Loi sur le statut de l'artiste

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Décision no 034

Décisions du Tribunal

Ottawa, le 15 février 2001 Dossier No : 1310-96-0026A


Dans l'affaire de la demande d'accréditation présentée par le Regroupement de l'Association des professionneles et des professionnels de la vidéo du Québec (APVQ) et le Syndicat des techniciens du cinéma et de la vidéo du Québec (STCVQ)


Décision partielle du Tribunal

Le Tribunal déclare que Francine Bousquet et tous les avocats du cabinet Sauvé et Roy sont inhabiles à représenter l'APASQ dans le cadre de la demande d'accréditation du regroupement APVQ-STCVQ.

Lieu de l'audience : Ottawa (Ontario)

Date de l'audience : Le 15 février 2001

Décision rendue séance tenante, motifs à suivre.

Quorum: Robert Bouchard, président de séance David P. Silcox, member
Moka Case, membre


Motifs de décision

1310-96-0026A : Dans l'affaire de la demande d'accréditation présentée par le regroupement de l'Association des professionnelles et des professionnels de la vidéo du Québec (APVQ) et le Syndicat des techniciens du cinéma et de la vidéo du Québec (STCVQ)


Contexte

[1] La présente décision porte sur une demande de déclaration d'inhabileté, faite par le regroupement formé de l'Association des professionnelles et des professionnels de la vidéo du Québec (« APVQ ») et le Syndicat des techniciens du cinéma et de la vidéo du Québec (« STCVQ ») (ci-après « APVQ-STCVQ » ou « le regroupement »), et visant Mme Francine Bousquet et tous les avocats du cabinet Sauvé et Roy.

Prétentions des parties

Le regroupement

[2] Le regroupement allègue que Mme Bousquet et le cabinet Sauvé et Roy sont en conflits d'intérêts, relativement à leur mandat de représenter l'intervenante, l'Association des professionnels des arts de la scène du Québec (CSN) (« APASQ »). Cette allégation est basée sur le fait qu'entre 1996 et 1999, Mme Bousquet et Sauvé et Roy ont représenté l'APVQ dans le cadre de sa demande initiale d'accréditation. L'APVQ a continué d'être représentée par Sauvé et Roy jusqu'en 1999. Mme Bousquet a travaillé à l'étude Sauvé et Roy de 1989 à 1997 à titre d'avocate, et depuis, elle travaille pour la Fédération nationale des communications (« la FNC »), à titre de conseillère syndicale. Mme Bousquet a travaillé dans le dossier de l'APVQ entre 1997 et 1999, comme conseillère syndicale. Pendant ce temps, les avocats de Sauvé et Roy ont continué à représenter l'APVQ.

[3] En 1999, l'APVQ a transféré son dossier au cabinet Boivin Payette et a mis fin aux mandats de Sauvé et Roy et de Mme Bousquet. Par la suite, en 2000, l'APVQ, en regroupement avec le STCVQ, a déposé une demande d'accréditation modifiée.

L'APASQ, Mme Bousquet et Sauvé et Roy

[4] Me Éric Lévesque, du cabinet Sauvé et Roy, a fourni des observations au nom de l'APASQ, de Mme Bousquet et de Sauvé et Roy. Selon lui, ni Sauvé & Roy, ni Mme Bousquet n'ont agi à titre de procureurs de l'APVQ ou du regroupement devant le Tribunal et ne détiennent aucune information à caractère confidentielle concernant l'APVQ ou le regroupement dans le contexte de la présente affaire. Il soutient que, même si Sauvé et Roy et Mme Bousquet ont déjà été mandataires de l'APVQ, ils ne l'ont jamais été à l'égard du regroupement, donc il n'y a aucun lien antérieur entre eux et le regroupement. L'intérêt de l'APASQ ne va pas à l'encontre de celui du regroupement, donc il n'y a pas de « litige » qui oppose ces parties. La seule question qui pourrait les opposer est la question d'un chevauchement juridictionnel.

Réplique du regroupement

[5] Dans sa réplique, le regroupement soutient que la prétention de Sauvé et Roy selon laquelle ils n'ont jamais représenté le regroupement et qu'il n'y a donc aucun conflit d'intérêts est mal fondée : bien que l'APVQ ait formé un regroupement avec le STCVQ, elle demeure une entité distincte et elle est directement touchée par le conflit d'intérêts.

