Tribunal de la protection de |
Environmental Protection Tribunal of Canada |
Date de publication : |
Le 19 décembre 2019 |
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Référence : |
BCE Inc. c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2019 TPEC 7 |
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Numéros de dossiers du TPEC : |
052-2018, 0053-2018, 0054-2018, 0055-2018, 0056-2018 et 0057-2018 |
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Intitulé : |
BCE Inc. c. Canada (Environnement et Changement climatique) |
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Demanderesse : |
BCE Inc. |
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Défendeur : |
Ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada |
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Objet de la procédure : Révision, au titre de l’article 15 de la Loi sur les pénalités administratives en matière d’environnement, LC 2009, c 14, art 126, des pénalités infligées en vertu de l’article 7 de cette loi relativement aux violations des alinéas 11(1), 24(1), 31(1), 32(b) du Règlement fédéral sur les halocarbures (2003), DORS/2003‑289, pris en vertu de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), LC 1999, c 33. |
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Comparutions : |
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Parties |
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Avocats |
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BCE Inc. |
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Stéphane Richer Emma Lambert |
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Ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada |
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Adam Gilani |
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ORDONNANCE RENDUE PAR : |
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HEATHER GIBBS |
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Contexte
[1] La présente ordonnance dispose d’une requête présentée au réviseur par les parties afin que celui-ci réponde à une question de droit préliminaire soulevée dans le cadre d’une procédure de révision relative à six sanctions administratives pécuniaires (« SAP »). Ces SAP ont été infligées à BCE Inc. (« la demanderesse ») par Environnement et Changement Climatique Canada (« ECCC », ou « l’intimée »). La demanderesse a déposé une demande de révision de celles-ci auprès du réviseur‑chef le 30 décembre 2018.
[2] L’agente d’application de la loi d’ECCC, Kristen Thompson, a imposé à la demanderesse les SAP en cause en vertu de l’article 7 de la Loi sur les pénalités administratives en matière d’environnement, LC 2009, c 14, art 126 (« LPAME »).
[3] Conformément au protocole de l’instance adopté par le Tribunal lors d’une conférence préparatoire, l’avocat de BCE Inc. a demandé d’interroger la déposante d’ECCC, Mme Thompson, sur le contenu de son affidavit. L’interrogatoire a eu lieu le 27 septembre 2019.
[4] Suite à l’interrogatoire, le ministre, représenté par le Procureur général du Canada (« PGC »), a répondu aux engagements demandés lors de l’interrogatoire. Le PGC a répondu à six engagements et a refusé de répondre à deux engagements, pour défaut de pertinence.
[5] Lors d’une conférence préparatoire supplémentaire devant le Tribunal tenue le 29 novembre 2019, la demanderesse a présenté une requête visant à obtenir des réponses aux deux questions qui ont été refusées. La date de l’audience sur les questions de fond n’a pas encore été fixée.
Questions en litige
[6] Dans cette requête, le Tribunal doit déterminer s’il exigera que le ministre réponde aux deux demandes d’engagements refusées. Les demandes refusées pour défaut de pertinence sont les suivantes :
[Traduction]
a. Copie des documents reçus pendant la formation sur ce nouveau règlement. [Règlement sur les pénalités administratives en matière d’environnement]
b. Combien de fois Environnement Canada a noté une contravention à tous les articles du Règlement fédéral sur les halocarbures et quel genre de mesure d’exécution a été utilisé ou entrepris pour chaque cas.
Règles de procédure du Tribunal pertinentes
[7] Les dispositions les plus pertinentes des Règles de procédure du Tribunal (en ébauche) sont les suivantes :
[13.2] Tous les éléments de preuve produits devant le réviseur doivent être signifiés à la partie adverse en même temps. Le réviseur peut exiger qu'une partie signifie des éléments de preuve à une partie intervenante.
[15.1] Le réviseur peut, tout au long de l'instance en révision, exiger qu'une partie ou toute autre personne fournisse des renseignements, des documents ou d'autres pièces qu'il juge nécessaires pour pouvoir acquérir pleine connaissance de l'objet de la procédure de révision.
[15.2] Le réviseur peut délivrer des citations à témoigner, selon les formalités du Tribunal, à la demande d'une des parties, d'un intervenant ou de sa propre initiative.
