Tribunal de santé et sécurité au travail Canada

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Dossier no 2007-09

2007-10

2007-11

2007-12

Décision no OHSTC-09-009

 

 

 

CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II

SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

 

 

 

Éric V. & autres

 

appelants

 

et

 

Service Correctionnel du Canada

 

Intimé

 

 

________________________________

Le 27 février 2009

 

 

 

Cette décision a été rendue par Serge Cadieux, agent d’appel.

 

 

Pour les appelants

Me John Mancini, conseiller syndical UCCO-SACC-CSN

 

Pour l’intimé

Me Nadine Perron et Me Nadia Hudon, Justice Canada


  • [1] Il s’agit ici de quatre appels interjetés en vertu du paragraphe 129(7) du Code canadien du travail, Partie II (Code) par quatre agents de correction (AC) du Service correctionnel Canada (SCC).Les quatre AC sont messieurs [1] E.V., J.S.P., J.T., et P.G.

 

  • [2] Dans cette affaire, les quatre AC ont tour à tour refusé d’escorter un détenu notoire (le détenu) à un établissement de santé local.Dans les faits, il y a eu deux occasions i.e. le 11 avril 2007 et le 4 mai 2007, où chaque équipe d’escorte, composée de deux AC, a refusé de faire l’escorte.Le motif du refus déclaré par chaque AC est à l’effet que l’escorte à être exécutée est une escorte non armée, ce qui met leur santé et sécurité en danger dû au fait que la tête du détenu à être escorté est mise à prix.

 

  • [3] Les quatre appels sont entendus conjointement puisqu'ils traitent de circonstances identiques.

 

Questions préliminaires

 

  • [4] Trois objections préliminaires ont été soulevées par l’employeur.

 

  • [5] La première objection formulée par Me Perron est à l’effet que selon les documents [2] d’appel reçus par le Bureau canadien d’appel (BCA [3] ) en santé et sécurité au travail, deux des quatre appels seraient hors délai et par conséquent irrecevables.Ce sont les appels de messieurs E.V. et J.S.P.Me Perron soutient que la décision de l’agent de santé et de sécurité (ASS) Régis Tremblay est datée du 4 mai 2007 alors que le formulaire d'appel est daté du 16 mai 2007, un total de 12 jours séparant la décision de l’appel dans chaque cas.Ceci mettrait les appels hors délai puisque le Code requiert que les appels soient formulés par écrit à un agent d’appel (AA) dans un délai de dix jours à compter de la réception de la décision (129(7)).

 

  • [6] La deuxième objection formulée par Me Perron a trait à la présence de monsieur L.T., représentant syndical et membre du comité local de santé et de sécurité, à titre d’assistant de Me Mancini pour le conseiller lors des débats.L'objection a trait au fait que monsieur L.T. agit aussi comme représentant syndical des appelants, ce qui n’est pas acceptable selon Me Perron.

 

  • [7] J'ai rejeté ces deux objections pour les motifs qui suivent.

 

  • [8] En réponse à la première objection, j'ai conclu que les deux appels contestés avaient été formulés à temps et décidé de les recevoir.En effet, l'ASS n'a pas remis aux appelants en mains propres sa "décision" mais a plutôt fait parvenir celle-ci par fax aux bureaux du pénitencier.Or les bureaux en question étaient fermés jusqu’au 7 mai 2007.Ainsi, les appelants n’ont été avisés individuellement de la décision de l'ASS (le fax) que plusieurs jours plus tard.En fait, les notes de monsieur L.T. indiquent que les appelants n’ont été informés que sept jours plus tard de la décision datée du 4 mai 2007.Monsieur L.T. affirme que les deux appelants n’ont reçu la décision que le 11 mai 2007. J'accepte cette explication non contredite.

 

  • [9] Par conséquent, en vertu des pouvoirs qui me sont conférés par l’alinéa 146.2 (f) [4] du Code, je proroge le délai applicable et j’accepte d’instruire l’appel des appelants pour les motifs énoncés ci-dessus. Celui-ci est considéré comme ayant été formulé dans le délai de dix jours tel que prescrit par le paragraphe 129(7) du Code.

 

  • [10] En réponse à la deuxième objection, j'ai autorisé monsieur L.T. à assister Me Mancini dans la procédure d’appel.Il a été convenu que monsieur L.T. témoignerait avant que les appelants ne viennent témoigner. Ceci éliminera la perception de prise de position favorable envers les appelants que pourrait projeter monsieur L.T. à titre de représentant syndical.Aussi, monsieur L.T. a déjà pris part, à titre de membre du comité de santé et de sécurité, à l’enquête qui a suivi les refus de travail exercés par les appelants.Il est donc bien au fait des circonstances qui seront discutées dans cette affaire.De plus, le Code reconnaît à monsieur L.T. le droit de représenter les employés dans des circonstances ayant trait à la santé et la sécurité au travail.Il n'y a donc aucun motif raisonnable pour empêcher monsieur L.T. d’assister Me Mancini.

 

  • [11] Toutefois, suite aux représentations de Me Perron et de Me Mancini, j'ai déclaré le huis clos mais non l’exclusion des principaux témoins.Par conséquent, seuls les quatre appelants et monsieur L.T. furent autorisés à être présents lors des procédures devant l'AA.Le huis clos a pris effet après le témoignage de l’ASS.

 

  • [12] La troisième objection porte sur la compétence du tribunal.

 

  • [13] L’employeur soumet que l’AA n’a pas compétence pour entendre cet appel en présence d’une conclusion par l’ASS de condition normale d’emploi en vertu de l’alinéa 128 (2) (b) du Code, ce qui consisterait en une exception au droit de refus.L’employeur soumet qu’une telle conclusion ne donne pas ouverture au droit d’appel prévu au paragraphe 129(7) du Code qui doit nécessairement s’appuyer sur une condition d’absence de danger.L’objection [5] fut détaillée par Me Perron à l’audience du 1er novembre 2007.

  • [14] Me Perron soumet qu’en vertu de l’article 128, l’employé ne peut refuser de travailler lorsque les circonstances du refus constituent des conditions normales d’emploi, ce que l’enquête préliminaire de l’ASS aurait confirmé.Me Perron soutient qu’à ce moment, l’ASS n’a pas à effectuer une enquête et à décider de l’existence ou de l’inexistence d’un danger.C’est ce que l’ASS a déclaré avoir fait, i.e. qu’il n’a pas enquêté sur le danger allégué par les plaignants en vertu du paragraphe 129(1), un danger prévu au paragraphe 128 (1) qui n’est pas le même, selon Me Perron, que celui prévu à l’alinéa 128(2) (b).Il n’y a pas eu d’enquête sur le danger parce que le paragraphe 128(13), qui fait intervenir l’ASS, fait référence à une enquête sur la question, ce qui est plus large qu’une enquête sur le danger.Par conséquent, l’ASS n’a pas conclu à l’existence ou à l’inexistence du danger parce que, selon Me Perron, l’alinéa 128 (2) (b) constitue un filtre qui permet à l’ASS de ne pas rendre de décision sur le danger.

 

  • [15] En réponse, le représentant des employés soumet que le tribunal i.e. l’AA, doit procéder dans cette affaire puisque l’appel à l’AA est un appel statutaire de novo .De plus, Me Mancini soutient que si on devait accepter la conclusion de l’ASS, il ne pourra plus y avoir une escorte où on pourra conclure qu’il y a un danger parce que l’ASS, en vertu de la nouvelle politique, n’enquêtera plus sur le danger.Or, tout ce qu’un AC fait, ex. une escorte, qu’elle soit armée ou non, c’est toujours une condition normale d’emploi.Le sophisme qu’on présente à l’AA est qu’il n’y a pas eu de décision sur le danger donc pas de droit d’appel.

 

  • [16] En réplique, Me Perron soumet que c’est la première fois qu’on identifie un filtre et qu’il faut en tenir compte.À cet égard, Me Perron a commenté la décision de la Cour fédérale dans Dragseth c. Canada (Conseil du Trésor), [1991] A.C.F. no 1074 (ci-après Dragseth).Me Mancini avait fait référence à cette décision pour souligner l’importance de faire l’enquête.Elle a dit [6] :

 

Et la décision DRAGSETH, je l’ai lue, et dans ce cas-là on avait dit qu’un agent de sécurité avait été informé par les employés du refus de travail, mais il n’a fait aucune enquête. Il n’a pas entrepris rien. Je pense qu’on n’est pas – on n’en est pas là dans le dossier qui nous occupe. Monsieur Tremblay est intervenu, il a rencontré le monde, il a fait un rapport d’enquête, puis il a rendu une décision motivée.

 

  • [17] Le 13 novembre 2007, Me Perron s’est objecté à ce que l’audition se poursuive.Me Perron a soumis deux décisions de la Cour fédérale qui, à son avis, trancheraient définitivement le débat sur ma compétence dans le dossier de Eric V., supra, en faveur de l’employeur.Les deux décisions de la Cour sont :

 

Sachs c. Air Canada , 2006 C.F. 673

Sachs c. Air Canada , 2007 FCA 270

 

  • [18] J’ai rejeté l’objection de Me Perron.Les motifs du rejet sont expliqués dans la décision d’AA nº BCA-07-041(I).Cette décision fut portée en révision judiciaire à la Cour fédérale.La Cour a rejeté la demande de contrôle judiciaire dans Sa Majesté la Reine du Chef du Canada c. Éric V. et autres, [2008] CF 1116 (ci-après Éric V. et autres).La Cour, sous la plume de l’Honorable Maurice E. Lagacé, a conclu que la demande de contrôle judiciaire était prématurée et qu’il appartenait à l’AA de conclure son enquête et de statuer sur sa compétence.

 

  • [19] Des arguments supplémentaires sur la question de compétence furent soumis par les parties au moment de leur argumentation finale.Je décide de cette question en première partie de mon analyse sur "La question de compétence" (Voir MOTIFS ci-dessous).

 

 

 

Enquête de l’agent de santé et de sécurité

Sommaire de l'enquête de l’ASS

 

  • [20] L’ASS a effectué deux enquêtes dites préliminaires suite aux refus de travailler qui ont été exercés le 11 avril 2007 et le 4 mai 2007 par les AC.Il a conclu que les conditions auxquelles les AC font référence sont des conditions normales d’emploi telles que prévues à l’article 128 du Code.

 

  • [21] En effet, après avoir été avisé du refus de travailler des employés, l’ASS a effectué une enquête qu’il a qualifié de préliminaire pour déterminer si les étapes du processus de refus de travailler en cas de danger avaient été respectées.Pour effectuer cette enquête l’ASS s’est basé sur un formulaire [7] issu d’une DPO (Directive du Programme opérationnel) i.e. la DPO 905-1 [8] (Réaction à un refus de travailler en cas de danger), du Programme du Travail du Ministère des Ressources Humaines et Développement Social du Canada (RHDSC), qu'il devait appliquer.Ce formulaire l’a amené à conclure que :

 

Le refus de travailler n’est pas permis en vertu de l’alinéa 128(2) (b).

 

  • [22] Par conséquent, l’ASS a arrêté son enquête à ce point et s’est retiré du processus de refus de travailler puisque, selon le formulaire, les refus n’étaient pas autorisés en vertu du Code.De plus, l’ASS déclare ne pas avoir formellement émis de décision concernant le danger allégué par les AC.En fait, dans la réponse qu’il donnaitau courriel [9] du BAC qui lui réclamait une copie de son rapport d’enquête, l’ASS écrivait:

 

Pour officialiser le tout par écrit, je n'ai pas rendu de décision en vertu de 129.(4) et je n'ai pas même fait d’enquête en vertu de 129.(1) du CCT partie II. J'ai suivi la DPO 905-1 amendée le 7 mars 2007 où je dois déterminer si le ou les motifs invoqués par l'employé pour son refus de travail constituent une condition normale d’emploi. Si tel est le cas en 128.(2) b) l'employé ne peut refuser d’effectuer le travail et je rends une décision par écrit à cet effet.

 

J'ai rendu 4 décisions comme quoi les refus étaient une condition normale d’emploi donc les employés ne pouvaient invoquer 128.(1) pour refuser d’effectuer leur tâche.

 

Les employés doivent s’adresser à la cour fédérale (Loi sur la cour fédérale articles 18. et 18.1) pour contester mes décisions.

 

  • [23] L'ASS a expliqué qu’avant l’imposition de la DPO 905-1 telle que modifiée le 7 mars 2007 et des IPG [10] qui l’accompagnent, soient l'IPG 062 [11] (Définition de danger) et l'IPG 070 [12] (Condition normale d’emploi), il appliquait une procédure différente lors de l’enquête sur un refus de travail.En fait, il ne faisait jamais une enquête préliminaire qui a pour but de déterminer l’existence de conditions normales d’emploi.Il a dit [13] :

 

Donc ce qui est prévu au Code, ce qu'on faisait normalement c'était de se prononcer, nous, sur le danger existant, sur une existence de danger. Maintenant if faut appliquer la DPO, et puis il faut faire une enquête préliminaire afin de déterminer si les circonstances dans lesquelles le refus est fait est une condition normale d’emploi – si on avait des conditions normales d’emploi.

 

Témoignage de l’ASS

 

  • [24] L'ASS nous informe que le 11 avril 2007, messieurs J.T. et P.G. ont exercé leur droit de refuser de travailler et que l’employeur a rapporté les refus de travail à un ASS le même jour tel qu'il est requis de le faire en vertu du Code (paragraphe128(13)).L'ASS affirme que puisque l’employeur avait pris des mesures temporaires i.e. l’escorte avait été annulée, il ne s'est présenté sur le lieu de travail des AC que le 17 avril 2007 pour faire enquête puisqu'il n'y avait plus d'urgence.

 

  • [25] Lorsque questionné sur les motifs du refus de monsieur P.G., l'ASS a référé Me Mancini à la question 8 du Rapport préliminaire [14] .Il est à noter ici que la question 8 et la réponse à celle-ci sont essentiellement les mêmes dans les quatre cas de refus de travail.Elles se lisent ainsi :

 

  1. Décrivez l'activité que l'employé refuse de faire, puis soulignez les circonstances qui, selon l'employé, constituent un danger. (Reportez-vous à l'Annexe A, formulaire LAB/TRAV 1069, question 12)

 

"Une escorte médicale non armée d'un détenu. Le détenu est un délateur qui aurait un contrat sur lui et pourrait être attaqué mettant en danger la sécurité de l'agent escorteur."

 

  • [26] L'ASS a témoigné qu'il n'a pas vérifié, et qu'il n'a pas à vérifier, s'il était vrai que le détenu en question avait un contrat sur lui.Il a dit [15] :

 

Mais écoutez, moi là je n'ai pas – à ce moment-là je n'ai pas à vérifier ça. Je vais le vérifier si j'ai à me prononcer sur le danger. Moi, mon travail, c’est de faire l'enquête préliminaire…

 

  • [27] Par la suite, l'ASS a expliqué que ce qui constitue des conditions normales d’emploi pour les AC, c'est la tâche de faire des escortes, qu'elles soient armées ou non.Il y a une évaluation de la menace et du risque (EMR) qui est faite par des spécialistes i.e. le comité pavillonnaire, et qui détermine si l’escorte va être armée ou non.Cette EMR tient compte de trois critères i.e.

 

  • le risque lié à l’adaptation en établissement,

  • le risque d’évasion et,

  • le risque pour la sécurité du détenu.

 

  • [28] L’ASS a précisé qu’en ce qui concerne une attaque possible de l’extérieur contre le détenu, cela relevait du danger et lui n’était pas tenu de se prononcer là-dessus.Son rôle se limitait, tel que cela lui est dicté par la nouvelle directive, à se prononcer sur la condition normale d’emploi i.e. faire une escorte, ce qu’il a répété à plusieurs reprises.

 

  • [29] L’ASS confirme que l’enquête impliquant messieurs E.V. et J.S.P., a eu lieu le 4 mai 2007.Il admet avoir fait son enquête par téléphone et ne pas s’être présenté sur les lieux parce que la situation était identique à celle du 11 avril 2007.

 

  • [30] L’ASS reconnaît que le détenu était un tueur à gages attaché à une organisation criminelle, que c’est un délateur, qu’il a fait incarcérer le chef de l’organisation en question et que c’est un cas notoire. L’ASS a reconnu que tout le monde présent à l’enquête était au courant du fait que la tête du détenu était mise à prix.

 

  • [31] L’ASS a témoigné que pour le cas visé par sa première enquête i.e. celle du 17 avril 2007, monsieur J.T. s’est dirigé vers la poterne pour prendre charge du détenu à être escorté.Il était au courant du commentaire [16] fait par un autre détenu "C’est le fun, il y a des détenus icitte à tête payante.", ce qui, entre autres motifs, l’aurait incité à refuser de faire l’escorte.Selon l’ASS, monsieur G.F., l’agent de renseignements présent lors de l’enquête, a mis en perspective cette citation.L’ASS rapporte que monsieur G.F. considérait que c’était un cas datant d’il y a plusieurs années mais qui n’était plus nécessairement d’actualité.

 

  • [32] La sortie du détenu, incluant le moment, n’est connue de personne, incluant le détenu.Cela fait partie du processus de prévention.Il y a un permis i.e. la Permission de sortir avec escorte (PSAE), qui est préparé à l’avance et qui fait partie du processus d’évaluation de la menace et du risque i.e. l’EMR.L’ASS nous informe qu’il y a eu des discussions entre les personnes présentes à l’enquête concernant la possibilité de fuite d’information à l’interne.Par exemple, tel serait le cas de détenus qui font le ménage des bureauxet qui accèdent à certaines informations sur les bureaux.L’ASS rapporte qu’à un moment donné au cours de la discussion, il y a eu consensus à l’effet que la fuite d’information était une possibilité, mais que c’était difficile à quantifier.Ainsi, ce risque n’est pas évalué mais il est pris en considération.Toutefois, pour l’ASS, cette information demeure une condition normale d’emploi en ce qui concerne l’enquête de danger.Cette information est donc recueillie par lui mais gardée à part.

 

  • [33] L’ASS a indiqué que le détenu avait eu des identités de remplacement parce qu’il a été dans la population active mais qu’il a été incarcéré de nouveau parce qu’il n’a pas respecté ses engagements.L’ASS rapporte que selon l’EMR, le risque d’évasion était faible.Toutefois, dans les discussions qui ont eues lieu lors de l’enquête, "c’était clair pour tout le monde que, de par la situation, le risque d’une agression externe était plus important." [17]

 

  • [34] L’évaluation du risque est faite, d’après ce que rapporte l’ASS, selon le détenu.Toutefois si l’EMR avait laissé voir qu’il y avait effectivement un risque provenant de l’extérieur, l’escorte aurait été armée.Me Perron a ajouté qu’on a conclu dans l’évaluation effectuée par le comité pavillonnaire, un comité multidisciplinaire, qu’il n’y avait pas de risque.Il n’y avait aucun doute.

 

  • [35] L’enquête de l’ASS s’est poursuivie le 17 avril 2007 par l’obtention de documents pertinents à la sortie du détenu, à la formation des employés et de documents du SCC tels que la DPO 905-1.L’ASS s’est retiré de l’institution sans rendre de décision sur les lieux.Il a déclaré qu’il devait lire et analyser les documents et discuter avec d’autres agents de même qu’avec son conseiller technique.La décision fut prise en groupe. Toutefois l’ASS affirme qu’ultimement, c’est sa décision qui a été rendue.Une rencontre avait été prévue pour le 8 mai 2007 afin de rencontrer les parties et rendre sa décision dans le dossier de messieurs J.T et P.G.

 

  • [36] Entre-temps, soit le 4 mai 2007, il y a eu les refus de messieurs E.V. et J.S.P. qui ont été rapportés par l’employeur.L’ASS affirme que la situation était identique aux refus précédents.Les motifs étaient les mêmes, le détenu était le même, la situation était la même, les documents étaient les mêmes. L’ASS déclare qu’il a rendu sa décision sur-le-champ et au téléphone.Toutes les mêmes personnes étaient présentes à la conversation téléphonique avec les deux nouveaux AC et il n’y avait, selon lui, rien de nouveau i.e. pas de nouveaux faits.

 

  • [37] L’ASS a rendu sa décision [18] à l’effet que c’était une condition normale d’emploi.L’ASS précise que sa décision a été rendue :

 

Pour les mêmes raisons que l’autre cas. C’est-à-dire qu’un agent correctionnel qui effectue une tâche de type 1, qu’il soit armé ou non, et qui a une évaluation de menace et du risque au préalable, c’est une condition normale d’emploi. Et je leur dis qu’il n’y a pas droit d’appel, que je ne rends pas une décision sur le danger. Et c’est toute la même chose.

 

  • [38] Suite aux refus de messieurs E.V. et J.S.P., l’escorte a eu lieu sans problème avec deux remplaçants.L’ASS ajoute que ce même détenu était sorti au mois de décembre 2006 avec une escorte non armée et qu’encore une fois, il n’y a pas eu de problème.

Preuve des employés [19]

 

Monsieur L.T.

 

  • [39] Monsieur L.T. est agent de correction 2 (AC-2).Il est aussi membre employé et co-président du comité de santé et de sécurité à l’établissement carcéral en question dans ce dossier (ci-après l’institution).

 

  • [40] Le 11 avril 2007, monsieur L.T. a été contacté par la représentante de l’employeur, madame E.B., suite aux refus de travail de messieurs P.G. et J.T.Monsieur L.T. explique qu’il n’était présent qu’à titre de membre du comité de santé et de sécurité et témoin de l’application des procédures pertinentes par l’employeur.L’ASS ne s’est pas présenté ce jour-là pour faire enquête.

 

  • [41] L’ASS s’est présenté à l’institution le 17 avril 2007 pour y effectuer son enquête. Monsieur L.T. étant absent ce jour-là, c’est monsieur G.R. qui l’a remplacé pour participer à l’enquête de l’ASS. L’ASS a quitté l’institution sans rendre de décision.

 

  • [42] Le 8 mai 2007, l’ASS est revenu à l’institution avec un autre ASS pour rendre sa décision.En fait, les deux ASS ont expliqué aux AC ce qu’ils ont convenu d’appeler ‘’l’enquête préliminaire’’.Monsieur L.T. a mentionné qu’il n’avait pas vu ce type d’enquête dans le Code.Ils en ont discuté longuement parce que cette façon de faire était nouvelle pour tout le monde, y compris les ASS qui eux n’étaient pas en accord avec cela mais qui devaient appliquer les nouvelles directives du ministère.

 

  • [43] Monsieur L.T. s’est demandé pourquoi on n’allait pas à la définition de danger prévue au Code.Il en a conclu qu’on retirait aux AC le droit de refuser de travailler qui est prévu par le Code.En fait, les notes du 4 mai 2007 [20] indiquent que lors de l’appel téléphonique qui a eu lieu à ce moment, l’ASS a avisé les plaignants qu’à partir de maintenant ils n’avaient plus le droit de faire de refus de travail.L’ASS a aussi avisé monsieur L.T. que l’employeur peut, par conséquent, prendre des mesures disciplinaires contre les AC s’ils ne se conforment pas aux ordres de l’employeur.

 

  • [44] L’ASS a déclaré à monsieur L.T. qu’il ne pouvait plus décider du danger parce qu’il était lié par la politique de son employeur.Autrefois, lorsque l’ASS intervenait, c’était pour étudier s’il y avait un danger, pour statuer sur le danger.Bien que l’ASS posait des questions aux AC sur le danger, l’ASS a avoué aux AC qu’il ne pouvait prendre cette information en considération.

 

  • [45] L’escorte du 4 mai 2007 s’est effectuée sans incident avec des représentants de l’employeur.

 

  • [46] Le témoignage de monsieur L.T. est à l’effet que le détenu qui devait être escorté était connu dans le milieu.C’était un cas notoire, un cas sous protection.C’était connu dans le milieu qu’il y avait un contrat sur lui pour mettre fin à ses jours.Selon le témoin, les AC se doivent de connaître cette information pour leur sécurité.Ils l’apprennent du fait qu’ils ont à travailler dans plusieurs postes à l’intérieur de l’institution et qu’ils doivent gérer plusieurs cas.

