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Tribunal de la protection de l’environnement du Canada

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Environmental Protection Tribunal of Canada

 

Date de la décision :

Le 21 juin 2019

Référence :

ArcelorMittal Canada Inc. c. Canada (Environnement et Changement climatique Canada), 2019 TPEC 4

Numéros des dossiers du TPEC :

0029‑2018, 0030‑2018, 0031‑2018 et 0032‑2018

Intitulés :

ArcelorMittal Canada Inc. c. Canada (Environnement et Changement climatique Canada) (0031‑2018 et 0032‑2018); ArcelorMittal Dofasco MP Inc. c. Canada (Environnement et Changement climatique Canada) (0029‑2018 et 0030‑2018)

Demandeurs :

ArcelorMittal Canada Inc. et ArcelorMittal Dofasco MP Inc.

Défendeur :

Ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada

Objet de la procédure : Révisions, au titre de l’article 15 de la Loi sur les pénalités administratives en matière d’environnement, LC 2009, c 14, art. 126, des pénalités infligées en vertu de l’article 7 de cette loi relativement aux violations des alinéas 11(5)a) et 11(5)b) du Règlement sur l’exportation et l’importation de déchets dangereux et de matières recyclables dangereuses, DORS/2005‑149, pris en vertu de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), LC 1999, c 33.

Date de l’audience :

Demandes instruites sur dossier

Comparutions :

Parties

 

Avocats

ArcelorMittal Canada Inc. et ArcelorMittal Dofasco MP Inc.

 

Daniel Richer

Ministre de l’Environnement et du Changement climatique du Canada

 

Adam Gilani

DÉCISION RENDUE PAR :

 

JERRY V. DEMARCO

 


Contexte

[1]           La présente décision fait suite à des demandes que les demanderesses, ArcelorMittal Canada Inc. (« AMC ») et ArcelorMittal Dofasco MP Inc., (« AMD »), ont présentées au Tribunal de la protection de l’environnement du Canada (« le Tribunal ») en vue de la révision de quatre sanctions administratives pécuniaires (« SAP ») infligées par Environnement et Changement climatique Canada (« ECCC ») le 4 septembre 2018.

[2]           Les SAP portant les numéros d’imposition 8300‑2001 et 8300‑2002 ont été infligées à AMD, et celles portant les numéros d’imposition 8300‑2003 et 8300‑2004 ont été infligées à AMC. Elles ont été infligées aux demanderesses par Douglas Laing, agent d’application de la loi d’ECCC, en vertu de l’article 7 de la Loi sur les pénalités administratives en matière d’environnement, LC 2009, c 14, art. 126 (« LPAME »), relativement à des violations alléguées des alinéas 11(5)a) et 11(5)b) du Règlement sur l’exportation et l’importation de déchets dangereux et de matières recyclables dangereuses, DORS/2005‑149 (« Règlement sur les déchets dangereux »), pris en vertu de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), LC 1999, c 33 (« LCPE »).

[3]           Les demanderesses ont présenté leur demande de révision au Tribunal le 25 septembre 2018 au titre de l’article 15 de la LPAME.

[4]           L’instruction a eu lieu sur dossier en fonction d’un exposé conjoint des faits, ainsi que des pièces et des observations écrites déposées. Les demanderesses étaient représentées par Daniel Richer, avocat, et ECCC par Adam Gilani, avocat.

[5]           En résumé, les parties ont convenu que l’entité en exploitation, ArcelorMittal Dofasco G.P. (« G.P. »), avait violé le Règlement sur les déchets dangereux. G.P. est une société en nom collectif formée des demanderesses, AMC et AMD. AMC détient 99,99 % de G.P. et AMD, 0,01 % de G.P. Aucune pénalité n’a été infligée à G.P. La principale question à trancher est de savoir si les associées sont tenues au paiement des SAPs qui leur ont été infligées.

[6]           ECCC soutient que les demanderesses, AMC et AMD, sont des personnes morales qui exercent leurs activités par l’entremise d’une société en nom collectif active (c.‑à‑d., G.P.). Il affirme qu’une société en nom collectif n’est pas une « personne » au sens de la LPAME, de sorte qu’il ne peut lui infliger de pénalités, mais qu’il peut le faire à l’encontre des associées de G.P. De l’avis d’ECCC, [traduction] « il suffit, pour prouver la violation, d’établir qu’elle a été commise par un mandataire de l’auteur de la violation ». ECCC ajoute que [traduction] « les actes de la firme ou d’un autre associé lient chacun des membres de la société en nom collectif ».

[7]           Les demanderesses admettent que G.P. a commis des violations et que le montant de base de 1 000 $ par violation est le montant correct selon le règlement d’application de la LPAME. Elles soutiennent toutefois que deux violations ont été commises (et non quatre) et que les personnes morales demanderesses (soit les associées) n’ont pas commis les violations. Elles ajoutent qu’ECCC interprète mal les dispositions législatives applicables lorsqu’il avance la thèse selon laquelle une société en nom collectif ne peut pas faire l’objet d’une pénalité. À leur avis, il appert de la législation et de la façon dont ECCC a traité G.P. dans le passé que la société en nom collectif G.P. est bel et bien la partie ou l’entité à laquelle une pénalité doit être infligée. Selon les demanderesses, l’infliction de SAPs [traduction] « à chacune des associées d’une société en nom collectif plutôt qu’à celle‑ci pourrait mener à des résultats qui sont à la fois inappropriés et inacceptables sur le plan administratif ». Qui plus est, l’infliction de quatre SAPs à l’égard de ce qui ne constitue que deux violations signifie que le montant total des pénalités est incorrect.

[8]           Pour les motifs exposés ci‑dessous, les SAPs sont maintenues et les demandes de révision sont rejetées.

Questions à trancher

[9]           Les questions en litige sont les suivantes : 1) ECCC a‑t‑il établi les éléments de la violation des alinéas 11(5)a) et 11(5)b) du Règlement sur les déchets dangereux par chacune des demanderesses? et 2) si c’est le cas, les montants des pénalités devraient‑ils être modifiés? La principale sous-question est de savoir si chacune des associées de G.P. peut se voir infliger des pénalités à l’égard des violations commises par celle‑ci.

Lois et règlements pertinents

[10]        Les dispositions les plus pertinentes de la LPAME sont les suivantes :

7 La contravention à une disposition, un ordre, une directive, une obligation ou une condition désignés en vertu de l’alinéa 5(1)a) constitue une violation pour laquelle l’auteur — personne, navire ou bâtiment — s’expose à une pénalité dont le montant est déterminé conformément aux règlements.

