Tribunal de santé et sécurité au travail Canada

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Dossier No.:2007-22

Decision No.:TSSTC-09-017

 

 

 

CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II

SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

 

 

 

Association des Employeurs Maritimes Port de Montréal

Appelant(e)

 

et

 

Syndicat des débardeurs, SCFP

Section locale 375

intimé(e)

et

 

Montreal Gateway Terminals Partnership

Intervenant(e)

 

________________________________

DATE 4 mai 2009

 

 

Cette affaire a été décidée par l’agent d’appel Jean-Pierre Aubre.

 

Me André C. Giroux

Pour l’appelant(e)

Aucune comparution

Pour l’intimé(e)

Me Philippe Vachon

Me Catherine Pronovost

Pour l’intervenant(e)

 

 


  • [1] La décision qui suit constitue la version écrite de la décision rendue verbalement le 24 avril 2009.

  • [2] Le présent appel a été instruit à Montréal par l’agent d’appel soussigné les 22 et 23 avril 2009. Cet appel avait été déposé le 6 août 2007 par l’Association des Employeurs Maritimes, Port de Montréal, à l’encontre d’une instruction émise le 9 juillet 2007 en vertu des alinéas 145(1)(a) et (b) de la Partie II du Code canadien du travail (Code) par l’agent de santé et sécurité François de Champlain.

  • [3] L’instruction en question enjoignait à l’appelante de cesser de contrevenir au paragraphe 134.1(1) de la Partie II dudit Code relativement à l’obligation de mettre en place un comité d’orientation en matière de santé et sécurité et lui ordonnait de mettre en place un tel comité.

  • [4] À la clôture des débats le 23 avril 2009, j’ai indiqué aux parties présentes que j’étais disposé à rendre immédiatement ma décision relativement audit appel, à charge de formuler plus tard des motifs complets au soutien de cette décisionet j’ai effectivement rendue cette décision verbalement le 24 avril 2009, tel que mentionné ci-dessus.

  • [5] Cette décision se veut la suivante.

  • [6] L’appel est accordé et ladite instruction est annulée au motif principal que l’appelante, l’Association des Employeurs Maritimes, Port de Montréal, n’est pas un employeur qui compte habituellement trois cents employés directs ou plus pour fonder l’obligation de constituer un tel comité d’orientation en matière de santé et de sécurité.

  • [7] Des motifs exhaustifs au soutien de la présente décision seront transmis aux parties en temps et lieu.

 

 

 

 

_____________________

Jean-Pierre Aubre

Agent d’appel

 


Dossier No.: 2007-22

Decision No.: TSSTC-09-017(R)

 

 

 

CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II

SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

 

 

 

Association des Employeurs Maritimes,
Port de Montréal

Appelant(e)

 

et

Montreal Gateway Terminals
Partnership
Intervenant(e)

 

 

________________________________

DATE : 21 décembre 2009

 

 

Cette affaire a été décidée par l’agent d’appel Jean-Pierre Aubre.

 

Me André C. Giroux

Pour l’appelant(e)

Aucune comparution

Pour l’intimé(e)

Me Philippe Vachon
Me Catherine Pronovost
Pour l’Intervenant(e)


  • [8] Le présent appel, produit conformément au paragraphe 146(1) du Code canadien du travail, Partie II (Code), a été déposé par la partie appelante le 7 août 2007, à l’encontre d’une instruction émise le 9 juillet 2007 par l’agent de santé et de sécurité François de Champlain, conformément à l’alinéa 145.(1)a) du Code, et transmise à la partie appelante le 16 juillet 2007.

  • [9] Ladite instruction enjoignait l’Association des Employeurs Maritimes, Port de Montréal, à titre d’employeur assujetti au Code comptant “ plus de trois cents employés”, de cesser de contrevenir au paragraphe 134.1(1) du Code et, en vertu de l’alinéa 145.(1)b), de mettre en place le comité d’orientation en matière de santé et de sécurité requis par le Code aux termes de l’article 134.1 dans le cas d’un employeur “qui compte habituellement trois cents employés directs ou plus” ou, selon la version anglaise de la même disposition, “ who normally employs directly three hundred or more employees…”.

  • [10] L’appel en question a fait l’objet de deux jours d’audience à Montréal, les 22 et 23 avril 2009, au cours desquels trois témoins ont été entendus à savoir, l’agent de santé et de sécurité François de Champlain, M. Jean-Pierre Langlois, conseiller principal en relations de travail auprès de l’Association des Employeurs Maritimes ( AEM ) et M. Stéphane Saucier, directeur, santé et sécurité au travail, AEM . Suite à ces témoignages, les parties appelante et intervenante ont présenté verbalement leur argumentation à l’agent d’appel soussigné. S’en est suivi, le 24 avril, une brève séance par voie de conférence téléphonique au cours de laquelle le soussigné a transmis de vive voix sa décision à l’effet d’accorder l’appel et d’annuler l’instruction sous appel au motif que l’appelante, l’Association des Employeurs Maritimes, Port de Montréal, n’est pas un employeur qui compte habituellement trois cents employés directs ou plus pour fonder l’obligation de constituer un tel comité d’orientation en matière de santé et de sécurité.

  • [11] Cette décision verbale a été confirmée par une brève décision écrite, en date du 4 mai 2009, laquelle décision indiquait, pour répondre à la demande des parties, que des motifs plus complets au soutien de la décision seraient transmis aux parties en temps et lieu, soit suite à la réception d’arguments écrits de ces derniers. Ces arguments ont été reçus par le tribunal le 17 juin 2009 (Appelante) et le 29 septembre 2009 (Intervenante), d’où la présente.

  • [12] L’instruction émise par l’agent de santé et de sécurité de Champlain, visée par le présent appel, s’inscrit dans une longue série d’interventions, actions et réactions tant du Programme Travail du ministère du Développement des Ressources Humaines Canada (DRHC) que de l’ AEM au Port de Montréal et portant de près ou de loin sur la question de savoir si, quand et comment la Partie II du Code s’applique à l’ AEM en tant qu’employeur au sens de cette Partie II. Mis à part l’aspect intéressant que pourrait présenter une description détaillée de ces interventions pour une compréhension générale des rapports entre l’ AEM et l’organe mandaté pour appliquer la Partie II du Code qu’est le Programme Travail de DRHC, le “Rapport circonstancié” préparé par ledit agent de santé et de sécurité de Champlain et présenté en preuve sous la cote S-1 offre les éléments suffisants pour comprendre la survenance de l’instruction :

    Rapport circonstancié

    Le 6 décembre 2004 l’agent d’appel Guénette se prononçait dans la décision 04-046 dans lequel (sic) celui-ci évaluait le statut d’employeur de l’Association des Employeurs Maritimes ( AEM ) face aux débardeurs. (L.R.C. 1985, c. L-2).

    Suite à ce jugement dans lequel l’agent d’appel confirmait l’instruction de Steve Sirois, le programme travail (sic), chapeauté par l’agent régional Richard Dupuis, a décidé de présenter les conséquences du jugement aux différents intervenants du Port de Montréal. Cette présentation a eue(sic) lieu le 13 février 2007.

    Cette présentation soulignait quelles en seraient les conséquences pour l’ AEM à titre d’employeur des débardeurs.

    Conformément à notre DPO (Directives du Programme des Opérations), le 4 avril 2007, l’agente Sylvie Gaudreaua rencontré M. Stéphane Saucier et M. Malcolm Macleod afin de recevoir une promesse de conformité volontaire (PCV) [1] demandant à l’ AEM de former un comité d’orientation pour les débardeurs.

    Le 23 avril 2007, le programme Travail a appris que l’ AEM ne signerait pas la PCV et demanderait un contrôle judiciaire sur la PCV en question.

    Suite au départ de Sylvie, j’ai repris le dossier en main. En me basant sur la convention collective, j’ai remarqué qu’il y avait plus de 300 débardeurs oeuvrant dans le Port. Conformément au paragraphe 134.1(1), l’employeur (A.E.M.) devait donc mettre en place un comité d’orientation. Le 16 juillet 2007, j’ai remis une instruction à Monsieur Jean Bédard, alors Vice-Président de l’ AEM , lui ordonnant de former un comité d’orientation pour les débardeurs.

    Le 7 août 2008, j’ai reçu une transmission par télécopieur dans laquelle l’ AEM m’informait que celle-ci contestait mon instruction.”

