Tribunal de la protection de |
Environmental Protection Tribunal of Canada |
Date de publication : |
Le 2 juin 2020 |
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Référence : |
Deep River (Ville) c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2020 TPEC 3 |
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Numéro de dossier du TPEC : |
0016-2019 |
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Intitulé : |
Deep River (Ville) c. Canada (Environnement et Changement climatique) |
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Demanderesse : |
Ville de Deep River |
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Défendeur : |
Ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada |
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Objet de la procédure : Révision, au titre de l’article 15 de la Loi sur les pénalités administratives en matière d’environnement, L.C. 2009, ch. 14, art. 126, (« LPAME »), d’une pénalité infligée en vertu de l’article 7 de cette loi relativement à une violation du paragraphe 28(2) du Règlement sur les systèmes de stockage de produits pétroliers et de produits apparentés, DORS/2008-197, pris en application de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), L.C. 1999, ch. 33. |
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Comparutions : |
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Parties |
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Représentants |
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Ville de Deep River |
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Sean Patterson |
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Ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada |
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Jennifer Clarke |
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ORDONNANCE RENDUE PAR : |
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PAUL DALY |
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Question préliminaire
[1] La présente ordonnance règle une question préliminaire concernant les délais prescrits pour dresser et pour signifier un procès-verbal (« PV ») conformément à la Loi sur les pénalités administratives en matière d’environnement, L.C. 2009, ch. 14, art. 126, (« LPAME »), et au Règlement sur les pénalités administratives en matière d’environnement, DORS/2017-109, (« RPAME »). La demanderesse, la Ville de Deep River (« Ville »), a présenté au Tribunal de la protection de l’environnement du Canada (« Tribunal ») une demande de révision du PV dressé à son endroit par le ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada (« ministre »). Le PV concerne une violation présumée du Règlement sur les systèmes de stockage de produits pétroliers et de produits apparentés, DORS/2008-197, (le « Règlement sur les systèmes de stockage »), pris en application de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), L.C. 1999, ch. 33, dont l’effet est d’infliger une sanction administrative pécuniaire de 1 000 $ à la Ville.
[2] La Ville soutient qu’au moment où elle a reçu signification du PV, elle satisfaisait à toutes les exigences réglementaires pertinentes. Lors d’une conférence préparatoire à l’audience tenue par téléphone le 19 février 2020, les parties ont convenu que le Tribunal répondrait à la question préliminaire de savoir si la violation alléguée dans le PV s’est produite avant ou après la date juridiquement pertinente de ce PV. Comme nous l’expliquerons, les arguments de la Ville sur cette question préliminaire ne sont pas convaincants. Pour les raisons exposées ci-dessous, le Tribunal conclut que le PV peut être dressé et signifié à tout moment jusqu’à deux ans après une violation, même si le destinataire du PV respecte, à la date en cause, rigoureusement la loi.
[3] Dans certaines de leurs observations concernant la question préliminaire, les parties ont abordé la question de savoir si la Ville avait effectivement violé le Règlement sur les systèmes de stockage. Toutefois, à la présente étape préliminaire, le Tribunal ne tirera aucune conclusion quant à cette autre question. Le Tribunal, prié par les parties de se prononcer sur la question préliminaire dans le but d’éliminer les obstacles au règlement de la présente affaire, n’en est pas encore à l’étape où il doit décider si la Ville est effectivement responsable. Par conséquent, le Tribunal n’a tenu compte d’aucune de ces observations pour rendre la présente ordonnance.
Contexte
[4] Le 2 août 2019, l’agent d’application de la loi, Drew Hartman, a dressé un PV au nom de la Ville parce qu’elle a omis d’identifier son système de stockage comme le prévoit le paragraphe 28(2) du Règlement sur les systèmes de stockage. La date de la violation inscrite sur le PV est le 3 avril 2019.
[5] Le 7 août 2019, la Ville a reçu le PV par service de messagerie.
[6] Le 9 août 2019, la Ville a inscrit le système de stockage au Registre fédéral d’identification des systèmes de stockage (RFISS), se conformant ainsi au paragraphe 28(2) du Règlement sur les systèmes de stockage.
[7] À la section G du PV, « Prise d’effet de la signification », on peut lire ce qui suit : « Dans le cas d’une copie transmise par courrier recommandé ou par service de messagerie, la signification prend effet le (AAAA-MM-JJ) », et la date inscrite est le 12 août 2019.
Question à trancher
[8] La question à trancher est celle de savoir si la violation alléguée dans le PV s’est produite avant ou après la date juridiquement pertinente du PV.
[9] En langage clair, le fait que la Ville ait identifié son système de stockage (le 9 août) après la date où a été dressé le PV (le 2 août), mais avant la date de prise d’effet de sa signification (le 12 août), signifie-t-il que la Ville n’est pas tenue de payer la sanction administrative pécuniaire de 1 000 $ ?
Observations
Les observations de la Ville
[10] La Ville soutient qu’il n’y a pas eu de violation à la réglementation en l’espèce, car elle a identifié le système en question avant la date de prise d’effet qui était clairement indiquée sur le PV.