9(1) Dans les procédures en violation engagées au titre de la présente loi, il suffit, pour prouver la violation, d’établir qu’elle a été commise par un employé ou un mandataire de l’auteur de la violation, que l’employé ou le mandataire ait été ou non identifié ou poursuivi.

20(1) Après avoir donné au demandeur et au ministre un préavis écrit ou oral suffisant de la tenue d’une audience et leur avoir accordé la possibilité de présenter oralement leurs observations, le réviseur ou le comité décide de la responsabilité du demandeur.

(2) Il appartient au ministre d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur a perpétré la violation.

(3) Le réviseur ou le comité modifie le montant de la pénalité s’il estime qu’il n’a pas été établi conformément aux règlements.

[11]        Les dispositions les plus pertinentes du Règlement sur les déchets dangereux sont les suivantes :

11(5) L’exportateur veille à ce que :

a) tous les transporteurs agréés ayant transporté les déchets ou les matières remplissent la partie B du document de mouvement;

b) le destinataire étranger remplisse la partie C du document de mouvement, à moins que l’exportateur soit autorisé à la signer au nom de celui‑ci aux termes du contrat visé à l’alinéa 9f).

Discussion

Les faits

[12]        Les parties conviennent des faits pertinents qui sont décrits dans l’exposé conjoint des faits et dans les pièces qui y sont annexées. Les faits les plus pertinents exposés dans ces documents sont les suivants.

[13]        G.P. est une société en nom collectif dont les deux associées sont des personnes morales : AMC et AMD. AMC détient 99,99 % de G.P., et AMD 0,01 %. AMC détient également 100 % d’AMD et, par conséquent, détient 100 % de G.P.

[14]        G.P. est une entité active située au 1330, rue Burlington Est, à Hamilton (Ontario). AMC et AMD sont des entités inactives dont l’adresse est la même que celle de G.P.

[15]        G.P. est un fabricant d’acier qui expédie des matières recyclables dangereuses aux États-Unis. Le nom commercial de G.P. est enregistré en vertu de la Loi sur les noms commerciaux de l’Ontario, L.R.O. 1990, c B.17. Selon l’enregistrement de ce nom, AMC et AMD sont les personnes enregistrées et la personne ayant autorisé l’enregistrement du nom commercial de G.P. est une personne physique provenant d’AMC. De même, sur le permis principal d’entreprise de G.P., le nom de G.P. figure comme nom commercial et AMC et AMD comme les dénominations sociales d’une société en nom collectif composée de deux associées. AMC et AMD sont des sociétés constituées en personnes morales sous le régime de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. (1985), c C‑44, et qui ont obtenu des numéros de société en application de cette même loi.

[16]        Le 2 février 2017, le personnel chargé de l’application de la loi d’ECCC a délivré à G.P. un avertissement écrit relativement à des violations des paragraphes 11(1), 11(5) et de l’article 13 du Règlement sur les déchets dangereux.

[17]        Le 27 août 2018, des membres du personnel chargé de l’application de la loi  d’ECCC se sont rendus chez G.P. et ont procédé à une inspection des documents de mouvement pour les matières dangereuses établis selon un permis délivré à G.P. par ECCC. Celui‑ci a relevé deux documents de mouvement qui ne respectaient pas le Règlement sur les déchets dangereux.

[18]        Le 28 août 2018, le personnel chargé de l’application de la loi d’ECCC a relevé des contraventions aux alinéas 11(5)a) et 11(5)b) du Règlement sur les déchets dangereux : G.P. n’avait pas rempli les documents de mouvement conformément aux exigences prescrites.

[19]        Le 4 septembre 2018, le personnel d’application de la loi d’ECCC a dressé et fait signifier quatre procès-verbaux (relativement à deux documents de mouvement) énonçant dans chaque cas l’infliction de la pénalité de base de 1 000 $ prévue dans le règlement d’application de la LPAME. La SAP portant le numéro d’imposition 8300‑2001 a été infligée à AMD pour la violation de l’alinéa 11(5)a) du Règlement sur les déchets dangereux, tandis que celle portant le numéro d’imposition 8300‑2002 a été infligée à AMD pour la violation de l’alinéa 11(5)b). Les SAPs portant les numéros d’imposition 8300‑2003 et 8300‑2004 ont été infligées à AMC relativement aux mêmes violations.

[20]        Les SAPs infligées à AMC et à AMD pour une violation de l’alinéa 11(5)a) du Règlement sur les déchets dangereux concernent le document de mouvement YH54272‑8. L’agent d’application de la loi, M. Laing, a inscrit sur les deux procès-verbaux qu’il avait [traduction] « constaté que la case 26 de la partie B était incomplète », parce que [traduction] « le nom de la personne autorisée n’y figurait pas ». Sous la rubrique concernant les renseignements sur l’auteur de la violation, le nom de la personne physique ou d’une autre personne, d’un navire ou d’un bâtiment, il a inscrit AMC sur un procès-verbal et AMD sur l’autre. Dans la partie relative aux autres faits pertinents du procès-verbal signifié à AMC, il a mentionné avoir inspecté [traduction] « ArcelorMittal Canada Inc., faisant affaire sous le nom d’ArcelorMittal Dofasco G.P. ». Dans la même partie du procès-verbal signifié à AMD, il a mentionné [traduction] « ArcelorMittal Dofasco MP Inc., faisant affaire sous le nom d’ArcelorMittal Dofasco G.P. ».

[21]        Les pénalités infligées à AMC et AMD pour une violation de l’alinéa 11(5)b) du Règlement sur les déchets dangereux concernent le document de mouvement YH54225‑6. L’agent d’application de la loi, M. Laing, a précisé sur les deux procès-verbaux qu’il avait [traduction] « constaté que la case 31 de la partie C était incomplète », parce que [traduction] « la quantité reçue n’y était pas mentionnée ». À tous autres égards pertinents, le texte de ces procès‑verbaux est le même que celui qui figure dans les procès-verbaux susmentionnés établis à l’égard d’une violation de l’alinéa 11(5)a).