  • [13] Bien que le document cité ci-dessus permette de comprendre le cheminement ayant mené au présent appel, il passe cependant sous silence le fait qu’entre la décision de l’agent d’appel Guénette qui y est mentionnée et la présentation faite par le Programme Travail aux intervenants du Port de Montréal, ladite décision Guénette a été soumise a révision judiciaire tant à la Cour fédérale qu’à la Cour d’appel fédérale, et que dans les deux cas, la possibilité pour l’ AEM d’être considérée comme un employeur aux fins de la Partie II du Code a été discutée et reconnue, tout comme elle l’avait été par l’agent d’appel Guénette. Il est d’ailleurs important pour une meilleure compréhension de la suite de la présente décision de rappeler certains despropos des deux cours. Ainsi, pour ce qui est de la Cour fédérale [2] , Monsieur le juge de Montigny déclare :

    [49] La demanderesse a soutenu que l’Agent d’appel avait erré en concluant que l’ AEM , de par sa constitution, est une organisation patronale, au sens accordé à ce terme dans la définition du mot “employeur” que l’on retrouve au paragraphe 122(1) du Code, alors même qu’elle n’a pas été désignée organisation patronale en vertu de l’article 33 de ce même Code. Si je comprends bien l’argument de la demanderesse, le fait que l’article 34 prévoit dans le domaine du débardage la possibilité d’une accréditation sectorielle et assimile pour les fins de la Partie I le représentant patronal à un employeur exclut par le fait même la possibilité qu’une organisation patronale comme l’ AEM puisse être considérée comme un employeur au terme de l’article 33. Cela me paraît être une lecture erronée de ces deux dispositions.

    [50] L’article 34 du Code prévoit que le Conseil canadien des relations industrielles, dans le secteur du débardage et dans d’autres secteurs d’activités désignés par le gouverneur en conseil, peut décider que les employés de plusieurs employeurs oeuvrant dans le même secteur d’activité constituent une seule unité d’accréditation. Dans cette hypothèse, le Conseil enjoindra les employeurs de se nommer un représentant ou, à défaut, en nommera un lui-même, et ce représentant sera assimilé à l’employeur dans le cadre de la Partie I.

    [51] Ce régime spécial d’accréditation sectorielle fait en sorte que des employeurs pourront être forcés de se nommer un représentant qui agira en leur nom même s’ils ne forment pas une organisation patronale à laquelle le Conseil aurait pu attribuer la qualité d’employeur au terme de l’article 33 du Code. On ne saurait cependant inférer de ce régime spécial qu’une organisation patronale ne peut être assimilée à un employeur pour les fins de la Partie II.

    [52] Il est d’ailleurs significatif de comparer la définition du mot <<employeur>> que l’on retrouve pour les fins de la Partie I et de la Partie II. Tandis que l’on définit le mot <<employeur>> à l’article3 comme <<quiconque emploie un ou plusieurs employés>>, l’article 122(1) définit ce même terme comme une <<personne qui emploie un ou plusieurs employés-ou quiconque agissant pour son compte-ainsi que toute organisation patronale>>. S’il en va ainsi, c’est sans doute parce qu’une organisation patronale ne pourra être considérée comme un employeur pour les fins de la Partie I que dans le cadre prévu par l’article 33, alors qu’une telle restriction n’est pas prévue dans le contexte de la Partie II.

    [53] Par conséquent, l’agent d’appel pouvait conclure qu’une organisation patronale comme l’ AEM est un <<employeur>> pour les fins de la Partie II.
    (…)

    [57] (…) En ne précisant pas comment l’Agent d’appel doit identifier l’employeur à qui un avis peut être envoyé lorsqu’il constate une situation dangereuse, le législateur lui a laissé le soin de procéder à cette identification au cas par cas, en se fondant sur son expertise et son évaluation des faits portés à sa connaissance. C’est précisément ce que l’Agent d’appel a fait en l’occurrence, en se fondant sur le fait que l’ AEM contrôle les tâches des débardeurs. Ce contrôle ne se limite pas à la supervision directe sur le terrain, mais peut inclure d’autres aspects comme la répartition des effectifs, la définition des tâches incluses dans les différentes classifications, et la prise en charge des mesures disciplinaires.(…)
    (emphase ajoutée)

  • [14] La Cour d’appel fédérale [3] pour sa part, appelée à revoir la décision de première instance abondamment citée ci-dessus, a conclu ce qui suit :

    [6] Nous souscrivons pour l’essentiel aux propos du juge de Montigny. L’ AEM se trouve dans une position hybride. Le fait qu’elle soit en pratique une organisation patronale qui regroupe les employeurs des débardeurs dont la santé et la sécurité sont en cause, son statut de représentant patronal des employeurs maritimes pour les fins de la convention collective signée avec le Syndicat des débardeurs et les engagements qu’elle prend à son compte dans ladite convention en matière de santé et de sécurité au travail, ne permettent pas de l’exclure de l’application de la Partie II du Code canadien du travail.
    (emphase ajoutée)

  • [15] La toile de fond devant laquelle la présente affaire a connu son développement étant évidente de par ce qui précède, passons maintenant aux circonstances particulières du présent cas.

    La preuve

  • [16] Le premier témoin entendu a été l’agent de santé et de sécurité de Champlain, dont le témoignage a repris pour une bonne part les propos de son rapport circonstancié, lesquels sont cités au paragraphe 5 ci-dessus. Ceci étant et comme pour la plus grande part le rapport circonstancié de l’agent de Champlain n’a pas été questionné, en partie en raison de l’absence de la partie intimée, seuls les éléments additionnels au rapport circonstancié mentionné ci-dessus et cité précédemment sont rapportés ci-après. Il est toutefois confirmé par M. de Champlain que c’est une fois connue la décision de l’ AEM de porter en révision judiciaire la décision de sa collègue Gaudreau de solliciter de la part de l’ AEM une promesse de conformité volontaire (PCV) relativement à l’établissement d’un comité d’orientation dans le Port de Montréal, qu’il a décidé, avec l’aval de son employeur, la Direction Travail de DRHC, et en particulier de son conseiller technique Richard Dupuis, de passer outre au fait que la question faisait déjà l’objet d’un recours en révision judiciaire et d’émettre l’instruction faisant l’objet du présent recours.

  • [17] M. de Champlain déclare avoir reçu le “ feu vert” de son employeur pour émettre l’instruction concernant le comité d’orientation suite à une présentation qui avait été faite par la Direction Travail à maints intervenants, dont l’ AEM , dans le Port de Montréal suite à la décision Guénette confirmée par les deux instances de la Cour fédérale. Cette présentation faisait valoir, entre autres questions, qu’il y aurait lieu dans ledit Port de mettre en place un comité d’orientation et que l’ AEM , en tant qu’employeur des débardeurs, selon ces décisions, était investie de cette obligation. Selon l’agent de Champlain, cette présentation n’avait d’application que pour le Port de Montréal et de fait, il ignore la situation qui prévaut dans les autres ports au Canada sur cette question. À l’époque de la présentation de l’instruction à l’ AEM , M. de Champlain reconnaît avoir rencontré M. Stéphane Saucier qui était alors coordonnateur en santé et sécurité au travail pour l’ AEM . Il s’agissait d’une rencontre parmi plusieurs autres puisque ces deux personnes devaient souvent se rencontrer en raison de leurs fonctions respectives. Au moment de la présente audience, M. Saucier, qui était présent, occupait la fonction de directeur, santé et sécurité au travail, auprès de l’ AEM . À la question de Me Giroux à savoir si l’agent de Champlain se souvenait avoir dit à M. Saucier que le “feu vert” pour émettre l’instruction en question avait été donné sur la recommandation des avocats représentant Travail Canada devant la Cour fédérale concernant la demande en révision judiciaire de l’ AEM relativement à la question de la promesse de conformité volontaire (PCV) refusée par cette dernière et ce aux fins de “court-circuiter” ladite demande, M. de Champlain a répondu, à la surprise du tribunal, que “ça se pourrait” et que “ça fait trois ans et ce n’est pas impossible, non”.

  • [18] L’agent de Champlain, en réponse à Me Giroux pour l’appelante, fait valoir qu’au plan formation académique, il est titulaire d’un Baccalauréat en éducation et d’un Certificat en administration de l’Université du Québec à Montréal (UQUAM), de même que d’une Maîtrise en administration des affaires (MBA) avec spécialisation en santé et sécurité de l’Université Laval. Au plan professionnel, il a occupé un poste de conseiller au Centrepatronal de santé et sécurité du Québec durant trois années et joint la Direction Travail de DRHC il y a trois ans. Durant cette période, il a occupé en détachement la fonction d’inspecteur en marchandises dangereuses auprès de Transport Canada durant un an et, au moment de l’audition de la présente, était de retour au sein de la Direction Travail depuis quelques mois. À une question de Me Giroux, l’agent de Champlain précise que dans le cadre de son MBA, il a suivi des cours en relations industrielles, sans que ceux-ci portent de façon particulière sur la question de détermination ou définition de la relation employeur/employé. Ainsi, il reconnaît ne pas connaître tous les tenants de ce que constitue un “contrat d’emploi” par opposition à un “contrat de services”, sauf pour avancer généralement que le premier implique une relation avec contrôle, comportant des ordres directs à lapersonne, alors que le second, ie. le “contrat de service”, implique l’exécution d’une tâche “avec moins de contrôle”. Il précise toutefois que la Direction Travail met à la disposition de ses agents un outil pour les assister dans la détermination du statut d’employé ou d’entrepreneur indépendant des individus de même que celui d’employeur. Cet outil, communément désigné sous l’appellation IPG (700-5/Directives du Programme des Opérations (DPO)/Interprétation, Politiques et Guides ( IPG )), a servi à l’agent de Champlain de même qu’aux agents Gaudreau et Léger, mentionnés au rapport circonstancié ci-dessus, dans l’étude visant la déterminationdu statut d’employé et l’identification de l’employeur des vérificateurs et mécaniciens oeuvrant dans le Port de Montréal. Toutefois, en ce qui concerne les débardeurs du Port de Montréal, M. de Champlain reconnaît qu’il ne s’est pas livré au même type d’étude pour établir sa conclusion que ces derniers sont des employés de l’ AEM aux fins de la constitution d’un comité d’orientation au Port de Montréal. Il en explique la raison par le fait que les tribunaux avaient déjà examiné cette question et qu’il n’y avait donc pas lieu d’examiner de nouveau ce que les tribunaux avaient déjà fait.

