Loi sur le statut de l'artiste

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Décision no 022

Décisions du Tribunal

Ottawa, le 15 avril 1997 Dossier No : 96-0016-D


Concernant un renvoi en vertu de l'article 41 de la LOI sur le statut de l'artiste mettant en cause l'Union des artistes and télé-métropole Inc.


Décision du Tribunal

L'entente collective entre l'Union des Artistes et Télé-Métropole Inc. ne s'applique pas à M. Denis Niquette parce que dans le contexte de l'arrangement actuel entre son employeur, CFGL, et Télé-Métropole, il n'est pas un entrepreneur indépendant vis-à-vis Télé-Métropole.

Lieu de l'audience : Montréal (Québec)

Date de l'audience : le 19 mars 1997

Quorum: André Fortier, président J. Armand Lavoie, membre
David P. Silcox, membre

Comparutions : Lafortune Leduc s.e.n.c., Me Pierre-Yves Leduc pour l'Union des Artistes.
Heenan Blaikie, avocats, Me Norman Dionne pour Télé-Métropole Inc.


Motifs de décision

96-0016-D : Concernant un renvoi en vertu de l'article 41 de la Loi sur le statut de l'artiste mettant en cause l'Union des Artistes et Télé-Métropole Inc.


[1] La présente décision porte sur un renvoi en vertu de l'article 41 de la Loi sur le statut de l'artiste (L.C. 1992, ch. 33, appelée ci-après la «Loi») mettant en cause l'Union des Artistes (l'«UDA») et Télé-Métropole Inc.(«TM»), soumise au Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs (le «Tribunal») par l'arbitre Marie-France Bich. L'audition de cette affaire a eu lieu à Montréal le 19 mars 1997.

Contexte

[2] Le 18 décembre 1992, l'Union des Artistes et Télé-Métropole Inc. signent une entente collective pour la période s'échelonnant du 7 septembre 1992 au 3 septembre 1995.

[3] Le 16 mars 1995, l'UDA dépose un grief (no S-012) où il est allégué que TM ne s'est pas conformé à ladite entente collective en ne faisant pas parvenir à l'UDA un contrat d'engagement pour M. Denis Niquette tel que prévu dans l'entente collective.

[4] En juillet 1996, l'UDA et TM déposent l'entente collective auprès du Tribunal conformément à l'article 67 de la Loi. Le 29 août 1996, le Tribunal accorde une accréditation partielle à l'UDA pour représenter un secteur composé d'artistes interprètes.

[5] L'arbitre est saisie du grief le 20 octobre 1995. Lors de l'audition, le 25 octobre 1996, TM soulève une objection préliminaire en invoquant que :

  1. le travail de M. Niquette pour l'émission Salut Bonjour! n'est pas visé par les dispositions de l'accord-cadre;
  2. M. Niquette n'est pas un artiste au sens de l'accord-cadre et ne peut donc se prévaloir de ses dispositions;
  3. la situation dénoncée dans le grief S-012 étant antérieure au dépôt de l'accord-cadre et antérieure aussi à la procédure d'accréditation de l'UDA et à la décision du Tribunal, on pourrait en conséquence prétendre que ni l'accord-cadre ni la décision d'accréditation du Tribunal ne s'appliquent à l'affaire.

[6] L'audition du grief est reportée au 18 novembre 1996 et, à cette date, les parties conviennent qu'il s'agit de questions devant être tranchées par le Tribunal canadien des relations professionnelles artistes-producteurs conformément à l'article 41 de la Loi qui se lit comme suit :

41(1) Toute question soulevée dans un arbitrage et se rapportant à l'existence d'un accord-cadre, à l'identité des parties qu'il lie ou à son application à un secteur donné ou à une personne doit être déférée au Tribunal par l'arbitre ou le conseil d'arbitrage pour instruction et décision.

(2) Le renvoi ne suspend la procédure engagée devant lui que si l'arbitre ou le conseil d'arbitrage, selon le cas, décide que la nature de la question le justifie ou si le Tribunal lui-même ordonne la suspension.

[7] L'arbitre suspend les procédures et l'affaire est renvoyée au Tribunal le 25 novembre 1996.