[22]        Nul ne conteste que les deux violations ont été commises ou que le montant exact d’une pénalité pour une violation de « type A » par une personne autre qu’une personne physique s’élève à 1 000 $ aux termes du règlement d’application de la LPAME. Les questions à trancher en l’espèce sont de savoir si les deux demanderesses nommées (c.‑à‑d. les associées), ou l’une d’elles, ont commis les violations, ou si aucune d’elles ne les a commises, et si le montant total des SAPs est correct, étant donné que deux violations administratives seulement ont été commises.

Les observations d’ECCC

[23]        ECCC affirme que la seule question à trancher est la suivante : si ECCC a établi contre une société en nom collectif (une firme) une violation donnant lieu à l’imposition d’une sanction administrative pécuniaire, l’agent d’application de la loi a-t-il le pouvoir de faire signifier un procès-verbal pour la même violation à toutes les personnes qui sont des associées de la firme? Plus loin dans ses observations, ECCC formule la question à trancher de la manière suivante [traduction] : « lorsqu’il est établi qu’une violation est commise par une société en nom collectif (une firme), les associés qui exercent leurs activités au nom de la firme sont‑ils réputés avoir commis la violation? »

[24]        ECCC souligne que les demanderesses ne contestent pas le fait que G.P. [traduction] « a commis, par l’entremise de ses employés ou mandataires, une violation suivant la description qui figure dans les procès-verbaux ». La LPAME renvoie, notamment à l’article 7, ainsi qu’à l’article 20 dans sa version anglaise, à une « personne, navire ou bâtiment ». En l’espèce, seul le terme « personne » est pertinent. ECCC souligne que le terme « personne » n’est pas défini dans la LPAME, ses règlements d’application, la LCPE ou le Règlement sur les déchets dangereux. Il ajoute que les définitions suivantes figurent dans la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), c I‑21 :

Personne morale – Entité dotée de la personnalité morale, à l’exclusion d’une société de personnes à laquelle le droit provincial reconnaît cette personnalité. (corporation)

Personne – Personne physique ou morale; l’une et l’autre notions sont visées dans des formulations générales, impersonnelles ou comportant des pronoms ou adjectifs indéfinis. (person).

[25]        En se fondant sur l’ouvrage de Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd. (Markham, ON: LexisNexis Canada, 2014), ECCC soutient que les définitions qui précèdent s’appliquent à tous les textes de loi fédéraux, sauf preuve contraire figurant dans une loi précise. Selon ECCC, les lois fédérales pertinentes en l’espèce [traduction] « ne comportent aucune définition explicite qui soit différente des définitions de la Loi d’interprétation ou qui y déroge, ni d’éléments de preuve explicite ou implicite démontrant que le législateur a choisi de s’éloigner des définitions ». De l’avis d’ECCC :

[traduction]
Interprétées conjointement, les définitions de « personne » et « personne morale » montrent clairement que, lorsque le terme « personne » est employé dans un texte de loi fédérale, il renvoie à toutes les personnes, y compris les personnes morales, et que les sociétés en nom collectif ne sont pas considérées comme étant des personnes morales. En conséquence, une société en nom collectif n’est pas une « personne » pour l’application du régime législatif concerné en l’espèce.

[26]        ECCC invoque le paragraphe 9(1) de la LPAME pour fait valoir qu’[traduction] « une violation commise par un employé ou un mandataire d’une personne constitue une preuve suffisante de la violation reprochée à cette personne », et que les employés et mandataires de G.P. sont des employés et mandataires des deux associées. ECCC ajoute que le paragraphe 9(1) de la LPAME, [traduction] « dispose qu’une violation est établie contre une personne, que le mandataire par l’entremise duquel la responsabilité de celle‑ci est prouvée soit poursuivi ou non ». En d’autres termes, selon ECCC, il n’est pas nécessaire de nommer G.P. dans un procès-verbal de violation pour poursuivre chaque associé en vertu du paragraphe 9(1).

[27]        Il ressort des pièces annexées à l’exposé conjoint des faits que G.P. est une société en nom collectif qui exerce ses activités et est enregistrée dans la province de l’Ontario. Ses deux associées inscrites sont des sociétés fédérales (AMC et AMD). Étant donné que G.P. est enregistrée en Ontario, ECCC invoque les dispositions suivantes de la Loi sur les sociétés en nom collectif de l’Ontario, L.R.O. 1990, c P.5 :

6. Chaque associé est mandataire de la firme ainsi que de ses coassociés aux fins de l’entreprise de la société en nom collectif. Les actes de chaque associé dans le cadre de la conduite ordinaire de l’entreprise qu’exploite la firme dont il est membre lient cette dernière et ses associés, sauf si, d’une part, l’associé en question n’a en fait aucun pouvoir d’agir pour la société en la matière et si, d’autre part, la personne avec laquelle il traite sait qu’il n’a aucun pouvoir en la matière ou ne sait pas qu’il est un associé ou ne croit pas qu’il le soit.

7. Un acte ou un instrument se rapportant à l’entreprise exploitée par la firme et fait ou signé sous la raison sociale de la firme, ou de toute autre manière qui témoigne de l’intention de lier la firme, par une personne qui y est autorisée, qu’il s’agisse ou non d’un associé, lie la firme et tous les associés. Toutefois, le présent article ne porte atteinte à aucune règle de droit d’application générale concernant la passation d’actes scellés ou d’effets de commerce négociables. [Non souligné dans l’original.]

[28]        ECCC affirme que la Loi sur les sociétés en nom collectif [traduction] « prévoit que chaque associé est mandataire de la firme ainsi que de ses coassociés », et que [traduction] « les actes de la firme lient chaque associé et les actes de chaque associé dans le cadre de la conduite ordinaire de l’entreprise qu’exploite la firme lient les associés ». En raison de ce mandat d’origine législative, les violations dont G.P. est l’auteur sont des violations commises par chaque associé pour la détermination de la responsabilité prévue à la LPAME.

[29]        Se fondant sur l’arrêt McCormick c Fasken Martineau DuMoulin s.e.n.c.r.l., 2014 CSC 39, ECCC affirme que, [traduction] « suivant la conception classique de la société de personnes, dans la plupart des cas, le droit fait abstraction de la firme et s’attache aux associés qui la composent ». En l’espèce, ECCC soutient que l’admission des violations commises par G.P. constitue une preuve des violations commises par chaque associée de celle-ci. ECCC ajoute que la société en nom collectif n’est pas une « personne » et que la responsabilité incombe à toutes les associées. Plus précisément, ECCC affirme ce qui suit :

[traduction]
la violation commise par un employé ou mandataire de la société en nom collectif impose une responsabilité au mandant et, étant donné que la société en nom collectif n’est pas une « personne » au sens de la loi, la responsabilité incombe à tous les associés de la firme par suite de l’application de la loi relative aux sociétés en nom collectif.

