Loi sur le statut de l'artiste

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Décision no 048

Décisions du Tribunal

Ottawa, le 1er avril 2004 Dossier  : 1340-03-002


Dans l'affaire d'un renvoi fait en vertu de l'article 41 de la Loi sur le statut de l'artiste mettant en cause la Canadian Actors' Equity Association et la Commission de la capitale nationale


Décision du Tribunal :

Dominic Girard est un artiste visé par l'accord-cadre conclu entre la Commission de la capitale nationale et la Canadian Actors' Equity Association.

Date de l'audience : Les 16 janvier et 20 février 2004

Quorum: Me John M. Moreau, président de séance
Mme Moka Case, membre
Mme Lyse Lemieux, membre



Motifs de décision

1340-03-002 : Dans l'affaire d'un renvoi fait en vertu de l'article 41 de la Loi sur le statut de l'artiste mettant en cause la Canadian Actors' Equity Association et la Commission de la capitale nationale


Introduction

[1] La présente décision porte sur un renvoi fait en vertu de l'article 41 de la Loi sur le statut de l'artiste L.C. 1992, ch. 33, appelée ci-après « la Loi ») mettant en cause la Canadian Actors' Equity Association (« Equity ») et la Commission de la capitale nationale (« CCN ») soumis au Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs (« le Tribunal ») le 24 septembre 2003 par l'arbitre David H. Kates. La question sur laquelle le Tribunal doit se prononcer est la suivante : Dominic Girard, une personne engagée par la CCN en qualité d'animateur pour la cérémonie d'ouverture de son Bal de Neige de 2003, est-il un artiste visé par l'accord-cadre conclu entre les parties?

Contexte

[2] Equity est une association d'artistes qui a été accréditée le 25 avril 1996 par le Tribunal pour représenter, dans tout le Canada (Concernant la demande d'accréditation présentée par la Canadian Actors' Equity Association, 1996 TCRPAP 010, ci-après la décision  010) :

un secteur composé‚ d'entrepreneurs indépendants professionnels engagés pour remplir les fonctions d'acteurs (notamment les acteurs principaux, choristes, compagnons, acteurs stagiaires, mimes, narrateurs, main d'œuvre locale, remplaçants/doublures ou figurants), chanteurs (notamment les solistes, artistes, ensembles d'artistes en atelier, choristes, stagiaires, doublures/remplaçants ou figurants), danseurs (notamment les artistes invités, danseurs stagiaires ou doublures/remplaçants), régisseurs de production, régisseurs, assistants régisseurs, régisseurs stagiaires, metteurs en scène, assistants metteurs en scène, chorégraphes de combats, coordonnateurs de combats, chorégraphes, assistants chorégraphes, coordonnateurs de danse, maîtres et maîtresses de ballet, chorégraphes attitrés, répétiteurs qui participent à une œuvre théâtrale, d'opéra, de ballet, de danse, un salon industriel, cabaret ou concert que la représentation ait lieu dans un théâtre ou ailleurs, sauf

  1. les chanteurs assujettis à l'entente conclue en 1996 entre la Canadian Actors' Equity Association et l'American Federation of Musicians of the United States and Canada;
  2. les entrepreneurs indépendants des catégories susmentionnées qui sont assujettis à l'entente conclue en 1992 entre Canadian Actors' Equity Association et l'Union des Artistes.

[3] Le 21 janvier 2003 ou vers cette date, Equity et la CCN ont conclu un accord-cadre dans lequel cette dernière reconnaissait à l'article 2.01, que Equity était l'agent négociateur unique de tous les artistes désignés dans l'ordonnance d'accréditation rendue par le Tribunal le 25 avril 1996.