[8] Avant l'audition, les parties ont convenu de certains faits et ont conclu une entente laquelle fut déposée à l'audience. De plus, les parties ont également convenu de la question devant être tranchée par le Tribunal. Par conséquent, les parties ont indiqué que le Tribunal n'aurait pas à traiter la troisième prétention soulevée dans l'objection préliminaire de TM, énoncée au paragraphe 5 des présents motifs.

La question devant être tranchée par le tribunal

[9] Les parties ont convenu que la question devant être tranchée par le Tribunal est la suivante :

Dans les circonstances, l'entente collective UDA-TM, s'assimilant à un accord-cadre en vertu de la Loi, s'applique-t-elle à monsieur Denis Niquette? En autres mots, en vertu de la Loi monsieur Denis Niquette est-il un entrepreneur indépendant vis-à-vis TM?

La preuve

Les faits admis par les parties

[10] Les parties ont admis les faits suivants à l'égard de l'émission Salut Bonjour! («SB») :

  • il s'agit d'un quotidien, de type magazine d'information;
  • la première saison fut 1989-90. Depuis un certain temps, SB est également diffusé l'été;
  • la durée initiale de l'émission SB fut de deux (2) heures. Sa durée fut portée à trois (3) heures;
  • SB est télédiffusé "réseau" au Québec sur les ondes de Télé-Métropole, au petit matin du lundi au vendredi inclusivement.

[11] Les parties ont admis les faits suivants à l'égard de la circulation dans le cadre de SB :

  • il s'agit d'interventions de soixante (60) secondes chacune portant sur l'état de la circulation sur le territoire du Montréal Métropolitain et ses environs;
  • le nombre d'interventions par émission pour la circulation a été augmenté de trois (3) à cinq (5) lorsque la durée de l'émission est passée de deux (2) heures à trois (3) heures;
  • chaque intervention est faite par l'entremise de raccord téléphonique entre Télé-Métropole et CFGL. Lors de chaque intervention, un panneau vidéo identifié "circulation CFGL" apparaît à l'écran;
  • la personne faisant ces interventions est le reporteur-circulation à l'emploi de CFGL. Il s'agissait en 1989-90 de monsieur Alain Cadieux que CFGL a par la suite remplacé, à son gré, en faveur de monsieur Denis Niquette;
  • les interventions à TM sont prévues à des moments précis en fonction de la disponibilité projetée du reporteur-circulation considérant ses interventions planifiées à CFGL;
  • lors des périodes d'intervention à TM, depuis approximativement l'automne 1990, à l'extérieur de la grande région de Montréal, TM ne met pas en ondes la "circulation CFGL" mais plutôt d'autres informations. En d'autres termes, ce n'est que dans la région du grand Montréal que la "circulation CFGL" est mise en ondes. À l'extérieur de cette région, TM met alors en ondes d'autres informations;
  • depuis son poste de travail à CFGL, dans les minutes précédant l'intervention en ondes à TM, le reporteur-circulation communique par téléphone avec l'infographiste de TM afin qu'au plan technique, ce dernier prépare les tableaux appropriés. Ensuite, quelques secondes avant d'être en ondes, le reporteur-circulation rappelle Télé-Métropole pour attente de mise en ondes;
  • il arrive que le reporteur-circulation ne soit pas disponible au moment précis de son intervention prévue à TM. L'intervention n'a alors pas lieu et elle n'est pas reprise;
  • dans tous les cas d'absence du reporteur-circulation attitré à CFGL, une autre personne désignée par CFGL le remplace sur les ondes de TM. TM en est informé parfois dans les secondes qui précèdent la première intervention de la journée.

[12] Les parties ont admis les faits suivants à l'égard de l'entente entre CFGL et TM :

  • dans les semaines précédant la première de SB à l'automne 1989, le directeur général de CFGL a communiqué avec le directeur général de TM pour lui offrir l'opportunité d'affaires suivante, laquelle fut acceptée :
  • en considération de publicité pour la station radiophonique CFGL, le reporteur-circulation à l'emploi de CFGL ferait trois (3) interventions, par voie de communication téléphonique, à l'émission SB;
  • la publicité pour la station CFGL inclut un panneau identifiant "circulation CFGL" et la promotion d'émissions diffusées sur les ondes de CFGL par l'entremise de paroles prononcées par le reporteur-circulation;
  • le nombre d'interventions fut augmenté à cinq (5) lorsque l'émission SB fut allongée d'une (1) heure pour totaliser trois (3) heures;
  • cette entente verbale fut renouvelée, d'année en année, jusqu'à ce jour.

