Loi sur le statut de l'artiste

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Décision no 038

Décisions du Tribunal

Ottawa, le 8 avril 2002 Dossier No : 1330-01-003


Dans l'affaire d'une plainte déposée par M. Patrick Christopher contre la Canadian Actors' Equity Association et Mme Susan Wallace


Décision du Tribunal

L'objection préliminaire concernant la compétence constitutionnelle du Tribunal est accueillie. La plainte est rejetée pour absence de compétence.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario)

Date de l'audience : Le 7 mars 2002

Quorum: David P. Silcox, président Marie Senécal-Tremblay, membre
John M. Moreau, membre


Motifs de décision

1330-01-003 : Dans l'affaire de la plainte déposée par M. Patrick Christopher contre la Canadian Actors' Equity Association et Mme Susan Wallace


Contexte

[1] La présente décision porte sur une objection préliminaire soulevée dans le cadre d'une plainte soumise au Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs conformément à l'article 53 de la Loi sur le statut de l'artiste (« la Loi ») par M. Patrick Christopher (« M. Christopher »), ancien membre de la Canadian Actors' Equity Association (« Equity »), contre Equity et Mme Susan Wallace, directrice exécutive de cette association (« les intimées »).

[2] Equity est une association d'artistes qui a été accréditée par le Tribunal pour représenter des artistes des arts de la scène qui se produisent en direct, tel que défini dans la décision Canadian Actors' Equity Association, 1996 TCRPAP 010.

[3] M. Christopher est le directeur artistique de Shakespeare by the Sea (« SBTS »), une compagnie de théâtre locale située à Halifax (Nouvelle-Écosse). Il a été l'objet d'une plainte officielle déposée par un acteur anciennement à l'emploi de la SBTS et par Equity pour son propre compte, conformément aux statuts et règlements d'Equity. Il est allégué dans cette plainte que M. Christopher a contrevenu aux règles d'Equity concernant le comportement professionnel de ses membres.

[4] À la suite de l'audience de cette plainte officielle, M. Christopher a été expulsé d'Equity, le comité d'audition ayant conclu qu'il avait de fait contrevenu aux statuts et règlements de l'association. M. Christopher a interjeté appel de cette décision auprès du Conseil national d'Equity, mais son appel a été rejeté.

[5] M. Christopher allègue que les intimées ont, dans le cadre de l'examen de la plainte officielle, appliqué les statuts et règlements d'Equity d'une manière qui va à l'encontre des principes de justice naturelle de sorte qu'ils ont violé l'article 35 de la Loi concernant le devoir de juste représentation d'une association d'artistes et l'alinéa 51d) de la Loi concernant l'obligation pour une association d'artistes de ne pas appliquer d'une manière discriminatoire ses normes de discipline à un artiste. Comme objection préliminaire, les intimées soutiennent que le Tribunal n'a pas la compétence constitutionnelle nécessaire pour instruire la plainte.

[6] Le Tribunal a informé les parties qu'il désirait rendre une décision sur l'objection préliminaire en se fondant sur leurs observations écrites à moins qu'elles ne fournissent un motif impérieux justifiant la tenue d'une audience orale. Le Tribunal a donné aux parties l'occasion de soumettre des observations écrites additionnelles concernant l'objection préliminaire. Les parties n'ont pas demandé la tenue d'une audience orale et aucune d'elles n'a déposé d'observations additionnelles. En conséquence, le Tribunal a procédé à l'examen de la question constitutionnelle en se fondant sur les documents déjà déposés par les parties.

[7] Comme l'objection préliminaire concernait une question constitutionnelle, les intimées ont signifié un avis de leur objection au procureur général du Canada et à ceux des provinces conformément à l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale (L.R.C. 1985, ch. F-7). Le Tribunal a informé les procureurs généraux qu'il avait l'intention de trancher la question en se fondant sur des observations écrites et il a demandé que toutes les observations, le cas échéant, soient déposées au plus tard le 26 février 2002. Le Tribunal n'a reçu aucune observation des procureurs généraux.

