Loi sur le Programme de protection des salariés

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Motifs de décision

Concernant un appel d’une décision de la ministre interjeté en vertu de l’article 32.5 de la Loi sur le Programme de protection des salariés,

Philip Mark Rhodes,

requérant,

Le banc du Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil) était composé de Me Paula Turtle, arbitre externe, siégeant seule en vertu du paragraphe 14.1(1) de la Loi sur le Programme de protection des salariés (LPPS).

I. Nature de la demande

[1] Le 2 avril 2021, M. Philip Mark Rhodes (le requérant) a présenté au Conseil une demande d’appel en vertu du paragraphe 14(1) de la LPPS. Le paragraphe 14(1) prévoit le droit d’interjeter appel d’une décision prise en révision relativement à l’admissibilité. Cependant, la demande de M. Rhodes porte plutôt sur une décision prise en révision concernant un trop-perçu (et non l’admissibilité). Par conséquent, le Conseil la traitera comme si elle avait été déposée en vertu du paragraphe 32.5(1) de la LPPS.

[2] M. Rhodes fait appel de la décision prise en révision par la ministre, qui avait conclu qu’il avait reçu des sommes auxquelles il n’avait pas droit.

[3] Ayant examiné la demande, le Conseil a décidé d’annuler et de modifier la décision prise en révision par la ministre, comme il est indiqué ci-dessous.

II. Contexte et faits

[4] M. Rhodes travaillait pour le Cirque du Soleil inc. (l’employeur ou le Cirque du Soleil). L’employeur a entamé des démarches en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies le 30 juin 2020 et a été mis sous séquestre le 24 juillet 2020.

[5] Selon une lettre d’attestation d’emploi de l’employeur, M. Rhodes a travaillé pour le Cirque du Soleil dans le cadre d’une série de contrats au cours des périodes suivantes : du 15 avril 2006 au 11 octobre 2010; du 8 novembre 2010 au 27 août 2017, et du 4 septembre 2018 au 29 mai 2020. Bien que l’employeur affirme que le contrat de M. Rhodes a pris fin le 29 mai 2020, ce dernier soutient dans ses observations (auxquelles il est parfois fait référence ci-dessous) que son contrat a pris fin le 24 mai 2020. Quelle que soit la date de fin exacte de son contrat, M. Rhodes affirme qu’en raison de la pandémie de COVID-19, il n’a pas reçu de salaire après le 13 mars 2020.

[6] Selon le dossier, M. Rhodes a présenté une demande au titre du Programme de protection des salariés (PPS) le 20 octobre 2020. Comme il est expliqué plus en détail ci-dessous, M. Rhodes a initialement été jugé admissible à une indemnité de préavis et a reçu 6 798,57 $, soit la somme maximale à laquelle il avait droit au titre du PPS. Cependant, Service Canada, qui administre le PPS au nom du ministre, a révisé cette décision. Le 9 février 2021, Service Canada a pris une décision concernant un trop-perçu et a demandé à M. Rhodes de rembourser la somme totale qu’il avait reçue. M. Rhodes a été informé qu’il n’avait pas droit aux prestations qu’il avait reçues parce qu’il n’avait pas fourni de preuve de réclamation (PDR) et parce que le syndic avait déterminé qu’il n’était pas admissible au versement de prestations.

[7] Le 10 mars 2021, M. Rhodes a présenté une « demande de révision par la ministre » (traduction) de la décision de Service Canada concernant le trop-perçu. Il avait joint à sa demande de révision une PDR datée du 20 octobre 2020. Il affirmait qu’il travaillait pour le Cirque du Soleil depuis 15 ans dans le cadre d’un « contrat continu » (traduction) qui aurait été renouvelé à son expiration le 24 mai 2020. Par conséquent, il aurait continué de travailler. Il affirmait également qu’après 15 ans au service de son employeur, il se serait attendu à une « indemnité de licenciement après la cessation d’emploi » (traduction).

[8] Dans une lettre datée du 18 mars 2021, la déléguée de la ministre a informé M. Rhodes qu’elle avait révisé la décision relative au trop-perçu dans laquelle on lui refusait l’admissibilité au versement de prestations au titre du PPS. Elle confirmait la décision relative au trop-perçu et précisait ce qui suit :

Le syndic, qui est chargé de déterminer les montants dus selon la Loi sur le Programme de protection des salariés (LPPS), a confirmé que vous n’étiez titulaire d’aucune créance au titre du salaire admissible dans le cadre du PPS. Vous pouvez communiquer directement avec le syndic pour tenter de résoudre la situation. Veuillez noter qu’aucun versement ne peut être effectué en l’absence de ces renseignements.