 

  • [47] Le programme P est un programme qui n’était pas connu de monsieur L.T.Il l’a appris lors de l’enquête de l’employeur avec madame E.B.Il a appris à ce moment que dès que le détenu va sortir, il va y avoir un changement de nom pour la protection du détenu.Ceci a amené monsieur L.T. à conclure que si le détenu devait changer d’identité en vertu de ce programme, c’est que ces gens qui administrent le programme P pensent ‘’…que la menace est réelle encore aujourd’hui. [21] Selon monsieur L.T., toute cette information est connue, ou devrait l’être, de monsieur G.F., l’agent de renseignements de sécurité (ARS).

 

  • [48] Monsieur L.T. a témoigné qu’il connaissait les antécédents violents du détenu. Il faisait partie d’une organisation criminelle à titre de tueur à gages, il a fait de la délation contre des membres de l’organisation et il en a fait incarcérer le chef.

 

  • [49] Monsieur L.T. nous informe que lorsqu’une escorte urgente [22] doit avoir lieu, ex. un problème médical, c’est toujours une escorte armée.Dans les autres cas, le SCC fait une EMR pour déterminer si l’escorte sera une escorte armée ou non armée.Toutefois, monsieur L.T. précise que cette évaluation n’est nullement faite en fonction du Code i.e. qu’on ne prend pas en considération le danger pour l’officier de faire une escorte extérieure.

 

  • [50] Monsieur L.T. a expliqué que les trois critères [23] énumérés ci-dessus et utilisés par le SCC pour faire l’EMR ne prennent pas en considération la dangerosité pour les AC de faire l’escorte.De plus, Monsieur L.T. témoigne que les AC ne reçoivent pas de formation quant aux risques provenant de l’extérieur, sauf une formation plutôt générale.

 

  • [51] En considérant la question 8 du formulaire utilisé par l’ASS pendant son enquête préliminaire, monsieur L.T a expliqué le lien qu’il faisait avec le danger provenant de l’extérieur.Il a témoigné qu’il y fait un lien direct [24] i.e.

 

…c’est le danger que représente le détenu, pour nous et pour lui-même, de faire une escorte, de ne pas avoir le matériel adéquat s’il arriverait une intervention à faire.

 

  • [52] Les AC reçoivent une formation sur un modèle de gestion de risques.Toutefois, monsieur L.T. explique qu’il est impossible d’évaluer la menace provenant de l’extérieur et de conclure qu’il a besoin d’une arme.Pour réagir à la menace de l’externe i.e. s’ils se font tirer dessus, le SCC leur fournit une veste anti-balles.Monsieur L.T. conclut qu’ils sont une cible.

 

  • [53] Monsieur L.T. a confirmé que c’est essentiellement la même réponse à la question 8 qui apparaît aux documents [25] de refus de travail des quatre AC.Monsieur L.T. a soulevé avec la représentante de l’employeur à l’enquête, madame E.B., que les trois critères d’EMR dont ils ont tenu compte, ne s’adressaient aucunement à des dangers provenant de l’extérieur.Ce problème a été soulevé depuis longtemps avec l’employeur.La réponse de l’employeur est que, sur la base des trois critères pour faire l’EMR, il n’y a pas de risque.

 

Monsieur S.H.

 

  • [54] Monsieur S.H. a été appelé à témoigner par Me Mancini en lieu et place de monsieur G.F. qui, au moment des refus de travail, était agent de renseignement de sécurité (ARS) à l’institution.Le tribunal avait ordonné à monsieur G.F. de déposer certains documents, mais ce dernier a expliqué à l’audience qu’il n’était pas autorisé à produire ces documents alors que monsieur S.H. l’était.Bien que monsieur S.H. n’était pas en possession des documents qu’on avait demandé à monsieur G.F.de produire, Me Mancini a décidé de le faire témoigner sur le contenu des documents en question.

 

  • [55] Monsieur S.H. est ARS à l’institution.Il décrit le rôle de l’ARS en faisant un parallèle avec la police.Les ARS sont un peu les enquêteurs au niveau des établissements.Ils sont le lien avec les corps policiers.Ils travaillent sur tous les incidents qui surviennent en établissement.Ils effectuent des enquêtes au niveau du trafic de stupéfiants, sur tout ce qui peut être un incident ou ce qui peut nuire à la sécurité de l’établissement.

 

  • [56] Monsieur S.H. confirme qu’il connaît le détenu et que celui-ci a été tueur à gages dans le passé pour le groupe criminalisé dont il a été question.Le détenu a de multiples condamnations à son dossier pour des actes très violents.C’est aussi un cas très médiatisé.Le programme P doit être appliqué à ce détenu parce que sa vie est en danger à l’extérieur de l’institution.

 

  • [57] Monsieur S.H. a indiqué que la tête du détenu a déjà été mise à prix mais qu’il ne peut préciser ni le montant du contrat ni si ce contrat est toujours d’actualité.Il a toutefois admis qu’il n’existait aucune information à l’effet que le contrat aurait été annulé.

 

  • [58] Au moment des refus, monsieur S.H. était le surveillant correctionnel en charge de l’établissement, i.e. que c’est lui qui remettait la documentation requise aux AC qui devaient effectuer l’escorte.Le premier document remis s’appelle ‘’Permission de sortir avec escorte [26] ’’.Ce document explique aux AC où ils doivent aller, avec quel détenu et les contraintes qu’ils doivent appliquer. Le document est signé par la directrice de l’institution.Le deuxième document remis aux AC contient la grille d’évaluation effectuée par l’équipe de gestion de cas. Il explique le cas, identifie ceux qui ont participé à l’évaluation et décrit le profil criminel du détenu à être escorté.

 

  • [59] Le programme P est coordonné par une personne appelée, dans le jargon, l’agent contrôleur du détenu.Cet agent contrôleur a un contrat (à ne pas confondre avec le contrat sur la tête du détenu) avec le détenu pour certaines sorties à l’extérieur.Suite au questionnement de Me Mancini, monsieur S.H. a admis qu’au moment où le détenu sortira de prison, il faudra changer son identité.

Monsieur G.R.

 

  • [60] Monsieur G.R. est AC-2 à l’institution.Monsieur G.R. est aussi le président de la section locale de l’institution et membre du comité local de santé et de sécurité.

 

Objection au témoignage de monsieur G.R.

 

  • [61] Lors de l’audition de ce témoin de même que lors des soumissions de l’employeur, Me Perron s’est objectée au témoignage de monsieur G.R. et a suggéré au tribunal d’écarter ledit témoignage. Me Perron soutient que ce dernier a indiqué qu’il n’est pas d’accord avec l’évaluation de risque et qu’il suggère que les escortes doivent être armées.Elle ajoute, lors de ses soumissions, que le témoin nous a aussi parlé du dossier du détenu mais pas du groupe criminalisé. Il ne connaissait rien à propos de ce détenu. Me Perron soumet qu’il ne faut pas donner trop d’importance aux propos de monsieur G.R.

 

  • [62] Le tribunal a décidé de recevoir le témoignage de monsieur G.R. au motif que celui-ci est pertinent et utile à la compréhension des faits étant donné son expérience du domaine carcéral.Il est également important d’entendre le témoignage de monsieur G.R. puisque c’est lui qui, à titre de représentant du comité local de santé et de sécurité, a remplacé monsieur L.T. alors que ce dernier était absent lors de l’enquête de l’ASS le 17 avril 2007 dans les refus de travail de messieurs P.G. et J.T.Par conséquent, j’accorderai à ce témoignage le poids qu’il mérite.

 

  • [63] Toutefois, lors des soumissions de l’employeur, Me Perron a élaboré davantage les motifs de son objection en ce qui concerne la nature du témoignage des AC.En vertu de la décision de la Cour fédérale dans Verville c. Canada, 2004 CF 767 (ci-après Verville), Me Perron soumet que ceux-ci, incluant monsieur G.R., n’acquièrent pas le statut d’experts parce qu’ils parlent de leur emploi.Le tribunal ne commentera pas après coup sa décision d’accepter le témoignage de monsieur G.R. mais commentera de façon générale, à la partie "Motifs – La notion de danger" ci-dessous, la nature des témoignages des AC.

 

***

 

  • [64] Selon monsieur G.R., les AC ont refusé de faire l’escorte non armée parce qu’ils craignaient pour leur sécurité et celle du détenu.Les AC connaissaient bien le détenu et savaient que sa tête était mise à prix et que ‘’… ce contrat-là, il semblerait que c’était toujours en vigueur [27] .’’ La gestion leur avait toutefois suggéré de porter des vestes pare-balles même si on disait aux AC que le détenu n’était pas dangereux.

 

  • [65] La gestionnaire en charge de l’enquête de l’employeur, madame E.B., a fait venir à ses bureaux monsieur G.F., l’ARS qui aurait informé monsieur P.G. de la dangerosité du détenu, à savoir qu’il existait un contrat sur la tête de ce détenu.Monsieur G.F. a déclaré que s’il avait su que cette information serait utilisée pour l’escorte, il ne l’aurait pas donnée.Cette déclaration aurait porté monsieur G.R. à accuser monsieur G.F. de ‘’…méchant menteur [28] ’’

 

  • [66] Lors de l’enquête, l’ASS a élaboré sur la nouvelle interprétation qu’il devait donner à l’article 128 du Code à savoir que dorénavant, les AC ne pouvaient plus faire de refus de travail parce que faire des escortes est une condition normale d’emploi.Or, quelque temps après les refus de travail en question, deux officiers de la Sûreté du Québec sont venus chercher le détenu pour le questionner.Ils étaient armés de 9 mm et portaient des vestes pare-balles. Le détenu était enchaîné et menotté.Or, monsieur G.R. ironise que, selon le SCC, ce même détenu ne serait pas dangereux pour les AC.

 

  • [67] Monsieur G.R. a commenté l’importance d’une escorte armée dans cette affaire.Monsieur G.R. a expliqué que le travail des AC consiste à vérifier avec l’ARS, à partir des documents pertinents, s’il y a eu de nouvelles informations sur le détenu au cours des soixante douze (72) heures qui précèdent la sortie. Les documents soumis à l’audience indiquent que l’EMR a été faite longtemps d’avance mais pas pour 72 heures avant l’escorte, ce qui aurait dû être fait, selon lui, étant donné la dangerosité de ce détenu.Donc, s’il y a eu un évènement spécifique dans le cas de ce détenu, on ne le sait pas parce que ce n’est pas vérifié.

  • [68] C’est ce que monsieur P.G. a fait d’ailleurs, de sa propre initiative, lorsqu’il a appelé l’ARS, monsieur G.F.Il a confirmé qu’il n’y avait pas de changement concernant l’existence du contrat sur la tête du détenu.C’est aussi bien connu dans le milieu, dans les différentes gangs criminalisées qui sont mélangées à l’intérieur de l’institution, qu’il y a un contrat sur la tête du détenu.Il y a des délateurs dans le pen qui sont en contact avec l’extérieur.Ils connaissent tous le détenu.Tout ce monde se parle.Par conséquent et selon monsieur G.R., le risque de dangerosité était très présent lors des refus de travail.

 

 

 

Monsieur M.C.

 

  • [69] Monsieur M.C. est agent des services correctionnels pour le Ministère de la Sécurité publique de la province de Québec (ci-après le Ministère).

 

Objection au témoignage de monsieur M.C.

 

  • [70] Me Perron s’est objectée à ce que monsieur M.C. témoigne dans ce dossier pour nous apporter des comparaisons avec un autre service correctionnel.Elle a réitéré cette objection dans ses soumissions.Selon Me Perron, le témoignage de monsieur M.C. n’est pas pertinent en l’espèce. Son expérience concerne une autre loi que le Code.Les refus de travail au fédéral doivent être entendus cas par cas.

 

  • [71] Suite à cette objection, il y a eu débat entre Me Perron et Me Mancini concernant l’application des décisions de la Cour fédérale dans l’affaire Verville, supra, et de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Martin c. Canada (Procureur général), 2005 FCA 156 (ci-après Martin) pour régler l’objection.Me Mancini a soutenu que dans Verville, supra, Madame la Juge Gauthier a dit qu’elle accordait beaucoup d’importance au témoignage d’officiers correctionnels.Elle parlait de preuve de danger qui pourrait se faire selon un standard dans l’industrie.Me Mancini veut faire témoigner monsieur M.C. à cet effet et il soutient que, selon Madame la Juge, c’est le genre de preuve qui pourrait être faite pour étayer une preuve de danger.

 

  • [72] Après avoir entendu et soupesé les soumissions des parties à ce sujet, j’ai conclu à la pertinence du témoignage de monsieur M.C et décidé de le recevoir tout en y accordant le poids approprié.

 

***

 

  • [73] Monsieur M.C. est agent des services correctionnels pour le Ministère depuis dix-huit (18) ans.Il est présentement en poste au Palais de Justice de Montréal.Il s’occupe des prévenus qui sont en procès ou en procédures judiciaires.Ces gens proviennent soit des prisons provinciales, soit qu’ils ont été arrêtés et qu’ils doivent comparaître une première fois en cour, et même certains appartiennent au milieu carcéral fédéral.

 

  • [74] Monsieur M.C. s’occupe du transport des prévenus même s’ils proviennent de pénitenciers fédéraux.Dans les cas de détenus notoires, des mesures particulières vont être prises sur une base individuelle.Il pourrait y avoir, par exemple, un deuxième véhicule avec deux autres agents; cette personne pourrait voyager seule, ou être accompagnée d’une escorte de la Sûreté du Québec.

 

  • [75] Certains délateurs dont la tête est mise à prix doivent voyager seuls. Ils sont toujours isolés. Il y a un transport particulier qui est fait pour ces gens-là. Il y a un minimum de deux (2) agents armés dans le véhicule.Il y a aussi d’autres mesures particulières qui sont prises telles que des escortes avec gyrophares, avec une escorte policière etc.

 

  • [76] Monsieur M.C. témoigne qu’au chapitre de ses fonctions, il fait du transport de détenus, qu’il a un permis de port d’arme et que pendant le transport, autant le conducteur du véhicule que les officiers qui font l’escorte sont armés. C’est une procédure normale qui existe depuis un certain nombre d’années suite à des circonstances tragiques.Tous leurs transports sont armés.

 

  • [77] Monsieur M.C. a décrit les circonstances tragiques qui ont amené les autorités du Québec à armer les agents du service correctionnel qui font du transport de prévenus et de détenus. Autrefois, ces agents n’étaient pas armés lors des transports. Puis, en 1997, il y a eu les meurtres de deux agents du service correctionnel commandés par le chef de la bande de motards Hells Angels.

 

  • [78] Suite à ces incidents, les agents ont réalisé qu’ils étaient en danger, non pas parce qu’ils avaient un conflit personnel avec un détenu, mais à cause de l’uniforme qu’ils portaient. Ce n’est qu’au procès du chef de cette bande criminalisée qu’ils ont constaté que le chef de la bande et les Hells Angels en général attaquaient directement le système carcéral comme faisant partie du processus judiciaire. Il a donc été décidé, suite à des décisions de la Commission des lésions professionnelles et à une entente [29] concernant les sorties entre le Ministère et le Syndicat des agents des services correctionnels, que les agents seraient armés lors des transports.

 

  • [79] En ce qui concerne le délateur [30] qui a fait incarcérer le chef de la bande de motards, monsieur M.C. déclare que son transport au procès s’est fait sous haute surveillance et sous haute protection, parce que justement, c’était un témoin délateur.

 

  • [80] L’entente concernant les sorties prévoit, au paragraphe 3, que :

 

  1. Lors des sorties de personnes incarcérées mentionnées au paragraphe précédent, l’escorte est composée de deux agents des services correctionnels munis de vestes pare-balles et dont l’un est armé lorsque l’un des critères suivants est présent :

 

  • il s’agit d’une personne prévenue;

  • il s’agit d’une personne détenue, membre d’un groupe criminalisé;

  • il s’agit d’une personne détenue mentionnée dans le répertoire de la Sûreté du Québec couvrant les groupes de motards criminalisés;

  • il s’agit d’une personne détenue dont l’historique comprend l’un des antécédents suivants :

 

séjour dans un pénitencier dans les cinq (5) dernières années

évasion ou tentative d’évasion

antécédents de violence (sentence provinciale) au cours des cinq (5) dernières années

 

  • il s’agit d’une personne détenue dont la présente condamnation comporte l’une des caractéristiques suivantes :

 

connotation de violence (ex : voies de fait, agressions armées, menaces, lésions corporelles, vols qualifiés, etc.)

◊ concerne l’importation de stupéfiants;

◊ se rapporte à une évasion ou une tentative d’évasion;

◊ concerne une extradition;

◊ porte sur une sentence de pénitencier comprenant la personne qui est dans son délai d’appel et dont on sait qu’elle sera transférée au pénitencier dans les meilleurs délais.

 

  • [81] En vertu de cette entente, le seul fait que cette personne ait fait un séjour dans un pénitencier ou, comme le souligne Me Mancini, que cette personne soit prévenue dans un dossier, est suffisant pour que l’escorte soit armée.Dans les faits, monsieur M.C. a précisé à Me Perron que toutes les escortes étaient armées parce que les personnes à être transportées rencontrent toujours un des critères énumérés ci-dessus.

 

 

Monsieur P.G.

 

  • [82] Monsieur P.G. est présentement AC-2 à l’institution.Selon monsieur P.G., le détenu est un détenu qui se conforme.Il ne crée pas de problème au niveau des officiers.Il est poli avec eux.Au niveau de la sécurité, tous les AC savent que le détenu est un délateur et que sa tête est mise à prix à l’extérieur.Ce contrat a été initié par le groupe criminalisé. Dans l’institution, tout se sait. Par conséquent, l’information ci-dessus est aussi connue de la population carcérale.

 

  • [83] Il y a toutes sortes de gens à l’institution.Il y a beaucoup de membres de gangs de rue et ces gens-là n’ont aucune règle et aucune hiérarchie.Il y a toutes sortes de groupes criminalisés.Il y a aussi des gens affiliés aux motards.C’est un établissement versatile.Monsieur P.G. nous informe qu’il a reçu une formation sur tous ces groupes criminalisés, avec photos des gens dans l’établissement.

 

  • [84] Monsieur P.G. a expliqué que le jour du refus, le 11 avril 2007, il devait partir en escorte avec le détenu vers un établissement de santé local.Il était l’agent senior en charge de l’escorte et devait être accompagné monsieur J.T. à cette fin.Il savait à ce moment que c’était une escorte non armée.Ils se trouvaient à la poterne.Pendant que monsieur P.G. s’occupait à l’intérieur de la poterne, monsieur J.T. a communiqué avec l’ARS, monsieur G.F.Le but de l’appel était vérifier si le contrat sur la tête du détenu était encore d’actualité.Monsieur G.F. lui aurait confirmé qu’il y avait encore un contrat sur la tête du détenu pour un montant fort important.À ce moment ils sont retournés à l’intérieur de l’institution avec le détenu et ont refusé de faire l’escorte.Ils ont présenté leur refus au représentant de l’employeur en poste, monsieur S.H.

 

  • [85] Le motif du refus a été exprimé par écrit lors de l’enquête de l’ASS en réponse à la question no 8 du formulaire utilisé par l’ASS.Dans les circonstances qui prévalaient le jour du refus, monsieur P.G. affirme qu’à la lumière de l’information qu’il avait obtenue, il était incapable d’assurer sa propre sécurité, ni celle du détenu, contre une menace venant de l’extérieur, une menace qu’il a qualifiée de plus que plausible.Cette menace était tellement grande, selon lui, qu’il pouvait se retrouver dans une fusillade à l’extérieur et qu’il ne pouvait assurer la sécurité de personne.

 

  • [86] Monsieur P.G. a expliqué qu’il reçoit annuellement une formation sur l’usage d’armes à feu.

 

  • [87] Quand l’ASS est venu faire enquête sur son refus de travail, il a dit à monsieur P.G. qu’il devait appliquer la nouvelle politique qui était instaurée. Il disait que faire des escortes de détenus faisait partie des fonctions des AC et qu’il ne pouvait aller plus loin que cela. Il ne pouvait pas regarder au niveau de la dangerosité du détenu mais seulement au niveau de leurs fonctions de travail et non les fondements de leurs refus de travail. Monsieur P.G. a été clair: l’ASS ne pouvait faire autrement que d’appliquer la nouvelle politique.

 

  • [88] Autre qu’un feuillet, monsieur P.G. affirme qu’il n’a pas eu toute l’analyse de risque même s’il est au courant de l’existence de cette analyse de risque.En fait, la liasse des quatre documents [31] suivants constitue, selon Me Perron, l’information qui est remise aux AC avant l’escorte:

 

  1. Permission de sortir avec escorte (2 pages)

  2. Évaluation des moyens de contrainte (7 pages)

  3. Profil type (3 pages)

  4. Instructions à l’attention des agents accompagnateurs(1 page)

 

  • [89] Le feuillet auquel monsieur P.G. faisait référence est la ‘’Permission de sortir avec escorte’’ i.e. la PSAE.Ce document est remis aux AC avant de recevoir le détenu.Il spécifie sommairement les conditions de l’escorte i.e. les moyens de contrainte (chaînes, menottes, gaz), le nombre d’agents accompagnateurs, si les agents irritants sont autorisés, si l’escorte est armée ou non.

 

  • [90] Monsieur P.G. témoigne qu’il était prêt à faire l’escorte jusqu’à ce qu’il obtienne l’information concernant le contrat sur la tête du détenu, une information qui n’existe nulle part dans les documents reçus.Ce n’est qu’après avoir validé l’information avec l’ARS qu’il a décidé de ne pas faire l’escorte non armée.

 

  • [91] Monsieur P.G. explique dans les termes suivants pourquoi il avait peur pour sa sécurité personnelle.Il a dit :

 

…avec quelqu’un qui est dans un milieu criminalisé, qui a un contrat sur la tête, où est-ce que pour ben moins que ça on tiré sur des officiers. Je suis en mesure de craindre pour ma vie …mais que j’ai des motifs raisonnables de croire que, oui, il y a des choses qui peuvent se produire. Surtout quand qu’on est à l’extérieur puis qu’on a aucune ressource.

 

  • [92] L’arme, selon monsieur P.G. est un outil de travail.La menace vient de l’extérieur.Monsieur P.G. affirme qu’on (le SCC) ne tient pas compte de cette menace en vertu des trois critères qui servent à faire l’EMR.

 

Monsieur J.T.

 

  • [93] Monsieur J.T. est AC-1 à l’institution depuis 1988.Il déclare qu’il n‘a pas de distinction ou de correction à apporter au témoignage de monsieur P.G.. Monsieur J.T. certifie que c’est effectivement lui qui a fait l’appel à l’ARS et qu’à la suite de cet appel, il a décidé de refuser de faire l’escorte non armée.

 

  • [94] Monsieur J.T. explique qu’on l’a avisé qu’il devait se préparer pour faire une escorte, ce qu’il a fait. Il s’est présenté à la poterne. Il a vu son confrère arriver avec le détenu. Il a alors voulu être mieux renseigné sur le détenu vu que c’était un cas qui avait été beaucoup médiatisé.Il a appelé l’ARS.La discussion a tourné autour d’un contrat sur la tête du détenu.Monsieur J.T. dit qu’il voulait confirmer si le contrat était toujours d’actualité.L’ARS, monsieur G.F., l‘a assuré que c’était toujours d’actualité et que le montant était important.Alors monsieur J.T. a invoqué son droit de refuser de travailler pour protéger sa sécurité puisque l’escorte était non armée.

