. À l’instar de l’objectif préventif de protection de la santé de la Loi favorisant un Ontario sans fumée, la disposition réglementaire donnant lieu à la SAP en l’espèce vise à prévenir tout dommage environnemental futur et à protéger les écosystèmes vulnérables, ces objectifs étant tous deux en définitive fondés sur l’intérêt public.

[36]        Il n’est pas contesté que les agents d’application de la loi étaient habillés en civil et conduisaient une embarcation banalisée afin de détecter les entrées illégales dans la RNF de la baie Wellers. L’importance qu’il y a à établir et à protéger une zone aussi fragile n’est pas contestée dans la présente instance et rien n’indique que les agents ont effectué leur surveillance et leur enquête d’une manière discriminatoire ou à une fin illégitime. Ils se trouvaient à proximité de la RNF pour surveiller le respect de l’interdiction d’accès à une partie de la RNF et ils devaient se trouver à cet endroit pour observer les entrées illégales. La preuve étaye la conclusion selon laquelle les agents se livraient à une véritable enquête.

[37]        De plus, à l’instar des agents du gouvernement dans Clothier, les agents d’ECCC en l’espèce ne cherchaient pas à éprouver la vertu des gens; ils se livraient à des activités de surveillance de la conformité. Contrevenir à l’article 8 du Règlement sur les réserves d’espèces sauvages est une infraction de responsabilité absolue. Une personne peut être déclarée coupable, peu importe son intention, simplement pour s’être trouvée dans une RNF.

[38]        Pour ces motifs, le Tribunal conclut qu’il n’est pas nécessaire que les agents d’ECCC aient un soupçon raisonnable d’activité illégale avant de recourir à la technique de surveillance de la conformité utilisée en l’espèce. La preuve établit que les agents se livraient à une véritable enquête sur la conformité à un règlement.

[39]        Cela dit, le Tribunal convient avec le demandeur que le pouvoir discrétionnaire dont jouissent les agents d’ECCC lorsqu’ils procèdent à des vérifications au hasard de la conformité ne doit pas être absolu ni échapper à la révision. Leur travail doit être accompli de bonne foi, à une fin légitime et sans discrimination. Le paragraphe 11(2) de la LPAME préserve les justifications et les excuses de la common law, comme l’abus de procédure. Comme l’a souligné la Cour d’appel dans l’arrêt Clothier, au paragraphe 46 : [traduction] « …si cela est effectué de mauvaise foi, les tribunaux demeurent compétents pour suspendre l’instance suivant la doctrine générale de l’abus de procédure dont la provocation policière constitue un aspect ». La cour ajoute ceci :

[TRADUCTION] [47] Le principal raisonnement qui sous-tend la doctrine de l’abus de procédure – raisonnement qui sous-tend aussi la doctrine de la provocation policière – est que le gouvernement ne saurait être autorisé à enquêter sur une activité illégale possible d’une manière qui viole nos notions de décence et de franc jeu. Ce raisonnement s’applique autant à l’accusation de nature réglementaire de vente de tabac à une personne n’ayant pas atteint l’âge fixé qu’à une accusation fondée sur le Code criminel.

[40]        Ce raisonnement s’applique également à l’avis de violation en cause en l’espèce. Rien n’indique que les agents ont accompli leur travail de surveillance de la conformité d’une manière illégitime, injuste ou inappropriée. Cela ne va pas à l’encontre de nos notions de décence et de franc‑jeu que les agents soient habillés en civil, ce qui leur permet d’effectuer une observation discrète et parfois une enquête plus efficace que ce qui pourrait être accompli s’ils étaient en uniforme.

[41]        Quant à la troisième question, le Tribunal conclut que certaines excuses ou justifications de la common law peuvent être invoquées dans une instance relative à une SAP, comme le prévoit le paragraphe 11(2) de la LPAME. Toutefois, le Tribunal conclut que la preuve n’établit pas le moyen de défense fondé sur la provocation policière en l’espèce et que tous les éléments constitutifs de la violation énoncée dans la SAP ont été établis.

Conclusion

[42]        ECCC s’est déchargé du fardeau qui lui incombait au titre du paragraphe 20(2) de la LPAME en démontrant, selon la prépondérance des probabilités, qu’une violation de l’article 8 du Règlement sur les réserves d’espèces sauvages par le demandeur a eu lieu. De plus, le montant de la SAP a été calculé correctement conformément au RPAME. Enfin, aucune excuse ou justification de la violation ayant trait à la provocation policière ou à l’abus de procédure n’est établie par la preuve.

Décision         

[43]        La SAP est maintenue et la demande de révision est rejetée. 

Demande de révision rejetée

 

« Leslie Belloc-Pinder  »

LESLIE BELLOC-PINDER

RÉVISEURE

 

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