[Le] syndic a mentionné que votre relation d’emploi avec le Cirque était régie par un contrat à durée déterminée et que votre emploi avait pris fin automatiquement à l’expiration de la durée prévue dans ce contrat. Conformément au droit applicable, cette expiration ne crée aucun droit à un préavis supplémentaire ou au versement d’une indemnité en guise et lieu de préavis.

Par conséquent, vous n’êtes pas admissible aux prestations du PPS.

(traduction)

III. Position des parties

A. Le requérant

[9] M. Rhodes réclame un dédommagement pour ses 15 années de service au Cirque du Soleil. Le Conseil comprend qu’il s’agit d’une demande d’indemnité de préavis.

[10] Le plaignant affirme en outre que, s’il n’y avait pas eu la pandémie, il aurait reçu le plein montant prévu à son contrat. Il demande à être indemnisé pour sa perte de revenus.

B. La ministre

[11] Bien qu’elle ait le droit de présenter ses observations au Conseil en vertu du paragraphe 32.6(4) de la LPPS, la ministre ne s’est pas prévalue de ce droit en l’espèce.

IV. Rôle du Conseil dans le cadre d’un appel

[12] Une personne physique qui n’est pas satisfaite de la décision de révision prise par le ministre au sujet d’un trop-perçu peut interjeter appel de cette décision auprès du Conseil, mais seulement sur une question de droit ou de compétence, conformément au paragraphe 32.5(1) de la LPPS. L’appel se limite à un réexamen des renseignements consignés au dossier du ministre.

[13] Le rôle du Conseil se limite à examiner la décision prise en révision et les renseignements qui étaient à la disposition du délégué du ministre, afin d’établir les faits qui ont été pris en considération et la manière dont les questions juridiques ont été analysées. Étant donné qu’aucun nouvel élément de preuve n’est admissible, conformément à l’article 32.7 de la LPPS, le Conseil ne peut pas obtenir ou prendre en considération de nouveaux documents ou éléments de preuve qui pourraient clarifier les faits en litige.

[14] En l’espèce, le requérant fonde sa demande d’appel sur une question de droit.

[15] Dans Au, 2020 CCRI 931, le Conseil a passé en revue la manière dont les questions de droit ont été définies dans des affaires liées à des appels prévus par la loi :

[22] En résumé, une question de droit est une question qui concerne un critère juridique. Dans le contexte d’une demande d’appel présentée en vertu du paragraphe 14(1) de la LPPS, le Conseil doit examiner :

1. si le délégué du ministre a appliqué le bon critère juridique et posé les bonnes questions pour en arriver à la décision;

2. si tous les aspects du critère juridique ont été appliqués aux faits;

3. si le délégué du ministre a pris en considération tous les faits essentiels et tous les éléments de preuve qu’il était tenu de prendre en considération selon la loi en appliquant un critère juridique

[16] Dans Au, précitée, le Conseil a statué sur une demande d’appel d’une décision prise en révision relativement à l’admissibilité qui avait été présentée en vertu du paragraphe 14(1) de la LPPS, tandis que la demande de M. Rhodes porte sur une décision prise en révision concernant un trop-perçu et a été présentée en vertu du paragraphe 32.5(1) de la LPPS. Cependant, comme le rôle et les pouvoirs du Conseil sont les mêmes dans les deux types de demandes, il est d’avis que les commentaires qu’il a formulés dans Au, précitée, s’appliquent également à la présente affaire.

[17] Comme il est indiqué ci-dessus, le Conseil se limite à examiner les renseignements qui étaient à la disposition du délégué du ministre lorsque la décision a été prise en révision, et il ne peut pas étoffer ce dossier en obtenant des éléments de preuve nouveaux ou supplémentaires. Le régime de la LPPS est tel que c’est le délégué du ministre qui crée l’ensemble du dossier de preuve sur lequel la décision du Conseil est fondée.