 

  • [95] Monsieur J.T. a par la suite discuté du cas du détenu avec monsieur G.F., l’ARS.Il a pris connaissance du document d’escorte qui a été signé par monsieur G.F. autorisant la sortie du détenu.Monsieur J.T. a dit à monsieur G.F. que ça n’avait pas de bon sens d’autoriser une escorte non armée pour la sortie de ce détenu après l’avoir informé par téléphone du danger à l’effet que le contrat était toujours en vigueur.Ce à quoi monsieur G.F. aurait répondu que s’il avait su que c’était monsieur J.T. qui allait faire l’escorte, il ne lui aurait jamais dit que le contrat sur la tête de ce détenu était toujours en vigueur.

 

  • [96] Me Perron a déposé la description de tâches générale de l’AC-1 [32] et celle signée [33] par monsieur J.T. . Monsieur J.T. reconnaît avoir reçu la formation d’AC et qu’à l’intérieur de cette formation, il y a un module sur les escortes.

 

 

Monsieur E.V.

 

  • [97] Monsieur E.V. déclare que le matin du 4 mai 2007, il était affecté aux escortes extérieures avec son collègue J.S.P.Ce dernier lui a dit qu’ils sortaient avec le détenu en question.Monsieur E.V. était au courant de la dernière escorte i.e. celle du 11 avril 2007, à l’effet qu’il y avait eu un refus parce que le détenu avait un contrat sur sa tête suite à des délations qu’il a faites.Lorsqu’il a appris que son escorte ne serait pas armée, il a automatiquement refusé de faire l’escorte.

 

  • [98] Le motif de son refus, qui a aussi été consigné à la question 8 du formulaire utilisé par l’ASS, est à l’effet qu’il craignait pour sa sécurité.Il a appris de monsieur S.H., à ce moment-là, que l’escorte était non armée parce que la cote de sécurité du détenu était fixée à minimum.Après vérification, monsieur E.V. a effectivement constaté que le détenu avait une cote de sécurité dite minimum [34] , mais qu’il ne pouvait être transféré dans un pénitencier à sécurité minimale pour sa propre sécurité et celle de sa famille.

 

  • [99] Monsieur E.V. a admis qu’il aurait fait l’escorte si celle-ci avait été armée.Les armes étaient disponibles à la poterne.

 

  • [100] Comme tous les autres AC, monsieur E.V. reconnaît avoir suivi la formation du SCC. Il a reçu la formation sur les escortes mais pas nécessairement les escortes extérieures.

Monsieur J.S.P.

 

  • [101] Monsieur J.S.P, un des quatre appelants dans cette affaire, n’est pas venu témoigner à l’audience.

 

Objection à l’encontre de l’appel de monsieur J.S.P.

 

  • [102] Me Perron demande au tribunal de rejeter l’appel de monsieur J.S.P. parce que, en ne se présentant pas à l’audience pour témoigner, il ne s’est pas déchargé du fardeau de la preuve qui lui incombait.Elle a réitéré cette demande dans les soumissions de l’employeur.Toutefois, Me Mancini soutient que le tribunal peut se fier à l’ensemble de la preuve au dossier pour décider cette affaire.Me Perron précise qu’en fin de compte, ce qu’elle demande c’est que monsieur J.S.P. ne vienne pas témoigner après qu’elle ait commencé sa preuve.Il aura à subir les conséquences de son absence.Me Mancini ne s’est pas objecté à cette prise de position de Me Perron.

 

  • [103] J’ai décidé que monsieur J.S.P. ne pourrait effectivement venir témoigner après que Me Perron ait débuté sa preuve.Toutefois, je rejette la demande de Me Perron de rejeter l’appel de monsieur J.S.P.pour les motifs suivants.À ce que je sache, monsieur J.S.P. n’a pas retiré son appel à l’AA.Par conséquent, l’appel qu’il a logé est toujours valide et ce, même s’il ne vient pas témoigner dans sa propre cause.De plus, il n’est pas inhabituel pour un AA de statuer dans une affaire uniquement sur la base des informations qu’il détient.C’est ce que je vais faire dans le cas présent.Toutes les informations que j’aurai recueillies serviront dans mon enquête de novo pour décider de cette affaire.

 

 

***

Preuve de l’employeur

 

Monsieur P.L.

 

  • [104] Monsieur P.L. est gestionnaire en évaluation à l’institution.Autrefois, cette fonction s’appelait coordonnateur à la gestion de cas (CGC).Avant d’occuper ce poste, il était agent de libération conditionnelle (ALC).Le CGC est décrit comme étant le spécialiste qui porte conseil aux AC tout en exerçant certaines fonctions s’apparentant à la surveillance des ALC.

 

  • [105] Les permissions de sortir avec ou sans escorte font partie de l’ensemble des activités de gestion de cas.Dans le cas des escortes sécuritaires, par exemple quelqu’un qui doit aller se faire opérer, la Loi sur le service correctionnel et mise en liberté sous condition (ci-après la Loi sur le service correctionnel), prévoit au paragraphe 4(d), que la mesure d’élargissement, par exemple une sortie, doit être la moins restrictive possible pour le délinquant, pour le public et pour la sécurité de l’établissement.L’article 17 de la même Loi prévoit des critères spécifiques par rapport à une permission de sortir, par exemple si la conduite du délinquant justifie un refus, si le risque est "assumable".

 

  • [106] Il y a aussi la Directive du Commissaire 566-6 [35] (Escortes de sécurité) qui s’applique.Le paragraphe 12 de cette directive prévoit que le directeur de l’établissement doit déterminer le niveau de surveillance et le matériel de sécurité applicables lors de la sortie du détenu.Il se lit comme suit :

 

12. Le directeur de l’établissement doit déterminer le niveau de surveillance et le matériel de sécurité (incluant les armes à feu) requis au cours de l’escorte, en se fondant sur une évaluation objective du risque, y compris :

 

a) la cote de sécurité du détenu;

b) la santé physique et mentale du détenu;

c) le comportement et les caractéristiques du détenu;

d) l’objet de la sortie sous escorte, la destination, le mode de transport et la durée du parcours;

e) les renseignements de sécurité.

 

  • [107] Ainsi, pour une sortie à l’hôpital, la sortie est planifiée d’avance.L’ALC, qui est la personne qui connaît le plus le délinquant, est avisé de la sortie.À ce moment, l’ALC va faire une évaluation sommaire du risque.La recommandation de l’ALC ayant trait aux mesures de contraintes est discutée en comité pavillonnaire qui fait aussi une recommandation selon que le comité est d’accord ou non avec les mesures recommandées.L’enjeu principal est la recommandation concernant une escorte armée ou non pour les escortes sécuritaires i.e. une escorte avec deux (2) AC, avec surveillance à vue et à l’ouïe, où les AC ont avec eux du gaz et où le délinquant est habituellement enchaîné.

 

  • [108] Cette procédure s’applique aux pénitenciers à sécurité moyenne.Une copie de la procédure est remise aux agents escorteurs.

 

  • [109] Il y a aussi une directive régionale, une directive complémentaire à la directive du Commissaire 566-6 qui s’applique aux escortes pour des motifs non reliés à la sécurité, incluant les escortes pour raisons médicales. Il s’agit de la directive Escorte et Surveillance de Détenus [36] .En vertu de cette directive, c’est le gérant d’unité qui doit signer le rapport d’évaluation pour indiquer son approbation.Par la suite, la directrice signe aussi le rapport.

 

  • [110] Il existe aussi un Bulletin [37] 2006-05 (Sécurité) qui reprend essentiellement ce qu’il y a dans la directive du Commissaire 566-6 au paragraphe 12, concernant l’évaluation de la menace et du risque.Le Bulletin rappelle que l’EMR doit être faite soixante-douze (72) heures avant l’heure prévue pour le départ de l’escorte. Toutefois, selon le Bulletin :

 

Les changements qui suivent s’appliquent aux détenus ayant une cote de sécurité maximale ou moyenne. Il est à noter que c’est la cote de sécurité du détenu et non son placement pénitentiaire qui doit être pris en considération.

 

  • [111] Le jour de l’escorte, des documents sont remis au bureau des surveillants, dont le document qui décrit l’évaluation, le permis et la photo du délinquant.Le surveillant va décider qui va faire l’escorte et va lui remettre les documents en question.Me Hudon confirme avec monsieur P.L. que la procédure de remise des documents i.e. la Permission de sortir avec escorte, l’Évaluation des moyens de contrainte, le Profil type, et les Instructions à l’attention des agents accompagnateurs, est conforme à la pratique et à la directive du Commissaire.Tous ces documents se retrouvent dans le dossier du détenu.Ce dossier est normalement remis aux agents escorteurs sauf que monsieur P.L. n’est pas en mesure de confirmer que cela a été fait par la personne responsable.

 

Monsieur A.S.D.

 

  • [112] Monsieur A.S.D. est instructeur du personnel au Collège du personnel de Laval.La fonction principale de monsieur A.S.D. est de former les AC qui entrent au SCC.La formation dure onze (11) semaines et est suivie d’un stage de deux (2) semaines en établissement.Après avoir réussi tous les examens, ils (les AC) graduent et obtiennent le statut d’agent de la paix.

 

  • [113] La formation comporte trente (30) modules.Tous ces modules sont inter-reliés.Toutes les tâches d’un AC sont incluses dans les modules.Tout ce qui touche la sécurité dans un pénitencier où l’AC va devoir travailler fait partie des modules.Il y a deux modules sur les escortes: escortes intérieures et escortes extérieures.

 

  • [114] Les escortes à l’extérieur sont des escortes où il faut sortir du périmètre du pénitencier pour aller dans des endroits bien précis.Ce module [38] i.e. Module 3: Séance 18 (Escortes à l’extérieur et matériel de contrainte) dure trois heures et demie (3 1/2).Le module sur les escortes intérieures dure une (1) journée.

 

  • [115] Monsieur A.S.D. explique que la formation sur les escortes extérieures prend sa source dans la Loi, dans le règlement qui en découle et dans la directive du Commissaire 566-6 sur les Escortes sécuritaires.On y enseigne la pose et l’enlèvement du matériel de contrainte, le positionnement des agents accompagnateurs par rapport au détenu, etc.On enseigne aussi aux AC, dans l’éventualité où l’escorte tourne mal, de contacter le gestionnaire correctionnel ou, si le risque est trop élevé, de mettre fin à l’escorte et de revenir sans délai à l’établissement.Il y a aussi des exercices d’escortes à l’extérieur.

 

  • [116] On leur enseigne aussi les différents documents dont les AC auront à tenir compte lors de l’escorte, tels la PSAE, etc.On discute aussi du processus décisionnel impliqué dans une escorte en tenant compte de l’évaluation du risque et du matériel de contrainte à utiliser tel que le poivre de Cayenne, les armes à feu, un AC supplémentaire.

  • [117] En ce qui concerne la formation sur les armes à feu, les élèves ont huit (8) jours sur la qualification sur les armes à feu.Monsieur A.S.D. explique qu’à travers les différents modules, l’usage de la force est abordé via le modèle de gestion des situations.Ce n’est toutefois pas dans le module sur les escortes extérieures qu’on y fait référence parce que l’usage de la force est aussi abordé pour les escortes intérieures.Au niveau de la communication, les AC assignés à une escorte extérieure peuvent utiliser les radios émetteurs ou les cellulaires.

  • [118] Monsieur A.S.D. précise que dans les scénarios utilisés durant la formation, il n’y a aucun scénario d’une attaque extérieure, ni d’agression armée, contre les agents escorteurs.Toutefois, d’autres scénarios vont traiter de situations semblables, par exemple une escorte extérieure médicale où le détenu est récalcitrant et agressif.

  • [119] Il y a une formation théorique sur l’application du Code criminel et des dispositions pertinentes concernant l’utilisation des armes à feu et les circonstances dans lesquelles elles peuvent être utilisées par un agent de la paix.

Madame C.A.

  • [120] Madame C.A. est agent de libération conditionnelle (ALC) à l’institution.Présentement, bien qu’elle soit ALC, elle agit également en relève comme gestionnaire et donne aussi de la formation.

  • [121] À titre d’ALC, elle est responsable de vingt-cinq (25) détenus qui lui sont attribués.Elle prend en charge le détenu dès son arrivée jusqu’à ce qu’il soit libéré d’une quelconque mesure.Elle explique que c’est surtout une prise en charge au niveau de l’évolution du cas et de la gestion du cas en termes d’évaluation du risque, en termes de suivi de progrès et de planification correctionnelle. Ceci vise aussi ce que le détenu doit faire pendant sa période d’incarcération pour se mériter une mesure d’élargissement.Donc, pour toute la durée de son séjour au pénitencier, à chaque fois qu’il a un problème, le détenu doit se référer à son ALC.Madame C.A. précise qu’en principe, l’ALC devrait avoir toute l’information concernant un détenu.

  • [122] Madame C.A. est très familière avec les dossiers de délateurs.Sans dire qu’elle est une spécialiste dans ce domaine, elle s’y connait suffisamment pour qu’on se réfère à elle par rapport aux cas de délation.

  • [123] Madame C.A. nous informe qu’elle a été l’ALC du détenu en question à partir de 2005.La cote de sécurité attribuée à ce détenu est une cote minimum alors que l’institution a une cote de sécurité moyenne.Il n’est pas dans un établissement à sécurité minimale parce qu’au Québec, il n’y a pas de tel établissement [39] .Il aurait été transféré dans un de ces établissements où il y avait moins d’incompatibles i.e. des détenus qu’on ne peut pas mettre ensembles pour certaines considérations.

  • [124] Dans le cas du détenu en question, il faisait partie d’une organisation criminelle. Il est évident qu’à partir du moment où il est devenu délateur, il ne pouvait, pour sa sécurité, être mis en contact avec certaines personnes et, dans certains établissements, il y avait des gens affiliés à l’organisation criminelle. Il aurait pu être transféré dans un autre établissement à sécurité minimale, mais il n’aurait pas pu participer à un programme parce que la gestion d’un délateur, c’est plus compliqué que gérer un autre détenu.

  • [125] Madame C.A. a un pouvoir de recommandation sur toutes les mesures d’élargissement concernant le détenu en question, indépendamment du genre de sortie.Les mesures d’élargissement sont, entre autres,l’admissibilité à une semi-liberté, par exemple aller en maison de transition, une permission de sortie, un transfert ou des mesures dans la communauté.Le pouvoir décisionnel réside soit avec la directrice, soit avec la Commission Nationale des Libérations Conditionnelles (la Commission).

  • [126] Pour un rendez-vous médical au cours d’un mois quelconque, le commis de l’hôpital de l’établissement avise l’ALC qu’il va y avoir une sortie médicale. Seul l’hôpital est au courant de la date du rendez-vous.À moins qu’il y ait urgence, l’évaluation est faite au début du mois en question.À ce moment, si la visite doit avoir lieu dans moins de soixante douze heures, aucune évaluation est faite.L’évaluation, c’est l’EMR qui tient compte des trois critères [40] énumérés ci-dessus (Voir témoignage de l’ASS).L’évaluation est présentée par la suite au comité pavillonnaire Auquel prennent part, entre autres, tous les agents de sécurité préventive (ASP) de l’unité.

  • [127] Madame C.A. confirme qu’elle a préparé la note de service, i.e. le deuxième document remis aux AC pour faire l’escorte.Cette note est datée du 30 novembre 2006 parce que le détenu devait faire une sortie médicale au mois de décembre.

  • [128] Madame C.A. ajoute que le détenu a une cote de sécurité minimale. Il est dans une institution à sécurité moyenne.Or, en considérant le bulletin [41] de sécurité du 15 août 2006, sous la rubrique ‘’Qu’est-ce qui a changé?’’, c’est indiqué clairement :

Les changements qui suivent s’appliquent aux détenus ayant une cote de sécurité maximale ou moyenne. Il est à noter que c’est la cote de sécurité du détenu et non son placement pénitentiaire qui doit être pris en considération.

  • [129] Étant donné que le détenu a une cote de sécurité minimale, madame C.A précise que l’évaluation est faite seulement parce qu’on est dans une institution à sécurité moyenne.On la fait pour tous les cas.Mais ce qu’essentiellement le bulletin dit,

…c’est que de façon systématique il ne devrait pas avoir d’arme parce qu’il cote minimum. Puis on devrait faire l’évaluation du risque et de la menace seulement pour les individus qui cotent maximum et cotent modéré. Donc, on n’était même pas obligé de faire cette évaluation là. [42]

  • [130] Pour pouvoir sortir de l’institution, il doit y avoir un permis qui détermine les modalités de la sortie.Ce document est remis aux agents escorteurs.

  • [131] La note de service préparée par madame C.A. a pour objet l’évaluation des moyens de contrainte.Elle se compose des parties suivantes :

 

Partie A : Détail sur l’escorte

Partie B : Profil du détenu

Partie C : Les recommandations suivantes sont fonction de l’évaluation des renseignements et s’adressent au responsable de l’établissement.

Partie D : Examen par le responsable de l’établissement.

Partie E : Communication du rapport d’EMR [43]

  • [132] Madame C.A. a expliqué en détail la signification de chacune des parties susmentionnées.Ses explications portent, entre autres, sur les détails techniques, les changements de risques qui sont responsables de sa cote de sécurité, les infractions, i.e. tout ce qui est pertinent aux Parties A et B ci-dessus.Les points suivants ressortent de son témoignage, à savoir :

  • o Le détenu a été de nombreuses années dans la communauté sous un faux nom.Il n’y a pas eu de représailles contre lui. Des vérifications sont faites à l’intérieur du programme P.Même si elle n’est pas inexistante, la menace a diminuée du fait que le détenu a fait des ententes avec le groupe criminalisé.Donc le risque est acceptable.

  • o Madame C.A. minimise le risque que le contrat sur la tête du détenu soit mis à exécution parce qu’il n’y a plus de raison de faire cela, il n’y a plus la même sensibilité concernant la délation.

  • o Les ARS qui forment le département de sécurité préventive ont été consultés. Le cas du détenu n’était pas un sujet d’intérêt pour eux parce qu’il n’y avait aucun changement concernant sa sécurité.

  • o Le comité pavillonnaire discute de l’information recueillie afin de déterminer si l’escorte sera armée ou non. Dans ce cas-ci, il a recommandé à la directrice une escorte non armée.

  • o La directrice a entériné la recommandation au motif que :

‘’Le détenu est classé au niveau de sécurité minimale.’’

  • o L’EMR a été transmise aux agents escorteurs.

  • [133] En ce qui concerne la délation faite par le détenu et les incompatibles, madame C.A. a admis qu’il y avait des ramifications avec l’organisation criminelle dans certains établissements à sécurité minimale, de telle sorte qu’on ne pouvait l’envoyer dans ces établissements.

  • [134] Madame C.A. avoue ne pas connaître beaucoup de cas de délateurs dont la tête était mise à prix et qui ont été tués par la suite mais admet que cela existe.Elle reconnaît que très récemment, le délateur responsable de l’emprisonnement du chef des motards Hells Angels a été tué en prison, dans un pénitencier dans l’ouest du Canada.Elle reconnaît aussi que lorsqu’on parle de contrat dans ce milieu, c’est au sens large.Ce n’est pas un contrat écrit.Ça peut aussi être fait pour des considérations futures, autres que pour de l’argent, comme monter dans la hiérarchie, pour une vengeance, etc.En somme, madame C.A. admet que tous les motifs sont bons dans ce milieu pour exécuter un contrat.

  • [135] Madame C.A. reconnaît que le détenu fait partie du programme P.Toutefois, l’entente (lire contrat) que le détenu a en vertu du programme P est une entente morale parce que ce type d’entente de délateur n’existe plus.À l’époque, il n’y avait aucun document signé voulant qu’on prenne soin du détenu. Donc à son retour en institution, l’entente a été maintenue par les gens qui administrent l’établissement,simplement à titre d’entente morale avec le détenu.

  • [136] Toutefois, Me Mancini commente que lorsque le détenu sort de l’institution, il le fait sous couvert du programme P.Or, d’ajouter Me Mancini, le danger est tellement d’actualité pour le détenu qu’en vertu du programme P, son identité doit être changée pour le protéger.Me Mancini soumet ce point pour contredire le témoignage du témoin qui laisse entendre que ce n’est plus tellement dangereux maintenant pour le détenu parce que ça fait longtemps que la délation et le contrat ont eu lieu.Madame C.A. corrige Me Mancini en précisant qu’elle a dit que le danger était amoindri mais qu’elle n’a jamais dit qu’il n’y en avait plus.Selon elle, il va toujours y avoir un risque parce que c’est un délateur.Cette situation est aussi vraie pour l’existence d’incompatibles dans les établissements à sécurité minimale parce que le détenu est repérable.Donc, de reconnaître madame C.A., le danger n’est pas éteint.

  • [137] En ce qui concerne les trois critères d’EMR, les risques sont tous faibles.Le détenu n’est pas en soi dangereux pour les AC ou pour le public.Toutefois, Me Mancini fait remarquer à madame C.A. que ces critères ne font pas référence au risque d’une agression extérieure.Madame C.A. affirme que ce risque est quand même évalué puisque ils en parlent en comité pavillonnaire.

  • [138] Finalement, madame C.A. conclut que puisque le détenu a une cote de sécurité minimale, la décision de ne pas armer l’escorte est conséquente à cette cote de sécurité.

 

Monsieur G.F.

  • [139] Monsieur G.F. est AC-2 à l’établissement.Le 11 novembre 2006, il était surveillant correctionnel et membre du comité pavillonnaire qui a recommandé que l’escorte du détenu en question ne soit pas armée.Son rôle sur le comité pavillonnaire était de se prononcer pour ou contre ce genre de sortie et de prendre position concernant une escorte armée ou non dans ce cas.Monsieur G.F. affirme qu’il était en accord avec la recommandation à l’effet

‘’…que toutes les PSAE [Permission de sortir avec escorte] pour fins médicales soient NON ARMÉES avec matériel de contrainte (chaînes et menottes) et port du gaz.’’

  • [140] Au mois d’avril 2007, monsieur G.F. était ARS.Monsieur G.F. témoigne qu’à cette époqie il a reçu un appel de monsieur J.T., un AC, qui lui a demandé des renseignements concernant le détenu.Monsieur G.F. déclare qu’il aurait dit à monsieur J.T. que le détenu avait déjà eu un contrat sur sa tête et qu’à ce moment, il n’y avait rien de spécial dans son cas.Il a appris par la suite que monsieur J.T. a utilisé cette information, à son insu, pour refuser de faire l’escorte du détenu.Il s’est senti piégé par monsieur J.T. dans cette situation étant donné l’existence de l’EMR.S’il avait su que cette information servirait à exercer un refus de travail, monsieur G.F. aurait expliqué à monsieur J.T. que sa sécurité et celle du personnel n’étaient pas en danger à cause du détenu.Monsieur G.F. affirme qu’il ne se rappelle pas si monsieur J.T. lui a demandé si le contrat sur la tête du détenu était encore d’actualité.

  • [141] Monsieur G.F. déclare ne pas savoir si l’établissement avait fait une demande en avril 2007 pour que le détenu puisse aller dans un établissement à sécurité minimale et que cela avait été refusé parce qu’on ne pouvait pas assurer sa sécurité à l’intérieur d’un tel établissement à sécurité minimale.Il reconnaît que cela était possible mais que la gestion de cas ne relevait pas de lui.

  • [142] Monsieur G.F. dit ignorer si le SCC, ou son propre groupe, avait des craintes que l’organisation criminelle pourrait tenter de se venger du détenu en s’en prenant à lui lors d’un retour dans la communauté.Il ajoute par la suite que tout était sensé être rétabli entre ladite organisation et le détenu suite à des rencontres qui auraient eu lieu entre ces parties. Cet incident de délation et de contrat sur la tête du détenu serait donc fini selon le témoin même si on devait changer son nom lors de sorties.