  • [19] Finalement, M. de Champlain reconnaît être familier avec le document intitulé 907-1/Directives du Programme des Opérations DDPO)/Interprétation, Politiques et Guides ( IPG ), (version française, pièce S-3 et version anglaise, pièce S-4), dont l’objet est :Établissement obligatoire des comités d’orientation, de comités locaux et de représentants-Partie II du Code canadien du travail. L’agent de Champlain précise qu’il a pris connaissance de cette directive au début de sa formation comme agent de santé et de sécurité, donc au moins trois ansauparavant, mais qu’il n’en a pas repris connaissance avant d’émettre son instruction. Or ce document stipule comme l’un de ses buts qu’il vise à “ établir des procédures visant à assurer l’uniformité de l’application du Code dans toutes les entreprises relevant de la compétence du gouvernement fédéral “. Ce même document, au titre des comités d’orientation, précise ce qui suit dans les versions française et anglaise ci-après :

    Aux fins de l’établissement des comités d’orientation, la catégorie à laquelle appartient l’organisation d’un employeur sera déterminée d’après le nombre d’employés que cette organisation emploie directement, et non d’après le nombre total d’employés des membres de cette organisation.

    For the purposes of establishing policy committee, an employer’s organization will be categorized by the number of employees that it employs directly and not according to the total number of employees of its member employers, if it belongs to an employers association.


  • [20] Le second témoin entendu fut M. Jean-Pierre Langlois, qui occupe le poste de conseiller principal en relations de travail auprès de l’ AEM . Son témoignage, pour la très grande partie, a consisté à reprendre les propos qu’il a formulés dans son affidavit du 18 mai 2007 produit relativement à la demande de révision judiciaire concernant la PCV mentionnée précédemment. Le texte dudit affidavit a été produit à la présente sous la cote S-5, et comme M. Langlois n’a pas été contre-interrogé, son texte en est cité ci-après en grande partie pour tenir lieu de sa déposition :

    …À titre de conseiller principal en relations de travail, je conseille le personnel de l’ AEM ainsi que les employeurs représentés par l’ AEM sur l’interprétation et l’application de la convention collective ainsi que dans le cadre de ses négociations avec le syndicat défendeur;

    L’ AEM ne fait aucune opération de chargement ou de déchargement de navires dans le Port de Montréal;

    Les différents lieux de travail où s’effectuent des opérations de débardage dans le Port de Montréal sont sous l’entière autorité des différents employeurs que l’ AEM représente en vertu de sa désignation à titre de représentant patronal;

    Les différentes tâches que peuvent y effectuer les débardeurs sont également sous l’entière autorité des mêmes employeurs;

    Chacun de ces employeurs paie le salaire et les avantages sociaux des débardeurs pour le travail que ceux-ci ont effectué pour eux respectivement et ce, par l’entremise du Centre des données maritimes, une entité distincte de l’ AEM ;

    L’ AEM quant à elle reçoit sous forme de cotisations des employeurs qu’elle représente, les montants nécessaires pour financer ses propres opérations et afin de rencontrer ses obligations monétaires en vertu de la convention collective;

    En effet, alors que chacun des employeurs qu’elle représente s’acquitte du paiement du salaire et des avantages sociaux des débardeurs pour le travail effectué pour chacun de ceux-ci, l’ AEM , elle, assure la rémunération des employés pour leur temps dit non opérationnel;

    À titre d’exemple, une grande partie des débardeurs bénéficient d’une sécurité d’emploi leur garantissant un minimum d’heures rémunérées au cours d’une année donnée. Si certains de ceux-ci n’atteignent pas, selon les termes de la convention collective, ce minimum, ils seront tout de même rémunérés jusqu’à concurrence dudit minimum prévu mais cette fois-ci par l’ AEM à même une caisse prévue à cette fin. Le financement de cette caisse provient des cotisations des différents employeurs mentionnés précédemment;

    Outre la négociation de la convention collective, son interprétation et son application, l’ AEM , au Port de Montréal, s’acquitte également du déploiement de la main-d’œuvre;

    Ainsi, quotidiennement, les différents employeurs que représente l’ AEM informent cette dernière de leurs besoins en main-d’œuvre pour leurs opérations de débardage;

    L’ AEM procède par la suite au déploiement de la main-d’œuvre selon les classifications requises et les effectifs nécessaires et ce, en conformité avec les dispositions de la convention collective quant à la composition des effectifs, notamment, quant au nombre de contremaîtres requis par une opération;

    Les employés sont informés de leur assignation du lendemain lorsqu’ils contactent le centre de déploiement opéré par l’ AEM ;

    Une fois sur les lieux du travail, l’employé peut être requis par l’employeur chez qui il est assigné d’effectuer toutes tâches pour lesquelles il est qualifié et ce, sans consultation auprès de l’ AEM ou sans que cette dernière en soit informée;

    En vertu de la convention collective, seuls les contremaîtreset grands contremaîtres, lesquels sont inclus dans l’unité de négociation, sont autorisés à donner des instructions aux employés. Ces contremaîtres et grands contremaîtres reçoivent quant à eux leurs instructions des compagnies représentées par l’ AEM via leurs surintendants, lesquels sont respectivement employés des différentes compagnies d’arrimage;


    Alors que les contremaîtres reçoivent leur assignation sur une base quotidienne, les grands contremaîtres, quant à eux, sont assignés chez l’un des différents employeurs opérant dans le port sur une base permanente et ce, à l’entière discrétion de cet employeur quant au choix de l’individu et la durée de cette assignation;

    Il existe un autre groupe de vingt employés parmi ceux visés par le certificat d’accréditation détenu par le Syndicat des débardeurs, SCFP, section locale 375 qui sont assignés en permanence comme amarreurs;

    Ces employés travaillent sur un horaire rotatif et se présentent au travail sur appel lorsque des navires arrivent ou quittent le Port de Montréal;

    Alors que ceux-ci étaient dans le passé à l’emploi d’une entreprise depuis faillie, ils sont maintenant rémunérés par l’ AEM par l’entremise du Centre des données maritimes;

    Comme mentionné précédemment, l’ AEM n’exerce aucune autorité tant sur les lieux de travail où les débardeurs sont assignés que sur les tâches que peuvent y effectuer les débardeurs. Cette autorité relève exclusivement des différentes compagnies chez qui les débardeurs sont assignés;
    (…)

  • [21] Lors de son témoignage, M. Langlois a précisé que l’ AEM a vu le jour par le biais de l’article 34 de la Partie I du Code pour agir comme représentant des employeurs maritimes, donc comme représentant patronal, aux fins premières de négocier au nom desdits employeurs maritimes une convention collective avec le Syndicat des débardeurs (local 375) et l’Association internationale des débardeurs (local 1657), lesquels sont les deux seuls syndicats dans le Port de Montréal. Il en est découlé deux conventions collectives. Dans le cas du local 375, ses membres constituent le personnel affecté au chargement et au déchargement dans le territoire géographique du Port de Montréal, alors que dans le cas du local 1657, ses membres sont affectés à la vérification des marchandises océaniques pour le même territoire. Le groupe des vérificateurs compte une quinzaine de classifications alors que celui des débardeurs en compte une centaine dont certaines sont spécifiques à un employeur maritime particulier en raison de la spécificité de la machinerie utilisée.