[18] Ce dossier est créé à partir des renseignements fournis par le requérant et par le syndic ou le séquestre. L’une des obligations du syndic ou du séquestre est d’identifier les personnes physiques qui sont titulaires d’une créance au titre du salaire admissible, de calculer le montant du salaire admissible et de fournir ces renseignements au ministre (voir l’article 21 de la LPPS). Cependant, le ministre dispose de pouvoirs étendus pour enquêter et obtenir les renseignements nécessaires afin de déterminer si un requérant est admissible au versement de prestations au titre de la LPPS. Par exemple, le ministre peut donner des instructions aux syndics ou aux séquestres, assigner toute personne à témoigner et à fournir des documents ou des renseignements, et effectuer des inspections (voir les articles 23 à 27 de la LPPS).

[19] Malgré les pouvoirs étendus du délégué du ministre de créer le dossier de la preuve, le Conseil peut confirmer, modifier ou annuler la décision prise en révision par le ministre en vertu de l’article 32.8 de la LPPS. Dans l’exercice de ce pouvoir, le Conseil peut substituer sa décision à celle du ministre lorsque les circonstances le justifient.

[20] Le Conseil évaluera maintenant la décision prise en révision par la ministre dans la présente affaire en tenant compte des principes décrits ci-dessus.

V. Le dossier

A. Le Sommaire

[21] Le Sommaire du dossier de révision (le Sommaire) est un document préparé par la déléguée de la ministre qui contient un sommaire des faits examinés et le raisonnement qui sous-tend la décision prise en révision par la ministre. Le Conseil donne ci-dessous un aperçu des éléments du Sommaire qui présentent un intérêt en l’espèce.

[22] Le Sommaire, daté du 18 mars 2021, porte sur les formulaires d’information du syndic (FIS) suivants :

  1. Dans le « FIS initial » daté du 17 septembre 2020, il est indiqué que M. Rhodes a droit à une indemnité de préavis de 22 968,71 $. Sous la rubrique « Renseignements sur l’employé », il est indiqué qu’aucune PDR n’a été présentée.

  2. Une version du formulaire intitulée « Modification à la PDR uniquement », reçue le 27 octobre 2020, ne comprend pas le tableau indiquant qu’une indemnité de préavis doit être versée à M. Rhodes. Sous la rubrique « Renseignements sur l’employé », il est indiqué qu’une PDR a été présentée.

  3. Une version du formulaire intitulée « Modification », datée du 28 janvier 2021, précise que M. Rhodes n’est titulaire d’aucune créance salariale. Sous la rubrique du formulaire intitulée « Renseignements sur l’employé », il est indiqué qu’aucune PDR n’a été déposée.

(traduction)

[23] Selon le Sommaire, l’emploi de M. Rhodes a pris fin pendant la période d’admissibilité au PPS.

[24] Le Sommaire indique également que M. Rhodes a affirmé dans sa demande de révision qu’il avait travaillé pour l’employeur pendant 15 ans dans le cadre d’une série de contrats et que son contrat aurait été prolongé à son expiration, comme cela avait été le cas pour les contrats précédents. En outre, il a joint à sa demande de révision une PDR datée du 20 octobre 2020.

[25] La déléguée de la ministre a décrit son travail de recherche de faits de la façon suivante :

Les résultats de recherche de faits auprès du syndic/séquestre ont permis d’établir ceci : après avoir examiné le dossier du client, le syndic constate que la relation d’emploi du client avec le Cirque était régie par un contrat à durée déterminée et que l’emploi du client a pris fin automatiquement à l’expiration de ce contrat. Conformément au droit applicable, ce licenciement ne crée aucun droit à un préavis supplémentaire ou au versement d’une indemnité en guise et lieu de préavis. En outre, le traitement de ce licenciement serait le même si l’employé avait fait l’objet d’une mise à pied temporaire, pour autant que le motif de la cessation d’emploi demeure la fin de son contrat. À ce titre et compte tenu du fait qu’aucune indemnité de préavis ou indemnité de départ n’était due au client à la cessation de son emploi, le syndic ne peut pas conclure que le client a droit au versement de prestations au titre du PPS.

(traduction)

[26] Selon le Sommaire, la déléguée de la ministre semble avoir tenu compte des faits suivants :

  • Selon le FIS, l’emploi de M. Rhodes a pris fin le 30 mai 2020, ce qui se situe dans la période d’admissibilité prévue par la LPPS.

  • Le syndic a soumis un FIS modifié le 28 janvier 2021, selon lequel M. Rhodes n’était titulaire d’aucune créance au titre du salaire admissible.