[4] Un conflit est survenu en janvier 2003, relativement à l'engagement de M. Girard comme animateur pour la cérémonie d'ouverture officielle du Bal de Neige de la CCN de 2003. Plus précisément, la CCN a adopté la position que le rôle d'animateur n'était pas visé par l'ordonnance d'accréditation d'Equity, et qu'il n'était donc pas visé par l'accord-cadre. Equity a soutenu que la CCN engageait un acteur pour jouer le rôle d'animateur, et qu'il était donc soumis à l'accord-cadre négocié par les parties. Le conflit a été déféré à un arbitre, conformément aux procédures de règlement des conflits figurant dans l'accord-cadre. Comme le conflit se rapportait à l'applicabilité d'un accord-cadre à un artiste en particulier, l'arbitre l'a déféré au Tribunal, pour décision, conformément au paragraphe 41(1) de la Loi, dont voici le texte :

Toute question soulevée dans un arbitrage et se rapportant à l'existence d'un accord-cadre, à l'identité des parties qu'il lie ou à son application à un secteur donné ou à une personne doit être déférée au Tribunal par l'arbitre ou le conseil d'arbitrage pour instruction et décision. [Nous soulignons]

[5] Après avoir reçu la lettre de l'arbitre David H. Kates, le Tribunal a demandé que les parties présentent des observations écrites exposant leurs positions respectives. Chaque partie a ensuite eu la possibilité de répondre aux observations de l'autre. Equity a aussi fourni une bande vidéo montée montrant la Cérémonie d'ouverture. Le Tribunal a examiné les documents et il a conclu qu'il disposait de renseignements suffisants pour rendre sa décision sans tenir d'audience orale. La formation du Tribunal s'est réunie le 16 janvier et le 20 février 2004.

[6] Afin de décider si l'accord-cadre conclu par les parties s'applique à Dominic Girard, le Tribunal doit se prononcer sur les questions suivantes :

  1. Dominic Girard est-il un « artiste » au sens de l'alinéa 6(2)b) de la Loi sur le statut de l'artiste?

  2. La fonction d'animateur est-elle visée par l'ordonnance d'accréditation d'Equity?

Principaux arguments avancés par les parties

[7] La CCN soutient que le rôle d'animateur n'est pas visé par le certificat d'Equity, car les fonctions énumérées dans la définition du secteur se rapportent aux œuvres de création ou elles contribuent directement à la production d'œuvres de création, comme l'envisage l'ensemble de la Loi. De plus, ces fonctions sont exercées dans le cadre d'une « œuvre théâtrale, d'opéra, de ballet, de danse, un salon industriel, cabaret ou concert ...» et le rôle d'un animateur ne fait pas partie intégrante d'un tel spectacle en direct. Les animateurs ne sont pas engagés pour mettre en œuvre la vision artistique du réalisateur, ou pour former ou affiner une production artistique. De plus, les animateurs ne sont pas spécifiquement mentionnés dans la décision  010.

[8] La CCN signale que la formulation de l'alinéa 6(2)b) de la Loi met l'accent sur l'exigence suivante : l'entrepreneur indépendant doit jouer un rôle dans une œuvre de création et on ne saurait soutenir que M. Girard a joué un rôle semblable au cours de la Cérémonie d'ouverture officielle. La bande vidéo montre clairement que M. Girard ne « représentait  » pas une œuvre ou un numéro au sens de l'alinéa 6(2)b) de la Loi.

[9] Equity est d'avis que M. Girard était tenu de « représenter » une œuvre ou un numéro, que ses prestations ont été communiquées au public contre rémunération et que, en qualité de membre d'Equity, il a reçu d'autres artistes des témoignages de reconnaissance de son statut, comme le prévoient l'article 5, le sous-alinéa 6(2)b)(ii), et l'alinéa 18b) de la Loi. De plus, l'utilisation d'un texte comme « représentent, (...), jouent, (...) de quelque manière que ce soit ...», qui figure au sous-alinéa 6(2)b)(ii), montre l'intention du législateur de voir la Loi s'appliquer à une large définition des fonctions remplies par les artistes. M. Girard a contribué directement à la production d'une œuvre de création. La bande vidéo montre que le rôle de M. Girard a été le fil conducteur qui a donné son unité à la production. L'acteur engagé en qualité d'animateur contribue clairement à donner sa forme à la production et à l'affiner.