  • [22] M. Langlois décrit sommairement comme suit le rôle tenu par l’ AEM . Au nom des employeurs maritimes dont elle détient l’autorité, l’ AEM négocie, renouvelle, administre et interprète les conventions collectives, s’occupe des comités de griefs et par conséquent traite des griefs d’interprétation, s’occupe du déploiement des débardeurs chez les différents employeurs maritimes, administre le régime de sécurité d’emploi de même que le régime des mesures disciplinaires, est responsable de la formation des débardeurs et de l’embauche du personnel. Cette même association opère également dans les ports de Trois-Rivières/Bécancourt, Toronto et Hamilton. Dans le passé, elle exerçait également dans les ports de Québec, Halifax et St-John au Nouveau Brunswick. Il note également en ce qui concerne le groupe dit des amarreurs que ces derniers sont employés directement par l’ AEM suite au mandat reçu des employeurs maritimes, les frais reliés aux fonctions de ce groupe d’employés étant chargés directement aux utilisateurs de leurs services. Il précise que les amarreurs sont des débardeurs syndiqués visés par la même convention collective que l’ensemble des presque 1000 débardeurs employés au Port de Montréal. Outre les 20 amarreurs et un débardeur détaché du régime de déploiement et affecté au centre de formation, M. Langlois précise que l’ AEM emploie directement 46 personnes à temps plein et 8 à temps partiel, lesquelles personnes sont non-syndiquées, affectées à des tâches reliées à l’administration de l’ AEM et payées tout aussi directement par cette dernière par le biais des argents perçus sur la base de la taxe sur le tonnage. Au plan de la formation des débardeurs, M. Langlois précise que la convention collective prévoit que la formation des débardeurs est assurée par des débardeurs. En conséquence, l’ AEM a reçu de l’ensemble des employeurs maritimes le mandat de voir à la prestation de cette formation. Ainsi, les divers employeurs maritimes informent l’Association des particularités des divers blocs de formation (par ex. selon l’équipement impliqué) requis, l’ AEM élabore les plans de courset prépare lesdits cours après consultation du personnel du centre de formation, les soumet à l’approbation des employeurs pour ensuite offrir les cours en question par le biais du personnel du centre de formation.

  • [23] Comme dernier point, M. Langlois a précisé qu’il n’était pas présent à la rencontre entre l’agent de Champlain et M. Saucier au cours de laquelle l’instruction sous appel a été remise. Il ajoute toutefois qu’il a rencontré l’agent de santé et de sécurité le 18 juillet 2007 aux fins de discuter avec ce dernier de ladite instruction et de la procédure à suivre, compte tenu du recours en révision judiciaire en cours relativement à la promesse de conformité volontaire (PCV) portant sur le même sujet. On lui aurait dit lors de cette rencontre que l’instruction avait été émise dans le but de contrecarrer le recours judiciaire déjà exercé relativement à la même question en rapport avec la PVC.

  • [24] M. Stéphane Saucier a été le second témoin qu’a fait entendre la partie appelante. Lors de son témoignage, le 23 avril 2009, M. Saucier occupait le poste de directeur, santé et sécurité au travail, auprès de l’ AEM , Port de Montréal, et ce depuis le 1er janvier 2008. Préalablement, il occupait depuis le 10 avril 2001, le poste de coordonnateur, santé et sécurité au travail, auprès de la partie appelante. M. Saucier a témoigné en s’appuyant sur un long affidavit (23 pages), dont j’ai pris connaissance, (pièce S-3) présenté au soutien du recours en révision judiciaire concernant la promesse de conformité volontaire (PCV) mentionnée précédemment, et alors qu’il occupait encore le poste de coordonnateur, santé et sécurité au travail. Dans les faits, son témoignage aux présentes, non soumis à contre-interrogatoire pour les raisons mentionnées précédemment, vient corroborer en très grande partie la déposition offerte par M. Langlois. Selon M. Saucier, bien que ledit affidavit ait été préparé aux fins de soutenir une procédure antérieure, les fonctions qui y étaient décrites comme les siennes au sein de l’ AEM demeurent essentiellement les mêmes au moment de sa déposition, bien que depuis mars 2008, il lui a été adjoint un conseiller en santé et sécurité avec qui il travaille.

  • [25] M. Saucier offre un bref résumé de ses fonctions au sein de l’ AEM . Selon ce dernier, malgré une description beaucoup plus exhaustive à la pièceS-3, son rôle consiste principalement à coordonner les activités relatives à la santé et sécurité entre les divers employeurs maritimes, à assurer une certaine cohérence dans lesdites activités, en particulier en visant à ce que les mêmes pratiques soient employées ou en vigueur, et finalement à conseiller ses confrères sur les questions relatives à la santé et sécurité au travail au chapitre de la négociation de la ou des conventions collectives. Selon le témoin, en ce qui a trait à la cohérence des activités et à la similitude recherchée au niveau des pratiques en place chez les divers employeurs maritimes, son rôle se limite essentiellement à celui de conseiller puisqu’il n’est aucunement en mesure d’imposer quoi que ce soit.

  • [26] En ce qui concerne l’exigence faite par le Code aux employeurs auxquels il s’applique de constituer des comités locaux de santé et de sécurité, le témoin précise que tous les employeurs maritimes du Port de Montréal ont mis en place lesdits comités prescrits par le Code, et que par le biais des négociations collectives, des dispositions ont été insérées à la convention collective aux fins de structurer lesdits comités pour en assurer la cohérence du fonctionnement entre les divers employeurs maritimes. M. Saucier ajoute également qu’a été constitué au Port de Montréal un comité de coordination (comité parapluie) de tous les comités locaux, dont le mandat et les responsabilités, décrits à la convention collective entre l’ AEM et le Syndicat des débardeurs, SCFP, local 375, visent essentiellement à assurer la cohérence des activités des comités locaux de chacun des employeurs maritimes. Il note toutefois que ledit comité de coordination, qui regroupe des représentants des employeurs maritimes et des employés des différents secteurs d’activité, ne jouit, de par la convention collective, que d’un pouvoir de recommandation et que par conséquent, lesdits employeurs maritimes maintiennent leur autorité décisionnelle propre en matière de santé et sécurité au travail. En ce qui a trait à l’indemnisation des accidents du travail, M. Saucier indique que l’ AEM n’est pas impliquée et que chaque employeur maritime doit cotiser individuellement à la Commission de Santé et Sécurité du Travail du Québec (CSST), cette cotisation étant imputée différemment selon l’expérience et le dossier propres de chaque employeur. Au soutien de ses propos, M. Saucier a également produit et commenté la pièce S-8, dont j’ai également pris connaissance. Il s’agit d’un recueil de documents et déclarations assermentées provenant de tous, sinon de la majorité, des employeurs maritimes du Port de Montréal, lesquels viennent confirmer/corroborer les dires des témoins Langlois et Saucier, et que ce dernier décrit comme étant les employeurs qui paient des cotisations à la CSST lorsque surviennent des lésions professionnelles.

  • [27] Faisant rappel des décisions de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale mentionnées précédemment, lesquelles reconnaissaient à l’ AEM un statut d’employeur dans le Port de Montréal, M. Saucier note qu’il a voulu rencontrer les représentants du Programme Travail aux fins de connaître ce que serait dorénavant leur approche ou orientation visant le débardage au Port de Montréal suite à ces jugements. On lui aurait signifié, en décembre 2006 (agent SST Léger), qu’il y aurait consultation relativement à la nouvelle approche qui devrait en découler. Toutefois, selon le témoin, aucune telle consultation aux fins d’élaborer ladite nouvelle approche n’a réellement eu lieu, si ce n’est une rencontre aux bureaux de l’ AEM visant à en donner à ses représentants un aperçu par anticipation avant son annonce officielle. Lors de cette rencontre, M. Saucier fait valoir que l’ AEM s’est inscrite en faux relativement à plusieurs aspects de ladite nouvelle orientation, relevant en particulier que ceci faisait du Port de Montréal un cas unique, alors que les ports de Halifax, Trois-Rivières, Vancouver, Toronto et Hamilton seraient traités différemment. Aux dires du témoin, lors de la présentation par les représentants du Programme Travail, le 13 février 2007, de la nouvelle approche voulant que “dans le Port de Montréal, ce soit l’ AEM ” comme employeur, il est devenu évident qu’on n’avait pas tenu compte de leurs observations. M. Saucier relève également que les opérations de débardage se séparent entre celles ayant lieu sur les quais, lesquelles relèvent des agents de santé et sécurité attachés au Programme Travail de DRHC et celles survenant à bord des navires, qui tombent sous la gouverne des agents SST de Transport Canada, et que suite à une directive émanant dudit ministère, les agents de Transport Canada qui autrefois donnaient des instructions aux employeurs maritimes individuels, signifient dorénavant leurs instructions relatives à la santé et sécurité aux termes du Code uniquement à l’ AEM .