ECCC affirme en conséquence qu’il pourrait poursuivre chaque associé lorsqu’une firme (G.P.) contrevient à une disposition qui donne lieu à l’imposition d’une pénalité aux termes de la LPAME.

[30]        ECCC soutient que le Tribunal devrait rejeter les demandes de révision et déclarer que [traduction] « selon la LPAME, lorsqu’une société en nom collectif commet une violation, le ministre peut poursuivre chaque associé de la firme ».

Les observations des demanderesses

[31]        Les demanderesses font valoir que les questions à trancher sont les suivantes : 1) les demanderesses ont‑elles contrevenu au règlement d’application de la LCPE? et 2) le montant des SAPs infligées à l’égard des violations admises est‑il conforme au règlement d’application de la LPAME?

[32]        Les demanderesses soulignent que c’est G.P. qui détient les permis d’exportation aux fins de l’expédition de matières recyclables dangereuses aux États‑Unis. Elles ajoutent que l’agent d’application de la loi, M. Laing, a délivré l’avertissement écrit à G.P. spécifiquement à titre d’auteur présumé de la violation. De même, M. Laing a désigné G.P. comme étant la « Société » et « Titulaire de permis » sur le formulaire d’inspection lié à l’inspection qu’il a faite le 27 août 2018. Néanmoins, les demanderesses soulignent que les SAPs sont infligées aux associés et non à la société en nom collectif elle-même. De l’avis des demanderesses, les SAPs auraient dû être infligées à G.P., auquel cas deux SAPs auraient été infligées au total, plutôt que quatre.

[33]        Les demanderesses soulignent que la définition de « personne » de la Loi d’interprétation [traduction] « n’est pas exhaustive » et [traduction] « n’exclut pas les sociétés en nom collectif ». Elles affirment que l’inclusion des personnes morales dans la définition d’une personne ne signifie pas que les sociétés en nom collectif sont exclues et que G.P. ne peut être considérée comme une personne « dans les cas appropriés ». Elles précisent qu’il n’est pas interdit à ECCC d’infliger une pénalité à une société en nom collectif.

[34]        Les demanderesses font valoir qu’ECCC a délivré des permis d’exportation à G.P. en application du sous‑alinéa 185(1)b)(i) de la LCPE et que cette disposition prévoit textuellement, dans sa version anglaise, que « no person shall » (nulle personne ne peut) exporter des déchets dangereux, à moins d’avoir reçu un permis. Selon les demanderesses, l’emploi de cette formulation démontre qu’ECCC a jugé que G.P. [traduction] « possède une personnalité juridique qui lui permet d’obtenir un permis en son propre nom et que le terme « person » figurant au paragraphe 185(1) de la LCPE englobe [G.P.] ».

[35]        Les demanderesses ajoutent que les dispositions du Règlement sur les déchets dangereux ayant donné lieu à l’imposition des SAPs en l’espèce concernent les activités de l’« exportateur ». Bien que le terme « exportateur » ne soit pas défini, les demanderesses affirment qu’il [traduction] « s’entend manifestement du titulaire d’un permis d’exportation délivré au titre de l’alinéa 185(1)b) de la LCPE, comme le démontre l’utilisation de l’expression “permis d’exportation” dans les dispositions précitées du règlement d’application de la LCPE ainsi que dans la définition du terme “permis” à l’article 4 de ce même règlement ». Selon les demanderesses, G.P. est nécessairement l’exportateur aux termes du Règlement sur les déchets dangereux, parce que : 1) G.P. est le titulaire du permis d’exportation dont le nom figure sur le permis numéro 18/00106/EXP et sur le formulaire d’inspection de l’agent, M. Laing, et que, 2) aucune des demanderesses n’est titulaire d’un permis d’exportation (ni n’est autorisée, par conséquent, à exercer les activités d’exportation en question). En conséquence, les demanderesses soutiennent que G.P. est l’entité à laquelle des pénalités devraient être infligées relativement aux violations des alinéas 11(5)a) et 11(5)b) du Règlement sur les déchets dangereux.

[36]        Les demanderesses font valoir que le traitement passé de G.P. par ECCC comme entité juridique distincte est compatible avec les dispositions législatives applicables et que l’infliction de SAPs aux associées va à l’encontre de ces dispositions et de la conduite passée d’ECCC. De l’avis des demanderesses, la découverte par ECCC des violations aurait dû mener à l’infliction de SAPs à G.P. plutôt qu’aux associés.

[37]        En soutenant que le fait de tenir les associées responsables est [traduction] « inapproprié et indéfendable sur le plan administratif », les demanderesses mentionnent qu’elles ne sont pas titulaires de permis d’exportation et qu’elles ne devraient pas être tenues responsables à titre propre. Elles ajoutent que le fait de poursuivre chaque associé a donné lieu à une multiplication des sanctions envisagées par le règlement d’application de la LPAME simplement en raison de la structure organisationnelle de G.P. plutôt que d’une culpabilité accrue.

[38]        Selon les demanderesses [traduction] « la multiplication des sanctions fondée uniquement sur la structure organisationnelle va à l’encontre du principe de totalité » (voir : R c Khawaja, 2012 CSC 69, au paragraphe 126). Les demanderesses citent également le passage suivant de l’arrêt Alberta (Health Services) c Bhanji, 2017 ABCA 126, au paragraphe 61 :

[traduction]
La poursuite peut décider de porter des accusations contre tous ceux et celles qui sont impliqués afin qu’ils portent à jamais les stigmates de la déclaration de culpabilité. La conduite coupable d’une partie suffit parfois à transcender le degré général de culpabilité de l’infraction qui peut être attaché aux autres parties inculpées. Cependant, le fait qu’une personne morale soit impliquée dans une situation, que trois parties (personne(s) physique(s) et morale(s)) soient impliquées dans une autre et que cinq parties (personne(s) physique(s) et morale(s)) le soient encore dans une autre, lorsque la conduite de base est la même, ne requiert pas une augmentation mathématique correspondante de la sanction simplement en raison du nombre de personnes que la poursuite peut décider d’inculper.