[10] La CCN conteste la prétention d'Equity, selon laquelle le rôle d'animateur est englobé par le terme « acteur », car c'est contraire aux caractéristiques du rôle d'acteur tel qu'on l'entend traditionnellement. Elle est plutôt d'avis qu'un acteur est une personne dont les services sont retenus pour interpréter un personnage dans les productions théâtrales. Par animateur, on entend généralement la personne qui joue le rôle de présentateur ou de coordonnateur d'une activité. On rattache souvent aussi ce terme au rôle de l'« hôte sympathique » qui a la responsabilité de faire en sorte que l'activité se déroule sans accroc et que les participants sont présentés de manière élogieuse et professionnelle. La personne engagée se présente au public sous son vrai nom et elle est chargée, notamment, de remercier les commanditaires, de lire des annonces et de présenter les numéros. En ce qui concerne M. Girard, il était conscient de l'importance de ne pas s'écarter de son texte afin de garantir que les messages de l'organisation étaient bien transmis au public. La CCN ne voulait pas que M. Girard fasse appel à ses talents d'acteur afin de créer un personnage ou qu'il donne une interprétation personnelle à un texte.

[11] Selon la CCN, les personnes qui offrent leurs services en qualité d'animateurs ne proviennent que rarement du milieu des acteurs. Ils sont souvent connus comme animateurs de réceptions et de banquets ou ils jouent parfois le rôle de disk-jockey. Des enseignants, des humoristes et des organisateurs d'événements ont été engagés par la CCN pour animer d'autres activités. Des acteurs ont aussi été engagés pour leur personnalité sympathique ou leur capacité à exécuter sans accroc la tâche consistant à présenter les artistes ou les dignitaires. Cependant, il serait réducteur pour la profession d'acteur d'y assimiler les fonctions d'animateur.

[12] Equity prétend que si l'« animateur » n'est pas précisément mentionné dans la décision  010, c'est parce que les parties considéraient qu'il s'agissait d'un rôle, et non pas d'une fonction indépendante. S'il peut y avoir des animateurs lors d'événements mondains, la Cérémonie d'ouverture officielle de Bal de Neige était une production entrant dans le champ visé par la Loi et le rôle d'animateur exigeait le talent d'un acteur pour donner à cette manifestation la dimension d'une production artistique, et non celle d'une simple réception mondaine privée. La profession de l'animateur n'est pas pertinente, car de nombreux artistes ont d'autres occupations.

[13] Equity soutient que son secteur englobe les artistes qui sont engagés pour remplir les fonctions d'animateur, un rôle pour lequel des artistes sont engagés dans certains genres de productions. Il ne s'agit pas d'un rôle indépendant. Les artistes remplissent les fonctions d'acteur. Equity prétend aussi que l'énumération qui suit le titre d'acteur dans l'ordonnance d'accréditation n'est pas exhaustive.

[14] Les deux parties ont fait état de leurs arguments concernant l'historique des relations professionnelles et la communauté d'intérêts des artistes en cause. La CCN a signalé que, traditionnellement, Equity n'a pas représenté les animateurs puisque habituellement ces personnes ne sont pas membres d'une organisation, même si certains d'entre eux peuvent appartenir à l'Association des Toastmasters. Le fait qu'une personne engagée pour être animateur est membre d'Equity ne signifie pas que cette fonction relève désormais de la compétence de cette association. La fonction d'animateur s'apparente à celle de l'organisateur de tournées lorsqu'un membre d'Equity comble ce poste sans qu'on ne le considère comme étant inclus dans la définition du secteur.

[15] De plus, la CCN prétend qu'il n'existe pas chez les animateurs une communauté d'intérêts avec les autres artistes dans le secteur. Ils ne sont pas engagés pour leurs talents d'acteurs et ils ne créent pas un personnage. M. Girard n'a pas été appelé à faire preuve de ses talents d'acteur dans son rôle d'animateur. Il a montré qu'il avait des habiletés comme une belle prestance et la capacité de présenter les différentes productions artistiques faisant partie de l'événement.