  • [143] À l’époque où le détenu est arrivé, monsieur G.F. était ARS.On lui a transmis l’ensemble des documents formant le dossier de sécurité du détenu, ce qu’il y a comme rapport de police, ou toute autre source.Monsieur G.F. admet connaître l’existence du programme P applicable au détenu i.e. le changement d’identité à sa sortie de prison.Il reconnaît avoir possédé cette information en avril et mai 2007, qu’il n’a pas été avisé d’un changement quelconque à l’application du programme P,et donc que le programme P est toujours d’actualité.Toutefois, monsieur G.F. apporte une nuance à l’effet que suite à une rencontre entre le détenu et le chef de l’organisation criminelle, le risque n’était plus si ‘’éloquent [44] ’’ Ainsi, si les gens qui administrent le programme P ont décidé de le maintenir en vigueur, c’est à eux qu’il faut demander leurs motifs.

  • [144] Monsieur G.F. reconnaît qu’on effectue beaucoup d’escortes à l’institution.La plupart ne sont pas armées. Les escortes armées sont tout de même assez fréquentes.

  • [145] Me Mancini a déposé la Directive du Commissaire 568-3 [45] (Identification et gestion des organisations criminelles).Le SCC fait de la formation sur les organisations criminelles i.e. comment elles s’affichent, les signes qu’on utilise, comment les reconnaître etc.Autrefois c’étaient les Hells Angels et les Rock Machines, maintenant ce sont les Rouges, les Bleus, les jeunes Punks.En somme il y a une nouvelle clientèle de groupes criminalisés.Tous ces groupes sont présents à l’établissement où sont aussi hébergésdes gens qui ont besoin de protection, d’où la complexité puisque ces gens ont des choses à se reprocher vis-à-vis leur propre gang ou les gangs adverses.C’est un peu le cas du détenu qui a un conflit avec l’organisation criminelle dont il est question.

  • [146] Monsieur G.F. a témoigné que le détenu n’avait aucune influence au niveau de l’établissement, ni de la société.C’est pour cette raison que le détenu, selon monsieur G.F., a été placé dans un établissement à risque moindre, ce qui a fait dire à Me Mancini qu’il comprenait maintenant pourquoi on avait classé les trois critères d’EMR à faible dans les trois cas.Le détenu n’avait plus d’influence ni dans les établissements ni dans la collectivité.Donc il ne faisait pas de trouble, il était gentil et poli, ne présentait pas un risque d’évasion et ne présentait pas de risque pour la population.

  • [147] Monsieur G.F. a témoigné ne pas savoir, même à titre d’ARS, que l’organisation criminelle a des liens avec d’autres organisations criminelles, que le SCC donne de la formation à ses officiers correctionnels sur le lien qui existe entre ce groupe-là et d’autres groupes criminalisés dans la communauté, etc.Après plusieurs tergiversations, monsieur G.F. a reconnu qu’il était possible que des éléments criminels se retrouvent dans la communauté et qu’ils obtiennent des informations sur la sortie du détenu.

  • [148] Suite au dépôt de la Directive du Commissaire 568 [46] (Gestion des renseignements de sécurité) et à la référence 12 (c) (iv) concernant l’influence que peuvent avoir les organisations criminelles dans les établissements et dans la communauté, monsieur G.F. répète que le détenu en question n’avait plus d’influence au niveau de l’établissement et de la communauté. Il n’y avait rien qui indiquait que le détenu pouvait présenter un risque particulier lors d’une sortie.En ce qui concerne le contrat sur le détenu, monsieur G.F. reprend qu’il y avait de l’information à l’effet que ce n’était plus d’actualité parce qu’il y avait une entente entre le détenu et le chef de l’organisation criminelle.

  • [149] La Directive du Commissaire 003 [47] (Désignation des Agents de la paix) indique que tout officier dans un établissement carcéral est un agent de la paix.En vertu du paragraphe 25(4) du Code criminel, les AC peuvent utiliser la force dans certaines circonstances, ce qui inclut l’utilisation des armes à feu.Selon monsieur G.F., même en l’absence d’arme à feu les AC disposaient des outils nécessaires qui étaient autorisés pour faire l’escorte.Monsieur G.F. déclare qu’en ce qui concerne les escortes de ce détenu, ils ont ‘’…géré comme quoi le risque était assumable. [48] ’’

  • [150] Me Mancini renchérit sur la protection des AC durant une escorte avec la Directive du Commissaire 567 [49] (Gestion des incidents de sécurité).Comment les AC devraient faire pour respecter cette directive sans arme?Monsieur G.F. répond que les AC ont le gaz avec eux et qu’en ce qui concerne la possibilité de se faire tirer, c’est hypothétique.La veste pare-balles qui est fournie c’est, selon sa déclaration, pour réagir à une agression hypothétique.

Monsieur S.H.

  • [151] Monsieur S.H. a déjà témoigné dans le cadre de la preuve des appelants ci-dessus.Au mois de novembre 2006, il était surveillant correctionnel en alternance avec la fonction d’ARS.

  • [152] Le 11 avril 2007, monsieur S.H. était surveillant correctionnel, maintenant gestionnaire correctionnel (GC). Il était en charge de l’établissement pour le quart de jour.Il y a eu à cette date le refus de travail pour une escorte extérieure non armée à l’hôpital.C’est lui qui devait remettre les documents aux officiers escorteurs, leur expliquer les procédures et identifier le détenu à sa sortie, ce qu’il déclare avoir fait ce matin-là.

  • [153] L’officier en charge de l’escorte était monsieur P.G., un AC-2 [50] .Monsieur P.G. s’est présenté comme à l’habitude au bureau du surveillant et monsieur S.H. lui a remis les documents identifiés sous la cote A-14, à savoir :

 

1. Permission de sortir avec escorte (2 pages)

2. Évaluation des moyens de contrainte (7 pages)

3. Profil type (3 pages)

4. Instructions à l’attention des agents accompagnateurs (1 page)

  • [154] L’escorte devait se faire non armée, le détenu devait être menotté, les chaînes aux pieds et les AC pouvaient avoir un gaz avec eux. Monsieur P.G. était au courant du type d’escorte et n’a pas fait de commentaires particuliers à ce sujet même s’il ne lui plaisait pas de faire l’escorte sans arme.

  • [155] Monsieur S.H. identifie sa signature et celle de monsieur P.G. sur le document no. 4 ci-dessus.Il ne se souvient pas s’ils ont parlé du cas à ce moment-là, avant que l’AC quitte son bureau.Monsieur S.H. déclare ne pas se souvenir si la pratique habituelle d’aller chercher le détenu et de l’escorter vers le contrôle poterne où l’attend le véhicule et l’autre agent escorteur, a eu lieu.Il se souvient seulement que monsieur P.G. l’a appelé du bureau de la poterne, où l’attendait l’autre agent escorteur, monsieur J.T., pour lui signifier son refus de faire l’escorte.

  • [156] Selon monsieur S.H., monsieur J.T. aurait reçu des informations de monsieur G.F., qui était l’ARS à ce moment, concernant le détenu, à savoir que ce dernier était relié à l’organisation criminelle, qu’il avait été délateur et que sa tête était mise à prix. Les AC croyaient que leur sécurité pouvait être compromise et pour cette raison, ils refusaient de faire l’escorte.

  • [157] Monsieur S.H. déclare qu’il connaît le détenu en question parce qu’il était l’ARS au moment où le détenu est entré à l’établissement. Ce type de détenu est toujours rencontré à son arrivée par l’ARS parce que ces gens ont un statut particulier.Souvent, ils ont beaucoup d’incompatibles et on veut s’assurer qu’il n’y aura pas de problèmes.On a fait les vérifications nécessaires, on s’est assuré qu’il n’y avait rien de nouveau, qu’il n’y avait pas d’incompatibles et que la sécurité de l’institution n’était pas menacée.

  • [158] Monsieur S.H. affirme qu’il savait que le détenu avait déjà fait partie du programme P, mais avoue ne pas savoir s’il en fait encore partie.Il explique, comme cela a déjà été expliqué précédemment, que les gens qui administrent ce programme ont un contrat moral, ou entente, avec le détenu qui date de longtemps.Le SCC n’est toutefois pas partie à l’entente.Le SCC va simplement faciliter les contacts entre les gens qui ont l’entente mais ne sera pas tenu au courant de l’entente.Réciproquement, si les gens qui administrent le programme P obtiennent de nouvelles informations concernant le détenu, ils les partagent volontairement avec le SCC et monsieur S.H., surtout lorsque ces informations concernent le contrat visant le détenu.

  • [159] Monsieur S.H. a reconnu qu’il est possible que la notion de contrat ou entente morale n’existe pas dans la littérature des dossiers du SCC.Il explique que ce sont les gens qui administrent le programme P qui en parlent avec l’agent de gestion de cas.

  • [160] Monsieur S.H. déclare que le fait que le détenu ait travaillé pour l’organisation criminelle est un fait d’actualité, mais quant à savoir si le contrat sur sa tête est toujours d’actualité, il n’en a aucune idée.Il serait porté à penser que non parce que les principaux acteurs sont soient décédés ou ils ne sont plus reliés à l’organisation criminelle.Cependant, il avoue à Me Mancini qu’il ne sait pas si les gens qui administrent le programme P partagent cette opinion.

  • [161] Le fait que la tête du détenu a déjà été mise à prix a déjà été une préoccupation pour le SCC. Il faut tout prendre en considération lorsqu’une décision doit être prise concernant le détenu.Toutefois, c’est un cas qui date de longtemps.Il a été en libération légale et illégale (pour ne pas s’être présenté à son ALC) pendant longtemps et il est encore vivant. Le détenu lui-même affirme qu’il n’a pas peur d’aller dans sa région natale ou ailleurs.Il dit même qu’avec un seul coup de téléphone, il peut régler les problèmes qu’il a avec des incompatibles.

  • [162] Au début, monsieur S.H. déclare qu’on voulait transférer le détenu dans un établissement à sécurité minimale parce qu’il ne cadrait pas bien dans un environnement à sécurité moyenne.Toutefois, le détenu a tellement nargué de monde du SCC dans sa vie de détenu que ces gens là, qui sont maintenant des gestionnaires dans des postes stratégiques dans des établissements à sécurité minimale, se souviennent du cas et ne veulent plus avoir affaire à lui.C’est pour cette raison, selon monsieur S.H., qu’ils ont de la difficulté maintenant à l’envoyer dans un tel établissement.

  • [163] Monsieur S.H. se souvient aussi de l’escorte du 4 mai 2007 qui avait été assignée à messieurs E.V. et J.S.P.Il affirme que les motifs du refus sont les mêmes que celui du 11 avril 2007.

  • [164] À savoir si le changement d’identité du détenu est encore d’actualité, Monsieur S.H. explique qu’à l’intérieur de l’institution, le détenu fonctionne sous son vrai nom. Toutefois, monsieur S.H. affirme ne pas savoir si à sa sortie, il va y avoir changement d’identité du détenu.Bien qu’il ait accès au dossier de l’ALC, il ne le consulte pas.

  • [165] Monsieur S.H. résiste aux tentatives de Me Mancini de lui faire dire qu’en réalité le détenu avait peur d’aller dans un établissement à sécurité minimale et que ce n’était pas simplement à cause de conflits personnels avec la direction qu’il ne pouvait y aller.Toutefois, le témoin reconnaît que si le détenu a exprimé ces craintes à son ALC, ce dernier les aurait consignées dans un dossier.Cependant, le détenu n’a jamais exprimé ces craintes à monsieur S.H.

  • [166] Le détenu est sorti le 15 mai 2007 accompagné de deux (2) agents escorteurs qui étaient des policiers bénévoles.C’était une sortie humanitaire.Suite à l’entente morale que le détenu a, il se crée des liens avec ces gens qui travaillent avec ce type de détenus.Alors ces policiers rendent service à ces détenus, tel que faire un geste humanitaire comme amener la conjointe du détenu à l’institution pour qu’il puisse être en sa compagnie, lorsqu’il y a de la maladie dans la famille, un décès, etc. Monsieur S.H. explique qu’il considère ces policiers comme des bénévoles parce qu’ils ne sont pas rémunérés par le SCC pour faire ce travail. Donc la sortie a été traitée comme une escorte effectuée par des bénévoles, les bénévoles étant les policiers.Toutefois, à savoir si ces policiers étaient armés, le témoin insiste qu’il ne le sait pas.

  • [167] Le 4 mai 2007, il y a eu une sortie dite médicale pour le détenu.L’escorte a été effectuée par deux gestionnaires, dont monsieur S.L.,suite aux refus de messieurs J.S.P. et E.V.L’escorte a été effectuée en accord avec la Permission de sortir avec escorte (PSAE) i.e. non armée.

Contre-preuve des employés

Objection à une contre-preuve des employés

  • [168] Me Mancini a demandé au tribunal de l’autoriser à présenter une contre-preuve dans ce dossier suite aux témoignages de messieurs G.F. et S.H. qui, selon lui, ne correspondent définitivement pas aux informations qu’il possède. Me Mancini suggère de faire venir des dossiers d’ALC dans la présente affaire, spécifiquement quatre documents qui ont été identifiés par Me Mancini, qui clarifieraient le statut du détenu concernant les divers points qui ont été discutés et minimisés par les témoins de l’employeur.

  • [169] Me Perron s’est objectée à la demande de Me Mancini d’aller en contre- preuve.Elle précise qu’il y a des critères précis qui s’appliquent dans une contre-preuve. Une contre-preuve ne peut pas servir pour bonifier sa preuve.Me Perron soumet qu’elle va s’objecter quant à la nature et aux documents que Me Mancini veut aller chercher dans le dossier du détenu.

  • [170] J’ai fait droit à la demande de Me Mancini,Les motifs de ma décision et de l’ordonnance qui l’accompagne sont expliqués dans la décision d’AA nº TSSTC-08-010(I).Aux termes de cette ordonnance, le tribunal a ordonné au SCC de produire quatre documents qui ont été identifiés par Me Mancini comme ayant une pertinence probante dans cette affaire.Me Mancini soutient que ces documents serviront à démontrer que le contrat sur la tête du détenu est toujours d’actualité.

  • [171] Lors des soumissions de l’employeur, Me Perron s’est aussi inscrite en faux concernant cette décision interlocutoire et l’ordonnance qui l’accompagne.Le tribunal a rendu cette décision et l’ordonnance suite aux motifs non favorables qu’il a formulés concernant la crédibilité des témoins de l’employeur au sujet de leurs témoignages sur l’actualité du contrat sur la tête du détenu.

  • [172] Le tribunal décide de ne pas commenter, après coup, les commentaires de Me Perron concernant cette décision et l’ordonnance qui l’accompagne.

***

  • [173] L’ALC, madame C.A., a été identifiée par les parties comme étant la personne la plus apte à déposer les documents et à témoigner sur leur contenu, puisqu’elle est intervenue dans chacun des quatre dossiers.

  • [174] Les quatre documents ayant une pertinence probante dans cette affaire ont été identifiés et déposés comme suit :

 

1. Suivi du plan correctionnel [51] (7 pages)

2. Note de service [52] (8 pages)

3. Évaluation en vue d’une décision [53] (7 pages), et

Recommandation/Décision pour : Perm. Sortir avec Escorte [54] (2 pages)

Décision #14

4. Échelle de réévaluation de la cote de sécurité [55] (6 pages) et

Recommandation /Décision pour : Niveau Sécurité du Détenu [56] (2 pages)

Décision #13

  • [175] Suite à l’ordonnance rendue ci-dessus par le tribunal, madame C.A. a déposé les documents identifiés ci-dessus i.e. Pièces A-39 à A-42, et a témoigné à nouveau.

  • [176] Le témoignage de madame C.A. relatif à ces documents rectifie aussi certains faits.Il est à l’effet :

  • o Que tout employé du SCC a accès à ces documents sans confirmer si les deux ARS, messieurs G.F. etS.H., étaient au courant de cette information en avril et mai 2007.

  • o Que vu le nombre d’années qui se sont écoulées depuis sa délation, au lieu de parler de contrat de mort, une information que même la police n’a pas eue, le SCC parle de préoccupations permanentes lorsque le détenu sort.Des vérifications avec la police i.e. l’agent contrôleur du détenu, ont été faites pour la sortie humanitaire du détenu.

  • o Qu’elle a évalué le risque global que représente la sortie du détenu à zéro virgule un pourcent (0.1%).Elle précise qu’ils sont des professionnels payés pour évaluer le risque que les sorties représentent.

  • o Que le détenu avait du stress lorsque venait le temps de sortir et que cela lui resterait jusqu’à la fin de ses jours.

  • o Que des démarches avaient été faites auprès d’un établissement à sécurité minimale pour recevoir le détenu.Le cas fut présenté et refusé pour des questions de sécurité principalement dues à la repérabilité du détenu du fait qu’il doit côtoyer d’autres détenus.Même la police locale ne voulait pas de délateur notoire dans son secteur.

  • o Que la repérabilité du détenu en regard de sa sécurité est une préoccupation qui sera toujours d’actualité.

  • o Que le détenu a déjà eu plusieurs identités et madame C.A. savait que le détenu aurait une nouvelle identité à sa sortie de prison. Cette responsabilité n’est pas du ressort du SCC.

  • o Qu’en vertu du programme P, la police assure aussi un suivi post-libération i.e. s’il y a une nécessité d’intervention pour protéger le détenu alors qu’il est libéré, ces gens vont intervenir et prendre les mesures nécessaires pour le relocaliser ou le prendre en charge.

  • o Que pour les escortes, on tient compte des délits à caractère très violents que le détenu a commis, qu’il a été en liberté illégale, qu’il a été diagnostiqué comme un manipulateur et une personne ayant des idées de grandeur.

  • o Que la sortie du détenu serait une PSAE humanitaire contrairement à une PSAE sécuritaire parce que le détenu a une cote de sécurité minimale et que le risque était assumable.

  • o Que l’agent contrôleur du détenu ferait la sortie à titre "bénévole", même si l’escorte est faite par des enquêteurs attitrés du programme P.

  • o Que ces policiers ne sont pas réellement des "bénévoles".Ils sont simplement catégorisés bénévoles.Ils sont en fait en service commandé et ne font pas ça sur leur temps;ils sont payés pour faire ce travail.

  • o Que lorsqu’ils font une évaluation de risque, cela comporte plus que les trois critères qui ont été énumérés plus haut.L’évaluation du risque est complète.

  • o Que lorsqu’on lui a demandési elle tient compte du Code canadien du travail dans son évaluation du risque, elle a répondu qu’elle se fie aux directives du Commissaire sur les escortes humanitaires.Elle a ajouté que

"…c’est pas les lignes directrices auxquelles nous autres on travaille pour faire le rapport d’évaluation"

  • o Que la dangerosité du détenu est différente lorsque le détenu sort une seule fois par opposition à des sorties répétitives au même endroit.

  • o Que pour toutes mesures d’élargissement, les gens du programme P sont toujours impliqués.Madame C.A. a recommandé à la Commission que le détenu retourne dans la communauté en libération conditionnelle totale.La Commission a refusé cette recommandation parce que le détenu devait refaire sa crédibilité suite à sa liberté illégale.

  • o Qu’on tient compte de la sécurité des AC qui font les escortes en considérant les informations ponctuelles en leur possession au moment de l’escorte, par exemple un risque d’évasion, l’impossibilité de contrôler la situation à un endroit précis, etc..

  • o Que la repérabilité du détenu est variable et dépend de la mesure d’élargissement.On parle de repérabilité lorsque le détenu doit faire des sorties multiples à des temps réguliers.À ce moment là, on parle de repérabilité parce que ce n’est plus du hasard.

 

SOUMISSIONS

 

  • [177] J’ai décidé de regrouper les soumissions des parties sous les rubriques suivantes :

 

i) La compétence de l’AA

ii) La preuve

iii) La jurisprudence

iv) La conclusion

 

SOUMISSIONS DES EMPLOYÉS

 

i) La compétence de l’AA

  • [178] La première question à régler selon Me Mancini concerne l’objection soulevée par l’employeur quant à la compétence de l’AA dans ce dossier.L’AA n’est pas lié par la politique appliquée par l’ASS.Si on applique cette politique aux faits de l’affaire Verville supra, de l’affaire Martin, supra, ou de l’affaire Johnstone, supra, le résultat est le même : il n’y a plus aucun cas de danger qui passe la rampe. L’AA doit donc assumer compétence dans cette affaire.

  • [179] La vision qui a été présentée par l’employeur à l’AA, à savoir qu’il existe à l’alinéa 128(2) (b) du Code un filtre, constitue une nouveauté qui suppose que toutes les décisions de la Cour fédérale et du Bureau d’appel sont dans l’erreur sur ce point. Pour Me Mancini, cette vision filtre se veut inconcevable.

  • [180] Dans l’affaire Verville ,supra, il était question de menottes pour les AC.Me Mancini soutient que si on applique le raisonnement de la politique à ces faits, on conclut que cela constitue une condition normale d’emploi.On ne peut pas enquêter sur le danger parce que c’est une condition normale d’emploi.Le port d’armes pour les agents de parc dans l’affaire Martin, supra, ce serait la même chose i.e. une condition normale d’emploi.On arriverait à même conclusion avec l’escorte armée dans l’affaire Johnstone, supra, qui portait sur des détenus qui auraient caché des clefs pour s’évader, i.e. ce serait une condition normale d’emploi.

  • [181] Me Mancini ajoute que lorsqu’on a demandé à l’ASS ce qui est normal dans le fait de faire des escortes armées et des escortes non armées, sa réponse fut que le fait de faire des escortes est toujours une condition normale d’emploi.Selon Me Mancini, si on arrête l’enquête, comme cela a été fait dans le présent dossier, à l’étape de considérer que l’escorte soit armée ou pas, c’est un non-sens parce que c’est toujours une condition normale d’emploi.On bloque alors l’ensemble du processus prévu au Code par une interprétation conçue par un fonctionnaire.

  • [182] Dans l’affaire Martin, supra, on a la confirmation que l’appel est de novo.Par conséquent, l’AA a tous les pouvoirs du décideur en première instance.Avec l’objection, l’employeur a essayé d’amener l’AA à ne pas exercer sa compétence parce que le décideur en première instance a refusé de rendre une décision sur le danger.Par une politique écrite par un fonctionnaire, on renverse la loi, la jurisprudence et on bloque l’appel.Me Mancini demande au tribunal d’indiquer clairement dans sa décision que cela ne correspond pas aux obligations qui sont attribuées à l’AA par le Code.

  • [183] Selon Me Mancini, c’est justement cela le but de la politique, i.e. de restreindre le nombre de dossiers qui peuvent faire l’objet d’une décision.Ce n’est pas ce que dit le Code.Le Code prévoit que s’il y a un danger, l’enquêteur de première instance, ou l’AA lorsqu’il y a appel, doit enquêter si un danger est allégué.

  • [184] Me Mancini a aussi soulevé le manque d’indépendance de l’ASS qui n’a pas décidé seul de sa décision.Par conséquent, l’ASS n’a pas été impartial dans ce dossier.

 

ii) La preuve

  • [185] Parmi les éléments de preuve qui apparaissent comme étant les plus pertinents, il y a, selon Me Mancini, le témoignage de monsieur M.C.Ce dernier est agent des services correctionnels pour le Ministère de la Sécurité publique de la province de Québec, deux de leurs agents sont décédés i.e. qu’ils ont été tués par des groupes criminaliséset,suite à ces évènements, on a adopté un standard dans l’industrie au Québec, à savoir que toutes les escortes sont armées.

  • [186] Le détenu est un ancien tueur à gages pour une organisation criminelle.Il a fait incarcérer le chef de l’organisation.C’est un manipulateur, un menteur.Madame C.A. a témoigné que dans sa longue carrière, c’est le seul cas qu’elle connaisse où le délateur est protégé par la police, que selon elle toutes les escortes devraient être armées parce que c’est dangereux, que ce cas a été très médiatisé et que d’autres détenus connaissent la valeur de la tête du détenu.L’importance de cet élément de preuve est que ce détenu est connu dans le milieu et dans l’établissement.On a attiré l’attention du tribunal sur la repérabilité et la notoriété du détenu. Il y a beaucoup de personnes qui en veulent encore au détenu.Quand les AC font une escorte avec un type de ce genre, qui a un contrat sur sa tête et qui est très repérable, très médiatisé et très notoire, Me Mancini soutient que le minimum de précaution serait que l’escorte soit armée.