[39]        Tout en reconnaissant que l’arrêt Alberta (Health Services) concernait une situation différente, les demanderesses affirment toutefois que l’arrêt est instructif, parce qu’ECCC [traduction] « n’a allégué, ni n’a pu établir, que […] les SAPs ont été infligées aux demanderesses en raison d’un degré de culpabilité justifiant une peine plus sévère que la pénalité de base prescrite par le règlement d’application de la LPAME. En l’espèce, quatre SAPs ont été infligées à l’égard de deux violations du règlement d’application de la LCPE, simplement en raison de la structure organisationnelle de [G.P.] ». Les demanderesses ajoutent que l’interprétation proposée par ECCC signifierait qu’une société en nom collectif formée de 100 associés pourrait se voir infliger 100 SAPs pour une seule violation administrative.

[40]        De l’avis des demanderesses, ECCC a interprété de façon trop large les règles de droit applicables aux sociétés en nom collectif. Selon elles, une SAP ne peut être infligée à chaque associé lorsqu’une société en nom collectif commet une violation. En effet, la [traduction] « conception classique » énoncée dans l’arrêt McCormick c. Fasken Martineau DuMoulin s.e.n.c.r.l. à l’égard des « obligations, dettes et responsabilités » d’une société en nom collectif ne signifie pas qu’ECCC [traduction] « peut aller au-delà de l’exportateur dûment autorisé pour dresser des procès-verbaux de violation et infliger des SAPs en application de la LPAME, lesquelles non seulement donnent lieu à une sanction financière, mais établissent des antécédents de non‑conformité ». Les demanderesses [traduction] « admettent qu’elles sont tenues de remplir les obligations financières liées aux SAPs infligées à [G.P.] », mais précisent qu’[traduction] « elles ne devraient pas être tenues responsables à titre propre, sur le plan financier ou autrement, à l’égard des contraventions de [G.P.] ».

[41]        Subsidiairement, les demanderesses font valoir que, si le Tribunal conclut qu’ECCC avait le droit d’infliger des SAPs aux associés de G.P., seule AMC devrait être tenue responsable, et non AMD, parce qu’en fin de compte AMC est propriétaire à cent pour cent de G.P. en raison de la part qu’elle détient dans la société en nom collectif et du fait qu’elle possède AMD.

[42]        En ce qui concerne le montant total des SAPs, les demanderesses affirment ce qui suit :

[traduction]
En infligeant des SAPs à chacune des demanderesses à l’égard des deux violations du règlement d’application de la LCPE relevées au cours de l’enquête, le défendeur a doublé le montant de la pénalité prévu dans le règlement d’application de la LPAME à l’égard des violations, qui est passé de 1 000 $ à 2 000 $ par infraction. Cette façon de procéder n’est pas autorisée par le règlement d’application de la LPAME et va également à l’encontre du principe de totalité susmentionné. Le défendeur a le droit d’infliger des SAPs de 2 000 $ seulement au total à l’égard des violations relevées au cours de l’enquête.

[43]        Les demanderesses soutiennent que le Tribunal ne peut prononcer l’ordonnance déclaratoire recherchée par ECCC, car ce pouvoir n’est pas énoncé dans la LPAME.

Analyse et conclusions

Introduction

[44]        Les faits entourant les violations dont G.P. est l’auteur et le calcul du montant (1 000 $ par violation) des SAPs ne sont pas contestés (hormis le fait que les demanderesses soutiennent que le montant total des pénalités devrait correspondre à la moitié seulement de celui qui est exigé, parce que seules deux violations ont été établies).

[45]        Les parties ont formulé différemment les questions à trancher en l’espèce. Selon le Tribunal, le point de départ à cet égard est le libellé de la LPAME même et il faut donc retenir la formulation que les demanderesses ont proposée. Suivant le paragraphe 20(1), le Tribunal doit décider si la personne nommée dans un procès‑verbal de violation a commis une violation. Le fardeau de la preuve incombe à ECCC. Ainsi, en l’espèce, le Tribunal doit déterminer si ECCC a établi les éléments d’une violation des alinéas 11(5)a) et 11(5)b) du Règlement sur les déchets dangereux par chaque demanderesse. Dans l’affirmative, le Tribunal doit ensuite déterminer si les montants des SAPs ont été calculés correctement. La principale sous-question consiste à établir si chaque associé de G.P. peut se voir infliger une SAP à l’égard des violations commises par G.P. À proprement parler, il n’est pas nécessaire de déterminer si ECCC a le « pouvoir » d’infliger une SAP à une société en nom collectif même, parce que celle‑ci n’a été visée par aucune des quatre SAPs. Il n’est pas nécessaire non plus de décider s’il aurait été préférable qu’ECCC inflige les SAPs uniquement à un associé ou uniquement à G.P. Les questions que le Tribunal doit trancher selon la LPAME sont de savoir si AMC et AMD ont commis les violations et si les montants des SAPs sont corrects.

Première question : Les associés ont-ils commis les violations reprochées?

[46]        Les demanderesses admettent que G.P. a enfreint le Règlement sur les déchets dangereux [traduction] « à titre d’exportateur aux termes d’un permis délivré en bonne et due forme pour l’exportation de matières recyclables dangereuses ». Elles croient que G.P. aurait dû être la partie nommée dans les SAPs et que, en pareil cas, deux SAPs auraient été infligées plutôt que quatre. Les demanderesses affirment qu’aucune d’elles n’a commis elle-même une violation. Subsidiairement, elles font valoir qu’AMD, qui appartient à AMC et qui ne détient qu’une part de 0,01 % dans G.P., n’a commis aucune violation. Par conséquent, s’il est permis de se tourner vers les associées, une seule associée (en l’occurrence, AMC) a commis une violation.

[47]        Étant donné qu’il est admis que l’entité active (G.P.) est l’auteur des violations, la question est de savoir si les deux demanderesses (les associées), ou l’une d’elles, ont également commis les violations, ou si aucune d’elles ne l’a fait, eu égard à la relation juridique qui les unit à G.P.

[48]        ECCC invoque différentes dispositions de la LPAME et de la Loi sur les sociétés en nom collectif de l’Ontario pour soutenir que les associés ont été désignés correctement dans les SAPs. Voici le libellé du paragraphe 9(1) de la LPAME :

9(1). Dans les procédures en violation engagées au titre de la présente loi, il suffit, pour prouver la violation, d’établir qu’elle a été commise par un employé ou un mandataire de l’auteur de la violation, que l’employé ou le mandataire ait été ou non identifié ou poursuivi.