[16] Equity soutient que, dans le passé, les artistes engagés pour jouer le rôle d'animateur par d'autres producteurs ont été assujettis à des accords-cadres et qu'ils ont travaillé sous le régime de contrats Equity dont copies de certains de ces contrats ont été inclus avec leurs documents. Les artistes jouant le rôle d'animateur font appel à leur talents d'acteurs. Dans la bande vidéo produite en preuve, il est clair que M. Girard a été engagé par la CCN précisément pour ses talents d'acteur. Son rôle était de distraire le public comme l'aurait fait un humoriste avec des réparties rapides, son expression artistique et sa capacité d'improviser. Il est clair que les artistes engagés comme animateurs ont une communauté d'intérêts avec les artistes visés par l'ordonnance d'accréditation et les accords-cadres d'Equity. Lorsqu'il joue le rôle d'animateur, l'artiste doit montrer ses talents d'acteur; il ne doit pas seulement lire un discours ou une liste de présentation.

[17] En ce qui a trait aux contrats déposés par Equity, la CCN soutient que l'on ne sait pas si les organisations concernées étaient prêtes à satisfaire à la demande d'un entrepreneur indépendant en particulier, ou d'Equity pour faire en sorte qu'un contrat vise un engagement pour des raisons n'ayant aucun rapport avec l'application du secteur. De même, l'on ne sait pas si l'une de ces personnes a été appelée à « représenter » une œuvre ou un numéro d'une manière qui va au-delà du rôle traditionnel d'un animateur.

Question 1 : Dominic Girard est-il est un artiste au sens de l'alinéa 6(2)b) de la Loi sur le statut de l'artiste?

[18] Les dispositions législatives suivantes sont pertinentes au règlement de la première question :

6(2) La présente partie s'applique :

[...]

b) aux entrepreneurs indépendants professionnels  – déterminés conformément à l'alinéa 18b) :

  1. qui sont des auteurs d'œuvres artistiques, littéraires, dramatiques ou musicales au sens de la Loi sur le droit d'auteur, ou des réalisateurs d'œuvres audiovisuelles,
  2. qui représentent, chantent, récitent, déclament, jouent, dirigent ou exécutent de quelque manière que ce soit une œuvre littéraire, musicale ou dramatique ou un numéro de mime, de variétés, de cirque ou de marionnettes,
  3. qui, faisant partie de catégories professionnelles établies par règlement, participent à la création dans les domaines suivants : arts de la scène, musique, danse et variétés, cinéma, radio et télévision, enregistrements sonores, vidéo et doublage, réclame publicitaire, métiers d'art et arts visuels.

[...]

18. Le Tribunal tient compte, pour toute question liée :

[...]

b) à la détermination du caractère professionnel de l'activité d'un entrepreneur indépendant – pour l'application de l'alinéa 6(2)b) –, du fait que ses prestations sont communiquées au public contre rémunération et qu'il a reçu d'autres artistes des témoignages de reconnaissance de son statut, qu'il est en voie de devenir un artiste selon les usages du milieu ou qu'il est membre d'une association d'artistes.

[19] Dans ses observations, la CCN a signalé que, outre les acteurs, elle engage souvent des enseignants, des humoristes et des organisateurs d'événements comme animateurs pour les spectacles qu'elle organise. Il a lieu de noter que toutes les personnes engagées par un producteur fédéral pour participer à une production ne sont pas nécessairement des « artistes » aux fins de la Loi sur le statut de l'artiste. Ce texte législatif s'applique « aux entrepreneurs indépendants professionnels – déterminés conformément à l'alinéa 18b) [...] ». (Nous soulignons.) La personne dont l'occupation principale est, par exemple, l'enseignement ou l'organisation d'événements est peu susceptible d'être considérée comme « professionnelle » sous le régime de la loi, à moins qu'elle ne satisfasse à un des critères énoncés à l'alinéa 18b) de la Loi, cité ci-dessus.