[13] Les parties ont admis les faits suivants à l'égard de la relation entre CFGL et monsieur Denis Niquette :

  • Monsieur Denis Niquette est un employé au sens du Code canadien du travail à l'emploi de CFGL ayant comme fonction: reporteur-circulation;
  • dans le cadre de son emploi, CFGL lui commande de faire lesdites interventions à l'émission SB diffusée sur les ondes de TM.

[14] Les parties ont admis les faits suivants à l'égard d'éléments divers :

  • Monsieur Denis Niquette, son prédécesseur, monsieur Alain Cadieux et leurs remplaçants occasionnels :
  • n'ont jamais eu de discussion ni d'entente, de quelque nature que ce soit avec TM, concernant l'offre ou la rétention de leurs services. Les communications entre ces personnes et TM n'ont pour but qu'une coordination technique afin de leur permettre de livrer à l'émission SB, la chronique "circulation CFGL";
  • n'ont jamais reçu de TM quelque rémunération ou bénéfices que ce soit;
  • ne participent pas aux réunions de production de l'équipe SB à TM.

Les témoins

[15] Le Tribunal a entendu trois témoins : M. Denis Niquette, reporteur à la circulation pour la station radiophonique CFGL à Montréal, M. Stéphane Raymond, directeur de la programmation et de la promotion à COGECO-CFGL et M. Daniel Rancourt, réalisateur de l'émission Salut Bonjour!.

[16] Les témoignages entendus n'ont pas contredit les faits admis par les parties voulant que M. Niquette est un employé à temps plein de la station radiophonique CFGL à Montréal; qu'il occupe le poste de reporteur à la circulation; et que cinq fois par jour, entre 6 h 00 et 9 h 00, il prépare et livre un reportage sur l'état de la circulation dans le Grand Montréal dans le cadre d'une émission qui s'appelle Salut Bonjour!, émission produite par TM et diffusée sur le réseau de télévision TVA.

[17] M. Niquette a par ailleurs expliqué qu'il travaille maintenant dans les studios de la station CFGL, mais qu'auparavant sa chronique Circulation CFGL se faisait à partir d'un véhicule ou d'un avion. Afin d'être en mesure de savoir à quel moment il doit faire son reportage, il surveille, au moyen d'un moniteur télévision, le déroulement de l'émission Salut Bonjour! et, au moment prévu, il téléphone à la station de télévision et présente son reportage. Le moniteur télévision utilisé par M. Niquette est présentement fourni par son employeur CFGL, mais dans le passé il était fourni par le réseau TVA. M. Niquette a déclaré qu'il ne reçoit aucune prestation ou rémunération de TM pour ces reportages et qu'il n'existe aucun contrat entre lui et TM.

[18] M. Rancourt a témoigné, qu'au meilleur de sa connaissance, il n'existe pas de «lien corporatif» entre la station de radio CFGL et TM. Il a également déclaré qu'en tant que réalisateur de l'émission Salut Bonjour! il ne supervise pas le travail de M. Niquette -- M. Niquette connaît l'heure à laquelle il doit appeler à TM, il doit lui-même organiser son horaire à CFGL afin d'être en mesure de faire son reportage sur les ondes de TM.

Analyse

[19] Dans les motifs rendus dans l'affaire concernant la Canadian Actors' Equity Association (décision no 010), le Tribunal a fait l'observation suivante :

[29] À diverses fins d'ordre juridique, le droit a dû faire une distinction entre les employés qui travaillent en vertu d'un contrat de service et les entrepreneurs indépendants qui fournissent des services à un individu dans le cadre d'un marché de services. Les tribunaux ont élaboré plusieurs critères permettant de déterminer si un travailleur est un entrepreneur indépendant. Tous ces critères ont en commun le fait que chaque situation doit être évaluée individuellement et qu'il est impossible de tirer des conclusions d'ordre général en se fondant uniquement sur le titre du poste. [Nos italiques.]