Questions soulevées

[6] La demande du regroupement soulève les deux questions suivantes :

  1. le Tribunal a-t-il le pouvoir de déclarer un représentant inhabile en raison d'un conflit d'intérêts?

  2. si oui, dans les circonstances, existe-il un conflit d'intérêts?

LOI SUR LE STATUT DE L'ARTISTE

[7] Les dispositions pertinentes aux questions sont les suivantes :

17. Le Tribunal peut, dans le cadre de toute affaire dont il est saisi :

  1. convoquer, d'office ou sur demande, toute personne dont il estime le témoignage nécessaire et la contraindre à comparaître et à déposer sous serment, oralement ou par écrit, ainsi qu'à produire les documents et pièces qu'il estime nécessaires pour mener à bien ses enquêtes et examens sur les questions de sa compétence;

  2. faire prêter serment et recevoir des affirmations solennelles;

  3. accepter sous serment, par voie d'affidavit ou sous une autre forme, tous témoignages et renseignements qu'il juge indiqués, qu'ils soient admissibles ou non en justice;

  4. examiner les éléments de preuve qui lui sont présentés sur l'adhésion des artistes à l'association sollicitant l'accréditation;

  5. examiner les documents constitutifs ou les statuts et règlements de l'association d'artistes, ainsi que tout document connexe émanant d'elle;

  6. procéder, s'il le juge nécessaire, à l'examen de dossiers ou registres et à la tenue d'enquêtes;

  7. obliger un producteur ou une association d'artistes à afficher, en permanence et aux endroits appropriés, les avis qu'il estime nécessaire de porter à l'attention des artistes sur toute question dont il est saisi;

  8. ordonner à tout moment, avant d'y apporter une conclusion définitive :

    1. que soit tenu un scrutin de représentation, ou un scrutin de représentation supplémentaire, chez les artistes en cause s'il estime qu'une telle mesure l'aiderait à trancher un point soulevé, ou susceptible de l'être, qu'un tel scrutin de représentation soit ou non prévu pour le cas dans la présente partie,
    2. que les bulletins de vote déposés au cours d'un scrutin de représentation soient conservés dans des urnes scellées et ne soient pas dépouillés sans son autorisation;
  9. déléguer les pouvoirs que lui confèrent les alinéas a) à h) en exigeant, éventuellement, un rapport de la part du délégataire;

  10. en suspendre ou remettre l'audition;

  11. abréger ou proroger les délais applicables à l'introduction de l'instance, à l'accomplissement d'un acte de procédure, au dépôt d'un document ou à la présentation d'éléments de preuve;

  12. modifier tout document produit ou en permettre la modification;

  13. mettre toute personne en cause à toute étape;

  14. arrêter les mesures de publicité à donner aux demandes présentées au titre de la présente partie;

  15. accorder des dépens;

  16. trancher toute question qui peut survenir, et notamment déterminer :

    1. si une personne est un producteur ou un artiste,
    2. si un artiste adhère à une association d'artistes ou est représenté par celle-ci,
    3. si une organisation est une association de producteurs, d'associations d'artistes ou d'artistes,
    4. si un groupe d'artistes constitue un secteur pouvant faire l'objet de négociations,
    5. si un accord-cadre a été conclu, est en vigueur et quelles sont ses dates de prise d'effet et d'expiration,
    6. si une personne ou une association est partie à un accord-cadre ou liée par celui-ci.

...

19. (3) Tous les intéressés peuvent, sur autorisation du Tribunal, intervenir dans les affaires dont il est saisi; quiconque comparaît devant lui peut le faire en personne ou en étant représenté par un avocat ou un mandataire.

Analyse et conclusions

Pouvoir du Tribunal

[8] Aucune objection n'a été soulevée à l'égard du pouvoir du Tribunal de déclarer un représentant inhabile. Le Tribunal s'est cependant penché sur cette question, afin de s'assurer qu'il a le pouvoir de le faire. L'article 17 de la Loi sur le statut de l'artiste énonce les pouvoirs du Tribunal dans le cadre des affaires dont il est saisi. Il n'y a rien dans cette disposition qui traite de la question qui nous intéresse en l'espèce. Cependant, le paragraphe 19(3) spécifie que « quiconque comparaît devant [le Tribunal] peut le faire [...] en étant représenté par un avocat ou un mandataire ». Dans l'affaire Booth c. Huxter (1994), 16 O.R. (3d) 528 (Div. Gén. Ont.), une disposition semblable dans la Loi sur les coroners de l'Ontario a été interprétée par la cour comme suit (à la p. 544) :

[traduction]
[...] le coroner avait la compétence en vertu de l'article 41 pour rendre des décisions sur les questions de conflits d'intérêts. Bien que cette disposition donne le droit à un intervenant d'être représenté par un avocat, je ne vois aucune raison pour laquelle elle devrait être interprétée de façon à inclure un avocat qui ne peut pas agir de manière professionnelle.