[11] En outre, la Ville souligne que la date de prise d’effet de la signification était le 12 août, alors qu’elle avait identifié son système de stockage le 9 août. La Ville affirme aussi que le ministre détient le contrôle du formulaire utilisé pour le PV, ce qui enlève toute force à l’argument selon lequel la date à laquelle le procès-verbal a été dressé, le 2 août, devrait prévaloir sur la date de prise d’effet de la signification, le 12 août. Selon la Ville, la position du ministre est que le PV pourrait aussi bien porter la mention suivante : « La signification est considérée prendre effet le (AAAA-MM-JJ) ou à la date de réception, selon la première éventualité. »
[12] La Ville déclare également qu’elle continuera à agir de bonne foi pour veiller à ce que toutes les lois environnementales applicables soient respectées, et qu’elle fera de son mieux pour protéger à la fois l’environnement et la communauté.
Les observations d’ECCC
[13] Le ministre fait valoir que la seule date juridiquement pertinente pour permettre de trancher la question préliminaire est celle de la violation présumée de la réglementation, en l’occurrence, le 3 avril 2019. Comme le délai de prescription prévu pour dresser les PV est de deux ans, le PV en l’espèce a clairement été dressé et signifié dans le délai applicable.
[14] Après avoir précisé les dispositions législatives et réglementaires pertinentes, le ministre explique pourquoi la date à laquelle le PV a été dressé était le 2 août et la date de prise d’effet de la signification, le 12 août. Le ministre renvoie à l’alinéa 9(3)a) du RPAME :
En l’absence d’accusé de réception ou de certificat de signification, la signification prend effet à l’une des dates suivantes : a) dans le cas d’une copie transmise par courrier recommandé ou par service de messagerie, le dixième jour suivant la date indiquée sur le récépissé du bureau de poste ou du service de messagerie |
In the absence of an acknowledgement of service or a certificate of service, service is considered effective, (a) in the case of service by registered mail or courier, on the 10th day after the day on which the notice is sent, as indicated on the receipt issued by the postal or courier service… |
[15] De l’avis du ministre, puisque le PV a été dressé le 2 août, la date de prise d’effet de la signification devait donc être le 12 août.
[16] Le ministre fait également valoir que la date de prise d’effet de la signification est la date qui sert à calculer le délai dont dispose l’auteur présumé de la violation pour saisir le réviseur-chef d’une demande de révision du PV, conformément à l’article 15 de la LPAME.
[17] Au bout du compte, la date à laquelle est dressé le PV et la date de prise d’effet de sa signification n’ont, selon le ministre, aucun effet sur la date à laquelle la violation a été commise, puisque, logiquement, la violation aura toujours lieu avant l’acte de dresser le PV et sa signification.
La réponse de la Ville
[18] En réponse, la Ville présente quatre autres observations. Les trois premières concernent la question de savoir s’il y a eu violation au Règlement sur les systèmes de stockage, et si la Ville et le ministre ont agi de bonne foi pour assurer le respect de ce Règlement. Ces observations ne sont pas pertinentes pour régler la question préliminaire.
[19] La Ville réitère qu’elle se fonde sur la section G du procès-verbal, intitulée « Prise d’effet de la signification », et que la seule interprétation qui peut être donnée à cette section est que le procès-verbal ne produit aucun effet avant cette date.
Analyse et constatation
[20] Selon le libellé, l’objet et le contexte de la LPAME et de son règlement d’application, il est inutile de déterminer si le 2 août, le 7 août ou le 12 août est la date pertinente. Comme le fait remarquer le ministre, la date présumée de la violation est le 3 avril 2019. Cela ne signifie pas qu’il y a eu une violation le 3 avril 2019, le ministre ne l’ayant pas encore prouvé, mais cette date peut servir à résoudre la question préliminaire. Ainsi, le ministre a manifestement respecté le délai imparti pour dresser le PV concernant la violation alléguée, que la date pertinente soit le 2 août, le 7 août ou le 12 août.
[21] Le ministre s’appuie sur l’article 14 de la LPAME pour affirmer que le PV peut être dressé jusqu'à deux ans après la date de la perpétration de la violation :
Le délai dans lequel le procès-verbal peut être dressé est de deux ans à compter de la perpétration de la violation. |
No notice of violation in respect of a violation may be issued more than two years after the day on which the subject matter of the violation arises. |
[22] Les versions anglaise et française de cette disposition sont claires. Le délai dans lequel le procès-verbal doit être dressé est de deux ans. Visiblement, le ministre a agi à l’intérieur de ce délai en l’espèce.
[23] De plus, le ministre souligne que selon l’article 12 de la LPAME, il est compté une violation distincte pour chacun des jours au cours desquels se commet ou se continue la violation :
Il est compté une violation distincte pour chacun des jours au cours desquels se commet ou se continue la violation. |
A violation that is committed or continued on more than one day constitutes a separate violation for each day on which it is committed or continued. |
[24] Une violation comme celle qui est reprochée à la Ville, l’omission d’identifier un système de stockage, est une violation continue. Le compteur repart chaque matin. Bien qu’il ne soit pas nécessaire pour le Tribunal de déterminer en l’espèce si la violation est continue, car le ministre a vraisemblablement agi à l’intérieur du délai prescrit, on peut tout de même tenir pour acquis que le délai de deux ans commencerait à courir à partir de la dernière date de non-conformité. Le fait pour la Ville d’avoir inscrit son système de stockage peu de temps après la date où le PV a été dressé n’est d’aucune importance quant à son état de conformité au Règlement sur les systèmes de stockage avant la date de l’inscription.