Arguments des intimées

[8] Les intimées soutiennent que, bien qu'Equity soit une association accréditée en vertu de la Loi pour représenter des artistes dans le cadre de leurs relations professionnelles avec les producteurs qui y sont assujettis, jamais pendant toute la période pertinente, le plaignant n'a été engagé par un de ces producteurs.

[9] Les intimées soutiennent également que les événements pertinents qui constituent l'objet de la plainte font tous partie d'une procédure interne d'Equity. De plus, comme Equity est une association libre qui exerce ses activités en vertu d'un contrat d'adhésion et qu'elle n'a de lien avec aucune des catégories de sujets assujettis aux pouvoirs fédéraux figurant sur la liste mentionnée à l'article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Victoria, ch.3 (R.-U.), ses activités relèvent donc exclusivement de la compétence provinciale. En outre, les événements qui ont mené à la décision d'expulser M. Christopher d'Equity se sont tous produits au cours de la saison artistique de la SBTS, une compagnie de théâtre locale. Par conséquent, il ne peut y avoir de réglementation fédérale des activités, de l'organisation ou des relations de travail de la SBTS.

[10] Selon les intimées, le seul motif qui semble justifier que le Tribunal entende la plainte découle de l'accréditation d'Equity en vertu de la Loi. Ils prétendent que cette accréditation ne suffit pas pour garantir la compétence fédérale à l'égard de la présente plainte puisque Equity et la SBTS ne relèvent pas de l'autorité législative du Parlement du Canada.

[11] En l'absence d'un lien avec une entreprise fédérale, les intimées soutiennent que « la réglementation du contrat d'emploi ou d'autres formes de contrat privé relève exclusivement de la législature provinciale » et que, « toute tentative en vue d'étendre la portée de la législation visant les relations contractuelles privées comme celles qui existent entre les membres d'Equity est au delà des limites des pouvoirs du parlement. » À l'appui de leur argument, les intimées citent la décision du Conseil canadien des relations du travail dans l'affaire Finn et al. c.la Fraternité canadienne des cheminots, employés des transports et autres ouvriers (1982) 47 di 49.

Arguments du plaignant

[12] Dans sa réponse à l'objection des intimées, M. Christopher affirme que l'absence de texte législatif semblable à la Loi sur le statut de l'artiste en Nouvelle-Écosse accorde au Tribunal le pouvoir discrétionnaire d'accepter la compétence pour entendre et trancher cette plainte. À son avis, « il est généralement admis que la compétence applicable [dans le cas d'Equity] est fédérale plutôt que provinciale. »

[13] M. Christopher affirme aussi que la décision du Conseil canadien des relations du travail dans l'affaire Finn, précitée, ne s'applique pas en l'espèce puisqu'elle a été rendue par un tribunal différent et concerne une plainte déposée par un membre contre un syndicat plutôt que contre une organisation libre comme c'est le cas en l'espèce.

[14] M. Christopher soutient de plus que l'un des objectifs de la procédure d'accréditation en vertu de la Loi doit être d'établir une « structure de responsabilisation pour garantir que les organisations accréditées [...] mettent en oeuvre leurs [statuts et] règlements et ententes de façon équitable. » Cette structure de responsabilisation constitue le seul moyen de dissuasion contre l'application arbitraire des règles de l'organisation contre ses membres. Il affirme de plus que, si l'objection préliminaire des intimées est accueillie, il n'a pas d'autre recours dans la présente affaire.

Question en litige

[15] L'objection préliminaire soulève la question suivante :

  1. Le Parlement fédéral peut-il adopter des lois qui régissent les relations entre une association d'artistes et l'un de ses membres, que l'artiste soit ou non engagé par un producteur assujetti à la Loi ?

Législation

[16] Les dispositions suivantes de la Loi sont pertinentes dans les circonstances actuelles :

6. [...]