  • [28] Le témoin a rencontré l’agent de santé et sécurité Sylvie Gaudreau aux bureaux de l’appelante le 4 avril 2007. À cette occasion, l’agent Gaudreau lui a remis une demande de promesse de conformité volontaire (PCV) voulant, tel que mentionné précédemment, que l’ AEM constitue un comité d’orientation aux termes de l’article 134.1 du Code et expliquant que cette démarche résultait de la décision rendue précédemment par l’agent d’appel Guénette (supra) de même que des décisions de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale qui en avaient découlé. L’agent Gaudreau a également fait valoir à cette occasion qu’il ne devrait dorénavant n’y avoir qu’un seul comité d’orientation dans le Port de Montréal, que la partie patronale ne devrait y être représentée que par l’ AEM , à l’exclusion de représentants des diverses entreprises de débardage qui toutefois pourraient y jouer un rôle d’observateur et que tous les comités locaux de santé et sécurité devaient être reconstitués de manière à ce que seule l’ AEM y joue le rôle de partie patronale, là encore avec un rôle de simple observateur pour les diverses compagnies de débardage. Selon letémoin, l’agent Gaudreau aurait expliqué cette approche en faisant valoir qu’il « était beaucoup plus simple pour Travail/DRHC s’il n’y avait qu’un seul employeur avec qui transiger, peu importe les circonstances ». Tel qu’il a été mentionné précédemment, suite au refus de l’ AEM de répondre favorablement à cette demande de PCV, l’appelante s’est adressée à la Cour fédérale en révision judiciaire sur cette question, et une décision a été rendue par la Cour en décembre 2008. Cependant, le témoin fait valoir que bien avant cette décision, soit le 16 juillet 2007, l’agent de santé et de sécurité de Champlain a émis à l’ AEM l’instruction concernant l’établissement d’un comité d’orientation au Port de Montréal visée par le présent appel. Selon M. Saucier, le 18 juillet 2007, lors d’une rencontre avec l’agent de Champlain et Jean-Pierre Langlois, on aurait demandé à l’agent pourquoi l’instruction était émise à ce moment particulier, ce à quoi M. de Champlain aurait répondu que le tout avait été commandé par les avocats de Travail/DRHC dans le but de court-circuiter le recours de l’ AEM en Cour fédérale puisque contrairement à une demande de PCV, on ne pouvait ignorer une instruction formellement émise.

    Argumentation

    Appelant(e)

  • [29] Énoncée sommairement, l’argumentation de la partie appelante tient aux quatre points suivants. Premièrement, sur la base des éléments mis en preuve qui caractérisent les rapports de travail entre les débardeurs, contremaîtres et grands contremaîtres du Port de Montréal avec à la fois, d’une part, les différents employeurs maritimes et, d’autre part, l’Association des Employeurs Maritimes tenant son “mandat”, sinon son autorité, desdits employeurs maritimes, la conclusion qui s’impose est à l’effet que sur la base des critères traditionnels de détermination d’une relation employeur-employé,ce sont les différents employeurs maritimes qui sont et demeurent les employeurs desdits débardeurs, contremaîtres et grands contremaîtres, sauf évidemment pour les débardeurs, amarreurs et autres personnes embauchées directement par l’ AEM pour s’acquitter du rôle qui lui est dévolu par l’effet de l’article 34 du Code.

    Deuxièmement, l’interprétation de certaines dispositions législatives qu’on retrouve tant à la Partie I qu’à la Partie II du Code, en particulier les définitions d’employeur à ces deux parties, de même que les articles 33 et 34 de la Partie I, amène à conclure que par le biais d’une action législative, que d’aucuns qualifieraient de fiction légale, la relation employeur-employé peut être partagée entre l’ AEM et les employeurs maritimes selon les obligations, fonctions et circonstances particulières invoquées dans chaque cas. C’est ce que les Cour fédérale et Cour d’appel fédérale ont conclu en déterminant qu’on devait procéder au “cas par cas” dans l’identification de “l’employeur” des débardeurs et autres et en qualifiant “d’hybride” la position de l’ AEM .

    Troisièmement, l’instruction d’établir un comité d’orientation adressée à l’ AEM a été émise sur la base que l’ AEM serait l’employeur unique des débardeurs et autres dans le Port de Montréal, ce qui en un premier temps ne respecte pas l’exigence formulée par la Cour fédérale de procéder à une analyse au “cas par cas”, et en un deuxième temps, ne respecte même pas la propre politique (DPO) du Programme Travail/DRHC quant à l’application uniforme et cohérente du Code puisque l’approche adoptée au Port de Montréal est unique par rapport aux autres ports du Canada.

    Quatrièmement, compte tenu de la preuve présentée relativement au travail des débardeurs et appliquant les propos tenus par les deux cours fédérales à la terminologie de l’article 134.1 du Code, laquelle prévoit non seulement qu’il y ait un employeur, mais que cet employeur emploie (compte) directement et habituellement 300 employés ou plus, la conclusion qui s’impose est à l’effet que l’ AEM ne compte pas directement et habituellement le nombre minimum requis d’employés, n’est pas conséquemment tenue d’établir un comité d’orientation, et donc que l’instruction qui lui a été signifiée à cet effet est sans fondement.

  • [30] De manière plus complète, Me Giroux, pour l’appelante, précise d’entrée de jeu, que la question soulevée par le présent appel est de savoir si l’Association des Employeurs Maritimes est un employeur assujetti à l’article 134.1 du Code, compte tenu du fait que suite à une décision rendue antérieurement par l’agent d’appel Guénette relativement à cette même association, la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont conclu que l’ AEM pouvait, en certaines circonstances, être considérée comme un employeur au sens de la Partie II du Code. Selon Me Giroux, la réponse à cette question requiert de s’attarder en premier lieu à la qualité de représentant patronal de l’ AEM , pour en arriver à la conclusion que cette dernière ne peut être perçue comme un employeur au sens habituel ou traditionnel du terme. En concluant ainsi, il deviendrait donc nécessaire d’examiner cette qualité d’employeur, créée législativement, au cas par cas, au vu des circonstances particulières de l’ AEM dans chaque cas, tenant compte du fait de l’exigence d’application uniforme de la législation et, en conséquence, du sens et de la portée restreints, selon ses propos, à donner aux dispositions pertinentes de la partie de la loi s’appliquant plus directement au présent cas, ie. la Partie II du Code, et sa définition du terme « employeur » qui intègre la notion d’organisation patronale.

  • [31] Ainsi, comme le fait valoir Me Giroux, l’Association des Employeurs Maritimes se veut une association d’employeurs ayant été désignée, notamment au Port de Montréal, comme représentant patronal au sens de l’article 34 de la Partie I du Code. La création législative de cette désignation, par le biais et l’effet de ce qu’il est convenu d’appeler le régime d’accréditation géographique, visait à régler les problèmes majeurs qui, à une certaine époque, marquaient les relations de travail dans le domaine du débardage au Canada, et en particulier dans les ports du Saint-Laurent. Contrairement à l’accréditation syndicale traditionnelle voulant qu’un syndicat représente les employés d’un seul employeur, l’accréditation géographique prévoit qu’un syndicat unique représentera tous les employés de tous les employeurs d’un même port. La conséquence qu’entraîne une telle accréditation syndicale est la désignation, volontaire ou imposée, d’un représentant de tous les employeurs de ce même port à titre de représentant patronal, lequel devient, de ce fait, assimilé à un employeur, requis de s’acquitter des obligations imposées à l’employeur par la Partie I du Code et investi de ce fait de l’autorité nécessaire à cet effet, dont l’autorité de conclure une convention collective au nom de et liant ses membres constituants. En bref donc, l’ AEM ne serait pas en soit un employeur de tous les employés de ses parties constituantes, mais en raison d’une fiction légale, devrait agir comme tel pour répondre aux exigences de la loi.

  • [32] Eu égard à la disposition du Code prévoyant l’établissement de comités d’orientation, soit l’article 134.1, l’avocat de l’appelante met en parallèle le texte de l’article dans les deux langues officielles, où il est dit, en partie, que l’obligation de constituer de tels comités s’applique aux employeurs qui comptent “habituellement 300 employés directs ou plus”--“who normally employ(s) directly 300 or more employees “, avec les Directives du Programme des Opérations(pièce S-3). Dans ces Directives, il est prévu à l’article 8.1 “qu’aux fins de l’établissement des comités d’orientation, la catégorie à laquelle appartient l’organisation d’un employeur sera déterminée d’après le nombre d’employés que cette organisation emploie directement et non d’après le nombre total d’employés des membres de cette organisation”—“an employer’s organization will be categorized by the number of employees that it employs directly and not according to the total number of employees of its member employer if it belongs to an employers(sic) association.” Sur cette base, le procureur fait valoir que le Programme Travail, par le biais de ses représentants que sont les agents de santé et de sécurité, est tenu, lors de la détermination de la nécessité d’établir ou non un comité d’orientation, de déterminer quelle entité des différentes compagnies d’arrimage ou de l’ AEM doit être considérée comme l’employeur des débardeurs, plutôt que d’adopter et d’appliquer de façon systématique une politique voulant que l’ AEM soit dorénavant désignée le seul employeur des débardeurs au Port de Montréal, faisant ainsi dudit Port de Montréal un cas unique, contrairement à ses propres Directives du Programme des Opérations voulant que “la législation et les règlements soient appliqués de façon uniforme et équitable” et que soient établies des “procédures visant à assurer l’uniformité de l’application du Code dans toutes les entreprises relevant de la compétence du gouvernement fédéral”.