Discussion
Observations de BCE Inc.
[8] L’avocat de BCE Inc. souligne que le Tribunal doit trancher la question de pertinence à la lumière de l’état actuelle du dossier. BCE Inc. cherche à mettre de l’avant une théorie de la cause qui porte sur l’étendue du pouvoir du Tribunal; notamment la question de la cohérence des mesures d’application de la loi employées par ECCC dans des cas similaires à la présente affaire. Alors il serait prématuré, selon BCE Inc., pour le Tribunal de statuer sur la pertinence juridique des documents et informations demandés, et le Tribunal devrait alors faire preuve de prudence et de souplesse dans l’appréciation de la pertinence des informations et des documents recherchés.
[9] BCE Inc. s’appuie sur l’article 222(2) des Règles des Cours Fédérales (DORS/98-106) et la jurisprudence de la Cour fédérale, pour préciser qu’un document est pertinent si, directement ou indirectement, sa communication permet à une partie de plaider sa propre cause, de nuire à son adversaire ou de « lancer une enquête pour y arriver » (Khadr c. Canada, 2010 CF 564, par. 9; Apotex Inc. c. Canada, 2005 CAF 217, par 15).
Observations d’ECCC
[10] ECCC demande que le Tribunal rejette la demande de BCE Inc., en se basant sur la pertinence juridique et la portée du pouvoir du Tribunal; les principes qui s’appliquent à l’étendue du contre-interrogatoire d’un déposant d’un affidavit; et le fait qu’il serait trop onéreux de les produire.
[11] ECCC argumente que les demandes d’engagements refusées portent sur des questions hors du pouvoir du Tribunal tel que prévue à l’article 15 de la LPAME.
[12] En plus, ECCC souligne que d’après l’article 19 de la LPAME, il s’agit du pouvoir du réviseur d’obtenir toute pièce de preuve ou témoignage qu’il juge nécessaire à la révision. Le fardeau de preuve est établi par le paragraphe 20 (2) de la LPAME. Il appartient au ministre d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur a perpétré la violation.
[13] En ce qui concerne les principes essentiels sur la question de l’étendue du contre-interrogatoire d’un déposant d’un affidavit, ECCC s’appuie sur Merck Frosst Canada Inc c. Canada (ministre de la Santé), [1997] ACF no 1847, aux paragraphes 4 à 8, [confirmé par la Cour d’appel fédérale] (« Merck Frosst »).
[14] ECCC souligne que le contre-interrogatoire de l’auteur d’un affidavit ne peut porter que sur les faits énoncés dans celui-ci ou dans un autre affidavit produit dans le cadre de l’instance. (Merck Frosst, par le juge Hugessen au paragraphe 7).
[15] ECCC argumente qu’en outre, l’auteur d’un affidavit n’est pas tenu de se renseigner ou d’obtenir des renseignements des autres, contrairement au témoin interrogé dans le cadre d’un interrogatoire préalable (Ottawa Athletic Club Inc c. Athletic Club Group Inc., 2014 CF 672 au paragraphe 136) (« Ottawa Athletic Club »). Par ailleurs, l’exigence de produire les documents ou éléments matériels qui sont en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de la partie à être interrogé, est limitée aux documents ou éléments matériels en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de l’auteur de l’affidavit lui-même et non la partie (Ottawa Athletic Club au paragraphe 138).
[16] ECCC souligne que cette obligation applique sous réserve du pouvoir du Tribunal d’ordonner que la partie interrogée soit dispensée de l’obligation de produire certains des documents si le Tribunal estime que ces documents ne sont pas pertinents ou qu’il serait trop onéreux de les produire du fait de leur nombre ou de leur nature (Ottawa Athletic Club au paragraphe 139).
[17] Toutefois, argumente ECCC, il est nécessaire que les questions lors d’un contre-interrogatoire de l’auteur d’un affidavit soient pertinentes sur le plan juridique et qu’il puisse contribuer à déterminer les questions en litige.