  • [187] Par la suite, il y a eu les témoignages des ARS, messieurs G.F. et S.H.Me Mancini soumet que ni l’un ni l’autre n’est crédible.Me Mancini soutient qu’on a tenté de faire croire au tribunal que le détenu n’a plus peur.Toutefois, en vertu des documents qui ont été déposés,on réalise que le détenu craint encore pour sa vie dans la communauté et en établissement à sécurité minimale.On a tenté de faire croire au tribunal que le contrat sur la tête du détenu n’est plus d’actualité.Lors du refus de monsieur J.T., son témoignage non contredit était que monsieur G.F. ne pouvait lui confirmer que le contrat sur la tête du détenu n’était plus d’actualité.

  • [188] Me Mancini explique que là où il devient difficile de suivre le raisonnement des ARS, et jusqu’à un certain point celui de madame C.A., c’est qu’en vertu du programme P, ce contrat est encore d’actualité.Il est inconcevable que le contrat de mort ne soit plus d’actualité mais que la police doive intervenir ou être consultée en vertu du programme P dans toutes les sorties du détenu.Me Mancini ajoute que ce n’est tout simplement pas possible que la police ait encore le souci de protéger ce détenu de sorte qu’on doive modifier son identité à sa sortie de prison. Il est à ce point notoire et repérable que même le détenu est conscient de ce fait et qu’il exprime des craintes d’aller en communauté ou dans les "minimums".Tout cela ne peut coexister avec les versions des ARS à l’effet que le contrat sur la tête du détenu n’est plus d’actualité.

  • [189] Me Mancini soumet qu’on a laissé entendre au tribunal que les policiers qui accompagnent le détenu en escorte humanitaire font du bénévolat.En réalité, ces gens font leur devoir, encadrés dans un programme qui s’adresse directement à la notoriété et au danger d’une libération du détenu.

  • [190] Me Mancini soumet que madame C.A. a dit qu’il était impossible que les ARS ignorent les informations que l’on retrouve aux documents A-39 à A-42.Quand le SCC met en place à grand frais des moyens qui requièrent une grande organisation et qu’ils se sentent obligés de consulter avec les gens du programme P à chaque fois que le détenu sort, Me Mancini soutient que tout cela ne peut se faire sans que le contrat soit encore d’actualité. Me Mancini conclut que cela est impossible.

  • [191] L’autre point important quant à la repérabilité et au statut du détenu est le fait que l’on dit du détenu qu’il est un cas "minimum".Me Mancini ironise que bien que ce soit un cas que l’on classe minimum, on ne peut pas le mettre dans un établissement à sécurité minimale. Il affirme qu’il en est ainsi parce qu’il peut se faire tuer parce qu’il est repérable.Il est trop notoire. Il ne peut aller dans la communauté parce qu’il y a des ressources qui ne veulent pas l’avoir parce qu’il y a trop de danger dû à la présence de ce détenu.Ces ressources ne sont pas des gens qui n’ont aucune connaissance du milieu.On parle d’une institution fédérale chapeautée par le même employeur. On parle de ressources dans la communauté qui sont habituées à recevoir des détenus. Eux aussi considèrent qu’il est trop dangereux de recevoir ce détenu.

  • [192] Me Mancini note que dans le cas qui nous occupe, le détenu est coté minimum.Le SCC utilise trois critères pour qualifier le détenu de minimum.Ces critères se rattachent au comportement du détenu dans l’établissement, à savoir s’il est violent, s’il suit son programme, etc.Me Mancini affirme que ces trois critères n’ont rien à voir avec le danger qui est soulevé dans le présent dossier.Il pourrait y avoir n’importe quelle information à l’extérieur du pénitencier que le détenu serait quand même coté minimum.Cela ne change rien parce que les critères n’ont pas de sujet permettant de voir le danger qui peut exister à l’extérieur du pénitencier.

  • [193] Selon Me Mancini, ce fait est majeur dans le présent dossier parce qu’on a beau dire au tribunal, comme l’ont fait les témoins de l’employeur, que le détenu est quand même un cas coté minimum, cette affirmation vaut uniquement à l’intérieur des murs du pénitencier.Toutefois, quand les AC font un refus rattaché directement à la dangerosité d’éléments externe à l’établissement, on pourrait faire le portrait le plus dangereux imaginable à l’extérieur de l’établissement, le détenu sera toujours coté minimum parce que cela ne fait pas partie des trois critères utilisés par le SCC.Il existe un problème à juxtaposer de façon irréfléchie la cote minimale du détenu au présent dossier.Le danger invoqué par les AC n’a rien à voir avec les trois critères d’évaluation de la cote minimale.Les AC craignent l’exécution d’un contrat externe à l’établissement.

  • [194] Me Mancini fait remarquer que madame C.A. a témoigné à l’effet que la police et l’employeur se sont assurés de la sécurité des lieux où le détenu devait se présenter.Ceci démontre que le SCC agit, de concert avec la police, comme si le contrat était encore d’actualité.Selon Me Mancini, il est normal et très opportun d’agir ainsi.Toutefois on ne fait pas la même chose pour les AC.On ne leur dit même pas que la tête du détenu est mise à prix, alors qu’en ce qui concerne l’escorte humanitaire avec des bénévoles, de noter Me Mancini, on s’est donné la peine de visiter les lieux alors que les AC ne sont même pas armés et qu’on ne leur dit même pas qu’il y a un contrat sur la tête du détenu.Il y a manifestement un problème majeur de sécurité surtout si on tient compte du fait qu’il y a eu au cours du même mois une escorte du détenu avec des mesures de sécurité draconiennes, tel que rapporté par monsieur M.C.. Tout cela ne cadre pas avec le Code.

  • [195] Monsieur G.F. a reconnu lors de son témoignage que s’il avait su que l’information qu’il a partagée avec monsieur J.T. servirait à faire un refus de travail, il ne lui aurait pas donné cette information.Me Mancini indique au tribunal que cela constitue un indice de la culture qui existe dans ce genre d’entreprise.

  • [196] La preuve a également permis d’apprendre que les ARS sont les principaux contacts avec les services policiers.Alors comment expliquer leurs témoignages puisque leurs mémoires faisaient défaut.Ils ne sont pas crédibles.Ils cherchaient à minimiser l’existence du contrat sur la tête du détenu.

iii) La jurisprudence

  • [197] Me Mancini a présenté diverses décisions d’AA et de la Cour fédérale afin d’aviser le tribunal sur les critères à suivre pour décider cette affaire.

  • [198] Me Mancini a fait référence à la décision du tribunal dans Brent Johnstone et all c. Service correctionnel du Canada, [2005], Décision d’AA No. 05-020 (ci-après Johnstone).Selon Me Mancini, cette décision est la seule qui touche les escortes armées dans le milieu carcéral.L’intérêt de cette décision tient à la distinction qui a été apportée entre la Loi sur le service correctionnel [57] qui gouverne l’incarcération d’un détenu et les règles de sécurité qui s’y rattachent et le Code, à savoir que tous les règlements qui sont issus de cette Loi se rattachent au détenu alors que le Code se rattache aux AC.Cette distinction est majeure selon Me Mancini.

  • [199] L’affaire Johnstone concerne un détenu violent incarcéré dans un établissement à sécurité maximale qui aurait eu en sa possession une clé de menottes ou un instrument i.e. une arme dissimulée.Trois AC ont refusé de faire l’escorte de ce détenu parce que le niveau de sécurité de l’escorte avait été abaissé d’escorte armée à escorte non armée.Me Mancini demande au tribunal de suivre le même raisonnement que celui employé dans cette affaire et d’appliquer la même distinction qui a été décrite ci-dessus.

  • [200] L’affaire Union of correctional officers-Syndicat des agents correctionnels du Canada-CSN (UCCO-SACC-CSN)c. Attorney General of Canada,2008 FC 542, concerne l’exposition à la fumée secondaire dans un pénitencier.La Cour fédérale a cassé la décision de l’AA dans cette affaire parce que celui-ci n’a pas tenu compte de la preuve au dossier.La preuve indiquait que trois AC avaient témoigné que dans leurs lieux de travail, lesquels comptaient 95% de la population carcérale, c’était plein de fumée à tous les jours.

  • [201] Dans Verville, supra, la juge a fait le commentaire qu’il serait impensable qu’un agent de sécurité qui fait le transport d’argent ne soit pas armé, qu’il n’ait pas de véhicule blindé, etc.Ce jugement, qui est bien connu maintenant, appuie les prétentions de Me Mancini dans le présent dossier. Me Mancini souligne que si on devait appliquer la nouvelle politique établie par le Programme du travail de DRHSC aux circonstances de l’affaire Verville, l’absence de port de menottes dans les circonstances de l’unité serait une condition normale d’emploi.On évacue ainsi complètement la mission du Code.Le résultat dans Verville serait impossible avec cette politique.

  • [202] La décision Martin, supra, est aussi bien connue.Le plus important dans cette décision est le fait que l’appel de l’AA est de novo.Le test de la politique aurait certainement mené, lorsque appliqué aux faits dansl’affaire Verville, au constat d’une condition normale d’emploi.On ne pourrait pas enquêter sur le danger à cause d’une condition normale d’emploi, ce qui est inconcevable.

iv) La conclusion

  • [203] Me Mancini demande au tribunal de faire droit aux appels des quatre AC.Il demande aussi au tribunal de se prononcer sur la politique appliquée par l’ASS parce que les conséquences de l’application de cette politique sont désastreuses pour les AC.

 

 

 

SOUMISSIONS DE L’EMPLOYEUR

i) La compétence de l’AA

  • [204] Me Perron soumet que les arguments de l’employeur sont soumis sous réserve de l’objection préliminaire concernant la compétence de l’AA d’être saisi de cette affaire.En plus des arguments soumis dans le cadre de l’objection préliminaire, Me Perron soumet les arguments suivants.

  • [205] Selon Me Perron, l’ASS a conclu que les quatre appelants ne pouvaient pas se prévaloir du paragraphe 128(1) du Code pour refuser de travailler parce que les circonstances visées par leurs refus constituaient des conditions normales de leur emploi aux termes de l’alinéa 128(2) (b).L’ASS a témoigné qu’en déterminant d’abord les circonstances qui constituent des conditions normales d’emploi des employés, il ne faisait qu’appliquer une nouvelle directive qui était instaurée par le Programme du travail de DRHSC.

  • [206] On voit qu’à l’alinéa 128(2) (b) il y a une exception concernant les conditions normales d’emploi.Si on lit le paragraphe 128(1), il y est dit :

128. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article

Selon Me Perron, ceci nous indique qu’avant de rentrer dans le cœur de 128(1), il faut procéder à l’analyse qui est prévue au paragraphe 128(2) (a) ou (b) selon le cas. C’est ce que les politiques déposées sous S-10 et S-11 mentionnent. Ainsi, plaider comme Me Mancini l’a fait qu’il n’y aurait plus de droit de refuser de travailler parce que tout va être une condition normale d’emploi, dépasse une limite à ne pas franchir. Cette directive n’empêche pas les ASS de faire leur travail et d’évaluer que s’ils ne sont pas en présence d’une condition normale d’emploi, de passer à l’étape subséquente qui est celle de 128(1). Et, d’ajouter Me Perron, même si cette politique n’existait pas, cela n’empêcherait pas l’ASS de procéder étape par étape comme il l’a fait.

  • [207] Me Perron propose que la question que le tribunal doit se poser en premier, et que l’ASS s’est posée, est: est-ce que les circonstances décrites par les appelants constituent des conditions normales de leur emploi?

  • [208] L’ASS a témoigné devant le tribunal que l’essence des renseignements qu’il a obtenus dans son enquête concerne la nature des refus de travailler des appelants, à savoir que le détenu était un délateur, qu’il y avait un contrat sur lui, etc. L’ASS a confirmé qu’il y avait une façon de procéder chez l’employeur, que l’employeur évaluait le risque et que selon lui, compte tenu des évaluations qui avaient été faites, les circonstances rapportées par les appelants constituaient des conditions normales de leur emploi.

  • [209] Me Perron demande au tribunal de confirmer la décision rendue par l’ASS. Si le tribunal arrive à la conclusion que ce ne sont pas des conditions normales d’emploi, il devra passer à la seconde étape à savoir si les employés avaient des motifs raisonnables de croire que l’accomplissement de la tâche constituait un danger pour eux-mêmes.

  • [210] Me Perron nous indique son intention de ne pas s’étendre sur la notion de danger. Toutefois, elle souligne que la notion de danger n’est plus limitée à un danger immédiat mais à un danger qui pourrait être éventuel, à un risque potentiel et que la blessure se présenterait probablement.La Cour fédérale a dit dans l’affaire Verville,supra, paragraphe 36, qu’il s’agit d’une possibilité raisonnable et non d’une simple possibilité et que l’exposition au risque ou à la situation se terminerait probablement par une blessure pour l’employé qui y serait exposé, que la blessure ou la maladie surviendra probablement avant que le risque soit écarté.

  • [211] Me Perron indique que le tribunal a mentionné, dans d’autres décisions à être déposées plus tard, que le risque ne doit pas être hypothétique et qu’une conclusion de danger ne peut reposer sur de simples conjectures ou des hypothèses. Me Perron soumet que les faits qui ont été mis en preuve devant le tribunal ne sont pas suffisamment probants pour le convaincre qu’il existait un danger éventuel qui pouvait se présenter en l’espèce.

ii) La preuve

  • [212] Me Perron suggère que les témoignages des appelants exagèrent l’existence d’un contrat sur la tête du détenu.Toutefois, ils n’ont pas apporté une preuve probante qu’il y avait une information ou une tentative réelle de réaliser une vengeance ou que le contrat allait se concrétiser lors de l’escorte ou un peu après.

  • [213] Me Perron explique l’encadrement législatif par rapport aux escortes de détenus à l’extérieur du pénitencier du SCC.Elle précise que cet encadrement a généré plusieurs refus de travail pour escortes non armées au SCC.Toutefois, Me Perron note qu’à chaque fois qu’il y a eu une décision d’AA, on s’est bien gardé de remettre en cause le processus décisionnel du SCC.Tout ce processus découle de la Loi sur le service correctionnel, du règlement, de directives du Commissaire, et que ce sont des spécialistes de sécurité qui ont la tâche de décider du risque potentiel et réel d’escorter un détenu à l’extérieur du pénitencier.

  • [214] Me Perron soumet que le tribunal ne peut pas remettre en cause ces politiques qui sont en vigueur chez l’employeur.

  • [215] Me Perron nous fait remarquer que Me Mancini a fait référence à la décision Johnstone, supra, et a affirmé que la Loi sur le service correctionnel ne rime pas avec le Code.Cette affirmation est fausse.Le Code vise la santé et la sécurité des employés alors que la Loi sur le service correctionnel le fait également.L’article 4 de cette Loi prévoit les principes qui guident le SCC dans l’exécution de son mandat.Plus spécifiquement, les alinéas 4(a) et (d) prévoient :

 

4. Le Service est guidé, dans l’exécution de ce mandat, par les principes qui suivent :

a) la protection de la société est le critère prépondérant lors de l’application du processus correctionnel;

- - -

d) les mesures nécessaires à la protection du public, des agents et des délinquants doivent être le moins restrictives possibles; (Je souligne)

  • [216] Par conséquent, de dire Me Perron, la Loi sur le service correctionnel prévoit la sécurité des agents.Cet article doit être lu avec l’article 70 de cette Loi qui prévoit ce qui suit :

70. Le Service prend toutes les mesures utiles pour que le milieu de vie et de travail des détenus et les conditions de travail des agents soient sains, sécuritaires et exempts de pratiques portant atteinte à la dignité humaine.

  • [217] Me Perron soumet que la Loi sur le service correctionnel et le Code sont cohérents.D’ailleurs, madame C.A. a témoigné que lorsqu’elle fait son analyse de risque, elle tient compte de la sécurité des agents escorteurs.La décision ultime des escortes appartient au SCC qui tient compte de la Loi sur le service correctionnel, du Code et du bien-être de ses employés.La directrice tient compte de tout cela, comme elle se doit, dans sa décision d’armer ou non une escorte.

  • [218] Il y a aussi les procédures particulières en matière d’escorte.Escorter les détenus est une tâche qui fait partie des fonctions des AC de niveau 1 ou 2, ce qui a été reconnu par les trois AC qui ont témoigné dans la présente affaire. Ils ont reçu une formation spécifique sur cette tâche et, de plus, les modules de formation qui sont inter reliés, ont été décrits et déposés.

  • [219] De plus, les Permissions de sortir avec escorte sont régies par l’article 17 de la Loi sur le service correctionnel et c’est le directeur du pénitencier qui peut autoriser les escortes dans certaines circonstances.Il y a aussi la Directive du Commissaire 566-6 (Escortes de sécurité) qui donne la procédure à suivre et l’objectif de la politique que l’on retrouve aux paragraphes 1 et 2, qui reprennent les exigences des articles 4 et 70 de cette Loi.Par conséquent, la sécurité du personnel est prise en compte.

  • [220] Ainsi, de faire valoir Me Perron, le processus pour une permission de sortir pour des raisons médicales est le suivant : l’ALC, aux termes d’une analyse de risque, prépare un rapport d’évaluation, fait des recommandations au comité pavillonnaire composé d’experts,lequel se prononce sur les recommandations de l’ALC et le tout est acheminé au directeur pour décision.

  • [221] Me Perron soutient que madame C.A. était l’ALC attitré au détenu en question et la spécialiste du dossier du détenu pendant son passage à l’établissement.C’est elle qui a une connaissance exhaustive et approfondie des informations concernant le détenu qui a fait l’objet des escortes qui ont entraîné les refus de travail.Elle a accès à toute l’information.Selon l’affaire Verville, supra, il faut accorder beaucoup d’importance, de déférence, au témoignage de madame C.A. qui a rendu un témoignage crédible.

  • [222] Me Perron soumet qu’en regard du détenu, il existe des critères qui font qu’un détenu va devenir un cas notoire, un cas médiatisé pour des crimes violents.Cela n’a pas rapport avec son statut de délateur.Me Perron souligne qu’on a entendu dire qu’il y a eu un contrat avec la police dans le cadre d’un programme où le SCC n’était pas partie et que le changement d’identité du détenu était une condition du contrat avec laquelle le SCC n’avait rien à faire.On ne connaît pas les raisons pour ce contrat.Madame C.A. a témoigné que la sécurité du détenu ne sera jamais assurée à cent pour cent mais que le risque est acceptable.Il y aura toujours cette possibilité de vengeance parce que c’est un délateur.C’est quelque chose qui va rester jusque’à la mort du détenu.Me Perron affirme que c’est effectivement une préoccupation qu’a le SCC.Toutefois il faut donner une certaine valeur à cette information selon les circonstances et ne pas en faire une généralité comme les appelants le font.Madame C.A. a témoigné qu’elle en tenait compte quand et à chaque fois qu’elle fait les analyses de risques pour une sortie.

  • [223] Me Perron fait remarquer que madame C.A. a témoigné qu’elle évalue le risque par rapport aux officiers quand elle décide de recommander une sortie humanitaire avec escorte conformément aux articles 4(d) et 70 de la Loi sur le service correctionnel.Elle a aussi témoigné que lorsqu’elle considère le risque, elle le fait notamment en fonction de la repérabilité.Cette repérabilité, que l’on doit lire en fonction de la vengeance contre le détenu, est différente selon le type de sortie.Elle est différente à l’hôpital, pour une sortie humanitaire ou pour une sortie dans la communauté.Madame C.A. a témoigné qu’elle vérifie aussi, pour chaque sortie, s’il y a une nouvelle information concernant le détenu.Elle communique avec les policiers, avec l’ARS, avec tous les intervenants les plus à même d’avoir de l’information probante et pertinente à jour.

  • [224] En ce qui concerne les escortes pour les sorties médicales du 11 avril et du 4 mai 2007, madame C.A. nous déclare, selon Me Perron, qu’elle a fait une analyse de risques pour ces sorties, une analyse qui est aussi faite en fonction des AC, pour un rendez-vous à l’hôpital.C’est une sortie unique i.e. qui ne se répète pas.Madame C.A. a admis lors de son témoignage que si cette sortie s’était répétée à toutes les semaines, par exemple pour des traitements de chimiothérapie, cela aurait pu être différent.Ces sorties ne sont connues de personne sauf le personnel de l’hôpital.Même elle ne connaît pas la date de sortie.Le détenu lui-même n’en connaît pas la date. Donc, la possibilité de répérabilité du détenu était très faible et le risque est assumable.En définitive, le jour des escortes, elle ne tenait pas de nouvelles informations voulant que quelqu’un entendait exécuter le contrat.C’était de la vieille histoire et le risque était assumable.

  • [225] Me Perron précise que madame C.A. a mis en contexte le contrat sur la tête du détenu en regard du risque assumable.Le détenu a quand même été plusieurs années dans la communauté alors qu’il ne s’est rien passé.Par conséquent, le risque était assumable et pour cette raison, elle a recommandé que l’escorte se fasse avec certains moyens de contrainte mais non armée.Elle a témoigné que si elle avait eu le moindre doute quant à la sécurité, elle aurait recommandé que l’escorte soit armée.Il n’y avait rien de nouveau.

  • [226] Selon Me Perron, Me Mancini a fait déposer cinq documents i.e. Pièces A-39 à A-42 ci-dessus, dans le but de faire peur.Or il faut mettre ces documents en contexte et voir que les objectifs de chacun de ces documents sont différents.

  • [227] Ainsi, la Pièce A-39, Suivi du Plan Correctionnel, visait un retour en communauté pour une audience éventuelle avec la Commission.Madame C.A. a témoigné que la répérabilité en communauté est plus grande parce qu’il y a un facteur permanent rattaché à cela contrairement aux sorties avec escorte sécuritaire à l’hôpital du 11 avril et du 4 mai 2007.

  • [228] La Pièce A-40 est une note de service qui sert à aviser le ministre dans l’éventualité où des questions seraient posées en Chambre des Communes à cause du statut de cas notoire.

  • [229] La Pièce A-41 est une évaluation en vue d’une escorte humanitaire, à l’hôpital, dans un lieu public.Toutes les mêmes démarches sont effectuées par madame C.A. pour s’assurer de la sécurité de l’escorte.C’est aussi la même chose pour la Pièce A-42 qui visait une cote de sécurité.Rien de nouveau dans les deux cas.

  • [230] Me Perron nous rappelle que nous sommes dans un milieu qui gère des détenus et qu’on a la spécialiste du détenu qui a procédé à l’analyse complète du dossier en vue des sorties qui font l’objet des refus de travail.Elle a tenu compte de l’information concernant le détenu et a conclu que le risque était assumable.

  • [231] Finalement, Me Perron fait remarquer que monsieur G.F. faisait partie de l’équipe pavillonnaire au mois de novembre 2006 quand on a décidé de recommander que l’escorte qui fait l’objet des refus soit faite non armée.Monsieur G.F. a témoigné qu’à ce moment, il ne détenait aucun élément d’information qui aurait fait qu’on agisse de façon particulière en ce qui a trait au détenu ou à un membre du personnel. Il a exercé son rôle d’ARS.

 

iii) La jurisprudence

  • [232] Me Perron a étayé ses arguments de la jurisprudence suivante..

  • [233] Dans l’affaire Jack Stone c. Service correctionnel du Canada, [2002], Décision d’AA no. 02-019, (ci-après Stone), les détenus travaillaient dans des ateliers où il était possible que des objets soient fabriqués et puissent mettre en danger la sécurité du personnel.Cette décision établit que les AC, de par leurs fonctions, sont exposés à des risques particuliers et que le risque d’attaque fait partie intégrante du travail des AC.Toutefois, la décision reconnaît que le risque d’attaque est atténué par les mesures que l’employeur a instaurées.La décision fait aussi référence au fait que le risque de violence est une condition normale d’emploi qui ne justifie pas l’exercice du droit de refus autrement que dans des circonstances exceptionnelles.