(2) La présente partie s'applique:

  • a) aux institutions fédérales qui figurent à l'annexe I de la Loi sur l'accès à l'information ou à l'annexe de la Loi sur la protection des renseignements personnels, ou sont désignées par règlement, ainsi qu'aux entreprises de radiodiffusion - distribution et programmation comprises - relevant de la compétence du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes qui retiennent les services d'un ou plusieurs artistes en vue d'obtenir une prestation;

[...]

18. Le Tribunal tient compte, pour toute question liée :

  • a) à l'application de la présente partie, des principes applicables du droit du travail;

[...]

35. Il est interdit à l'association d'artistes, ainsi qu'à ses représentants, d'agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi à l'égard des artistes dans l'exercice des droits reconnus à ceux-ci par l'accord-cadre.

[...]

51. Il est interdit à toute association d'artistes accréditée et à quiconque agit pour son compte :

[...]

  • d) de prendre des mesures disciplinaires contre un artiste ou de lui imposer une sanction quelconque en lui appliquant d'une manière discriminatoire les normes de discipline de l'association;

53. [...]

(3) Le Tribunal instruit la plainte sauf s'il estime :

[...]

  • b) soit qu'elle n'est pas de sa compétence ou que le plaignant pourrait en saisir, aux termes d'un accord-cadre, un arbitre ou un conseil d'arbitrage.

[17] Les dispositions suivantes de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Victoria, ch.3 (R.-U.) (la « Loi constitutionnelle »), sont pertinentes dans les circonstances actuelles :

VI. Distribution des pouvoirs législatifs
Pouvoirs du Parlement

91. Il sera loisible à la Reine, de l'avis et du consentement du Sénat et de la Chambre des Communes, de faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada, relativement à toutes les matières ne tombant pas dans les catégories de sujets par la présente loi exclusivement assignés aux législatures des provinces; [...]

Pouvoirs exclusifs des législatures provinciales

92. Dans chaque province la législature pourra exclusivement faire des lois relatives aux matières tombant dans les catégories de sujets ci-dessous énumérés, savoir:

[...]

10. Les travaux et entreprises d'une nature locale, autres que ceux énumérés dans les catégories suivantes:

  • a) Lignes de bateaux à vapeur ou autres bâtiments, chemins de fer, canaux, télégraphes et autres travaux et entreprises reliant la province à une autre ou à d'autres provinces, ou s'étendant au-delà des limites de la province;

[...]

13. La propriété et les droits civils dans la province;

Analyse et conclusion

[18] Pour interpréter toute question qui découle de la Partie II de la Loi, le Tribunal se fonde sur les principes applicables du droit du travail (alinéa 18a) de la Loi). Un élément essentiel du droit du travail fédéral est le pouvoir législatif du Parlement dans ce domaine. À cet égard, le Tribunal fait siennes les déclarations du Conseil canadien des relations du travail, comme il s'appelait alors, dans l'affaire Finnet al. c. La Fraternité canadienne des cheminots, employés des transports et autres ouvriers (1982), 47 di 49, aux pages 63 et 64 :

Les praticiens des relations de travail sont par nature des gens pratiques et les subtilités du droit constitutionnel ne les ont habituellement pas détournés de leurs objectifs en matière de structures de négociation collective. (...) Des conseils des relations du travail assument parfois la compétence voulue quand personne ne s'oppose à l'accréditation ni à d'autres procédures. (...)

Toutefois, c'est sur les préceptes de ceux qui rendent les décisions judiciaires que doit se guider le présent Conseil, en définitive. C'est ce que nous avons dit dans une décision antérieure dont voici le passage en question:

« Les membres de conseils de relations de travail, qu'ils le soient à plein temps ou à temps partiel, et qu'ils fassent partie d'un conseil tripartite ou non représentatif, comme le présent Conseil, ne sont pas nommés en raison de leur compétence en matière de droit constitutionnel. Malgré tout, certains acquièrent de grandes connaissances dans ce domaine. (...) Ce que les conseils du travail cherchent souvent à trouver, c'est une solution «pratique» et «fonctionnelle». À cet égard, la décision sera orientée vers les relations de travail plutôt que centrée sur une sphère d'activité comme c'est le cas dans les Cours. Cela ne veut pas dire que les conseils ne se conforment pas aux décisions judiciaires. Ils le font même s'ils ne sont pas d'accord ou estiment qu'elles ont peu de sens sur le plan des relations du travail.»
(Northern Telecom Canada Limited, supra, pp. 76-77 et 150)