[49]        En l’espèce, AMC et AMD sont les « auteurs » (c.-à-d. les « personnes », selon l’article 7 de la LPAME) contre lesquelles ECCC a engagé les procédures en raison des violations. Il est évident qu’AMC et AMD sont des mandataires de G.P. au sens de la Loi sur les sociétés en nom collectif. Cependant, G.P. n’est pas la « personne » contre laquelle les procédures en violation ont été engagées, mais elles ont été intentées contre les associées seulement, et non la société en nom collectif. En conséquence, interprété de façon isolée à la lumière du fait que les associées sont des mandataires de G.P., le paragraphe 9(1) de la LPAME ne répond pas de façon concluante à la question de savoir si les associées sont responsables de la violation commise par G.P.

[50]        Étant donné que G.P. est une société en nom collectif de la province de l’Ontario, les dispositions de la Loi sur les sociétés en nom collectif de cette province s’appliquent également. Le terme « firme » et l’expression « société en nom collectif » sont également employés dans cette loi, et des précisions y sont données sur leur sens :

Société en nom collectif

2. La société en nom collectif est la relation qui existe entre des personnes qui exploitent une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice. Ne constitue toutefois pas une société en nom collectif, au sens de la présente loi, la relation qui existe entre les membres d’une compagnie ou d’une association constituée en personne morale par une loi générale ou spéciale en vigueur en Ontario ou ailleurs ou en application de celle‑ci, ou inscrite comme personne morale aux termes d’une telle loi.

Définition de « firme »

5. Les personnes qui se sont associées pour former une société en nom collectif sont, pour l’application de la présente loi, appelées collectivement une firme, et le nom sous lequel elles exploitent leur entreprise est appelé la raison sociale.

[51]        Le terme « personne » qui est employé dans la Loi sur les sociétés en nom collectif n’est pas défini dans cette loi, mais plutôt dans la Loi de 2006 sur la législation de l’Ontario, L.O. 2006, c 21, annexe F, à l’article 87. À l’instar de la définition du terme « personne » donnée par le législateur fédéral, la définition du législateur ontarien n’est pas exhaustive et englobe les personnes morales. Le libellé des articles 2 et 5 de la Loi sur les sociétés en nom collectif permet d’inférer qu’une personne ne saurait être confondue avec une société en nom collectif et que le terme « personnes » renvoie aux associés plutôt qu’à la société en nom collectif elle-même.

[52]        Selon l’article 6 de la Loi sur les sociétés en nom collectif (reproduit dans le sommaire des observations d’ECCC susmentionné), les associés sont des mandataires de la firme. Il s’agit là d’une question semblable à celle qui a été commentée précédemment relativement au paragraphe 9(1) de la LPAME, soit le fait qu’AMC et AMD sont mandataires de G.P. et que les actes des associés lient la firme. En l’espèce, les procédures sont engagées contre les associées, et non contre la société en nom collectif, de sorte que l’article 6 de la Loi sur les sociétés en nom collectif, lu de façon isolée à la lumière du fait que les associées sont des mandataires de G.P., ne répond pas non plus de façon concluante à la question de savoir si AMC et AMD sont responsables de la violation commise par G.P.

[53]        Afin de mieux comprendre la question qui se pose en l’espèce, le Tribunal doit, dans le contexte précis du libellé de la LPAME, examiner la nature des sociétés en nom collectif, notamment en ce qui concerne la responsabilité des associés à l’égard des actes de celles‑ci et/ou de leurs employés. Le Tribunal accepte la « conception classique de la société de personnes » comme étant « un groupement d’associés, plutôt qu’une entité juridique distincte des personnes qui sont ses membres » (McCormick c. Fasken Martineau DuMoulin s.e.n.c.r.l., au paragraphe 30), et ne voit aucun élément de la Loi sur les sociétés en nom collectif qui va à l’encontre de cette « conception classique ». En Ontario, la responsabilité des associés à l’égard des actes d’une société en nom collectif est renforcée par l’article 7 de la Loi sur les sociétés en nom collectif, qui énonce qu’un acte ou un instrument se rapportant à l’entreprise exploitée par la firme « lie la firme et tous les associés ».

[54]        [54] Selon l’article 9 de la LPAME, en cas de violation commise par les mandataires d’une personne, celle-ci est tenue au paiement des SAPs s’y rapportant. En conséquence, dans la mesure où les « personnes » inactives visées au paragraphe 9(1) de la LPAME (c.‑à‑d., AMC et AMD) ont donné à l’entité active, G.P. (par l’entremise d’une société en nom collectif ayant son propre nom commercial enregistré), le pouvoir ou le mandat d’exercer des activités pour le compte des associées constituées en personnes morales (qui ont enregistré le nom commercial de G.P.), les actes de G.P. lient les associés aux fins de l’application de la LPAME. Le fait qu’ECCC ait inscrit le nom de G.P. (et a alors implicitement considéré celle‑ci comme une « personne » à un certain moment) sur le permis d’exportation et sur d’autres documents ne touche pas les conclusions du Tribunal en l’espèce, lesquelles découlent des relations juridiques propres aux sociétés en nom collectif et du libellé de la LPAME plutôt que des pratiques suivies par ECCC lors de la délivrance de documents à G.P. La même conclusion serait tirée, indépendamment de la question de savoir si G.P. ou les associées sont nommés sur le permis d’exportation, compte tenu de la relation juridique entre les associées et la firme et du libellé du paragraphe 9(1) de la LPAME. Il n’est pas nécessaire non plus de déterminer si G.P., le titulaire de permis nommé, est la seule entité devant être considérée comme un « exportateur » aux termes du Règlement sur les déchets dangereux ou si elle est une « personne » au sens de la LPAME. Indépendamment du texte figurant sur le permis d’exportation, les associées sont responsables en droit, en raison du libellé précis du paragraphe 9(1) de la LPAME et de la relation juridique découlant de la structure de la société en nom collectif.