  • Le syndic a conclu que M. Rhodes n’était titulaire d’aucune créance au titre du salaire admissible parce que sa relation d’emploi était régie par un contrat à durée déterminée et que son emploi avait pris fin automatiquement à l’expiration de ce contrat. Le contrat ne prévoit pas d’indemnité de préavis ou de départ.

  • Le syndic a affirmé que le licenciement de M. Rhodes aurait été traité comme s’il avait fait l’objet d’une mise à pied temporaire à la fin de son contrat.

[27] Le Sommaire fait également mention de l’affirmation de M. Rhodes voulant qu’il n’ait pas reçu de salaire après le 13 mars 2020, alors que son contrat se poursuivait jusqu’au 24 mai 2020. Cependant, le Sommaire ne dit rien de plus sur cette question, outre le fait que celle-ci a été soulevée par M. Rhodes.

B. Autres documents

[28] Le dossier comprend d’autres documents sur lesquels la déléguée de la ministre s’est fondée pour préparer le Sommaire.

[29] Les documents au dossier comprennent une lettre du Cirque du Soleil datée du 12 mars 2021, dans laquelle il est mentionné que M. Rhodes a occupé divers postes au sein de l’entreprise pendant les périodes suivantes : du 15 avril 2006 au 11 octobre 2010; du 8 novembre 2010 au 27 août 2017; et du 4 septembre 2018 au 29 mai 2020. Cette lettre faisait partie de la demande de révision de M. Rhodes concernant la décision relative au trop-perçu.

[30] Le dossier contient également des registres téléphoniques d’appels entre la déléguée de la ministre et le requérant et entre la déléguée de la ministre et le syndic. Le 12 mars 2021, M. Rhodes a confirmé qu’il était sous contrat pour une tournée, mais qu’il était censé revenir à son poste habituel par la suite. Il a dit qu’il essaierait de joindre ses gestionnaires afin d’obtenir une copie de son contrat et un document montrant qu’il devait revenir à son poste habituel à la fin de son contrat. Le 15 mars 2021, M. Rhodes a informé le syndic que, même s’il ne disposait d’aucun document confirmant le renouvellement de son contrat à l’expiration de celui-ci le 29 mai 2020, il était « prévu » (traduction) qu’il retourne à un poste qu’il avait déjà occupé dans le cadre d’un contrat précédent. Le même jour, la déléguée de la ministre a parlé au syndic. Le syndic a expliqué qu’il avait fait une erreur dans le premier FIS et qu’il s’était rendu compte que M. Rhodes n’avait pas droit à une indemnité de préavis, puisque son contrat avait pris fin avant la mise sous séquestre. De plus, le contrat ne contenait aucune clause prévoyant le versement d’une indemnité de préavis ou de départ. Quelques minutes plus tard, la déléguée de la ministre a appelé M. Rhodes pour lui expliquer pourquoi il n’avait pas droit à une indemnité de préavis.

[31] Dans un courriel du syndic envoyé à M. Rhodes le 15 mars 2021 (inclus dans les registres téléphoniques mentionnés au paragraphe 30 ci-dessus), il était indiqué que M. Rhodes n’était pas admissible au PPS parce qu’il travaillait en vertu d’un contrat à durée déterminée qui ne prévoyait pas le versement d’une indemnité de préavis ou de départ. Dans ce courriel, le syndic expliquait que l’emploi de M. Rhodes avait pris fin automatiquement du fait de l’expiration du contrat et que, selon le droit applicable, cette situation ne créait pas de droit à un préavis de licenciement ou à une indemnité de préavis. Le courriel précisait en outre que, dans ces circonstances, le licenciement de M. Rhodes serait traité de la même façon que la mise à pied temporaire d’un ou d’une employée à la fin de son contrat.

[32] Le contrat de travail de M. Rhodes ne figurait pas parmi les documents remis au Conseil, et rien ne démontre que le syndic ou la déléguée de la ministre se soit renseigné sur le renouvellement du contrat de M. Rhodes.

VI. Analyse et décision

A. La demande d’indemnité de préavis de M. Rhodes

[33] En ce qui concerne l’incidence de l’expiration de son contrat, M. Rhodes est d’avis que son emploi n’a pas pris fin à l’expiration de son dernier contrat et que, par conséquent, il a droit à une indemnité de préavis et est admissible au versement de prestations au titre du PPS. La déléguée de la ministre s’appuie sur la conclusion du syndic, qui affirme que M. Rhodes n’était pas titulaire d’une créance au titre du salaire admissible puisque son emploi a pris fin le 30 mai 2020 en raison de l’expiration de son contrat le 29 mai 2020, lequel ne prévoyait pas d’indemnité de préavis ou de départ.