[19] L'article 35 et l'alinéa 51d) de la Loi régissent les relations entre une association d'artistes et ses membres. Les intimées soutiennent que puisqu'il n'existe pas de lien entre M. Christopher et un producteur assujetti à la Loi, le Tribunal n'a pas compétence à l'égard de cette plainte.

[20] La jurisprudence indique que les associations libres comme les syndicats et les associations d'artistes relèvent de la sphère de compétence provinciale conformément au paragraphe 92(13) de la Loi constitutionnelle - la propriété et les droits civils. Il est en général établi que la compétence provinciale découle du fait que ce sont les liens entre ses membres qui sont le fondement organisationnel des associations libres (voir Orchard c.Tunney, [1957] R.C.S. 436) et, en droit constitutionnel canadien, que « le droit des contrats relève principalement de la compétence provinciale à cause de la catégorie " la propriété et les droits civils dans la province "» [TRADUCTION](voir Hogg, P.W., Constitutional Law of Canada, 4th ed., looseleaf (Scarborough: Carswell, 1997) à la p. 21-21). En conséquence, comme les intimées l'ont affirmé, Equity est une organisation qui normalement relève de la compétence provinciale et un organisme fédéral comme le Tribunal n'a pas le pouvoir de prime abord de s'ingérer dans ses affaires internes.

[21] Cependant, le Parlement fédéral a le pouvoir de légiférer dans le domaine des relations de travail dans les cas où la loi régit la relation entre une personne et une entreprise fédérale. Pour être considérée comme une entreprise fédérale, les activités de l'entreprise doivent figurer dans l'une des catégories de sujets attribués à la sphère de compétence fédérale par l'article 91 de la Loi constitutionnelle.

[22] Le Parlement fédéral a sans aucun doute le pouvoir exclusif de réglementer les relations de travail dans le secteur public fédéral (voir l'affaire Canada (Procureur général) c. St. Hubert Base Teachers' Assn., [1983] 1 R.C.S. 498). En conséquence, la Loi peut régir les relations de travail entre les ministères et organismes fédéraux et les artistes tel que prévu à l'alinéa 6(2)a). La compétence du Parlement s'étend également aux entreprises de radiodiffusion comme il est précisé à l'alinéa 6(2)a) de la Loi, en vertu de son pouvoir en ce qui concerne la paix, l'ordre et le bon gouvernement (voir les premières lignes de l'article 91 de la Loi constitutionnelle) et de son pouvoir sur les entreprises interprovinciales conformément à l'alinéa 92(10)a) de la Loi constitutionnelle.

[23] La compétence du législateur fédéral de réglementer le domaine des relations de travail a été interprétée de manière à inclure des lois qui gouvernent la relation entre les syndicats et leurs membres. Tel qu'énoncé par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Le Syndicat international des débardeurs et magasiniers, section locale 502 c. Terrance John Matus et le Conseil canadien des relations du travail, [1982] 2 C.F. 549 (C.A.F.) au paragraphe 6 :

(...) Le pouvoir du Parlement dans le domaine des relations de travail ne se limite pas à la détermination directe des conditions de travail pour des personnes engagées dans le cas d'entreprises fédérales; il s'étend à l'adoption d'une législation appropriée pour élaborer [TRADUCTION] «un système de négociation collective et de dispositions légales portant sur le règlement des conflits en matière de relations de travail»(...). Les syndicats constituent un élément essentiel d'un tel système. Pour cette raison, le Parlement du Canada a, à mon avis, le pouvoir de légiférer pour faire en sorte que les personnes engagées dans le cadre d'entreprises fédérales ne soient pas injustement privées de leur droit d'adhérer au syndicat de leur choix. (...)