  • [33] Me Giroux ajoute qu’aux fins de se décharger des obligations que lui impose la Partie I du Code, en raison de sa désignation à titre de représentant patronal dans différents ports au Canada, l’ AEM emploie elle-même directement un certain nombre d’employés, 54 selon les dires du procureur. Ce groupe comporte messieurs Saucier et Langlois qui ont témoigné à la présente instance, un certain nombre d’agents de relations de travail, de personnel administratif et en plus, vingt débardeurs qui font l’amarrage et dont l’ AEM est devenue responsable suite à la faillite de leur employeur antérieur. Le groupe d’employés compte également un autre débardeur assigné de façon permanente au Centre de formation et lorsque de la formation doit être donnée, elle l’est par des débardeurs tel que l’exige la convention collective, ce qui fait de ces débardeurs des employés directs. À l’égard des travailleurs qui forment ce groupe, Me Girouxdéclare que l’ AEM ne conteste pas qu’elle en est l’employeur au sens des trois Parties du Code. Toutefois, en ce qui a trait aux autres débardeurs, la position de l’ AEM est qu’elle n’est pas leur employeur au sens de la Partie II du Code à tous égards, ce qui n’exclut pas qu’à certains égards, suite à une étude au cas par cas, elle puisse être considérée comme tel. Ceci dit, Me Giroux affirme qu’en aucun temps l’ AEM n’atteint le nombre de trois cents employés directs.

  • [34] Me Giroux conclut son argumentation en s’arrêtant au texte de l’article 134.1 du Code à la lumière de ce qui précède. Selon ce dernier, la seule lecture du texte de la loi, et plus précisément l’article 134.1, suffit pour conclure que l’ AEM n’est pas assujettie audit article. En outre, selon ce dernier la lecture des politiques et directives du Programme Travail (pièces S-2 et S-3) mène à conclure que l’interprétation retenue par le Programme Travail à Montréal relativement à l’article 134.1 en question est non seulement erronée, mais contraire auxdites politiques et directives qui doivent gouverner l’examen de cette question en appliquant la loi de façon uniforme et cohérente. Outre le fait que l’ AEM , selon la preuve, ne compte pas habituellement trois cents employés directs ou plus, la nouvelle approche adoptée régionalement pour le Port de Montréal fait fi des enseignements de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale à l’effet que la détermination de l’employeur doit s’effectuer au cas par cas. Dans cette optique, Me Giroux précise qu’outre le cas du groupe d’employés directs mentionnés précédemment, dans lequel cas l’ AEM est assujettie en tant qu’employeur aux obligations établies par la Partie II du Code, cette dernière satisfait également à la définition d’employeur à l’article 122 du Code lorsqu’elle agit pour le compte d’un des employeurs qu’elle représente relativement à des obligations prévues à la Partie II, en réponse à l’exigence de l’examen au cas par cas formulée par la Cour fédérale. Toutefois, selon le procureur, ceci ne permettrait pas de conclure que l’ AEM , en raison des pouvoirs qui lui sont dévoluspar l’article 34 du Code, serait, à toutes fins que de droit, l’employeur des débardeurs au sens de la Partie II du Code parce que certaines dispositions de la
    convention collective qu’elle a conclue au nom des employeurs maritimes avec le syndicat des débardeurs ont trait à la santé et à la sécurité des employés.

  • [35] En conclusion, la règle qui doit être respectée est celle énoncée par les deuxcours fédérales à l’effet que l’identification de l’employeur assujetti à une obligation du Code doit se faire sur la base des circonstances particulières audit employeur, donc au cas par cas. Sur cette base, Me Giroux opine qu’il est incontestable que l’ AEM n’est pas un employeur assujetti à l’article 134.1 du Code.

    Intervenant(e)

  • [36] L’argumentation de la partie intervenante a été présentée verbalement à l’audience par Me Pronovost et par écrit par Me Vachon. Dans un cas comme dans l’autre, cette argumentation peut en fait se résumer à la déclaration que la partie intervenante abonde dans le sens et endosse les arguments formulés par Me Giroux pour la partie appelante. À ce titre, la partie intervenante fait sienne l’argumentation de l’appelante concernant l’historique des relations de travail dans l’industrie du débardage et l’origine des dispositions particulières à l’accréditation géographique prévues à la Partie I du Code, affirmant du même souffle que sous cette situation particulière au plan de l’organisation du travail, l’ AEM est assimilée à un employeur pour les fins de la Partie I du Code et les employeurs maritimes individuels conservent les obligations et responsabilités qui leur sont dévolues par le Code.

  • [37] Selon les procureurs de la partie intervenante, les conclusions suivantes s’imposent au vu de la preuve :
    -l’instruction émise par l’agent de santé et sécurité de Champlain résulte d’une mauvaise compréhension de l’organisation du travail au Port de Montréal et d’une mauvaise interprétation des faits, de la loi et des principes applicables.
    -la preuve permet clairement de conclure que l’instruction émise était basée sur une interprétation erronée des enseignements de la Cour fédérale voulant que la détermination de l’employeur se fasse au cas par cas, et conséquemment ne respectait pas la nouvelle orientation du Programme Travail/DRHC découlant de ces enseignements.
    -il en découle donc que la question de créer un comité d’orientation n’a pas fait l’objet de l’analyse minutieuse requise.
    -il a été clairement établi en preuve que l’ AEM ne compte pas habituellement les trois cents employés directs requis pour fonder l’obligation d’établir un comité d’orientation.
    -l’intervenante a toujours conservé son statut de véritable employeur au sens du Code et en ce sens, l’organisation du travail au Port de Montréal commande que l’entreprise de débardage demeure au premier plan en matière de gestion de la santé et de la sécurité de ses employés. À cet égard, les entreprises de débardage au Port de Montréal, dont l’intervenant(e), assument leurs obligations à titre d’employeurs des employés affectés à leurs opérations.

    Décision

  • [38] Ma conclusion en la présente instance est déjà connue des parties puisque je leur en ai fait part verbalement, dès la clôture de l’audience, le 24 avril dernier, et par la suite dans une courte décision écrite datée du 4 mai 2009. Ce qui suit se veut uniquement une explication de la réflexion ayant mené le soussigné à cette conclusion, compte tenu du fait qu’à mon avis, l’instruction sous appel dans la présente affaire n’aurait jamais dû être émise. Je suis effectivement d’opinion qu’une simple lecture et interprétation réfléchies des dispositions législatives s’appliquant en l’instance par l’émetteur de l’instruction en appel, ou par les personnes sous la gouverne desquelles elle exerce, des personnes de toute évidence informées de l’état du droit, particulièrement de l’interprétation donnée par les tribunaux du Code et de ses dispositions pertinentes, justement en relation avec l’ AEM , aurait mené à une décision différente. D’avoir procédé malgrétout à émettre ladite instruction, que cette décision ait été prise entièrement librement ou sous une quelconque directive, témoigne abondamment de la relation qui existe entre l’ AEM , au Port de Montréal, et l’organe chargé d’appliquer le Code, et particulièrement sa Partie II, à cet endroit.

  • [39] Ceci dit, et comme j’ai exprimé l’opinion qu’une interprétation attentive et réfléchie des dispositions pertinentes du Code, appliquée aux circonstances factuelles qui prévalent en ce qui concerne l’ AEM , le Port de Montréal et les débardeurs qui y pratiquent leur métier, permet d’arriver à la conclusion que j’ai déjà formulée et à la décision d’accorder l’appel et d’annuler l’instruction en cause, je procéderai donc ci-après à cette analyse. Il importe de préciser maintenant que cette analyse est faite dans le respect des règles d’interprétation statutaires que formule la Loi d’interprétation (L.R., 1885, ch. I-21), en particulier les articles 10 et 12 qui se lisent comme suit :

    10.-La règle de droit a vocation permanente ; exprimée dans un texte au présent intemporel, elle s’applique à la situation du moment de façon que le texte produise ses effets selon son esprit, son sens et son objet.

    Dans sa version anglaise, cette règle d’interprétation est désignée par les mots “Law Always Speaking”, ce qui implique qu’on doit l’interpréter de manière à donner un sens à chacun des termes d’une disposition législative. L’article 12, qu’on désigne également en anglais par les mots “Enactment (is) Remedial “, se lit comme suit :

    12.-Tout texte est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet.

  • [40] Je me suis arrêté aux deux règles d’interprétation précitées avant de passer à la question sous étude pour la simple raison que l’instruction de la présente affaire, laquelle s’est déroulée en l’absence d’une partie intimée, a porté pour une large part sur la question plus large de la désignation de l’ AEM comme “employeur”, ou pas, des débardeurs du Port de Montréal avant d’en venir à la question plus précise visant la présence ou non d’un rapport d’emploi direct entre ladite AEM et les débardeurs exerçant leurs activités chez les différents employeurs maritimes du Port de Montréal dans le cadre de la question de savoir si l’ AEM était requise de mettre en place un comité d’orientation aux termes de l’article 134.1 du Code. Ainsi donc, il m’apparaît important de rappeler que mon interprétation des quelques dispositions du Code visant cette notion d’employeur tient compte de ces deux règles.