  • [234] Dans l’affaire Paul Chamard c. Service correctionnel du Canada,Établissement Donnacona, [2005], Décision d’AA no. 05-004, (ci-après Chamard), deux AC ont refusé de faire une escorte non armée d’un détenu à un hôpital.L’AA a statué aux paragraphes 65 et 68 de la décision ce qui suit :

[65] Après avoir constaté que le détenu représentait un niveau de sécurité modéré de risque d’évasion, que les employés avaient été formés et connaissaient la marche à suivre pour l’escorte, que l’employeur appliquait des procédures écrites précises pour évaluer les risques reliés à l’escorte, l’agent de santé et de sécurité a conclu que les motifs invoqués par les employés se basaient sur un risque hypothétique de danger.

[68] Cependant, il ne m’a pas [été] démontré à ma satisfaction que les faits étaient suffisamment probants pour établir qu’il existait, au moment de l’escorte non armée, un danger, réel ou éventuel, et que le risque représenté par l’escorte non armée dépassait le niveau d’une condition normale d’emploi.

  • [235] Dans l’affaire Bouchard et Canada (Service correctionnel), [2001], Décision d’AA no. 01-027, (ci-après Bouchard), deux AC ont refusé d’escorter un détenu à l’hôpital pour visiter sa mère malade.L’AA s’est posé la question à savoir si le danger allégué par les AC constituait une condition normale d’emploi.L’AA a noté que le détenu à être escorté était un détenu violent mais que la violence représentait une condition normale d’emploi des AC.Puisque l’employeur avait mis en place des mesures de contraintes suffisantes pour parerau danger, l’AA a conclu que le risque auquel les AC faisaient face ne débordait pas le cadre de la condition normale d’emploi.

  • [236] Dans l’affaire Moore et Canada (Service correctionnel), [2002], Décision d’AA no. 02-031, (ci-après Moore),deux AC ont refusé d’escorter un détenu aux funérailles de son frère parce que l’escorte devait être non armée.Il est à noter que la police avait fait savoir qu’il ne fallait pas s’inquiéter du fait qu’on ait mentionné dans le journal qu’on avait offert la somme de $20,000 à quiconque abattrait le détenu.L’AA a mentionnédans la décision d’AA 01-023, qu’il ne lui appartenait pas de déterminer si les AC devaient être armés ou non pour faire des escortes parce que cette responsabilité incombait au SCC en vertu de la Loi sur le service correctionnel.L’AA a confirmé la décision de l’ASS à l’effet qu’il n’y avait pas de danger dans ce cas.

  • [237] Dans l’affaire Jeanson et Canada (Service correctionnel), [2001], Décision d’AA no. 01-023, (ci-après Jeanson), un AC a refusé d’escorter un détenu sans être armé à une clinique externe offrant peu ou pas d’issue de secours. Suite au commentaire formulé par l’AA et rapporté dans l’affaire Moore, supra, l’AA a conclu que le danger allégué ne débordait pas le cadre de la condition normale d’emploi puisque le danger allégué était hypothétique.

  • [238] Me Perron soumet que les AC ont un emploi avec des détenus et que par conséquent, il y aura toujours un risque.Toutefois, le SCC a mis en place des mesures pour réduire ce risque au minimum.Ce processus sécuritaire est prévu par la Loi sur le service correctionnel, la Directive du Commissaire sur les Escortes de sécurité et par l’analyse de risque qui est préparée par l’ALC chaque fois qu’il y a une sortie de prévue du détenu. Il n’y a aucune preuve que cette procédure n’a pas été suivie.

iv) La conclusion

  • [239] Que pourrait faire l’AA dans ce dossier, demande Me Perron : se substituer à l’ALC pour dire que l’escorte devrait être armée?Ce rôle n’appartient pas au tribunal, ni aux appelants, ni à leur procureur.Madame C.A. est la spécialiste qui a tenu compte de toute l’information.Elle a estimé que le risque était assumable et a recommandée que la sortie soit faite non armée en tenant compte de la sécurité des agents accompagnateurs.

  • [240] Me Perron soumet qu’en l’espèce, le fait d’escorter le détenu sans être armé, suite à l’évaluation du risque faite par l’ALC, constituait une condition normale de l’emploi des AC qui les empêchait de se prévaloir de leur droit de refus prévu à l’article 128 du Code.Le tribunal devrait rejeter les appels.

  • [241] Advenant que le tribunal décide qu’il y a danger, Me Perron s’interrogeà savoir quelle instruction pourrait être émise puisque le détenu n’est plus à l’institution.Le Tribunal ne peut pas décider que toutes les escortes devraient être armées puisqu’un refus de travail est un droit individuel qui n’a pas pour but de remettre en cause les politiques de l’employeur.Me Perron suggère au tribunalde suivre les décisions Moore, Jeanson et Bouchard, supra, à l’effet qu’il n’est pas du ressort du tribunal de revoir les politiques en vigueur chez l’employeur.

 

MOTIFS

  • [242] Mon analyse portera sur les points suivants :

  1. La question de compétence

  2. La notion de danger

  3. Danger qui constitue une condition normale d’emploi

  4. Conclusion sur le fond

 

A. La question de compétence

  • [243] Le tribunal rejette l’objection préliminaire de Me Perron allant à la compétence de l’AA de se saisir de cette affaire au motif que l’ASS n’a pas émis de décision sur le danger.Selon Me Perron, l’AA n’a pas compétence pour se saisir d’un appel formé en vertu du paragraphe 129(7) du Code sur l’existence d’un danger si aucune décision sur l’existence de danger n’a été rendue en vertu du paragraphe 129(4) du Code.

  • [244] Les motifs de ma décision concernant l’objection préliminaire incluent (i) l’interprétation et l’application de l’article 128, (ii) l’enquête de l’ASS et (iii) la décision de l’ASS sur le danger.

 

(i) L’interprétation et l’application de l’article 128

  • [245] Le droit de refus (de travailler en cas de danger) représente un élément fondamental incorporé au Code par le législateur.L’empêchement statutaire à exercer ce droit de refus, prévu à l’alinéa 128(2) (b) [condition normale d’emploi], constitue une exception à ce droit.De ce fait, je suis d’avis, contrairement à ce que propose Me Perron, que ce serait aller à l’encontre de ce fondement que d’accorder à ces dispositions relatives aux conditions normales d’emploi, une interprétation large, i.e. d’accorder un sens large à ce qui constitue une exception au droit individuel de refus de travailler. Il faut donc, à mon avis, interpréter l’alinéa 128(2) (b) restrictivement de façon à limiter le plus possible les circonstances où l’on ne peut exercer la règle générale (refuser de travailler) prévue au paragraphe 128(1) du Code.

  • [246] L’application de la directive DPO 905-1 (Réaction à un refus de travailler en cas de danger), a comme effet de supprimer le droit des employés de porter en appel la "décision" de l’ASS, une décision sur le danger qu’il a déclaré ne pas avoir rendue, contrairement à ce qu’il était requis defaire en vertu de l’article 129 du Code.À mon avis, l’imposition de cette directive, une mesure purement administrative, par la haute gestion de RHDSC ne peut venir faire obstruction à l’application du Code.

  • [247] D’ailleurs, dans l’affaire Éric V. et autres, supra, la Cour fédérale, sous la plume du Juge Lagacé, a qualifié la vision de l’employeur de restrictive et littérale.En effet, la Cour a déclaré, aux paragraphes 25 et 26 de la décision, qu’elle ne peut adhérer à une telle vision [58] .Ces paragraphes se lisent ainsi :

[25] L’AA se contente dans sa décision d’interpréter la procédure d’appel d’où découle sa juridiction, et il a parfaitement le droit de le faire. Et s’il décide que cette procédure l’autorise à se saisir de l’appel, il ne décide pas pour autant de sa compétence en regard du litige opposant les parties. Au contraire, l’AA se réserve de revenir sur la question touchant à sa compétence, mais seulement après une enquête sommaire sur les circonstances du litige, tel que le prescrit la procédure d’appel. Le recours de l’employeur découle d’une vision restrictive et littérale de certains articles du CCT, ainsi que du rôle que cette loi réserve à l’agent d’appel dans le cadre du conflit qui oppose les parties.

[26] La Cour ne peut adhérer à une telle vision. La procédure d’appel prévue au CCT doit être interprétée de façon libérale pour permettre aux employés de faire valoir leurs prétentions. À cette fin, laissons l’AA faire son enquête, et décider après ce qu’il lui appartient de décider.

  • [248] Je me permets aussi de citer le Juge Lagacé lorsqu’il clarifie l’exercice du droit de refuser de travailler dans sa décision.Il a écrit :

[27] Soulignons néanmoins, même s’il revient à l’AA d’en décider, que l’appel prévu au paragraphe 129(7) semble viser la situation de l’employé à qui l’ASS n’a pas reconnu le droit de maintenir un refus de travailler selon l’article 128, ce qui paraît être le cas ici. Toutefois, cet article n’exclut pas le danger relié à une condition normale d’emploi prévu à l’article 128 du CCT. (L’emphase en caractères gras est de moi)

  • [249] Il y a donc lieu de revoir les dispositions pertinentes des articles 128 et 129 du Code pour clarifier la confusion générée par la directive DPO 905-1.Les dispositions pertinentes des articles 128 et 129 du Code se lisent comme suit :

128. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’employé au travail peut refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche s’il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas :

a) l’utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose constitue un danger pour lui-même ou un autre employé;

b) il est dangereux pour lui de travailler dans le lieu;

c) l’accomplissement de la tâche constitue un danger pour lui-même ou un autre employé.

 

(2) L’employé ne peut invoquer le présent article pour refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche lorsque, selon le cas :

 

a) son refus met directement en danger la vie, la santé ou la sécurité d’une autre personne;

b) le danger visé au paragraphe (1) constitue une condition normale de son emploi.

 

(3) L’employé se trouvant à bord d’un navire ou d’un aéronef en service avise sans délai le responsable du moyen de transport du danger en cause s’il a des motifs raisonnables de croire :

 

a) soit que l’utilisation ou le fonctionnement d’une machine ou d’une chose à bord constitue un danger pour lui-même ou un autre employé;

b) soit qu’il est dangereux pour lui de travailler à bord;

c) soit que l’accomplissement d’une tâche à bord constitue un danger pour lui-même ou un autre employé.

Le responsable doit aussitôt que possible, sans toutefois compromettre le fonctionnement du navire ou de l’aéronef, décider si l’employé peut cesser d’utiliser ou de faire fonctionner la machine ou la chose en question, de travailler dans ce lieu ou d’accomplir la tâche, et informer l’employé de sa décision.

(4) L’employé qui, en application du paragraphe (3), est informé qu’il ne peut cesser d’utiliser ou de faire fonctionner la machine ou la chose, de travailler dans le lieu ou d’accomplir la tâche, ne peut, pendant que le navire ou l’aéronef où il travaille est en service, se prévaloir du droit de refus prévu au présent article.

 

 

(6) L’employé qui se prévaut des dispositions du paragraphe (1) ou qui en est empêché en vertu du paragraphe (4) fait sans délai rapport sur la question à son employeur.

 

 

(8) S’il reconnaît l’existence du danger, l’employeur prend sans délai les mesures qui s’imposent pour protéger les employés; il informe le comité local ou le représentant de la situation et des mesures prises.

 

(9) En l’absence de règlement de la situation au titre du paragraphe (8), l’employé, s’il y est fondé aux termes du présent article, peut maintenir son refus; il présente sans délai à l’employeur et au comité local ou au représentant un rapport circonstancié à cet effet.

 

(10) Saisi du rapport, l’employeur fait enquête sans délai à ce sujet en présence de l’employé et, selon le cas :

 

a) d’au moins un membre du comité local, ce membre ne devant pas faire partie de la direction;

b) du représentant;

c) lorsque ni l’une ni l’autre des personnes visées aux alinéas a) et b) n’est disponible, d’au moins une personne choisie, dans le même lieu de travail, par l’employé.

 

 

(13) L’employé peut maintenir son refus s’il a des motifs raisonnables de croire que le danger continue d’exister malgré les mesures prises par l’employeur pour protéger les employés ou si ce dernier conteste son rapport. Dès qu’il est informé du maintien du refus, l’employeur en avise l’agent de santé et de sécurité (shall notify a health and safety officer).

 

(14) L’employeur informe le comité local ou le représentant des mesures qu’il a prises dans le cadre du paragraphe (13).

129. (1) Une fois informé, conformément au paragraphe 128(13), du maintien du refus, l’agent de santé et de sécurité effectue sans délai une enquête (shall investigate) sur la question en présence de l’employeur, de l’employé et d’un membre du comité local ayant été choisi par les employés ou du représentant, selon le cas, ou, à défaut, de tout employé du même lieu de travail que désigne l’employé intéressé, ou fait effectuer cette enquête par un autre agent de santé et de sécurité.

 

(4) Au terme de l’enquête, l’agent décide de l’existence du danger (shall decide whether the danger exists) et informe aussitôt par écrit l’employeur et l’employé de sa décision.

 

(5) Avant la tenue de l’enquête et tant que l’agent n’a pas rendu sa décision, l’employeur peut exiger la présence de l’employé en un lieu sûr proche du lieu en cause ou affecter celui-ci à d’autres tâches convenables. Il ne peut toutefois affecter un autre employé au poste du premier que si les conditions suivantes sont réunies :

 

a) cet employé a les compétences voulues;

b) il a fait part à cet employé du refus de son prédécesseur et des motifs du refus;

c) il croit, pour des motifs raisonnables, que le remplacement ne constitue pas un danger pour cet employé.

 

(6) S’il conclut à l’existence du danger, l’agent donne, en vertu du paragraphe 145(2), les instructions qu’il juge indiquées. L’employé peut maintenir son refus jusqu’à l’exécution des instructions ou leur modification ou annulation dans le cadre de la présente partie.

 

(7) Si l’agent conclut à l’absence de danger, l’employé ne peut se prévaloir de l’article 128 ou du présent article pour maintenir son refus; il peut toutefois — personnellement ou par l’entremise de la personne qu’il désigne à cette fin — appeler (may appeal) par écrit de la décision à un agent d’appel dans un délai de dix jours à compter de la réception de celle-ci.

  • [250] Il est intéressant de noter ici que l’article 128 du Code ne prévoit pas de rôle direct pour l’ASS dans l’application de cette disposition, mais oblige l’employeur à informer ledit ASS du maintien de son refus par l’employé.Toutefois, il existe un rôle pour l’ASS dans l’application de cette disposition.Son rôle prend naissance avec l’information qu’il reçoit du maintien par l’employé de son refus de travailler et se traduit par l’obligation d’enquêter et de décider (shall investigate…shall decide), à l’intérieur du processus établi par le Code pour traiter d’un refus de travail en cas de danger. Ceci est important, parce que Me Perron soumet que l’ASS qui intervient dans le processus d’enquête sur le refus de travailler en vertu de l’article 129, doit appliquer le paragraphe 128(2) (b) du Code avant même d’enquêter sur le danger et décider que le refus de travailler n’est pas permis parce que le refus est prétendûment basé sur des circonstances qui constituent des conditions normales d’emploi sans égard au danger.Selon moi, l’approche suggérée par Me Perron a pour effet de léser les employés dans leur droit de refuser de travailler lorsqu’ils prétendent qu’il y a danger et leur droit d’obtenir une décision quant à l’existence dudit danger.

  • [251] Me Perron soumet :

…qu’à l’alinéa 128(2) (b) il y a une exception concernant les conditions normales d’emploi. Si on lit le paragraphe 128(1), il y est dit :

128. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article

Ceci nous indique qu’avant de rentrer dans le cœur de 128(1), il faut procéder à l’analyse qui est prévue au paragraphe 128 (2) (a) ou (b) selon le cas.

  • [252] Je ne partage pas l’opinion de Me Perron sur ce point.Les mots introductifs du paragraphe 128(1) ne font pas seulement référence aux exceptions prévues aux alinéas 128(2) (a) et (b) mais aussi à toutes les autres dispositions de cet article.Ainsi, si l’employé a des motifs raisonnables de croire à l’existence du danger, il peut maintenir son refus en vertu des paragraphes 128(9) ou 128(13) i.e. jusqu’à ce qu’un ASS intervienne pour déterminer la nature et l’existence du danger visé par le paragraphe 128(1). Il en est ainsi parce que le droit de refuser de travailler est un droit fondamental de l’employé et que ce droit est toujours activé par la croyance légitime de l’employé, i.e. qu’il a des motifs raisonnables de croire qu’un danger existe.

  • [253] L’article 128 du Code nous informe que le processus de refuser de travailler se fait par étapes i.e.

  • o L’employé, qui a des motifs raisonnables de croire qu’un danger existe et qui refuse de travailler (128 (1)) avise son employeur (128 (6)) qui doit faire enquête et prendre des mesures s’il est d’accord avec l’employé (128(8)).

  • o S’il y a désaccord sur le danger, l’employé peut maintenir son refus s’il y est fondé aux termes du présent article (128(9)).À ce moment, l’employeur doit faire enquête en présence de l’employé et d’un membre du comité local (128(10)).

  • o L’employé qui a des motifs raisonnables de croire que le danger continue d’exister malgré les mesures prises par l’employeur peut maintenir son refus de travailler.À ce moment, l’employeur doit aviser (128(13)) un agent de santé et de sécurité qui lui doit faire enquête (129(1)).

  • [254] Chaque étape décrite ci-dessus est activée par l’employé sur la base qu’il a des motifs raisonnables de croire qu’il y a danger ou que le danger continue d’exister.Ceci constitue la base du droit de refuser de travailler. Il n’y a pas de possibilité pour l’employé qui refuse de travailler d’y déroger.C’est l’employé qui active chaque étape sur la base du critère subjectif de "motifs raisonnables de croire" et qui amène toutes les étapes prévues à l’article 128 jusqu’au point où un agent de santé et de sécurité est avisé du refus de travailler (paragraphe128(13)).

  • [255] La deuxième étape du droit de refuser de travailler décrite ci-dessus, stipule que "…s’il y est fondé aux termes du présent article…", l’employé peut maintenir son refus de travailler.Dans le Petit Robert, Dictionnaire de la langue française, Édition 2009, le mot "…fondé…" renvoie au verbe "fonder" (4°) qui signifie :

Fonder ■ 4 Pourvoir d’un fondement rationnel ◊ Constituer le fondement de. ►justifier, motiver. Voilà ce qui fonde la réclamation. Cet usage ne saurait fonder un droit… ♦Au pass. Et au p.p. (la chose ayant reçu son fondement) Une confiance bien ou mal fondée. Un reproche, un bruit fondé. C’est une interprétation qui me paraît fondée. ► juste, légitime, raisonnable, valable. ♦ (personnes) ÊTRE FONDÉ À (et inf.) : avoir de bonnes raisons pour. Être fondé à croire, à prétendre qqch. (Je souligne)

  • [256] Cette référence au mot "fondé" signifie, à mon avis, que l’employé doit avoir "de bonnes raisons pour croire" ou, pour utiliser les termes du Code, des "motifs raisonnables de croire" qu’un danger existe. Cette interprétation a l’avantage de simplifier le langage du Code et d’empêcher l’usage répétitif d’expressions telles que "…qui a des motifs raisonnables de croire…"D’ailleurs, le droit de refuser de travailler est basé sur ce critère subjectif et ce critère en constitue le fondement.De plus, une exception à un droit, tel que l’alinéa 128(2) (b), ne peut constituer le fondement d’un droit tel que le droit de refuser de travailler en cas de danger.Par conséquent le tribunal adopte la position que la deuxième étape du processus de refus de travail est aussi basée sur le critère subjectif de "…qui a des motifs raisonnables de croire…".

  • [257] Toutefois, s’il est possible d’interpréter autrement cette référence au mot "fondé" par une référence à l’alinéa 128 (2) (b), cette interprétation serait aussi sujette, à mon avis, à une détermination subséquente du danger par l’ASS.Il en est ainsi parce que le langage de l’alinéa 128(2) (b) permet à l’employé de conclure, à l’intérieur du processus de refuser de travailler, qu’il fait face à un danger qui n’est pas normal dans les circonstances, donc qu’il ne constitue pas une condition "normale" de son emploi et que ce danger justifie son refus de travailler.C’est d’ailleurs ce que prétendent les AC dans cette affaire.

  • [258] Me Perron et l’ASS maintiennent que les circonstances du refus des AC sont des conditions normales d’emploi i.e. que faire des escortes après qu’il y ait eu une analyse de la menace et du risque du détenu i.e. une EMR, fait partie des tâches des AC et par conséquent ils ne peuvent refuser de travailler, alors que les AC soutiennent qu’il n’y a rien de normal à escorter, sans arme, un détenu notoire, un tueur à gages dont la tête est mise à prix alors que ce contrat est, selon eux, toujours d’actualité.Tous les AC ont témoigné qu’ils ne refuseraient pas d’escorter le détenu s’ils étaient armés.Il y a donc un différend sur l’interprétation à donner à l’exception prévue à l’alinéa 128(2) (b), à savoir si cette exception s’applique lorsque lescirconstances du refus de travail constituent une condition normale d’emploi ou lorsque le danger en constitue une condition normale d’emploi, en somme, l’analyse requise aux termes de l’alinéa 128(2)(b) doit-elle se réduire à la seule considération de la tâche ou doit-elle porter sur la manière de son exécution ou les conditions dans lesquelles la tâche doit être exécutée.

  • [259] À mon avis, permettre à l’employeur d’appliquer l’alinéa 128(2) (b) sans égard à la notion de danger léserait les AC dans leur droit de refuser de travailler en cas de danger.D’ailleurs, en vertu de l’article 128, l’employé peut toujours être en désaccord avec son employeur et activer l’étape suivante de son refus de travailler, et ce, jusqu’à ce qu’un ASS enquête.

  • [260] Me Perron soutient que l’ASS n’a pas à statuer sur le danger pour décider si les circonstances du refus de travailler sont des conditions normales d’emploi qui empêchent un employé d’exercer son droit de refuser de travailler en cas de danger.Me Mancini déclare que cette approche est un non sens parce queselon cette approche, tout ce qu’un AC fait serait donc une condition normale d’emploi.Il faut noter ici qu’à l’appui de sa position, Me Perron soutient qu’il "…ne faut pas méprendre la notion de danger qui est prévue à 128, puis le mot danger, tel qu’il est écrit à 128(2)(b), qui n’est pas la même chose, et qui amène une nouvelle façon de procéder."

  • [261] L’alinéa 128(2) (b) précise que l’employé ne peut refuser de travailler lorsque le danger visé au paragraphe 128(1) constitue une condition normale d’emploi.Le législateur a précisé que, contrairement à ce que soutiennent Me Perron et l’ASS, ce ne sont pas simplement les circonstances visées par le paragraphe (1) qui empêchent un employé de refuser de travailler.Le législateur a précisé que ces circonstances doivent constituer un danger pour l’employé qui refuse pour que cette disposition prenne effet.Si le législateur avait voulu qu’il en soit autrement, il aurait utilisé des mots tels qu’il a utilisé à l’alinéa 128(2) (a) i.e. "…son refus met…", ou, il aurait pu libeller l’alinéa 128(2) (b) en remplaçant le mot danger par "…les circonstances visées…".Plutôt, le législateur a utilisé le mot danger à l’alinéa 128(2) (b), un choix judicieux qui porte une conséquence importante, à savoir que le choix du mot danger emporte avec lui une détermination du danger par l’ASS.