[9] Également, dans l'affaire Kirsch c. Royal Lepage Real Estate Services Ltd., [1993] B.C.C.H.R.D. no 32, le British Columbia Council of Human Rights a décidé qu'il avait le pouvoir d'exclure un avocat en raison d'un conflit d'intérêts, puisque les tribunaux administratifs ont un pouvoir « inhérent » de déterminer l'équité de leurs procédures et que ce pouvoir devait être exercé dans l'intérêt de la justice, l'équité et l'efficacité administrative.

[10] Le Tribunal considère que chacun de ces deux moyens, soit le paragraphe 19(3) ou un pouvoir accessoire, vient appuyer la conclusion relativement au pouvoir qu'il détient de rendre une déclaration d'inhabilité. Eu égard aux décisions Booth c. Huxter et Kirsch c. Royal Lepage Real Estate Services Ltd., le Tribunal est d'avis qu'il peut déclarer un représentant inhabile en raison d'un conflit d'intérêts.

Existe-il un conflit d'intérêts?

[11] La Cour suprême du Canada a énoncé le test pour déterminer s'il y a un conflit d'intérêts rendant un avocat ou un cabinet inhabile, dans l'affaire Succession MacDonald, c. Martin, [1990] 3 R.C.S. 1235. La Cour a constaté que la confidentialité des communications entre un avocat et son client est d'une importance primordiale (à la p. 1244) :

[...] il importe de maintenir, voire de renforcer, les normes professionnelles fondamentales. C'est une mesure essentielle à la préservation et, espérons-le, à l'augmentation de la confiance du public dans l'intégrité de la profession d'avocat. Pour garder cette confiance, il importe, au premier chef, que les communications entre l'avocat et son client soient confidentielles. [...]

[12] La Cour a retenu comme test la norme de la « possibilité de préjudice réel ». Le test pour un conflit d'intérêts, de nature à rendre un avocat inhabile à agir contre son ancien client, est le suivant (aux pp. 1260-1261) :

D'ordinaire, ce type d'affaire soulève deux questions: premièrement, l'avocat a-t-il appris des faits confidentiels, grâce à des rapports antérieurs d'avocat à client, qui concernent l'objet du litige? Deuxièmement, y a-t-il un risque que ces renseignements soient utilisés au détriment du client?

[...] À mon avis, dès que le client a prouvé l'existence d'un lien antérieur dont la connexité avec le mandat dont on veut priver l'avocat est suffisante, la Cour doit en inférer que des renseignements confidentiels ont été transmis, sauf si l'avocat convainc la Cour qu'aucun renseignement pertinent n'a été communiqué. C'est un fardeau de preuve dont il aura bien de la difficulté à s'acquitter. Non seulement la Cour doit être convaincue, au point qu'un membre du public raisonnablement informé serait persuadé qu'aucun renseignement de cette nature n'a été transmis, mais encore la preuve doit être faite sans que soient révélés les détails de la communication privilégiée. Néanmoins, je suis d'avis qu'il ne convient pas de priver de tout moyen d'action l'avocat qui veut s'acquitter de ce lourd fardeau.

Il s'agit en deuxième lieu de décider si un mauvais usage sera fait des renseignements confidentiels. Un avocat qui a appris des faits confidentiels pertinents ne peut pas agir contre son client ou son ancien client. Il sera automatiquement déclaré inhabile à agir. Peu importe qu'il donne l'assurance ou qu'il promette de ne pas utiliser les renseignements. L'avocat ne peut pas compartimenter son esprit de façon à trier les renseignements appris de son client et ceux obtenus d'autres sources. Au surplus, il risquerait de s'abstenir d'utiliser des renseignements obtenus licitement, par crainte de donner l'impression qu'ils proviennent du client. L'avocat serait ainsi empêché de bien représenter son nouveau client. Par surcroît, l'ancien client aurait le sentiment d'être désavantagé. Il ne pourrait s'empêcher de penser que les questions posées au cours du contre-interrogatoire au sujet de sa vie privée, par exemple, ont leur origine dans la relation antérieure.