[55]        Une conclusion semblable est tirée si l’analyse est appliquée à des employés eux-mêmes qui ont mal rempli les documents de mouvement. Dans l’exposé conjoint des faits, les associées sont décrites comme des « entités inactives » dont l’adresse est la même que celle de la société en nom collectif active. En conséquence, lorsque la situation est examinée sous l’angle de l’entreprise elle-même, les employés qui ont rempli les documents sont les employés de l’entité active G.P. Par conséquent, ainsi que l’a soutenu ECCC, dans la mesure où les violations proprement dites (c.‑à‑d., le défaut de remplir correctement les documents de mouvement) ont été commises par des personnes physiques travaillant pour G.P., ces personnes sont aussi des employés ou mandataires des associées (c.‑à‑d., les personnes morales légalement constituées qui ont créé la société en nom collectif). Pour prouver les violations à l’encontre des associées, il suffit donc d’établir qu’elles ont été commises par des employées ou mandataires de G.P., suivant le libellé du paragraphe 9(1) de la LPAME.

[56]        Que la situation soit examinée sous l’une ou l’autre de ces perspectives, le Tribunal conclut qu’ECCC a établi, selon le paragraphe 9(1) de la LPAME, la violation commise par AMC et AMD, à titre de personnes morales légalement constituées qui sont des associées. Ces associées sont des « personnes » réputées avoir commis les violations en raison des actes de la société en nom collectif elle-même, G.P. (qui est mandataire des associées), ou de ses employés, qui sont effectivement des employés des associées. Eu égard aux conclusions précitées quant à l’établissement de la preuve des violations commises par les associées aux termes du paragraphe 9(1) de la LPAME, il n’est pas nécessaire de déterminer si les associées pourraient également être tenues directement responsables des violations selon l’article 7 de la LPAME. La preuve établie conformément au paragraphe 9(1) de la LPAME est suffisante.

[57]        Le Tribunal ajoute que, contrairement à ce que soutiennent les demanderesses, il n’est pas tenu de déterminer en l’espèce qui est la partie ou l’entité « appropriée » à laquelle la SAP doit être infligée. ECCC inflige des SAPs et le Tribunal décide ensuite, dans le cadre d’une audience en révision, si les personnes nommées dans les SAPs  ont commis les violations dont il est question aux articles 7 à 9 de la LPAME. Plusieurs options peuvent parfois s’offrir à l’agent d’application de la loi d’ECCC dans un cas donné (p. ex., des personnes physiques seulement, d’autres personnes, comme des personnes morales seulement, des personnes morales et des administrateurs, des personnes morales et des mandataires ou des employés, etc.). Le Tribunal ne révise pas les choix que font les agents d’application de la loi pour décider à qui seront infligées les SAPs. Bien entendu, si une SAPs est infligée à une personne qui n’a pas commis la violation reprochée, le Tribunal fera droit à la demande de révision. Cependant, il ne substituera pas sa décision à celle qu’a prise l’agent d’application de la loi dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’infliger des SAPs à ceux et celles qui font partie des personnes ayant contrevenu à la LPAME. Si une personne nommée dans une SAP a commis la violation, la SAP sera maintenue (seul le montant sera corrigé, au besoin, en application du paragraphe 20(3)).

[58]        Le Tribunal se penche maintenant sur l’argument subsidiaire des demanderesses selon lequel, si les associées peuvent être tenues responsables des violations commises par une société en nom collectif, seule AMC devrait être tenue responsable, puisqu’elle est effectivement propriétaire à cent pour cent de G.P., étant donné qu’elle détient 99,9 % de celle‑ci et la totalité d’AMD (laquelle détient à son tour une part de 0,01 % dans G.P.). Bien que le Tribunal comprenne l’effet pratique de la structure organisationnelle qui a été adoptée aux fins de l’exercice des activités de G.P., aucune disposition de la LPAME ou de la Loi sur les sociétés en nom collectif ne lui permettrait de conclure qu’AMD n’a pas commis de violation simplement en raison de la structure de propriété choisie en l’espèce. Selon le paragraphe 9(1) de la LPAME, tous les associés sont responsables des actes de la société en nom collectif et de ses employés. À l’instar d’AMC, AMD est une associée de G.P. Aucune disposition de la LPAME ne permet au Tribunal de choisir une seule associée qui sera tenue au paiement des SAPs alors qu’ECCC a initialement infligé celles-ci aux deux associées. Ce scénario de [traduction] « deux SAPs pour chaque violation administrative » n’a peut-être pas été prévu lorsque la structure organisationnelle de G.P. a été conçue, mais le Tribunal n’a été saisi d’aucun argument juridique pour le convaincre de confirmer la violation uniquement à l’égard d’une associée et non de l’autre.

[59]        Le Tribunal comprend que les demanderesses soient préoccupées par le fait qu’en raison du maintien de ces deux SAPs, les deux associées seront désormais considérées comme des entreprises ayant des antécédents de non-conformité. De plus, ECCC pourra infliger deux SAPs chaque fois que G.P. commet une violation administrative. Cependant, la LPAME ne renferme aucune disposition permettant au Tribunal de corriger ces résultats au moyen des solutions pratiques que proposent les demanderesses. En l’absence d’un changement apporté à la structure organisationnelle choisie pour G.P., aux règles de droit applicables ou à la décision du personnel chargé de l’application de la loi à ECCC quant à la question de savoir s’il faut désigner toutes les associées dans les SAPs, la situation demeurera inchangée.

[60]        Le Tribunal ajoute qu’il en arrive aux conclusions susmentionnées dans le cadre de la démarche qu’il doit suivre pour exercer ses fonctions en vertu du paragraphe 20(1) de la LPAME (soit décider si chaque personne nommée dans les SAPs a commis une violation), et non pour prononcer une « déclaration », ainsi que le demande ECCC. Le Tribunal tire des conclusions de fait et de droit pour s’acquitter de son mandat d’origine législative, mais il n’est pas nécessaire que ces conclusions soient tirées sous forme de « déclarations » semblables à celles que prononcent les cours judiciaires. Le rôle du Tribunal consiste à déterminer si des violations ont été commises par les personnes nommées dans les SAPs et si les montants des pénalités ont été calculés conformément au règlement d’application de la LPAME.

[61]        Étant donné que la question en litige en l’espèce est de savoir si les associées nommées dans les SAPs sont visées à bon escient par les SAPs infligées, il n’est pas nécessaire de se demander si ECCC aurait pu ou aurait dû infliger des SAPs à G.P. plutôt qu’à AMC et AMD (ou peut-être en plus de celles‑ci). Le Tribunal refuse donc de répondre à la question d’ECCC, à savoir si G.P. est une « personne » au sens de la LPAME. Si une société en nom collectif à laquelle une SAP est infligée conteste celle‑ci devant le Tribunal au motif qu’elle n’est pas une personne au sens de la LPAME et de la Loi d’interprétation, le Tribunal sollicitera des observations plus détaillées sur cette question d’interprétation (p. ex., des observations sur la définition du terme « personne » figurant dans la Loi d’interprétation, qui ne renvoie pas explicitement aux sociétés en nom collectif, et sur celle de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, qui le fait). En l’espèce, le rôle du Tribunal en vertu de la LPAME se limite à déterminer si AMC et AMD ont commis des violations, car elles étaient les deux entités nommées dans les SAPs.