  • [262] Contrairement à ce que soumet Me Perron, il n’y a qu’une seule notion de danger prévue au Code.C’est celle que l’on retrouve à la définition du terme au paragraphe 122(1) du Code et qui a fait l’objet de beaucoup de jurisprudence, comme nous le verrons plus loin. Le même terme, ‘’danger’’, employé ailleurs dans le texte législatif qui le définit, doit recevoir le même sens partout où il est employé dans ledit texte législatif.Par conséquent, une détermination de l’existence du danger, tel que défini au paragraphe 122(1), par l’ASS est selon moi une condition sine qua non pour que cette disposition puisse s’appliquer. Ce n’est que par la suite que l’ASS devra décider, après vérification des faits, si ce danger constitue une condition normale de l’emploi des AC.S’il en est ainsi, l’ASS devra déclarer que ce danger ne justifie pas l’exercice du droit de refuser de travailler, qu’il y a donc absence d’un danger justifiant l’exercice du droit de refus.

  • [263] Pour ajouter à cette interprétation, il faut se demander ce qui peut arriver si un employé abuse délibérémentdu droit de refuser de travailler i.e. qu’il refuse de travailler pour des motifs autres que ceux prévus par le Code.Évidemment, l’employeur pourrait prendre des mesures disciplinaires contre l’employé en question.D’ailleurs, l’employeur a avisé les AC que s’ils refusaient de faire des escortes non armées à l’avenir, après qu’il y ait eu une EMR, des mesures disciplinaires seraient prises contre eux.Toutefois, le Code prévoit des conditions spécifiques avant que de telles mesures soient prises.En effet, l’employé peut faire l’objet de mesures disciplinaires si l’employeur est d’avis, à l’issue du processus d’enquête et d’appel prévu aux articles 128 et 129, qu’il y a eu abus de la part de l’employé quia refusé (para. 147.1 (1)) [59] et que le refus de l’employé n’est pas justifié.(Je souligne)

  • [264] Ainsi, l’employeur doit attendre la fin du processus du refus de travail et d’appel avant de pouvoir prendre des mesures disciplinaires contre l’employé et seulement si ce dernier a exercé un refus de travail alors que le refus n’est pas justifié en vertu de l’alinéa 128(2) (b) et en connaissance de cause.Par conséquent, l’alinéa 128(2) (b) n’a pas pour effet d’interdire l’exercice du droit de refuser de travailler si l’employé a des motifs raisonnables de croire à l’existence d’un danger mais plutôt de freiner l’usage non justifié ou même abusif de ce droit dans des circonstances bien précises.Si filtre il y a dans cette disposition, c’est uniquement en regard de cet usage non justifié ou abusif du droit de refuser de travailler.Le droit de refuser de travailler en cas de danger ne peut être éteint par une telle disposition.

  • [265] Cette approche s’inscrit d’ailleurs parfaitement bien avec d’autres dispositions du Code qui prévoient un arrêt des procédures lors d’un refus de travail.Ainsi, même à bord d’un navire ou d’un aéronef, lorsque le responsable (le capitaine ou le pilote)) décide et avise l’employé qu’il ne peut refuser de travailler pendant que le navire ou l’aéronef est en service, le droit de l’employé de refuser de travailler n’est pas éteint puisque le refus de travailler de l’employé sera examiné lorsque le navire ou l’aéronef ne sera plus en service (para. 128(4)).Il est clair que le législateur a voulu protéger le droit des employés de refuser de travailler en cas de danger.

  • [266] L’employé qui refuse et qui a des motifs raisonnables de croire que le danger continue d’exister, nonobstant l’enquête de son employeur et des mesures qu’il propose, peut maintenir son refus (para. 128(13)).À ce moment, l’employeur doit aviser un ASS afin que celui-ci enquête.Le Code impose alors un mandat à l’ASS lorsque celui-ci est avisé du maintien du refus de travailler d’un employé.Ce mandat est à la fois simple et clair.L’ASS a l’obligation de faire enquête et de décider de l’existence du danger.

(ii) L’enquête de l’ASS

  • [267] Le mandat de l’ASS, lors de l’exercice du droit de refuser de travailler en cas de danger, débute par un avis qui lui est signifié par l’employeur (para. 128(13)), ce qui fut fait en l’occurrence.À partir du moment où l’ASS est informé du maintien du refus de travailler de l’employé, l’ASS a l’obligation statutaire d’enquêter sans délai [En anglais "…shall investigate without delay…"] et selon les modalités prévues (para. 129 (1)) sur la question i.e. sur le danger allégué par l’employé qui maintient son refus (para. 128(13)).Me Perron soumet que la référence à "…la question…" au paragraphe 129(1) est une référence à la condition normale d’emploi.Or, à la lecture du paragraphe 128(13), il est clair que la ‘’question’’ fait référence au fait que l’employé continue de croire que le "danger continue d’exister malgré les mesures prises par l’employeur pour protéger les employés ou si ce dernier conteste son rapport."Il n’existe aucune référence aupara. 129 (1)) à l’exception prévue à l’alinéa 128(2) (b) du Code.De plus, le paragraphe 129(1) est activé par le paragraphe 128(13) et c’est à ce dernier paragraphe qu’il faut se référer pour trouver l’explication à "…la question…".

  • [268] Il n’existe pas dans la loi, tel que le soumet Me Perron, d’étape préliminaire qui permettrait à un ASS de considérer d’abord l’application de l’exception prévue à l’alinéa 128(2) (b) sans déterminer sous l’article 129 la nature et l’existence du danger tel qu’allégué par l’employé qui refuse en vertu du paragraphe 128(1) du Code.Dans la présente affaire, tous les AC ont témoigné à l’effet que si l’escorte avait été armée, ils n’auraient pas refusé de la faire.Ils ont toutefois témoigné qu’en l’espèce, il leur manquait une pièce d’équipement de protection essentielle pour faire l’escorte d’une façon sécuritaire acceptable i.e. l’arme à feu.À mon avis, l’ASS doit d’abord décider si les circonstances au moment du refus constituent un danger pour l’employé qui refuse.

  • [269] Les modalités d’enquête sont simples i.e. l’ASS enquête en présence de l’employeur, de l’employé et d’un membre du comité local… ou fait effectuer cette enquête par un autre agent de santé et de sécurité (para. 129(1)).L’obligation qu’a l’ASS d’effectuer son enquête "…en présence de …" signifie que l’ASS doit se présenter en personne sur le lieu de travail des personnes identifiées ci-dessus.Par conséquent, l’ASS n’était pas justifié de faire son enquête par téléphone telle qu’il l’a faite le 4 mai 2007.

 

  • [270] L’ASS a déclaré ne pas avoir fait d’enquête sur le danger lors des refus de travail.Il a témoigné avoir fait une enquête qu’il a qualifiée "d’enquête préliminaire".Le Code ne prévoit pas d’enquête préliminaire lors d’un refus de travailler en cas de danger.Le Code prévoit un seul type d’enquête lors d’un refus de travailler: c’est l’enquête prévue à l’article 129 du Code.C’est une enquête sur le danger allégué par les employés qui ont exercé leur droit de refuser de travailler en vertu du paragraphe 128(1) du Code.C’est une enquête statutaire obligatoire (shall) selon le texte de la loi, lequel ne permet pas à l’ASS d’y déroger.Or, à mon avis, à partir du moment où un ASS décide de ne prendre en compte que les circonstances d’un refus de travailler, tel que l’ASS l’a fait en l’espèce, il n’exerce qu’en partie sa compétence en vertu de l’article 129 du Code.Or, l’ASS doit exercer cette compétence pleinement, ce qu’il a omis de faire en ne statuant pas sur le danger (129(1) à (7)).

 

  • [271] Même s’il a refusé de se prononcer sur le point essentiel d’une enquête en vertu du paragraphe 129(1), soitle danger allégué, l’ASS a tout de même effectué les étapes requises d’une enquête en vertu de ce paragraphe, à savoir qu’il a :

 

  • été saisi, en vertu du Code, des refus de travailler des quatre (4) AC et a exercé, en partie, sa compétence;

  • reçu des rapports d’enquête de l’employeur et a rencontré les représentants de l’employeur à ce sujet;

  • rencontré les AC qui ont refusé de travailler et discuté avec eux de leurs motifs justifiant leurs refus de travailler;

  • analysé, en partie, les circonstances des refus de travailler et s’est prononcé sur celles-ci;

  • tenu compte de l’EMR [60] effectuée par les représentants de l’employeur;

  • reçu du SCC certains documents pertinents aux refus de travailler;

  • reçu les témoignages des AC concernant la dangerosité du détenu et l’escorte à effectuer; et

  • conclu son enquête en statuant que les circonstances des refus de travailler, ie. escorter un détenu lors d’une sortie, sont des conditions normales d’emploi des AC et qu’ils ne peuvent refuser de travailler.

[272] Il faut aussi noter que Me Perron a pris une position opposée face à la déclaration écrite de l’ASS concernant cette absence d’enquête lorsqu’elle a eu à commenter ci-dessus la décision Dragseth, supra. Contrairement à ce que l’ASS a déclaré dans la réponse qu’il donnait au courriel [61] du BAC qui lui réclamait une copie de son rapport d’enquête, soit qu’il n’avait ‘’pas rendu de décision en vertu de 129(4)’’ et pas ‘’fait d’enquête en vertu de 129(1)’’ du Code, elle a dit :

Et la décision DRAGSETH, je l’ai lue, et dans ce cas-là on avait dit qu’un agent de sécurité avait été informé par les employés du refus de travail, mais il n’a fait aucune enquête. Il n’a pas entrepris rien. Je pense qu’on n’est pas – on n’en est pas là dans le dossier qui nous occupe. Monsieur Tremblay est intervenu, il a rencontré le monde, il a fait un rapport d’enquête, puis il a rendu une décision motivée. (Je souligne)

[273] Par conséquent, l’enquête qualifiée de ‘’préliminaire’’ par l’ASS dans la présente affaire est considérée par le tribunal comme étant une enquête formelle exécutée en vertu du paragraphe 129(1) du Code même si l’ASS a déclaré ne pas avoir fait une telle enquête. De plus, les conclusions qu’en a tirées l’ASS seront traitées comme étant les conclusions de l’enquête que devait exécuter l’ASS en vertu du paragraphe 129(1) du Code.

 

 

(iii) La décision de l’ASS sur le danger

[274] L’ASS a répété à maintes reprises qu’il n’a pas statué sur le danger. Il l’a d’ailleurs confirmé par écrit dans la réponse qu’il donnait au courriel [62] du BAC qui lui réclamait une copie de son rapport d’enquête.

[275] Or, le Code ne permet pas à un ASS de choisir de statuer ou de ne pas statuer sur le danger. Comme je l’ai dit ci-dessus, l’ASS a l’obligation statutaire d’exécuter le mandat que fixe le Code à savoir, faire une enquête et décider de l’existence du danger. J’ai déjà décidé que l’enquête effectuée par l’ASS est une enquête formelle, mais incomplète, exécutée en vertu du paragraphe 129(1) du Code. Il me reste à décider quel type de décision l’ASS peut rendre et laquelle il a, à toutes fins utiles, rendue.

[276] En vertu du paragraphe 129(4) du Code, l’ASS est tenu de rendre une décision. Cette disposition se lit :

(4) Au terme de l’enquête, l’agent décide de l’existence du danger et informe aussitôt par écrit l’employeur et l’employé de sa décision.(emphase ajoutée)

[277] Or, il n’y a que deux types de décision que peut rendre l’ASS dans le cadre du processus de refus prévu au Code. Il peut déclarer qu’il y a existence de danger (paragraphe129(6)) ou qu’il y a absence de danger (paragraphe129(7)). Ces dispositions se lisent ainsi :

 

(6) S’il conclut à l’existence du danger, l’agent donne, en vertu du paragraphe 145(2), les instructions qu’il juge indiquées. L’employé peut maintenir son refus jusqu’à l’exécution des instructions ou leur modification ou annulation dans le cadre de la présente partie. (Je souligne)

 

(7) Si l’agent conclut à l’absence de danger, l’employé ne peut se prévaloir de l’article 128 ou du présent article pour maintenir son refus; il peut toutefois — personnellement ou par l’entremise de la personne qu’il désigne à cette fin — appeler par écrit de la décision à un agent d’appel dans un délai de dix jours à compter de la réception de celle-ci. (Je souligne)

[278] Dans le cas qui nous occupe, l’ASS n’a définitivement pas déclaré qu’un danger existait. D’ailleurs, s’il l’avait fait, il aurait été obligé de poursuivre son analyse pour déterminer la nature du danger i.e.

o soit de déclarer que le danger est susceptible de causer des blessures, dans lequel cas il doit émettre les instructions en vertu du paragraphe 145(2) qu’il juge indiquées pour protéger les employés;

o soit de déclarer que le danger constitue une condition normale d’emploi, une décision assimilable à une décision d’absence de danger, puisque ce danger ne justifie pas de refuser de travailler.

Dans un cas comme dans l’autre, l’appel est disponible.

[279] L’ASS a déclaré qu’il ne pouvait statuer sur le danger mais qu’il avait fait enquête et qu’il considérait que les circonstances du refus des AC constituaient des conditions normales d’emploi. Toutefois, comme je l’ai dit ci-dessus, l’ASS a touché à presque toutes les étapes d’une enquête requise d’un ASS lorsque celui-ci enquête sur l’existence ou non d’un danger allégué en vertu du Code. Il a complété son enquête pour finalement déclarer qu’il ne se prononçait pas sur le danger. J’infère de ceci que l’ASS s’est implicitement prononcé sur l’absence de danger. Je conclus donc que l’ASS a statué, à toutes fins utiles, que les AC n’étaient pas en danger puisqu’il

 

o a statué sur les circonstances des refus de travailler des AC;

o a avisé les AC qu’ils ne pouvaient plus continuer de refuser de travailler en cas de danger, donc qu’ils devaient retourner au travail; et

o s’est retiré sans émettre d’instruction pour danger en vertu du paragraphe 145(2).

[280] Finalement, puisque l’ASS a fait une enquête en vertu du Code et que sa conclusion est assimilable à une conclusion d’absence de danger, le paragraphe 129(7) du Code s’applique pleinement. Le tribunal décide donc de recevoir les appels qui ont été formulés par les AC.

[281] Cette conclusion s’appuie sur les propos formulés par le Juge Lagacé de la Cour fédérale au paragraphe 24 de la décision Éric V. et autres, supra, à savoir:

[24] N’oublions pas qu’il s’agit ici d’un appel formé en vertu du paragraphe 129(7) du CCT. De sorte que l’AA saisi d’un tel appel doit, aux termes du paragraphe 146.1 (1) du même code, mener sans délai une enquête sommaire sur les circonstances du litige. Et ce n’est qu’après son enquête, et une fois mieux instruit des faits donnant lieu au litige, qu’il peut logiquement, soit modifier, annuler ou confirmer la décision ou les instructions, soit donner les instructions qu’il juge indiquées (alinéas 146.1 (1)a) et b)). Encore faut-il laisser à l’AA le temps de faire son enquête et lui permettre de décider plus tard en toute connaissance de cause ce que le CCT lui confie le soin de décider.

[282] Pour tous ces motifs, l’objection de Me Perron est rejetée.

 

B. La notion de danger

[283] Avant de procéder à l’analyse détaillée de la preuve, il faut se donner des balises. Ainsi, la notion de ‘’danger’’,,qui est au cœur de la présente affaire, a fait l’objet d’interprétations récentes par la Cour fédérale ainsi que par la Cour d’appel fédérale.

[284] Pour décider s’il existe un danger au sens du Code, je dois me rapporter à la définition du mot "danger" qui se trouve au paragraphe 122 (1) du Code :

« danger » Situation, tâche ou risque — existant ou éventuel — susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade — même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats — , avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur [.]

[285] Les parties au dossier ont cité les décisions Martin, supra, et Verville, supra. Ces deux décisions traitent de la notion de ‘’danger’’ au sens du Code. Il convient de préciser que la décision Verville, supra, est une décision importante en ce qui concerne l’interprétation à donner au mot "danger" au sens où l’entend le Code. Dans cette décision, madame la Juge Gauthier a établi aux paragraphes 34, 35 et 36 de sa décision les principes à appliquer pour interpréter la notion de danger. Elle a écrit :

 

[34] Les propos susmentionnés ne sont pas tout à fait exacts. Comme il est indiqué dans l’affaire Martin, précitée, la blessure ou la maladie peut ne pas se produire dès que la tâche aura été entreprise, mais il faut plutôt qu’elle se produise avant que la situation ou la tâche ne soit modifiée. Donc, ici, l’absence de menottes sur la personne d’un agent correctionnel impliqué dans une empoignade avec un détenu doit être susceptible de causer des blessures avant que des menottes ne puissent être obtenues du poste de contrôle ou par l’intermédiaire d’un surveillant K-12, ou avant que tout autre moyen de contrainte ne soit fourni.

 

[35] Je ne crois pas non plus que la définition exige que toutes les fois que la situation ou la tâche est susceptible de causer des blessures, elle causera des blessures. La version anglaise « could reasonably be expected to cause » nous dit que la situation ou la tâche doit pouvoir causer des blessures à tout moment, mais pas nécessairement à chaque fois.

 

[36] Sur ce point, je ne crois pas non plus qu’il soit nécessaire d’établir précisément le moment auquel la situation ou la tâche éventuelle se produira ou aura lieu. Selon moi, les motifs exposés par la juge Tremblay-Lamer dans l’affaire Martin, susmentionnée, en particulier le paragraphe 57 de ses motifs, n’exigent pas la preuve d’un délai précis à l’intérieur duquel la situation, la tâche ou le risque se produira. ...Si l’on considère son jugement tout entier, elle semble plutôt reconnaître que la définition exige seulement que l’on constate dans quelles circonstances la situation, la tâche ou le risque est susceptible de causer des blessures, et qu’il soit établi que telles circonstances se produiront dans l’avenir, non comme simple possibilité, mais comme possibilité raisonnable. (Je souligne)

[286] Je dois donc examiner la preuve soumise en l’espèce et décider si l’escorte non armée du détenu en question est susceptible de causer des blessures aux AC avant qu’il ne puisse y être remédié. Je dois aussi déterminer si les circonstances susceptibles de causer ces blessures se produiront dans l’avenir comme une possibilité raisonnable. De plus, je dois déterminer non seulement si l’escorte non armée que devaient effectuer les AC constituait un danger au sens du Code mais aussi si ce danger constituait une condition normale de leur emploi. Une conclusion de danger qui constitue une condition normale d’emploi aura pour effet de rendre les refus des AC non justifiés et est assimilable à une décision d’absence de danger pour les fins de donner ouverture au droit d’appel.

[287] Me Perron a cité plus tôt la décision Verville, supra, en référence à l’allusion que le tribunal a faite lors de l’audience du 2 novembre 2007 [63] à l’effet que le témoignage d’AC dans leur domaine revêtait un caractère d’expert. Me Perron a souligné le paragraphe 51 de ladite décision, où la Juge Gauthier réfère aux témoins experts. La Juge Gauthier a dit :

51 Finalement, la Cour relève qu’il existe plus d’un moyen d’établir que l’on peut raisonnablement compter qu’une situation causera des blessures. Il n’est pas nécessaire que l’on apporte la preuve qu’un agent a été blessé dans les mêmes circonstances exactement. Une supposition raisonnable en la matière pourrait reposer sur des avis d’expert, voire sur les avis de témoins ordinaires ayant l’expérience requise, lorsque tels témoins sont en meilleure position que le juge des faits pour se former l’opinion. Cette supposition pourrait même être établie au moyen d’une déduction découlant logiquement ou raisonnablement de faits connus.

[288] Je suis d’accord avec Me Perron qui cite la décision Verville, supra, à l’effet que les AC ne sont pas des experts au sens strict du terme. Ils sont toutefois des témoins ordinaires ayant beaucoup d’expérience dans le domaine carcéral. Par conséquent, je conclus qu’ils ont une connaissance appréciable des détenus, des politiques et des procédures qui s’appliquent de sorte que j’accorderai une importance particulière à leurs témoignages.

[289] Je suis d’accord avec Me Perron à l’effet que la Loi sur le service correctionnel et le Code sont cohérents. Toutefois, en ce qui concerne la protection de la santé et la sécurité au travail des AC, le Code a préséance sur la Loi sur le service correctionnel. Le Code prévoit des mesures précises quant à leur protection, tels le recours au droit de refuser de travailler en cas de danger, l’émission d’instructions pour protéger les employés et toute une série d’obligations imposées à l’employeur dans le lieu de travail qu’il contrôle, alors que la Loi sur le service correctionnel établit des objectifs généraux pour la protection du personnel. Si ces objectifs étaient détaillés, et qu’ils surpassaient les obligations prévues par le Code, alors on pourrait prétendre que la Loi sur le service correctionnel protège avantageusement les AC, ce qui n’est pas le cas. D’ailleurs, le but de cette Loi est tout autre et il est normal que le SCC se concentre à rencontrer les objectifs de la Loi sur le service correctionnel. Toutefois, le SCC doit aussi reconnaître et accepter que le Code s’applique également aux AC et que la conformité avec le Code est obligatoire.

[290] Je suis d’accord avec le principe, suite aux décisions Jack Stone, supra, et Bouchard, supra, voulant que la violence constitue une condition normale d’emploi et que de refuser de travailler uniquement sur cette base ne justifie pas l’exercice du droit de refuser. Je suis aussi en accord avec le principe établi dans Chamard, supra, et Jeanson, supra, à l’effet qu’un risque hypothétique ne justifie pas un droit de refus. Je suis toutefois moins convaincu du bien-fondé de la décision Moore, supra, à l’effet que l’AA n’a pas à déterminer si les AC doivent être armés lors d’escortes parce que cette responsabilité incomberait au SCC en vertu de la Loi. La décision Martin, supra, en a jugé autrement. En effet, la Cour a précisé ce qui suit au paragraphe 42 de sa décision:

[42] Il n'appartient pas à notre Cour d'apprécier ces éléments de preuve ou de tirer des conclusions sur la question de savoir si la preuve permettait de conclure que l'on pouvait raisonnablement s'attendre à ce que des gardiens de parc soient blessés ou même si l'on devrait fournir des armes de poing aux gardiens de parc. Cette décision incombe à l'agent d'appel. (Je souligne)

[291] Je ne suis pas d’accord avec Me Perron qui suggère au tribunal de suivre les décisions Moore, Jeanson et Bouchard, supra, à l’effet qu’il n’est pas du ressort du tribunal de revoir les politiques en vigueur chez l’employeur. Si ces politiques ignorent ou mettent à risque la sécurité des AC, le tribunal n’aura d’autre choix que de prendre les actions qui s’imposent pour protéger les employés.

C. Danger qui constitue une condition normale d’emploi

[292] À mon avis, il y a lieu de clarifier l’interprétation à donner, dans la présente affaire, à l’alinéa 128(2) (b). Il faut d’abord préciser que cette exception en est une qui s’applique en situation de refus de travail. Ainsi, pour qu’un danger soit considéré comme constituant une condition normale d’emploi, il faut que ce danger en soit un qu’on ne peut contrôler par des mesures de protection prévues par le Code. Ce danger, comme nous le verrons ci-dessous, ne justifie pas l’exercice du droit de refus. Or, seule une analyse complète de la preuve me permettra de décider si les mesures prises par l’employeur pour protéger les AC lors de l’escorte du détenu réduisent au minimum la possibilité raisonnable de blessures, nonobstant qu’un danger qui constitue une condition normale d’emploi persiste. En somme, le danger ne peut pas et ne doit pas être évalué dans un "vacuum".

[293] Le danger visé au paragraphe 128(1) doit donc être évalué au préalable par l’ASS de façon globale en tenant compte des conditions de travail et des mesures prises pour protéger l’employé qui refuse. Après tout, un refus de travail n’est jamais basé sur la croyance qu’il s’agit de conditions normales d’emploi mais plutôt sur la croyance légitime de l’employé qu’un danger existe. Il y a toujours une allégation que la tâche à accomplir présente un danger qui n’est pas normal dans les circonstances parce que la façon de faire ne correspond pas à la façon habituelle d’exécuter la tâche le plus sécuritairement possible. D’ailleurs, c’est ce que les AC affirment. Ils ont tous déclaré qu’il n’est pas normal d’escorter le détenu en question sans l’équipement de protection essentiel à leur sécurité, soit l’arme à feu. Ils ont affirmé qu’ils auraient fait l’escorte si celle-ci avait été armée. Me Mancini a aussi ajouté que toutes les tâches d’un AC sont, comme telles, une condition normale de l’emploi et que par conséquent, accepter l’interprétation de l’ASS léserait le droit des AC de refuser de travailler en cas de danger.