[20] En l'espèce, les parties s'entendent sur le fait que M. Girard est un entrepreneur indépendant, qu'il est un acteur professionnel et qu'il est membre d'Equity. Bien que la qualité de membre d'une association d'artistes n'est pas un facteur déterminant, elle constitue toutefois une indication que l'intéressé a atteint le statut professionnel correspondant aux fins de l'alinéa 18b) de la Loi. Par conséquent, le Tribunal conclut que M. Girard est un artiste au sens de l'alinéa 6(2)b) de la Loi.

Question 2 : Le rôle d'animateur est-il visé par l'ordonnance d'accréditation d'Equity?

[21] Pour déterminer si un artiste est visé par un accord-cadre, le Tribunal doit surtout porter son attention sur les « fonctions » remplies par l'artiste compte tenu de la portée prévue de l'ordonnance d'accréditation. Comme le Tribunal l'a signalé dans Concernant la demande d'accréditation de l'Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec et al., 1997 TCRRAP 024, au par. 40, « [...] le titre attribué à une personne ne détermine pas nécessairement dans quel secteur sera la personne; il faut plutôt se tourner vers les fonctions qu'elle exerce.[...]  ». Par conséquent, il ne serait pas indiqué de conclure que les animateurs ne sont pas visés par l'ordonnance d'accréditation d'Equity au motif que ce titre ne fait pas partie des fonctions ou des occupations qui y sont énumérées.

[22] L'ordonnance d'accréditation d'Equity peut se résumer de la manière suivante : un secteur composé d'acteurs, de chanteurs, de danseurs, de régisseurs de production, de régisseurs, d'assistants régisseurs, de régisseurs stagiaires, de metteurs en scène, d'assistants metteurs en scène, de chorégraphes de combat, de coordonnateurs de combat, de chorégraphes, d'assistants chorégraphes, de coordonnateurs de danse, de maîtres et maîtresses de ballet, de chorégraphes attitrés, de répétiteurs qui participent à une œuvre théâtrale, d'opéra, de ballet, de danse, un salon industriel, cabaret ou concert que la représentation ait lieu dans un théâtre ou ailleurs. La définition du secteur montre clairement que l'ordonnance d'accréditation est censée viser les personnes qui « représentent » ou qui « dirigent » d'une quelconque manière une œuvre ou un numéro dans des spectacles présentés en direct, sous réserve des exclusions concernant l'American Federation of Musicians of the United States and Canada et l'Union des artistes (« UDA »).

[23] L'accord-cadre pertinent, le Events Agreement de la Commission de la capitale nationale (« l'Accord »), semble avoir été négocié pour viser un certain nombres d'événements organisés par la CCN, et il ne concerne pas seulement l'événement en question. À l'article 10.02, l'Accord prévoit les honoraires minimums qui doivent être payés et le genre d'artistes qui sont visés, notamment les artistes interprètes, les régisseurs de production, les metteurs en scène et les chorégraphes. Aucun de ces termes n'est défini dans l'Accord.

[24] Equity soutient que M. Girard jouait un rôle et qu'il devait distraire un public, tout comme un humoriste, par des réparties rapides, son expression artistique et l'improvisation. De même, Equity a déclaré que le rôle de M. Girard a été « le fil conducteur qui a donné son unité à la production  ». La CCN conteste ce point de vue et prétend que, en qualité d'animateur, il a été présenté au public sous son vrai nom et diverses tâches lui ont été attribuées, notamment s'assurer que la manifestation se déroule sans accroc et que les participants sont présentés de manière élogieuse et professionnelle. De plus, il ne devait pas s'écarter de son texte, car il devait s'assurer que les messages de la CCN étaient transmis au public.