[62]        En conclusion sur cette question, le Tribunal affirme qu’ECCC s’est déchargé du fardeau qu’il avait d’établir que les deux associées ont commis les violations en cause en l’espèce.

Deuxième question : Les montants des pénalités ont-ils été déterminés correctement?

[63]        Le Tribunal se penche maintenant sur la question des montants des pénalités. En ce qui concerne les observations des demanderesses sur le « principe de totalité » et sur le raisonnement suivi dans l’arrêt Alberta (Health Services) c Bhanji, le Tribunal conclut que, dans l’exercice de son rôle en vertu de la LPAME, le Tribunal n’est pas dans la même position qu’un tribunal judiciaire chargé de déterminer la peine. Même s’il comprend le fondement des observations des demanderesses au sujet des conséquences découlant du fait de poursuivre simultanément deux entités relativement à une seule violation administrative, le Tribunal doit s’en tenir au rôle qui lui est dévolu par la LPAME et son règlement d’application.

[64]        La LPAME prévoit ce qui suit :

7. La contravention à une disposition, un ordre, une directive, une obligation ou une condition désignés en vertu de l’alinéa 5(1)a) constitue une violation pour laquelle l’auteur — personne, navire ou bâtiment — s’expose à une pénalité dont le montant est déterminé conformément aux règlements.

20(3). Le réviseur […] modifie le montant de la pénalité s’il estime qu’il n’a pas été établi conformément aux règlements. [Non souligné dans l’original.]

[65]        Les articles 4 et 5 du règlement d’application de la LPAME (Règlement sur les pénalités administratives en matière d’environnement, DORS/2017‑109), sont ainsi libellés :

4. Le montant de la pénalité applicable à une violation est calculé selon la formule suivante :

W + X + Y + Z

W représente le montant de la pénalité de base prévu à l’article 5;

[…]

5. Le montant de la pénalité de base applicable à une violation est celui prévu à la colonne 3 de l’annexe 4, selon l’auteur et le type de violation commise figurant, respectivement, aux colonnes 1 et 2 de cette même annexe.

[Non souligné dans l’original.]

[66]        En raison du libellé de la LPAME et de son règlement d’application, une fois qu’ECCC a établi que des violations ont été commises (en l’occurrence, par AMC et AMD), le Tribunal ne peut modifier les montants des SAPs, à moins qu’il ne soit nécessaire de faire cette correction pour respecter le libellé et la formule figurant dans le règlement. Il convient de souligner que, ni la LPAME ni son règlement d’application ne confèrent au Tribunal le pouvoir de tenir compte des principes appliqués par les tribunaux judiciaires chargés de déterminer la peine, notamment l’équité, pour justifier la modification des montants des SAPs. Lorsque les faits établissent une violation donnant lieu à une SAP, les articles 4 et 5 du règlement d’application de la LPAME prescrivent que le montant minimum de la SAP correspond au montant de la pénalité de base prévu dans le règlement. En l’espèce, le montant minimum de la SAP relative aux violations établies en l’espèce s’élève à 1 000 $, ainsi que le prévoit l’annexe 4 du règlement d’application de la LPAME. Le Tribunal n’est investi d’aucun pouvoir d’origine législative l’autorisant, dans les cas où au moins deux personnes sont simultanément responsables d’une seule violation administrative, à réduire le montant total des pénalités infligées à tous les auteurs de la violation à celui qui aurait été exigé si cette violation n’avait été commise que par un seul auteur. Ce résultat s’appliquerait dans les cas semblables à l’espèce où deux associées sont juridiquement responsables des violations commises par la société en nom collectif ou, par exemple, dans les cas où des SAPs sont infligées à la fois à une personne morale et à une personne physique qui en est l’administrateur relativement à une seule violation. Tous ceux et celles qui ont commis une violation et qui se voient infliger une SAP par ECCC doivent payer le montant de celle-ci qui est prévu dans le règlement d’application de la LPAME.

[67]        La LPAME et son règlement d’application n’accordent tout simplement pas au Tribunal la marge de manœuvre ou le pouvoir discrétionnaire nécessaire pour tenir compte de facteurs supplémentaires, notamment les principes invoqués par les demanderesses en l’espèce, dans le calcul des montants appropriés des SAPs. Une fois que les violations sont établies, le Tribunal s’assure que les calculs des montants des SAPs ont été faits correctement de la manière prescrite dans le règlement. En l’espèce, le montant de base de 1 000 $ par SAP est le montant correct et le Tribunal ne peut laisser tomber deux des quatre SAPs ou réduire à zéro les montants de deux des quatre SAPs, parce que deux violations administratives seulement ont été commises en réalité (c.‑à‑d., erreurs relevées dans deux documents de mouvement). Les deux associées sont responsables à titre d’auteurs des violations aux termes des règles de droit applicables et, en conséquence, l’une comme l’autre doit payer les montants des SAPs applicables fixés par le règlement.

[68]        En dernier lieu, les SAPs infligées en application de la LPAME ne s’apparentent pas à des peines fixées de manière discrétionnaire à l’issue de poursuites. Elles constituent des pénalités administratives qui sont calculées conformément à une formule précise énoncée dans le règlement d’application de la LPAME et le Tribunal doit donc appliquer ce règlement dans l’exercice de ses fonctions en vertu du paragraphe 20(3) de la LPAME.

Conclusion

[69]        ECCC s’est déchargé du fardeau qui lui incombait au titre du paragraphe 20(2) de la LPAME en établissant, selon la prépondérance des probabilités, qu’AMC et AMD avaient contrevenu aux alinéas 11(5)a) et 11(5)b) du Règlement sur les déchets dangereux. De plus, les montants des SAPs ont été calculés correctement conformément au règlement d’application de la LPAME.

Décision

[70]        Les SAPs sont maintenues et les demandes de révision sont rejetées.


Demandes de révision rejetées

 

« Jerry V. DeMarco »

JERRY V. DEMARCO

RÉVISEUR‑CHEF

 

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