  • [41] La partie appelante a fondé pour une large part son argumentation sur le fait qu’il a été établi par la jurisprudence que l’ AEM n’est pas et ne peut être vue comme l’employeur des débardeurs dans tous les cas,que cette désignation nécessite une analyse des circonstances ou éléments propres aux circonstances spécifiques de chaque situation invoquée et que la détermination de cette désignation doit se faire au cas par cas en raison de la natureparticulière du milieu du débardage. Pour sa part, l’agent de santé et de sécurité de Champlain a émis son instruction à l’endroit de l’ AEM sur la base de la position apparemment préconisée par le Programme Travail voulant que l’ AEM soit le seul employeur des débardeurs dans le Port de Montréal. Or, avant de considérer la désignation de l’ AEM dans le cadre de l’article 134.1 relativement au comité d’orientation, il y a lieu de revoir comment une association d’entreprises de débardage (des employeurs maritimes) agissant en principe séparément et indépendamment les unes des autres, et à qui les débardeurs dispensent individuellement leurs services dans les lieux contrôlés par lesdites entreprises (leur propriété) et qui en fait leur fournissent les outils, formulent les directives de travail et rémunèrent leur travail, peuvent en arriver à être réunies, consolidées en un seul employeur vis-à-vis lesdits débardeurs de plusieurs régions ou secteurs réunis en un syndicat unique.

  • [42] Par la preuve testimoniale présentée, de même que par le renvoi du tribunal par l’appelante à la décision du Conseil canadien des relations de travail dans l’affaire L’Association internationale des débardeurs, local 1739 et al (45 di 314), il a été établi qu’au cours des années 80, en raison des difficultés encourues de manière permanente au niveau de l’organisation du travail et des relations de travail au Port de Montréal et autres, le législateur fédéral avait instauré un régime d’accréditation syndicale particulier, éventuellement appelé régime d’accréditation géographique, qui visait de façon particulière le secteur du débardage. Il n’est pas nécessaire ici d’exposer en détail le fonctionnement du système en question, sauf possiblement pour en référer à l’article 34 de la Partie I du Code qui précise que le Conseil “peut décider que les employés de plusieurs employeurs (…) constituent une unité habile à négocier collectivement”, indiquant par le texte même qu’au départ, les débardeurs étaient les employés des différents employeurs maritimes. Face à l’unification en une seule unité de négociation des débardeurs d’un secteur ou d’une région particulière, le législateur a également réalisé qu’au chapitre des négociations collectives et relations de travail, devait faire face au cadre unifié des employés/débardeurs au sein d’une unité de négociation unique un cadre regroupant tous les employeurs maritimes du même secteur ou de la même région. Le paragraphe 34(3) du Code prévoit dès lors que dans le cas d’une accréditation syndicale géographique, le Conseil ordonnera à ces divers employeurs maritimes de se choisir un représentant pour constituer le pendant unifié et unique du cadre unifié des employés/ débardeurs. Pour le Port de Montréal, ceci explique l’avènement de L’Association des Employeurs Maritimes, appelante en l’instance. Le législateur, a l’égard de ce cadre regroupant les employeurs, a également assuré leur autorité collective d’employeur en prévoyant, par le biais de ce que j’appellerai une fiction légale, que pour l’application de la Partie I du Code (relations du travail), ledit représentant, en l’instance particulière l’ AEM , est assimilé à un employeuret est tenu d’exécuter au nom de ses membres constituants toutes les obligations de l’employeur au titre de la Partie I du Code au sein du régime des négociations collectives ayant cours au Port de Montréal. Toutefois, pour en revenir à la question soulevée par le présent appel, cette fiction légale sous l’article 34 fait-elle de l’appelante un employeur au sens général de la Partie II du Code et encore plus spécifiquement aux termes de l’article 134.1 du Code, fonde-t-elle l’obligation de constituer un comité d’orientation. Il m’apparaît important de noter ici que cette ”fiction légale” représente une exception aux règles régissant habituellement la détermination de ce qu’est une relation employeur-employé, et qu’en conséquence, elle doit recevoir une interprétation restrictive.

  • [43] La Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont considéré cette question, à tout le moins en ce qui a trait à la question plus générale de savoir si l’ AEM peut être vue comme un employeur au sens de la Partie II. J’ai déjà cité les passages pertinents des jugements de ces deux cours au début de la présente décision. Toutefois, pour la clarté de la réflexion, j’estime utile de les citer de nouveau. Avant de ce faire cependant, il est utile de s’arrêter à la définition du terme “employeur” qui apparaît à la Partie II du Code.

  • [44] Le paragraphe 122(1) définit,aux seules fins de la Partie II, le terme “employeur” comme suit, tant en français qu’en anglais:

    “employeur”-Personne qui emploie un ou plusieurs employés--ou quiconque agissant pour son compte—ainsi que toute organisation patronale.

    “employer”-means a person who employs one or more employees and includes an employers organization and any person who acts on behalf of an employer.
    (emphase ajoutée)

    On note en premier lieu que cette définition, dans une langue comme dans l’autre, fait usage du verbe ‘’employer/employ”, lequel comporte un sens bien précis tant en français qu’en anglais. Ainsi, selon le dictionnaire Petit Larousse Illustré, le verbe ‘’employer’’ signifie, relativement aux personnes: ‘’faire travailler pour son compte’’, alors que son pendant anglais ‘’employ’’ est rendu par: ‘’use the services of (a person) in return for payment’’, selon le Canadian Oxford Dictionary.

    On note également que les deux définitions comportent l’expression ‘’organisation patronale/employers organization’’, laquelle se retrouve à la Partie I du Code au titre de la désignation comme telle par le Conseil canadien des relations du travail (article 33) de l’entité choisie pour représenter l’ensemble des employeurs maritimes d’un secteur géographique donné face à un syndicat représentant l’ensemble des travailleurs de ce secteur dans le cadre d’une accréditation géographique. Comme la Partie II du Code, à la définition ci-dessus, reprend l’expression ‘’organisation patronale’’ de la Partie I sans la définir différemment ou y apporter des restrictions particulières, il y aurait tout lieu de lui accorder le même sens qu’à la Partie I en application de la règle d’interprétation voulant que les mêmes mots reçoivent le même sens dans la même loi (le Code étant une loi unique comportant trois parties) et donc on pourrait s’interroger à savoir si l’ AEM , en tant qu’association d’employeurs maritimes établie comme ‘’représentant’’ unique face à un syndicat accrédité géographiquement, peut être vue comme ‘’organisation patronale’’ au sens de la définition d’’’employeur’’ comportant cette expression, en l’absence d’une telle désignation à cet effet, ou encore de la preuve qu’une telle désignation est survenue. Nous verrons toutefois ci-après que la Cour fédérale en l’absence de telles contraintes à la Partie II du Code, a choisi de considérer l’ AEM comme ‘organisation patronale’’ de facto, important par conséquent dans la définition d’’’employeur’’ la fiction légale créée par l’opération des articles 34 et 33 de la Partie I du Code.

    Tenant compte de ce qui précède, on peut se demander dès lorscomment, au vu d’une telle fiction légale, les débardeurs qui exécutent leurs fonctions à la demande d’un employeur maritime, sur un site contrôlé par cet employeur maritime, avec les équipements fournis généralement par ledit employeur maritime et selon les instructions émanant dudit employeur, lequel rémunère leurs services par le biais d’un régime/organe centralisé, peuvent être considérés comme employés de l’ AEM . La Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont donné réponse à cette question en précisant que ceci devait être déterminé au cas par cas, donc sur la base des circonstances individuelles et particulières de chaque cas, reconnaissant de ce fait la possibilité du partage de la personnalité d’employeur. Même si déjà cités au début de la présente, il est utile de reprendre ici les propos des deux cours à ce sujet.

  • [45] Dans sa décision concernant l’affaire Association des Employeurs Maritimes et Syndicat des Débardeurs S.C.F.P. section locale 375 (supra), l’honorable juge de Montigny a déclaré :

    [50] L’article 34 du Code prévoit que le Conseil canadien des relations industrielles, dans le secteur du débardage et dans d’autres secteurs d’activités désignés par le gouverneur en conseil, peut décider que les employés de plusieurs employeurs oeuvrant dans le même secteur d’activité constituent une seule unité d’accréditation. Dans cette hypothèse, le Conseil enjoindra les employeurs de se nommer un représentant ou, à défaut, en nommera un lui-même, et ce représentant sera assimilé à l’employeur dans le cadre de la Partie I.

    {51} Ce régime spécial d’accréditation sectorielle fait en sorte que des employeurs pourront être forcés de se nommer un représentant qui agira en leur nom même s’ils ne forment pas une organisation patronale à laquelle le Conseil aurait pu attribuer la qualité d’employeur au terme de l’article 33 du Code. On ne saurait cependant inférer de ce régime spécial qu’une organisation patronale ne peut être assimilée à un employeur pour les fins de la Partie II.

    [52] Il est d’ailleurs significatif de comparer la définition du mot ‘’employeur’’ que l’on retrouve pour les fins de la Partie I et de la Partie II. Tandis que l’on définit le mot ‘’employeur’’ à l’article 3 comme ‘’quiconque emploie un ou plusieurs employés’’, l’article 122(1) définit ce même terme comme une ‘’personne qui emploie un ou plusieurs employés-ou quiconque agissant pour son compte-ainsi que toute organisation patronale’’. S’il en va ainsi, c’est sans doute parce qu’une organisation patronale ne pourra être considérée comme un employeur pour les fins de la Partie I que dans le cadre prévu par l’article 33, alors qu’une telle restriction n’est pas prévue dans le contexte de la Partie II.