[25] Le Tribunal a visionné la bande vidéo montée de la prestation de M. Girard. Nous remarquons que M. Girard a été appelé par son nom et qu'il ne portait pas de costume particulier, à part une veste d'hiver car l'activité s'est déroulée à l'extérieur. Les cérémonies ont commencé avec des discours prononcés par des personnalités locales présentées par un employé de la CCN et un journaliste local. M. Girard a ensuite été présenté au public et la partie spectacle de la soirée a commencé. M. Girard a donné le ton en accueillant avec enthousiasme le public ainsi que les invités spéciaux des organismes promoteurs, la CCN et CJOH, une station de télévision locale. Même si M. Girard s'est servi d'un texte, il est clair qu'il était très à l'aise dans le rôle d'animateur. Non seulement a-t-il accueilli et remercié les différents artistes et assuré le respect de l'horaire du programme, mais il a aussi comblé les temps morts avec des mots d'esprit. Il y a eu quelques pépins avec la coordination des feux d'artifice, et il a tué le temps en laissant le podium et en interagissant avec des individus dans l'auditoire. Il s'est montré chaleureux et le spectacle s'est déroulé rondement en dépit des quelques pépins.

[26] Dans ses observations, la CCN a fourni des informations au sujet du travail d'acteur et celui d'animateur. En voici certains extraits pertinents :

[Traduction]
Du Canadian Oxford Dictionary :
Acteur : 1 personne qui joue un rôle dans une pièce de théâtre, un fil, etc. 2 personne dont la profession est de jouer ce genre de rôle 3 personne qualifiée pour interpréter un personnage dans une production théâtrale [...]

Du Oxford Companion to the Theatre :
Acteur, actrice, jouer : [...] Reste que le vrai acteur doit encore un peu toucher à tout- chanteur, danseur, mime, acrobate, tragédien, humoriste – et bien paraître, avoir une bonne mémoire, être alerte, avoir une voix claire et portante, être souple et bien contrôler sa respiration [...]

De Toastmasters International :
[...]Pour être un bon animateur, il faut de la préparation, une personnalité sympathique et une capacité d'improvisation au besoin; le succès de l'événement en dépend.

[...]

  1. En qualité d'animateur, vous êtes chargé de présenter chaque orateur et les autres personnes qui jouent un rôle dans le programme de l'événement. Une bonne présentation est importante pour le succès de l'exposé de l'orateur; vous devez donc préparer, avant l'événement, une bonne présentation, pour tous les orateurs principaux. Plus la personne a un rôle important, plus longue doit être votre présentation.

  2. Lorsque vous avez terminé votre présentation de l'orateur, vous invitez le public à applaudir, et vous continuez à applaudir jusqu'à ce qu'il arrive au podium.

  3. L'animateur sert de « chronométreur  » informel de l'orateur. Si celui-ci dépasse le temps qui lui est imparti, vous pouvez lui remettre discrètement une note pour lui demander de bien vouloir terminer rapidement.

  4. Lorsque l'orateur a terminé son exposé, invitez le public à applaudir jusqu'à ce que l'orateur soit retourné à sa place.

  5. Avant de passer à la partie suivante du programme, il convient de remercier l'orateur pour son exposé. Si possible, mentionnez un aspect de la causerie que vous avez trouvé particulièrement important ou émouvant (vous montrez ainsi que vous avez été attentif et vous confirmez l'intérêt de l'exposé de l'orateur).

[...]

Un talent essentiel pour l'animateur est la capacité de faire des commentaires qui constituent une « transition  » entre les différentes parties de la réunion. Essayez de préparer à l'avance des remarques qui pourraient servir à faire la transition entre les différentes parties ou des commentaires ou anecdotes qui pourraient être utilisés en cas de retard ou d'interruption dans le programme. [...]

[27] Si l'on ne peut dire que M. Girard a incarné un personnage, ou qu'il a contribué à la conception de la production, il n'en reste pas moins qu'il a distrait le public avec le comique de ses réparties et son improvisation, des talents essentiels pour les artistes de spectacle en général. Il ne s'agissait pas d'un événement mondain privé ou d'une conférence, mais d'un spectacle important où des artistes bien connus se sont produits. La CCN a déclaré qu'elle n'avait pas engagé M. Girard pour ses talents d'acteur, mais plutôt pour son caractère et sa personnalité sympathique. Nous convenons volontiers qu'il n'est pas essentiel qu'un animateur soit un acteur ou quelqu'un ayant reçu une formation professionnelle; cependant, nous ne pouvons souscrire à l'idée qu'une personne sans aucune expérience pourrait s'acquitter du rôle d'animateur en ce qui concerne ce genre de production. Nous sommes d'avis que M. Girard a été tenu de « représenter » une œuvre au sens du sous-alinéa 6(2)b)(ii) de la Loi.