[34] La déléguée de la ministre n’a toutefois pas tenu compte de l’explication de M. Rhodes selon laquelle il avait un « contrat continu » (traduction), et elle n’a pas évalué la probabilité que son emploi se poursuive après le 24 (ou le 29) mai 2020. Par exemple, elle n’a rien dit sur l’incidence des nombreuses années de service de M. Rhodes auprès de l’employeur ou sur son affirmation concernant le fait qu’il était prévu qu’il continue à travailler pour l’employeur. En bref, le dossier ne contient aucune explication permettant de comprendre pourquoi la déléguée de la ministre a accepté l’affirmation du syndic selon laquelle l’emploi de M. Rhodes aurait pris fin le 30 mai 2020, malgré les renseignements contraires fournis par M. Rhodes. La déléguée de la ministre a simplement cessé d’enquêter après avoir parlé au syndic.

[35] Le fait que la déléguée de la ministre n’ait pas enquêté sur l’incidence des affirmations de M. Rhodes pose problème, car une succession de contrats à durée déterminée peut révéler l’existence d’une relation d’emploi continue, qui donnerait au requérant le droit à un préavis de licenciement raisonnable ou à une indemnité de préavis. Ce principe existe dans les juridictions de common law (voir Ball, Stacey Reginald, Canadian Employment Law: Fixed Term Contracts and Task Employment, Aurora, Canada Law Book, 2003) et a également été reconnu en droit civil québécois (voir, par exemple, Commission des normes du travail c. IEC Holden inc., 2014 QCCA 1538 (CanLII)). Si une succession de contrats à durée déterminée n’établit pas toujours l’existence d’une relation d’emploi continue, seule une analyse de cette relation d’emploi permet de trancher la question.

[36] Un décideur qui ne prend pas en compte des faits pertinents ou qui n’explique pas son raisonnement commet une erreur de droit.

[37] En l’espèce, rien ne démontre que la déléguée de la ministre a tenu compte des affirmations de M. Rhodes, qui soutenait que son emploi se serait poursuivi. Elle n’a pas tenu compte des antécédents professionnels de M. Rhodes. Elle n’a pas non plus expliqué ce qui l’avait amenée à conclure que le contrat de M. Rhodes avait pris fin le 30 mai 2020.

[38] La déléguée de la ministre a essentiellement adopté le point de vue du syndic concernant la durée de l’emploi de M. Rhodes, sans mener sa propre enquête pour tirer sa propre conclusion. Cela ressort de la section du Sommaire portant sur l’établissement des faits, dans laquelle la déléguée de la ministre ne tient compte que de la conclusion du syndic concernant la situation de M. Rhodes. De plus, les registres téléphoniques montrent que la déléguée de la ministre a cessé d’enquêter après avoir parlé au syndic au sujet du contrat de M. Rhodes. Par ailleurs, l’explication qu’elle a donnée dans la décision prise en révision résume les raisons fournies par le syndic pour expliquer pourquoi M. Rhodes n’était pas admissible au versement de prestations au titre du PPS.

[39] C’est le ministre qui décide si une personne physique est admissible aux prestations versées dans le cadre du PPS (article 9 de la LPPS) ou si une personne physique a perçu des sommes en trop (paragraphe 32(1) de la LPPS). Même si le syndic a l’obligation, en application de la LPPS, de déterminer le montant du salaire admissible dû à une personne physique, le pouvoir de décision appartient au ministre (voir Gouda, 2020 CCRI 935). Lorsque le montant du salaire admissible n’est pas contesté par le requérant, le ministre peut sans doute se fier aux renseignements fournis par le syndic. Si toutefois, comme dans le cas présent, le requérant conteste le montant du salaire admissible établi par le syndic, le ministre a le devoir d’enquêter et de tirer sa propre conclusion. D’où l’attribution au ministre de pouvoirs d’enquête étendus, comme nous l’avons mentionné plus haut.

[40] Pour tous les motifs qui précèdent, la déléguée de la ministre a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte des faits pertinents, puisqu’elle n’a pas enquêté sur l’affirmation de M. Rhodes selon laquelle il avait un contrat continu et que, par conséquent, son emploi se serait poursuivi au-delà du 30 mai 2020.