[24] Le pouvoir du législateur fédéral dans le domaine des relations de travail, en matière d'affaires internes des syndicats, dépend de l'existence d'un lien entre un employé, membre du syndicat, et une entreprise fédérale. En statuant sur le pouvoir du Parlement fédéral d'adopter des lois qui régissent la relation entre les syndicats et leurs membres, ce qui était alors le Conseil canadien des relations du travail a déclaré ce qui suit dans l'affaire Finn et al., précitée, aux pages 67 et 68 :

(...) Le pouvoir législatif du parlement comme il l'a exercé aux alinéas 185f) et g) se limite à l'aspect d'agent négociateur des syndicats qui représentent des personnes employées dans le cadre d'une entreprise, d'une affaire ou d'un ouvrage de compétence fédérale ou relativement à son exploitation, mais le Parlement ne détient aucune pouvoir spécial pour régir les affaires internes des syndicats comme telles.

[25] En conséquence, lorsqu'il n'y a aucun lien avec une entreprise fédérale, le Tribunal est avis que le législateur fédéral n'a pas le pouvoir d'adopter des lois qui régissent la relation entre les syndicats et leurs membres. Ce raisonnement s'appliquerait de la même façon à des associations d'artistes et à leurs membres en vertu de la Loi puisque le législateur ne peut pas légiférer sur des questions qui ne relèvent pas de sa compétence constitutionnelle. Dès que la question constitutionnelle est soulevée, le Tribunal doit déterminer s'il y a un lien entre M. Christopher et une entreprise fédérale en ce qui concerne l'article 35 ou l'alinéa 51d) de la Loi, ce qui, dans l'affirmative, lui accorderait la compétence nécessaire pour instruire la présente plainte.

Article 35 de la Loi

[26] L'article 35 de la Loi régit la relation entre une association d'artistes et les artistes qu'elle représente en vertu de son accréditation par le Tribunal. L'obligation qui en découle est souvent appelée le « devoir de juste représentation ». L'article se lit ainsi :

35. Il est interdit à l'association d'artistes, ainsi qu'à ses représentants, d'agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi à l'égard des artistes dans l'exercice des droits reconnus à ceux-ci par l'accord-cadre.

[27] La disposition correspondante du Code canadien du travail (L.R.C. 1985, ch. L-2) est l'article 37. Dans le cadre de l'interprétation d'une version antérieure de cet article, la Cour suprême du Canada a ainsi décrit le devoir de juste représentation dans l'affaire Guilde de la marine marchande du Canada, [1984] 1 R.C.S. 509 à la page 527 :

Le pouvoir exclusif reconnu à un syndicat d'agir à titre de porte-parole des employés faisant partie d'une unité de négociation comporte en contrepartie l'obligation de la part du syndicat d'une juste représentation de tous les salariés compris dans l'unité.

[28] Ce passage fait état de l'obligation d'un syndicat à l'égard des employés membres d'une unité de négociation. Cependant, tel que mentionné ci-dessus, l'alinéa 18a) enjoint le Tribunal de tenir compte des principes applicables du droit du travail lorsqu'il règle toute question liée à la Partie II de la Loi. En conséquence, cette description du devoir de juste représentation s'applique aussi aux associations d'artistes et aux artistes faisant partie du secteur de négociation que l'association représente en vertu de son accréditation.

[29] Tel qu'énoncé à l'article 35 de la Loi, l'obligation de l'association d'artistes à l'égard d'un artiste doit tenir compte des droits reconnus à celui-ci par l'accord-cadre. À cette disposition est incorporée un lien à une entreprise fédérale : l'existence d'un accord-cadre exécutoire en vertu de la Loi. Pour qu'un accord-cadre soit exécutoire en vertu de la Loi, l'une des parties à l'accord doit être un producteur assujetti à la Loi.

[30] Le Tribunal n'a été saisi d'aucune preuve établissant que M. Christopher était assujetti à un accord-cadre liant Equity et un producteur relevant de la compétence fédérale au moment où se sont déroulés les événements contestés. Par conséquent, le Tribunal doit conclure qu'il n'a pas compétence pour trancher la plainte en vertu de cet article.