[28] Tel que mentionné ci-dessus, la bande vidéo montre clairement que M. Girard était d'un naturel sympathique, qu'il présentait les artistes comme il convenait, qu'il était capable, par ses interventions, de faire la transition d'une partie du spectacle à la suivante et de réagir aux événements imprévus. Il avait un texte car la CCN voulait être certaine « que les messages de l'organisation étaient bien transmis au public » bien qu'on ait eu l'impression à plusieurs moments qu'il improvisait.

[29] Nous devons maintenant déterminer si le libellé de l'ordonnance d'accréditation d'Equity est suffisamment large pour englober les artistes qui se produisent de cette manière.

[30] L'ordonnance d'accréditation de l'UDA, une association dont le secteur reflète en partie, hormis dans un contexte linguistique différent, la compétence d'Equity, ne comprend en fait que deux titres de poste – les chorégraphes et les artistes interprètes (supra, aux par. 131 et 132). L'ordonnance d'accréditation se lit comme suit :

[...] un secteur qui comprend tous les chorégraphes et artistes interprètes qui sont des entrepreneurs indépendants engagés par un producteur visé par la Loi sur le statut de l'artiste dans l'ensemble du Canada, qui chorégraphient, représentent, chantent, récitent, déclament, jouent ou exécutent de quelque manière que ce soit une œuvre littéraire, musicale ou dramatique ou un numéro de mime, de variétés, de cirque ou de marionnettes :

  1. diffusée, présentée ou exécutée au Québec;
  2. diffusée, présentée ou exécutée au Canada, ailleurs qu'au Québec et destinée à un public d'expression française, [...]

Eu égard à la formulation bien particulière de cette ordonnance d'accréditation, elle pourrait éventuellement viser de nombreux genres d'artistes interprètes ayant différents titres de poste. Bien entendu, seuls les artistes qui satisfont aux critères énoncés à l'alinéa 18b) de la Loi seraient inclus dans le secteur.

[31] L'ordonnance d'accréditation d'Équity n'est pas formulée de la même manière. Certaines fonctions ou titres de poste comme « acteur » sont suivis d'une énumération (p. ex., acteurs principaux, choristes, mimes, narrateurs, etc.). Cependant, nous constatons dans la décision  010, au paragraphe 2, que le secteur qu'Equity voulait représenter au départ était formulé de manière différente. Voici le texte de l'avis public :

[...] un secteur composé d'artistes qui participent à la préparation et à la présentation d'œuvres théâtrales et de spectacles de variété en direct, à l'exclusion du secteur pour lequel la Canadian Actors' Equity Association reconnaît la compétence de l'Union des Artistes à l'égard de ce secteur en vertu d'une entente entre les deux syndicats.

[32] De plus, l'extrait suivant du paragraphe 8 de la décision  010 est aussi pertinent :

Au cours de l'audience, la requérante a fourni des détails supplémentaires au Tribunal sur les catégories professionnelles précises d'artistes qu'elle souhaitait inclure dans le secteur. Voici la liste de ces catégories :