    [53] Par conséquent, l’agent d’appel pouvait conclure qu’une organisation patronale comme l’ AEM est un ‘’employeur’’ pour les fins de la Partie II. (…)

    [57] (…) En ne précisant pas comment l’agent d’appel doit identifier l’employeur à qui un avis peut être envoyé lorsqu’il constate une situation dangereuse
    (ou autre manquement à la Partie II du Code), le législateur lui a laissé le soin de procéder à cette identification au cas par cas, en se fondant sur son expertise et son évaluation des faits portés à sa connaissance. C’est précisément ce que l’agent d’appel a fait en l’occurrence, en se fondant sur le fait que l’ AEM contrôle les tâches des débardeurs. Ce contrôle ne se limite pas à la supervision directe sur le terrain, mais peut inclure d’autres aspects comme la répartition des effectifs, la définition des tâches incluses dans les différentes classifications, et la prise en charge des mesures disciplinaires.(…)
    (les mots en caractère gras sont du soussigné)

  • [46] La Cour d’appel fédérale a maintenu la décision de l’honorable juge de Montigny citée ci-dessus. Il est cependant important de mentionner que ce faisant, la Cour a rappelé dans sa décision que le juge de Montigny avait appliqué la norme de contrôle dite du ‘’manifestement déraisonnable’’, selon laquelle une très grande déférence devait être accordée aux conclusions soumises à révision judiciaire. Une jurisprudence récente a toutefois ramené la norme de contrôle au caractère ‘’raisonnable’’ et on peut se demander si l’une ou l’autre des cours aurait formulé la même conclusion en application de la nouvelle norme. Quoi qu’il en soit, la Cour d’appel fédérale (supra), par le biais de l’honorable juge Décary, a conclu comme suit :

    [5] L’ AEM demande le contrôle judiciaire de la décision de l’agent d’appel Guénette. Le juge de Montigny, de la Cour fédérale, rejette la demande (2006 CF 6). Il se dit d’avis que les conclusions auxquelles en est arrivé l’agent d’appel ‘’doivent faire l’objet d’une très grande déférence’’ et que ‘’l’erreur devra être flagrante pour entraîner l’annulation de sa décision’’ (par.47). Il applique dès lors la norme de contrôle dite du ‘’manifestement déraisonnable’’ et en arrive à la conclusion que la décision attaquée ne rencontre pas cette norme exigeante.

    [6] Nous souscrivons pour l’essentiel aux propos du juge de Montigny. L’ AEM se trouve dans une position hybride. Le fait qu’elle soit en pratique une organisation patronale qui regroupe les employeurs des débardeurs dont la santé et la sécurité sont en cause, son statut de représentant patronal des employeurs maritimes pour les fins de la convention collective signée avec le Syndicat des débardeurs et les engagements qu’elle prend à son compte dans ladite convention en matière de santé et de sécurité au travail, ne permettent pas de l’exclure de l’application de la Partie II du Code canadien du travail.

  • [47] Auvu de tout ce qui précède, on peut donc avancer qu’en ce qui concerne le recours aux services des débardeurs, le législateur a permis l’établissement d’un régime d’emploi, d’utilisation des débardeurs, qui est adapté au caractère particulier du domaine du débardage et qui en reconnaît la réalité. Les cours fédérale et d’appel fédéralel’ont confirmé par la simple reconnaissance que la désignation d’employeur doit se faire au cas par cas selon les rôles et obligations qui entrent en jeu ou dont il est nécessaire de se décharger dans le cadre des circonstances propres à chaque situation. Ainsi donc, et je partage cet avis, force est d’opiner que l’ AEM , face aux débardeurs peut être vue comme l’employeur dans certaines circonstances et dans d’autres circonstances, ce seront les employeurs maritimes individuels qui assumeront ce titre. À mon sens, c’est ce qu’entendait la Cour d’appel fédérale lorsqu’elle qualifiait d’hybride la nature fonctionnelle de l’ AEM , ce qui n’affecte en rien, à mon avis, sa qualité propre d’employeur vis-à-vis son propre cadre d’employés (quelques 54) requis pour s’acquitter des fonctions qui lui sont dévolues à raison de sa caractérisation d’organisation patronale. J’ajouterai toutefois qu’au-delà de cette caractérisation de l’ AEM , le donneur effectif de travail, en ce sens qu’il détermine au jour le jour ses besoins en débardeurs dans son établissement, en enregistre la commande auprès de l’ AEM , en assure l’exécution avec les équipements qu’il fournit en principe dans un lieu qu’il contrôle, et en acquitte le coût, demeure l’employeur maritime Par conséquent, sous certains aspects, et c’est la position de la partie appelante, c’est l’entrepreneur maritime qui doit être vu et est en réalité l’employeur, alors que sous d’autres aspects, et par l’effet de cette fiction légale découlant de l’accréditation géographique et appliquée à la Partie II, l’ AEM le deviendra.

  • [48] Au vu de ce qui précède, il devient particulièrement aisé de traiter de la question spécifique soulevée par le présent appel. Le texte du paragraphe 134.1 qui énonce l’obligation d’établir un comité d’orientation en matière de santé et de sécurité se lit en partie comme suit dans les versions française et anglaise :

    134.1(1)-L’employeur qui compte habituellement trois cents employés directs ou plus constitue un comité d’orientation… .

    134.1(1)-For the purposes of addressing (…) every employer who normally employs directly three hundred or more employees shall establish a policy health and safety committee… .
    (emphase ajoutée)

  • [49] Au paragraphe 37 ci-dessus, la définition du titre ‘’employeur/employer’’ a été examinée en fonction du sens à donner au verbe ‘’employer/employ’’, lequel se réduit en fait au concept de prestation de services à l’endroit d’un employeur parun employé. Si on examine le texte français du paragraphe 134.1, on note qu’on y formule l’obligation en termes d’un employeur qui ‘’compte’’ des employés, alors que le texte anglais reprend la formule de la définition d’’’employeur, soit un employeur ‘’who employs’’. À mon avis, ceci n’affecte en rien le sens à donner à l’obligation puisque dans l’une ou l’autre version, l’obligation est formulée au titre d’obligation de l’employeur, lequel terme est clairement défini au paragraphe 122(1) du Code au sens d’employer, c’est-à-dire de relation d’emploi destinée àla prestation de services.

  • [50] Si on devait s’en tenir à cette simple analyse, compte tenu de ce qui précède concernant la désignation de l’ AEM , on pourrait être tenté de conclure que l’obligation de constituer un comité d’orientation s’applique à l’ AEM à titre de représentant de tous les employeurs maritimes du Port de Montréal aux termes de l’article 33 du Code. Cependant, les mots ‘’directs’’ et ‘’habituellement’’, et leur pendant anglais viennent colorer cette obligation,Ainsi, le mot ‘’direct’’ est défini au dictionnaire Petit Larousse Illustré cité précédemment comme signifiant ‘’sans intermédiaire, en relation immédiate avec quelque chose’’ et‘’habituellement’’ y est rendu par les mots ‘’Par habitude, de façon presque constante’’, et le sens courant des pendants anglais est au même effet. La preuve dans la présente affaire est à l’effet que L’ AEM , de son propre chef, compte environ 54 employés (auxquels s’ajoutent les amarreurs)et que le Port de Montréal compte environ 1000 débardeurs que l’ AEM a pour fonction de répartir chez les divers employeurs maritimes selon les besoins enregistrés par ces derniers dans l’application du régime de déploiement et répartition des effectifs en place. À mon avis, il ne fait aucun doute que la prestation des services par les débardeurs se fait directement auprès des différents employeurs maritimes et ce, en tout temps, c’est-à-dire de manière constante. À cet égard, l’ AEM se présente comme un intermédiaire et non pas comme l’employeur direct, sauf pour ses propres employés. Compte tenu que l’ AEM ne compte pas de façon directe et habituelle le nombre requis d’employés pour justifier l’établissement d’un comité d’orientation, il va de soi qu’elle n’en a pas l’obligation.

  • [51] En conséquence donc, je ne peux que réitérer la décision déjà formulée à l’effet que l’instruction sous appel est annulée au motif que l’appelante n’est pas un employeur qui compte habituellement trois cents employés directs ou plus pour fonder l’obligation de constituer un comité d’orientation en matière de santé et de sécurité au travail.

 

 

 






_____________________

Jean-Pierre Aubre

Agent d’appel



[1] PCV-Mesure administrative non prévue par le Code et permettant d’obtenir l’engagement volontaire d’une partie à se conformer à certaines obligations prévues par la législation.

[2] Association des Employeurs Maritimes et Syndicat des débardeurs S.C.F.P. section locale 375, 2006 CF 66, paragraphes 49 à 53 et 57.

[3] Association des Employeurs Maritimes et Syndicat des débardeurs S.C.F.P., section locale 375, 2006 CAF 360, paragraphe 6.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.