[20] Pour être considéré entrepreneur indépendant vis-à-vis TM, il faut d'abord établir qu'il existe bien un lien entre le producteur, TM et la personne qui fournit les services, M. Niquette.

[21] L'article 1-1.04 de la convention collective intervenue entre l'UDA et TM parle de «toute personne engagée dans l'une des fonctions...» et l'article 2-1.01 parle de «toute personne que le producteur engage pour remplir...». Les nombreuses définitions des termes «engager» et «embaucher» produites au Tribunal par TM rendent l'idée qu'il faut «retenir» les services d'un individu. Par conséquent, il faut au préalable déterminer si TM «retient» de quelque façon les services de M. Niquette.

[22] Dans les faits admis par les parties et dans les témoignages présentés au Tribunal, il n'y a rien qui démontre, à l'heure actuelle, l'existence d'une relation contractuelle entre M. Niquette et TM. Les parties admettent que ni M. Niquette, ni son prédécesseur et ni leurs remplaçants occasionnels n'ont eu de discussion ni d'entente, de quelque nature que ce soit avec TM, dans le but d'offrir ou de retenir leurs services. Les parties admettent que les chroniques présentées par M. Niquette sont faites dans le cadre de son emploi : CFGL lui commande de faire lesdites interventions à l'émission Salut Bonjour! diffusée sur les ondes de TM. M. Niquette fait le travail exigé par son employeur, CFGL, qui lui a pris les arrangements nécessaires pour la distribution du produit, non seulement pour ses propres fins mais aussi pour la diffusion de la chronique à la télévision. CFGL, et non pas M. Niquette en son nom personnel, bénéficie de l'arrangement avec TM -- CFGL obtient la publicité et le temps d'antenne qu'il devrait autrement payer en «troquant» les renseignements sur la circulation qu'il obtient déjà pour lui-même.

[23] L'argument principal de l'UDA repose sur la prétention que TM aurait dû passer un contrat avec M. Niquette pour les raisons suivantes : TM est un producteur; ce producteur produit une émission où sont diffusées plusieurs chroniques dont celle de M. Niquette, que ce dernier est un artiste (même s'il n'est pas membre de l'UDA) et qu'il exerce une fonction visée par l'entente collective intervenue entre l'UDA et TM. De plus, selon l'UDA, M. Niquette n'est pas un employé de TM et le travail qu'il fait pour TM ne rapporte rien à son employeur CFGL. De même, les tableaux de circulation préparés par M. Niquette ne sont pas utilisés dans le cadre de son emploi, ils sont utilisés uniquement pour les fins de sa chronique à l'émission Salut Bonjour! pour TM. M. Niquette participe à l'émission et sa chronique est considérée du temps de programmation et non du temps de publicité. Essentiellement, l'UDA demande au Tribunal de déterminer que puisque la chronique de M. Niquette est diffusée par TM et que M. Niquette n'est pas un employé de TM, il doit par défaut être considéré comme un entrepreneur indépendant visé par l'entente collective entre TM et l'UDA. L'UDA prétend qu'un «arrangement» entre deux producteurs ne devrait pas mettre fin à une convention collective en excluant l'association d'artistes ou l'artiste.

[24] Le Tribunal partage les préoccupations exprimées par l'UDA à l'égard de l'arrangement entre CFGL et TM. Poussé à l'extrême, un tel arrangement permettrait, en théorie, à un radiodiffuseur de produire des émissions sans qu'il n'ait, lui-même, à engager d'employés ou de pigistes. Puisque l'un des objets de la Loi est de protéger les intérêts des artistes, le Tribunal verrait d'un mauvais oeil qu'un producteur passe une série de contrats dont le but principal serait d'éviter l'application de la Loi. En l'espèce cependant, il n'y a aucune preuve qui démontre que cela était le but de l'arrangement entre CFGL et TM.

Décision

[26] Pour toutes ces raisons, le Tribunal est d'avis que la question doit être répondue de façon négative : l'entente collective UDA-TM ne s'applique pas à M. Denis Niquette parce que dans le contexte de l'arrangement actuel entre son employeur, CFGL, et TM, il n'est pas un entrepreneur indépendant vis-à-vis TM.

Ottawa, le 15 avril 1997

André Fortier, président

J. Armand Lavoie, membre

David P. Silcox, membre

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