  1. pour le théâtre, les acteurs (notamment les acteurs principaux, choristes, compagnons, acteurs stagiaires, chanteurs, danseurs, mimes, narrateurs, main d'œuvre locale, remplaçants/doublures et figurants, régisseurs de production, régisseurs, assistants régisseurs, régisseurs de production stagiaires, metteurs en scène, assistants metteurs en scène, chorégraphes, assistants chorégraphes, coordinateurs de danse, chorégraphes et chorégraphes de combats;
  2. pour l'opéra, les chanteurs, danseurs, acteurs (notamment les solistes, artistes, ensembles d'artistes en atelier, choristes, stagiaires, doublures/remplaçants et figurants), metteurs en scène, assistants metteurs en scène, maîtres et maîtresses de ballet, régisseurs de production, régisseurs, assistants régisseurs, chorégraphes, assistants chorégraphes et chorégraphes de combats;
  3. pour le ballet, les danseurs, narrateurs, artistes invités, main d'œuvre locale, employés de relève, doublures/remplaçants, élèves stagiaires, danseurs stagiaires, chorégraphes, régisseurs, assistants régisseurs, maîtres et maîtresses de ballet, chorégraphes attitrés, répétiteurs.

[33] À la lecture de ces extraits, il est clair qu'Equity voulait représenter un éventail d'artistes interprètes présentant des œuvres théâtrales et des spectacles de variétés. Tel que mentionné au paragraphe 8, cité ci-dessus, Equity a fourni au Tribunal une liste de classifications professionnelles précises des artistes interprètes lors de l'audience d'accréditation. Dans ses motifs de décision, le Tribunal a décidé d'inclure ces classifications professionnelles plus descriptives dans l'ordonnance d'accréditation plutôt que le libellé plus général qui avait paru dans l'avis public. Il y a lieu toutefois de noter que, dans les deux cas, tous ces artistes sont engagés pour des activités définies au sous-alinéa 6(2)b)(ii) de la Loi. Nous sommes d'avis que c'est une indication que la portée du secteur d'Equity est peut être plus large que les fonctions énumérées dans l'ordonnance d'accréditation finale.

[34] L'énumération suivant le terme « acteur » dans la version actuelle de l'ordonnance d'accréditation comprend, par exemple, les « mimes  » et les « narrateurs ». Si ces fonctions peuvent exiger les mêmes talents que ceux d'un acteur, les personnes qui exercent ces professions ne sont peut être pas des « acteurs » au sens strict du terme. Cependant, ils sont des artistes interprètes. Selon Equity, M. Girard avait pour rôle de « distraire le public, à peu près comme l'aurait fait un humoriste, avec des réparties bien rapides, son expression artistique et sa capacité d'improviser ». Le titre de poste « humoriste » ne figure pas dans l'ordonnance d'accréditation d'Equity. Là encore, ces personnes et la communauté des artistes ne les considèrent peut-être pas comme des acteurs, mais personne ne nierait qu'ils sont des artistes interprètes. Selon nous, il s'agit d'une autre indication que la liste de fonctions énumérées n'est pas exhaustive.

[35] La CCN a soutenu que les animateurs ne partagent pas de communauté d'intérêts avec les artistes appartenant au secteur d'Equity. Nous admettons volontiers que les personnes engagées pour jouer le rôle d'animateur pour réceptions ou banquets lors d'une conférence ou d'un événement mondain n'ont pas forcément de communauté d'intérêts avec les artistes représentés par Equity. Comme nous l'avons observé au paragraphe 19 ci-dessus, nous avons déjà signalé que la Loi s'applique aux artistes réputés être des « professionnels » au sens de l'alinéa 18b) de la Loi et nous avons conclu que M. Girard tombe manifestement dans cette catégorie. Par conséquent, nous sommes d'avis que les animateurs et les autres artistes compris dans le secteur représenté par Equity partagent une communauté d'intérêts.

Décision

[36] Ayant déterminé que la liste de fonctions énumérées dans l'ordonnance d'accréditation d'Equity n'est pas exhaustive, que M. Girard est un artiste professionnel indépendant, appelé à représenter de quelque manière une œuvre ou un numéro dans un spectacle de variétés en direct, le Tribunal juge que la fonction d'animateur est incluse dans l'ordonnance d'accréditation d'Equity et que, par conséquent, Dominic Girard est un artiste visé par l'accord-cadre conclu entre la CCN et Equity.

Ottawa, le 1 avril 2004

John M. Moreau
Président de séance

Moka Case
Membre

Lyse Lemieux
Membre

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