[25] Pourquoi le PV fait-il alors une distinction entre la date à laquelle il est dressé et la date de prise d’effet de sa signification? Le ministre explique cette distinction de manière convaincante en se référant au contexte, plus précisément à l'alinéa 9(3)a) du RPAME et à l'article 15 de la LPAME.
[26] Selon l’alinéa 9(3)a) du RPAME (reproduit ci-dessus sous la rubrique « Observations »), la signification du PV prend effet 10 jours après la date de sa transmission. La date de prise d’effet de la signification est importante parce c’est celle qui fait courir le délai de 30 jours pendant lequel le destinataire du PV peut saisir le réviseur-chef d’une demande de révision. Ce délai est fixé à l’article 15 de la LPAME :
L’auteur présumé de la violation peut, dans les trente jours suivant la signification d’un procès-verbal ou dans le délai supérieur que le réviseur-chef peut accorder, saisir le réviseur-chef d’une demande de révision du montant de la pénalité ou des faits quant à la violation présumée, ou des deux. |
A person, ship or vessel that is served with a notice of violation may, within 30 days after the day on which the notice is served, or within any longer period that the Chief Review Officer allows, make a request to the Chief Review Officer for a review of the penalty or the facts of the alleged violation, or both. |
[27] Ainsi, les dispositions de la LPAME et de son règlement d’application expliquent la différence entre la date à laquelle le PV est dressé et la date de sa signification.
[28] La distinction entre l’acte de dresser le PV et sa signification garantit l’équité en préservant la période de 30 jours pendant laquelle le destinataire du PV peut demander une révision. La période ne commence pas à compter de la date à laquelle le PV est dressé, mais à compter de la date de sa signification. Soulignons à cet égard que l’article 16 de la LPAME prévoit que le PV peut être annulé (ou une erreur, corrigée) tant que le Tribunal n’est pas saisi d’une demande de révision. En d’autres termes, la signification du PV fait courir la période de 30 jours pendant laquelle le ministre et le destinataire du PV peuvent parvenir à un règlement sans l’intervention du Tribunal. Offrir une telle possibilité est conforme à l’objet de la LPAME, tel qu’énoncé à l’article 3, à savoir établir, comme solution de rechange au régime pénal et comme complément aux autres mesures d’application des lois environnementales en vigueur, un régime juste et efficace de sanction administrative pécuniaire.
[29] En l’espèce, étant donné que la violation aurait eu lieu le 3 avril 2019 et que le PV a été dressé et signifié au début du mois d’août de la même année, il ne fait aucun doute que le ministre a agi en temps opportun.
[30] Si une audience doit être tenue en l’espèce, le ministre devra démontrer selon la prépondérance des probabilités (à savoir, qu’il est plus probable qu’improbable) : que la violation alléguée a eu lieu et que la situation n’a pas été corrigée avant que le PV ne soit dressé et signifié. La Ville pourra contester la violation alléguée et soulever des moyens de défense, mais il va sans dire que lorsqu’il est appelé à se prononcer sur une demande de révision, le Tribunal doit strictement agir dans les limites que lui imposent la LPAME et son règlement d’application (voir notamment Hoang c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2019 TPEC 2).
[31] Pour trancher la présente question préliminaire, il n’était pas nécessaire d’examiner si le délai de deux ans concernant les PV prend fin à la date où est dressé le PV, à la date de prise d’effet de sa signification ou à une autre date. Quelle que soit la date pertinente, le ministre a agi en temps opportun. Il convient néanmoins de souligner que l’article 14 de la LPAME, lequel fixe le délai de deux ans, a trait à l’acte de dresser le PV, et non à sa signification, ce qui suppose que le PV doit être dressé (mais non signifié) avant l’expiration du délai.
[32] Compte tenu de l’analyse qui précède, je conclus que la violation alléguée dans le PV s’est produite avant que celui-ci ne soit dressé et signifié. En outre, selon la date de la violation alléguée du Règlement sur les systèmes de stockage, le PV a été dressé et signifié à l’intérieur du délai prescrit par la LPAME.
Ordonnance
[33] Le réviseur ordonne à la demanderesse d’aviser le Tribunal, dans les deux semaines suivant la date de la présente ordonnance, si elle souhaite donner suite à la demande de révision ou se désister. Si la demanderesse souhaite donner suite à la présente demande de révision, le Tribunal communiquera avec les parties pour leur donner d’autres directives procédurales. Si la demanderesse choisit de se désister de sa demande de révision, le Tribunal fermera son dossier.
Directives procédurales données |
« Paul Daly » |
PAUL DALY RÉVISEUR |