Analyse et constatations
[18] Le Tribunal n’exige pas que l’intimée réponde aux demandes d’engagements refusées. Le Tribunal trouve que les principes de Merck Frosst et Ottawa Athletic Club sont applicables en l’instance, et que le contre-interrogatoire n’est pas un interrogatoire préalable. Par conséquent le Tribunal trouve que les deux demandes d’engagements refusées sont hors de la portée du contre-interrogatoire de Mme Thompson, l’auteur de l’affidavit.
[19] Les principes sont énumérés au paragraphe 4 de Merck Frosst :
[4] Il convient tout d’abord de rappeler certaines notions élémentaires. Le contre-interrogatoire n’est pas un interrogatoire préalable et il diffère de celui-ci sous plusieurs rapports importants. Plus particulièrement,
a) la personne interrogée est un témoin, et non une partie ;
b) les réponses données sont des éléments de preuve, et non des aveux ;
c) le témoin peut légitimement répondre qu’il ignore quelque chose ; il n’est pas tenu de se renseigner ;
d) on ne peut exiger d’un témoin qu’il produise un document que s’il en a la garde ou la possession, les mêmes règles s’appliquant à tous les témoins ;
e) les règles relatives à la pertinence sont plus restreintes.
[20] Dans la présente affaire, Mme Thompson est un témoin, et les réponses données sont des éléments de preuve, et non des aveux. Selon la procédure prévue par le Tribunal, les parties échangent la preuve sur laquelle ils vont s’appuyer lors de l’audience par écrit bien avant l’audience du Tribunal, que ce soit une audience par écrit ou à l’orale. Le protocole de l’instance modifié accepté dans cette révision reflète cette procédure comme suit: « Chaque partie pourra compléter l’exposé conjoint partiel des faits, le cas échéant, par une preuve sous forme d'affidavit (y compris les pièces justificatives nécessaires). »
[21] Le Tribunal accepte que les documents demandés qui traitent de la formation de Mme Thompson ne sont pas en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de Mme Thompson. Selon Ottawa Athletic Club et Merck Frosst, alors, elle n’a pas l’obligation d’aller à la recherche de ces documents qui ne sont pas en sa possession ou dont elle n’a pas la garde.
[22] De même, le Tribunal accepte que les renseignements demandés par rapport au compte rendu de toute contravention du Règlement fédéral sur les halocarbures (2003), DORS/2003-289 ne sont pas en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de Mme Thompson.
[23] Il est clair que toutes les questions doivent être pertinentes sur le plan juridique et doivent aider le réviseur en décidant les questions en litige sous la LPAME. ECCC argumente que les renseignements demandés ne sont pas pertinents parce que le droit de révision d’une pénalité administrative évoqué à l’article 15 de la LPAME ne donne à l’auteur présumé de la violation que le droit de demander une révision :
a. Du montant de la pénalité; ou,
b. Des faits quant à la violation présumée; ou,
c. Les deux.
[24] BCE Inc. argumente qu’il est trop tôt à ce stade préliminaire du litige de déterminer la pertinence des informations demandées. Ayant égard de la théorie de la cause de la demanderesse, le Tribunal ne se prononce pas sur la pertinence juridique de ces questions dans cette requête.
[25] Néanmoins, le Tribunal accepte l’énoncé d’ECCC que, dans tous les cas, il sera très onéreux pour le ministre de produire une réponse à cette demande d’engagement du fait de la nature de la demande.
[26] Cette ordonnance n’empêche pas la demanderesse de mettre de l’avant ces arguments sur la juridiction du Tribunal à l’audience. De même, s’il appert au réviseur à l’audience qu’il a besoin de plus d’information sur la question de juridiction, cette ordonnance n’empêche pas le réviseur d’exiger la production de renseignements, de documents ou d'autres pièces qu’il juge nécessaire pour pouvoir acquérir pleine connaissance de l'objet de la procédure de révision, tel que prévue à la Règle 15.1.
Ordonnance
[27] La demande au Tribunal d’exiger qu’ECCC réponde aux demandes d’engagements citées ci-dessus est rejetée.
[28] Le protocole de l’instance modifié du 28 novembre 2019 règlera les prochaines étapes à suivre dans l’instance en révision.
Requête rejetée Directives procédurales données |
« Heather Gibbs » |
HEATHER GIBBS RÉVISEURE |