Alinéa 51d) de la Loi

[31] L'alinéa 51d) accorde au Tribunal le pouvoir de surveiller les affaires internes des associations d'artistes; cependant, ce pouvoir est restreint en ce qu'il ne peut être invoqué qu'aux seules fins d'assurer que les associations d'artistes n'appliquent pas leurs normes de discipline d'une « manière discriminatoire ». Il dit ceci :

51. Il est interdit à toute association d'artistes accréditée et à quiconque agit pour son compte :

[...]

  • d) de prendre des mesures disciplinaires contre un artiste ou de lui imposer une sanction quelconque en lui appliquant d'une manière discriminatoire les normes de discipline de l'association.

[32] L'alinéa 51d) donne compétence au Tribunal relativement à une plainte si les parties sont une « association d'artistes accréditée » et un « artiste ». Cependant, tel que susmentionné, le pouvoir du parlement de légiférer sur des questions de cette nature dépend de l'existence d'un lien avec une entreprise fédérale, en l'espèce, un producteur assujetti à la Loi.

[33] En n'exigeant pas de façon explicite un lien avec une entreprise fédérale, l'alinéa 51d) de la Loi semble outrepasser la compétence du parlement dans le domaine des relations de travail. Les principes d'interprétation des lois, notamment la doctrine de l'« interprétation atténuée » en droit constitutionnel sont utiles pour interpréter cette disposition. Le professeur Hogg dans Constitutional Law of Canada, précité, définit ainsi cette doctrine aux pages 15-23 et 15-24 :

[Traduction]
La doctrine de l'« interprétation atténuée » exige que, chaque fois que c'est possible, une loi soit interprétée comme étant dans les limites du pouvoir de l'organe législatif qui l'a promulguée. En pratique, cela signifie que, dans une loi, le texte général qui, interprété littéralement, pourrait aller au-delà du pouvoir du parlement ou de la législature légiférante sera interprété plus étroitement de manière à ce qu'il reste dans les limites admissibles de ce pouvoir. L'interprétation atténuée est simplement un principe d'interprétation. Elle peut seulement être utilisée lorsque le texte de la loi supporte le sens restreint (valide) ainsi que le sens large (non valide); elle stipule alors qu'il faut choisir le sens restreint. (...) On dit parfois que l'interprétation atténuée dépend d'une présomption de constitutionnalité : on suppose que l'organe législatif légiférant a voulu adopter des dispositions qui ne dépassent pas les limites de ses pouvoirs constitutionnels; le texte général qui semble dépasser ces limites doit donc être interprété de façon atténuée de manière à rester dans les limites des pouvoirs définis.

[34] L'exigence voulant qu'un plaignant en vertu de l'alinéa 51d) ait un lien avec un producteur qui relève de la compétence fédérale est conforme à la doctrine mentionnée ci-dessus. Cette exigence est en outre appuyée par l'alinéa 6(2)a) de la Loi selon lequel la Partie II de la Loi, traitant des relations du travail, s'applique aux ministères et organismes du gouvernement fédéral et aux entreprises de radiodiffusion relevant de la compétence du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes.

[35] En l'espèce, il n'y a pas de preuve qu'il existe un lien entre M. Christopher et un producteur assujetti à la Loi. Par conséquent, en l'absence d'une telle preuve, le Tribunal n'a d'autre choix que de conclure qu'il n'a pas non plus la compétence constitutionnelle nécessaire pour instruire la plainte en vertu de l'alinéa 51d) de la Loi.

Décision

[36] Pour ces motifs, le Tribunal accueille l'objection préliminaire et rejette la plainte pour absence de compétence conformément à l'alinéa 53(3)b) de la Loi selon lequel le Tribunal ne doit pas instruire une plainte si celle-ci ne relève pas de sa compétence.

Ottawa, le 8 avril 2002

« David P. Silcox »

« Marie Senécal-Tremblay »

« John M. Moreau »

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