[13] La Cour a alors considéré la question à savoir si tous les avocats d'un cabinet sont inhabiles à représenter une partie contre un ancien client d'un des avocats du cabinet (aux pp. 1262-1263) :

[...] il y a fort à présumer que les avocats qui travaillent ensemble échangent des renseignements confidentiels. Pour trancher cette question, le tribunal doit donc tirer les conséquences de cette présomption, sauf s'il est persuadé, par des preuves claires et convaincantes, que toutes les mesures raisonnables ont été prises pour veiller à ce que l'avocat en cause ne divulgue rien aux membres du cabinet qui agissent contre son ancien client. Parmi ces mesures raisonnables, on pourrait compter des mécanismes institutionnels comme les murailles de Chine et les cônes de silence. [...]

A fortiori, les simples engagements et affirmations catégoriques contenus dans des affidavits ne sont pas acceptables. [...]

Selon moi, ces normes établiront un juste équilibre entre les trois valeurs que j'ai mentionnées plus haut. [...]

[14] Il ressort du dossier du Tribunal que deux avocats du cabinet Sauvé et Roy, Me Vallée et Me Lavergne, ont été chargés de la demande d'accréditation de l'APVQ, de 1996 à 1999. Compte tenu de ce fait, il y a une présomption que ces deux avocats, et tous les autres avocats du cabinet Sauvé et Roy, ont appris des faits confidentiels qui sont étroitement liés au présent « litige ». Cette présomption touche également Mme Bousquet, puisqu'elle était avocate chez Sauvé et Roy durant cette période. Le fait qu'elle travaille maintenant pour la FNC à titre de conseillère syndicale, et non à titre de conseillère juridique, n'a pas d'impact sur cette conclusion. Il s'agit là du principe de la primauté de la substance sur la forme.

[15] Le Tribunal est d'avis que le fait que l'APVQ se soit regroupée avec le STCVQ ne change en rien cette conclusion. Bien que ces deux associations se soient regroupées, l'APVQ demeure une entité distincte et elle peut toujours être touchée par un conflit d'intérêts. La demande d'accréditation faite par le regroupement APVQ-STCVQ reprend en partie la demande initiale de l'APVQ. Pour ces raisons, la présomption que les avocats du cabinet Sauvé et Roy et Mme Bousquet ont appris des faits confidentiels s'applique toujours à l'égard de l'APVQ, peu importe le fait qu'elle se soit regroupée avec le STCVQ.

[16] Le Tribunal doit tirer les conséquences de cette présomption, à moins qu'il ne soit persuadé, par des preuves claires et convaincantes, que toutes les mesures raisonnables ont été prises pour empêcher que des faits confidentiels soient divulgés aux avocats de Sauvé et Roy ou à Mme Bousquet. Me Lévesque n'a soulevé aucune mesure qui aurait été prise à cet égard. Par conséquent, nous concluons que tous les avocats du cabinet Sauvé et Roy, ainsi que Mme Bousquet, qui oeuvrait chez Sauvé et Roy durant la période pertinente, ont « appris des faits confidentiels, grâce à des rapports antérieurs d'avocat à client, qui concernent l'objet du litige ».

[17] Il s'ensuit que ni les avocats de Sauvé et Roy, ni Francine Bousquet, ne peuvent agir contre l'APVQ. Me Lévesque a prétendu qu'il n'y a pas de « litige » entre l'APVQ et l'APASQ. Par contre, il a reconnu qu'une question qui pourrait les opposer est l'existence d'un chevauchement juridictionnel. Le Tribunal est d'avis que cette question crée un « litige » entre le regroupement et l'APASQ et, qu'en conséquence, les avocats de Sauvé et Roy et Francine Bousquet sont inhabiles à représenter l'APASQ dans le contexte de la présente affaire.

Décision

[18] Le Tribunal déclare que Francine Bousquet et tous les avocats du cabinet Sauvé et Roy sont inhabiles à représenter l'APASQ dans le cadre de la demande d'accréditation du regroupement APVQ-STCVQ.

Ottawa, le 8 mars 2001

Robert Bouchard

David P. Silcox

Moka Case

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