B. La demande d’indemnisation de M. Rhodes pour perte de revenus après le 13 mars 2020

[41] En plus de sa demande d’indemnité de préavis, M. Rhodes a présenté une demande d’indemnisation pour « perte de revenus » (traduction); le Conseil comprend qu’il s’agit d’une demande d’indemnisation pour le salaire qu’il n’a pas pu gagner parce que la pandémie l’a empêché de terminer son contrat (c.-à-d. de son dernier jour de salaire, le 13 mars 2020, jusqu’à la fin de son contrat, le 24 mai 2020).

[42] La déléguée de la ministre fait mention de la question soulevée par M. Rhodes dans le Sommaire, mais ne s’y attarde pas. En fait, rien ne permet de croire que la déléguée de la ministre a analysé cette demande.

[43] La LPPS a pour objet d’indemniser les travailleurs et travailleuses pour le salaire admissible qui a été gagné, mais qui n’a pas été payé. Dans Gouda, précitée, le Conseil a affirmé que le PPS permettait aux personnes physiques de réclamer le salaire qui leur était dû par des employeurs en faillite ou mis sous séquestre et que, pour être admissible, un ou une employée devait être titulaire d’une créance salariale au sens de la LPPS.

[44] Selon la LPPS, les travailleuses et travailleurs peuvent se voir verser des prestations s’ils sont titulaires d’une créance au titre du « salaire admissible » sur leur ancien employeur (voir l’alinéa 5(1)c)). Le « salaire admissible » est le salaire gagné pendant des périodes définies par rapport à la date de la faillite ou de la mise sous séquestre. Selon la LPPS, la « rémunération pour services fournis » est assimilée au « salaire ». Par conséquent, le critère juridique qui s’applique en l’espèce est de savoir si, pendant la période d’admissibilité, M. Rhodes a fourni des services pour le salaire qu’il demande.

[45] La déléguée de la ministre a fait mention de cette demande dans le Sommaire, mais n’y a pas appliqué le critère juridique approprié. En n’appliquant pas ce critère, la déléguée de la ministre a commis une erreur de droit.

[46] Cependant, comme il a été expliqué ci-dessus, M. Rhodes demande le paiement des revenus qu’il a perdus en raison de la pandémie, qui l’a empêché de terminer son contrat. Étant donné que M. Rhodes n’a pas été en mesure d’effectuer son travail, le salaire demandé ne constitue pas une « rémunération pour services fournis ». Par conséquent, M. Rhodes n’est pas admissible au versement de prestations au titre du PPS.

[47] C’est pourquoi le Conseil juge qu’il convient de modifier la décision de la ministre et conclut que M. Rhodes n’est pas admissible au versement de prestations au titre du PPS pour le salaire qu’il prétend avoir perdu.

VII. Conclusion

[48] Ayant conclu que la déléguée de la ministre a commis une erreur de droit en ce qui a trait à la demande d’indemnité de préavis de M. Rhodes, le Conseil peut modifier ou annuler la décision prise en révision par la ministre.

[49] En l’espèce, le Conseil est d’avis qu’il ne serait pas approprié de modifier la décision de la déléguée de la ministre concernant la demande d’indemnité de préavis de M. Rhodes. Cela obligerait le Conseil à se renseigner davantage pour déterminer si la nature de la relation d’emploi de M. Rhodes avec le Cirque du Soleil était telle qu’il avait droit à une indemnité de préavis. Comme on l’a expliqué ci-dessus, il ne revient pas au Conseil, dans le cadre d’un appel, d’établir de nouveaux faits et de tirer des conclusions de fait. Le ministre est mieux placé que lui pour établir des faits supplémentaires, au besoin, et pour évaluer l’information.

[50] Par conséquent, le Conseil annule la partie de la décision prise en révision par la ministre qui portait sur la demande d’indemnité de préavis de M. Rhodes et la renvoie au ministre pour que celui-ci puisse la réviser conformément à la présente décision.

[51] En ce qui concerne la demande liée à la perte de revenus, pour les motifs exposés ci-dessus, le Conseil juge qu’il convient de modifier la décision de la déléguée de la ministre et conclut que le requérant n’est pas admissible au versement de prestations au titre du PPS relativement à cette demande.

Traduction

 

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Paula Turtle

Arbitre externe

 

 

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