[294] Cette affirmation des AC rejoint à mon avis la position adoptée par la Juge Gauthier au paragraphe 55 de la décision Verville, supra. En effet, la Juge Gauthier écrivait :

55 Le sens ordinaire des mots de l’alinéa 128(2)b) milite en faveur des points de vue exprimés dans ces décisions de la Commission, parce que le mot "normal" s’entend de quelque chose de régulier, d’un état ou niveau des affaires qui est habituel, de quelque chose qui ne sort pas de l’ordinaire. Il serait donc logique d’exclure un niveau de risque qui n’est pas une caractéristique essentielle, mais qui dépend de la méthode employée pour exécuter une tâche ou exercer une activité. En ce sens, et à titre d’exemple, dirait-on qu’il entre dans les conditions normales d’emploi d’un gardien de sécurité de transporter de l’argent à partir d’un établissement bancaire si des modifications étaient apportées à son emploi de telle sorte que cette tâche doive être exécutée sans arme à feu, sans compagnon et dans un véhicule non blindé? (Je souligne)

[295] Ainsi, dans le cadre de l’examen visant à déterminer si un danger constitue une condition normale d’emploi, on ne peut dissocier de la tâche à exécuter, dans le présent cas l’escorte d’un détenu lors d’une sortie, la méthode ou la manière d’exécuter ladite tâche, ou les outils requis pour ce faire. Pour cette raison, l’ASS doit faire une enquête globale de la situation qui fait l’objet d’un refus de travailler afin d’établir à quel moment un danger constitue une condition normale d’emploi qui ne justifie pas un refus de travailler.

[296] Dans son enquête, l’ASS détermine si les mesures prises par l’employeur réduisent au minimum la possibilité raisonnable de blessure à l’employé qui doit exécuter la tâche.

[297] Dans une décision récente de la Cour fédérale dans P&O Ports Inc. et Western Stevedoring Co. Ltd. c.Le Syndicat International des débardeurs et des Magasiniers, Section Locale 500, 2008 CF 846, la Cour a maintenu l’interprétation de l’AA dans ce dossier concernant un danger qui constitue une condition normale d’emploi. Tout comme la Cour, je partage pleinement cette interprétation de l’AA qui avait interprété cette notion de la façon suivante :

[152] Je crois qu'avant qu'un employeur puisse affirmer qu'un danger est une condition de travail normale, il doit reconnaître chaque risque, existant et éventuel, et il doit, conformément au Code, mettre en place des mesures de sécurité visant à éliminer le danger, la situation ou l'activité; s'il ne peut l'éliminer, il doit élaborer des mesures visant à réduire et à contrôler le risque, la situation ou l'activité dans une mesure raisonnable de sécurité, et finalement, si le risque existant ou éventuel est toujours présent, il doit s'assurer que ses employés sont munis de l'équipement, des vêtements, des appareils et du matériel de protection personnelle nécessaires pour les protéger contre le danger, la situation ou l'activité. Ces règles s'appliquent évidemment, dans la présente affaire, au risque de chute ainsi qu'au risque de trébucher ou de glisser sur les panneaux de cale.

[153] Une fois toutes ces mesures suivies et toutes les mesures de sécurité mises en place, le risque « résiduel » qui subsiste constitue ce qui est appelé une condition de travail normale. Toutefois, si des changements sont apportés à une condition de travail normale, une nouvelle analyse de ce changement doit avoir lieu en conjonction avec les conditions de travail normales.

[154] Aux fins de la présente instance, je conclus que les employeurs ont négligé, dans la mesure où la chose était raisonnablement possible, d'éliminer ou de contrôler le danger dans une mesure raisonnable de sécurité ou de s'assurer que les employés étaient personnellement protégés contre le danger de chute des panneaux de cale.

[298] Les principes qui doivent guider l’employeur dans son motif d’intervention et dans la priorisation des mesures à prendre pour protéger les employés se retrouvent aux articles 122.1 et 122.2 du Code et l’obligation générale de l’employeur se retrouve à l’article 124 de cette même loi. Ces dispositions prévoient:

122.1 La présente partie a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions.

122.2 La prévention devrait consister avant tout dans l’élimination des risques, puis dans leur réduction, et enfin dans la fourniture de matériel, d’équipement, de dispositifs ou de vêtements de protection, en vue d’assurer la santé et la sécurité des employés.

124. L’employeur veille à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail.

Le pendant anglais de cette dernière disposition se lit :

124. Every employer shall ensure that the health and safety at work of every person employed by the employer is protected. (Je souligne)

[299] L’employeur qui intervient pour protéger ses employés doit d’abord être guidé dans son analyse par le but premier du Code, soit la prévention des accidents et des maladies liés à l’emploi (art.122.1). C’est ce but qui doit motiver l’employeur. Fort de cette motivation, l’employeur devrait par la suite déterminer s’il a appliqué l’ordre de priorité dans son intervention pour prévenir les accidents (art.122.2). Ainsi, l’employeur doit d’abord tenter d’éliminer le risque et si cela est impossible, il doit se concentrer à réduire le risque au minimum. Si l’employeur réussit à réduire le risque et même si cela s’avère impossible, il doit de surcroit mettre en place des mesures pour agir sur le risque en fournissant le matériel, l’équipement, les dispositifs ou les vêtements de protection qui vont assurer la sécurité des employés, dans ce cas-ci, les AC.

[300] Finalement, l’employeur doit considérer que sa responsabilité en vertu du Code est de veiller [en anglais …shall ensure…] à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail (art.124), un standard fort élevé qui oblige l’employeur à être rigoureux dans son analyse des risques pouvant affecter la santé et la sécurité des employés.

[301] Il est clair que l’employeur doit assurer la protection de ses employés au travail. Par conséquent, les mesures de protection mises en place par le SCC doivent être suffisantes pour protéger les AC contre toute situation susceptible de leur causer une blessure, que la blessure survienne ou non. Ainsi, plus la blessure susceptible de survenir est sérieuse et plus les mesures de protection devront être proportionnelles à cette blessure.

[302] Ainsi, affirmer comme l’ont fait Me Perron et l’ASS que faire des escortes est une condition normale d’emploi est une affirmation trompeuse. Il est vrai que faire des escortes est une condition normale d’emploi des AC, au sens où il s’agit d’une tâche normale de leur emploi. Cela est indiqué dans leurs descriptions de tâches. Il y a toutefois une distinction importante à faire entre une tâche, telle une escorte, et un danger qui fait partie de la tâche, i.e. la possibilité raisonnable qu’une blessure survienne lors de l’exécution de la tâche avant qu’il ne puisse y être remédié. Il y a aussi une autre distinction importante à faire entre ce danger et un danger qui constitue une condition normale d’emploi qui ne justifierait pas un refus de travail. Ce dernier danger présuppose que l’employeur a d’abord identifié la présence d’un danger lors d’escortes et que de ce fait, il a pris toutes les mesures nécessaires pour protéger ses employés i.e. qu’il a identifié et contrôlé tous les facteurs qui ont une importante incidence négative sur la tâche de faire des escortes. À ce moment, rien de plus ne peut être fait par l’employeur pour protéger davantage les employés.

[303] Le danger résiduel qui persiste suite à toutes ces mesures de contrôle constitue, à mon avis, une condition normale d’emploi. Seul ce danger, lequel ne peut être contrôlé et pour lequel aucune instruction ne peut raisonnablement être émise en vertu du paragraphe 145(2) pour protéger davantage l’employé, ne justifie pas un employé de refuser de travailler parce que ce danger constitue une condition normale d’emploi. Dans tous les autres cas, une conclusion de danger s’impose et des instructions doivent être émises à l’employeur pour protéger les employés. Ainsi, le refus de travailler est justifié dans ces cas.

[304] Afin de simplifier la compréhension d’un danger qui constitue une condition normale d’emploi, j’utiliserai l’exemple suivant i.e. celui du travail d’un pompier.

[305] Si on posait la question très générale "Est-ce qu’un pompier peut refuser d’aller éteindre un feu", on est instinctivement tenté de répondre par la négative. Après tout, le travail du pompier consiste à éteindre des feux. C’est un peu l’approche du SCC et de l’ASS dans le présent dossier. En effet, tous deux prétendent que le travail des AC est de faire des escortes, qu’elles soient armées ou non, et que par conséquent, ils ne peuvent refuser de travailler. Toutefois, si la question était posée d’une façon plus précise, telle que "Est-ce qu’un pompier peut refuser d’aller éteindre un feu s’il n’a pas tout son équipement de protection et une formation adéquate pour se protéger", la réponse serait probablement fort différente. Il serait impensable d’exiger qu’un pompier aille éteindre un feu sans tout son équipement de protection et sans une formation adéquate parce que ce n’est pas la méthode habituelle et sécuritaire de faire ce travail. Personne ne s’attend à ce qu’un pompier mette sa vie en jeu à tout prix même pour faire le travail pour lequel il a été engagé. Il en est de même pour les AC qui allèguent que faire une escorte non armée du détenu en question met leur sécurité en danger et que ce danger ne constitue pas une condition normale d’emploi parce que le SCC ne leur fournit pas l’équipement essentiel à leur protection, soit l’arme à feu. Mon propos rejoint en ce sens ceux de la juge Gauthier dans l’affaire Verville, supra, lorsque la juge pose la question suivante au paragraphe 55 de cette décision : ‘’En ce sens, et à titre d’exemple, dirait-on qu’il entre dans les conditions normales d’emploi d’un gardien de sécurité de transporter de l’argent à partir d’un établissement bancaire si des modifications étaient apportées à son emploi de telle sorte que cette tâche doive être exécutée sans arme à feu, sans compagnon et dans un véhicule non blindé ?’’

[306] Toutefois, le même pompier ne pourrait pas refuser de faire son travail s’il est qualifié pour le faire et si toutes les mesures ont été prises pour assurer sa protection, incluant l’équipement de protection nécessaire pour parer à toute éventualité, ce qui maximise les chances du pompier d’éteindre le feu le plus sécuritairement possible dans les circonstances. À ce moment, il existe quand même une possibilité raisonnable pour le pompier d’être blessé ou même tué, à cause de la nature même du travail à faire, soit d’éteindre des feux, mais le danger résiduel qui persiste suite aux mesures de protection prises par l’employeur en est un qu’on ne peut contrôler ou éliminer. Ce danger résiduel existe pour toutes les situations où un pompier doit éteindre un feu; il en est une caractéristique essentielle. On dit alors que ce danger i.e. le danger résiduel, constitue une condition normale d’emploi.

[307] Ainsi, dans la présente affaire, l’employeur devra démontrer au tribunal, ou à l’ASS qui enquête, qu’il a mis en place toutes les mesures de protection nécessaires pour réduire au minimum la possibilité raisonnable, et non hypothétique, qu’une blessure survienne au cours de l’exercice des fonctions des AC dans les circonstances spécifiques de cette affaire. Le danger résiduel qui persistera suite à ces mesures de protection est un danger qui constitue une condition normale d’emploi des AC.

 

D. Conclusion sur le fond

[308] Il importe ici de procéder à l’analyse détaillée de la preuve soumise. Par conséquent, je vais considérer les principaux facteurs qui ont été soulevés par les parties dans la présente affaire, à savoir : (i) le détenu, (ii) le contrat de mise à prix du détenu, (iii) la repérabilité du détenu, (iv) l’évaluation de la menace et du risque et (v) les mesures de protection.

[309] Toutefois, je note qu’un sujet en particulier, i.e. la formation, n’a pas fait l’objet de controverse ni d’argumentation par Me Mancini et Me Perron. Me Perron s’est limité à souligner que les AC ont reçu une formation sur les escortes, que cela fait partie de leurs tâches et que les modules de formation sont inter reliés. Par conséquent, le tribunal ne se penchera pas davantage sur l’analyse de ce sujet. Je me permettrai toutefois d’y faire référence au besoin.

 

(i) Le détenu

[310] Le détenu est un criminel détenu notoire, un cas sous protection. Il a été un tueur à gages pour une organisation criminelle. Par conséquent, ce détenu a commis des crimes extrêmement violents. Son cas a été très médiatisé, surtout parce qu’il est devenu un délateur et que sa délation a permis de faire incarcérer des membres de l’organisation criminelle de même que son chef. Le détenu a aussi accompli d’autres gestes qui visaient à amplifier sa notoriété. Tous à l’établissement, y compris les AC, les représentants de la gestion et la population carcérale, le connaissent et savent que sa tête est mise à prix.

[311] Les témoignages confirment que ce détenu est également un menteur, un enjôleur, un manipulateur, une personne qui a des idées de grandeur et que beaucoup de gens n’ont aucune confiance en lui. Toutefois, monsieur P.G. affirme, tout comme les autres témoins, que le détenu est poli avec eux et qu’il ne crée pas de problème au niveau des officiers.

[312] Ce détenu a été en liberté légale pour une longue période de temps. Pendant cette période, son identité a été changée. Durant cette même période de liberté, le détenu s’est enfui et ne s’est plus présenté à son ALC. Il a par conséquent été considéré en liberté illégale. Me Perron a fait valoir que durant toute cette période de liberté, il n’est rien arrivé au détenu. Toutefois, il a été établi que le détenu s’était enfui à l’extérieur du pays pour une longue période de temps et qu’ainsi, personne ne le connaissait là où il était à l’extérieur du pays. Le tribunal note aussi que la recommandation de madame C.A. de remettre le détenu en liberté conditionnelle totale a été refusée par la Commission Nationale de Libérations Conditionnelles au motif que le détenu avait perdu sa crédibilité suite à sa liberté illégale.

 

(ii) Le contrat de mise à prix du détenu

[313] Ce qui distingue ce détenu de tout autre détenu est que les AC font valoir que la tête de ce détenu est mise à prix, que ce contrat est toujours d’actualité et que ceci met leur santé et leur sécurité en péril lors d’une escorte. Ce contrat n’est évidemment pas un contrat écrit en bonne et due forme tel que l’a reconnu madame C.A. De plus, un tel contrat est principalement connu des gens du milieu, et pour cause. Pour cette raison, il fut possible pour les représentants de l’employeur d’en questionner l’existence. Toutefois, madame C.A. a témoigné que cette possibilité existait et que de toute façon, le SCC avait maintenant des préoccupations permanentes quant à la sécurité du détenu du fait qu’il est un délateur notoire. Bien que l’ASS a confirmé ne pas avoir vérifié l’existence du contrat sur le détenu, il a quand même reconnu que l’employeur présent lors de son enquête admettait l’existence dudit contrat.

[314] Les témoignages de messieurs P.G. et J.T. ajoutent de la crédibilité à l’existence de ce contrat, d’abord parce que de par leur fonction d’AC, ils sont et se doivent d’être au courant de ce type d’information parce qu’ils côtoient les détenus et qu’ils font de la gestion de cas et aussi parce que monsieur G.F., l’ARS en poste le jour de leur refus, leur a confirmé que le contrat était toujours d’actualité. Monsieur S.H., qui est aussi ARS à l’établissement, a affirmé qu’il y a déjà eu un contrat sur la tête du détenu mais a ajouté qu’il ignorait si ce contrat était toujours d’actualité. Il a aussi reconnu que le fait que la t^te du détenu a déjà été mise à prix a déjà constitué une préoccupation pour le SCC. Il a aussi précisé que le programme P doit être appliqué à ce détenu parce que sa vie est en danger à l’extérieur de l’institution, une affirmation lourde de conséquences.

[315] Ce contrat est connu dans le milieu. Monsieur P.G. a témoigné que dans l’institution, tout se sait. Par conséquent, cette information était connue de la population carcérale. Un détenu a d’ailleurs fait le commentaire que certains détenus avaient une tête payante à l’institution, une référence au contrat sur la tête du détenu en question, ce qui a contribué au refus de monsieur J.T. Toutefois, ce sont la confirmation subséquente et l’assurance qu’il a obtenue de monsieur G.F., l’ARS en poste le jour de son refus, à l’effet que le contrat était toujours d’actualité, que le montant était important et que l’escorte serait non armée qui sont les motifs des refus de messieurs P.G. et J.T.

[316] Ce contrat, qui aurait une valeur monétaire importante, a été minimisé par les témoins de l’employeur comme étant de la vieille histoire. Selon eux, ledit contrat ne semble plus avoir la même importance parce que le détenu aurait parlé à deux reprises au chef de l’organisation criminelle et à d’autres membres de cette organisation dans le but, semble-t-il, d’avoir une trêve. Toutefois, en admettant que le détenu, un menteur notoire, ait effectivement eu des conversations de cette nature, nous n’en connaissons pas la teneur. Si ces conversations ont eu lieu, personne n’est venu rapporter ce qui se serait dit. De plus, une fois qu’un tel contrat est lancé, il n’est pas évident d’y mettre fin. Il n’y a aucune preuve à l’effet que quiconque ait mis fin audit contrat ou que le monde interlope ait pris quelque mesure que ce soit pour y mettre fin, en admettant que cela soit possible.

[317] Le tribunal accorde beaucoup de poids à la crainte des appelants concernant l’existence dudit contrat. Eu égard à la preuve soumise, le tribunal accepte l’assertion des AC à l’effet que la tête du détenu est effectivement mise à prix.

[318] Madame C.A. a témoigné qu’il n’y a plus la même sensibilité de la part des gens de l’organisation criminelle étant donné le nombre d’années qui se sont écoulées depuis la délation. Beaucoup de ces gens ne font plus partie de l’organisation en question ou ont tout simplement disparu. Selon madame C.A., le détenu lui-même aurait laissé entendre que, s’il en avait l’opportunité, il pourrait discuter avec tout membre de l’organisation et le dissuader de maintenir une vengeance contre lui. Étant donné le peu de crédibilité du détenu, le tribunal accorde peu de poids à cette affirmation. De plus, une telle affirmation aurait peu d’impact au moment de l’exécution du contrat. Le tribunal note aussi que personne n’est venu témoigner ou déposer une preuve quelconque que le contrat était annulé. De plus, il a été démontré que de nombreuses personnes n’hésiteraient pas à exécuter le contrat pour des motifs variés tels que se faire un nom dans le milieu, pour l’argent, par vengeance, etc..

[319] En fait, personne n’a affirmé que le contrat n’était plus d’actualité. Le tribunal note que tout le monde accepte que le programme P s’applique au détenu pendant son séjour en institution et qu’il continuera de s’appliquer après sa libération. Il est évident que les gens du programme P agissent comme si le contrat existe et qu’il est toujours d’actualité. Le tribunal accepte l’argument de Me Mancini à l’effet que les gens qui administrent le programme P et le SCC déploient des mesures importantes pour protéger l’identité et la sécurité du détenu. Par conséquent, il importe peu qu’on réfère à l’entente que le détenu a en vertu du programme P comme étant un contrat moral, une épithète absente des dossiers du SCC,comme l’a souligné Me Mancini et, à mon avis, sans conséquences. L’important est que le seul motif justifiant de telles mesures est que, suite à sa délation, le détenu doit être protégé parce que sa vie est en danger chaque fois qu’il sort de l’institution. Les gens qui appliquent ce contrat "moral" sont en service commandé, tel que l’a reconnu madame C.A. En l’absence de preuve à l’effet contraire et, contrairement à ce que monsieur S.H. a suggéré, à mon avis ils sont armés comme tous les agents de police le sont en service commandé.

[320] Monsieur P.G. a témoigné que l’ARS en fonction le jour de son refus a confié à monsieur J.T., son coéquipier d’escorte, que le contrat sur la tête du détenu était toujours d’actualité, ce qui a été confirmé par la suite par monsieur J.T.. Monsieur G.F. a tempéré cette information lors de son témoignage en disant qu’il aurait dit à monsieur J.T. que le détenu a déjà eu un contrat sur sa tête et qu’en ce moment, il n’y avait rien de spécial dans son cas. Il est important de noter ici que monsieur G.F., l’ARS à l’établissement, reconnaît l’existence du contrat visant le détenu, ce que madame C.A. n’a pas ouvertement reconnu lors de son témoignage, se limitant à reconnaître que le SCC a des préoccupations permanentes vis-à-vis la sécurité du détenu.

[321] J’accorde plus de poids aux témoignages de messieurs P.G. et J.T. qu’au témoignage de monsieur G.F., le témoignage des appelants étant plus crédible que celui de monsieur G.F. De plus, nonobstant l’objection de Me Perron, je tiens aussi compte du témoignage non contredit de monsieur G.R. qui a accusé monsieur G.F. de ‘’…méchant menteur [64] ’’ à ce sujet lors de l’enquête de l’employeur dans les refus de travailler de messieurs P.G. et J.T., en présence de madame E.B., la gestionnaire en charge de l’enquête.

[322] Le tribunal accepte l’affirmation de Me Mancini, sur la base des témoignages au dossier, de l’application continue du programme P, i.e. même après la libération, ce qui est très rare selon madame C.A., et des préoccupations de sécurité permanentes du SCC à l’effet que le contrat sur la tête du détenu est toujours d’actualité.

(iii) La repérabilité du détenu

[323] La repérabilité du détenu en regard de sa sécurité est un facteur important dans cette affaire. En effet, madame C.A., la spécialiste du détenu, a quantifié le risque que représentait la sortie unique du détenu à 0.1 %. Toutefois, des mesures fort importantes, qu’à mon avis un niveau de risque de 0.1% ne justifient pas, sont instaurées par le SCC de même que par la police pour s’assurer que l’identité du détenu n’est pas dévoilée parce que cela mettrait sa sécurité, voire sa vie, en jeu. Le tribunal note que si la sécurité du détenu est en danger en dehors de l’établissement, il en est de même des AC qui doivent escorter le détenu à un établissement de santé local.

[324] Le détenu fonctionnait sous son vrai nom en institution. Il y a beaucoup de gens dans l’institution qui font partie de gangs de rue et ces gens-là n’ont aucune règle et aucune hiérarchie. Il y a toutes sortes de groupes criminalisés. Il y a aussi des gens affiliés aux motards. Tous ces gens connaissent le détenu et n’hésiteraient pas à le dénoncer. L’ASS a témoigné qu’il y a eu consensus [65] lors de son enquête à l’effet que la fuite d’informations par d’autres détenus était une possibilité, mais que c’était difficile à quantifier. Monsieur G.F. a dû reconnaître, sous l’insistance de Me Mancini, qu’il était possible que des éléments criminels se retrouvent dans la communauté et qu’ils obtiennent des informations sur la sortie du détenu. L’ASS a délibérément mis cette information de côté puisque l’information restait, selon lui, dans l’enquête de danger, une enquête qu’il a déclaré ne pas avoir exécutée. Cette information a une incidence importante sur la repérabilité du détenu parce que lors de sorties uniques, son identité peut être révélée intentionnellement et non pas simplement être le fruit du hasard, comme le soumet Me Perron. Cette information n’a pas été évaluée dans l’EMR.

[325] Le détenu a indiqué craindre d’aller dans un établissement à sécurité minimale parce qu’il est un délateur notoire et qu’il est repérable. Il craint pour sa sécurité et surtout, pour sa vie. Même en institution, on doit s’assurer qu’il n’y a pas d’incompatibles qui mettraient la sécurité du détenu, ou de l’institution, à risque. Suite au témoignage de madame C.A., il a été établi que le détenu, pour sa sécurité, ne pouvait aller dans un établissement à sécurité minimale à cause des ramifications qu’il y avait avec l’organisation criminelle, et non pas, comme l’a prétendu monsieur S.H., parce qu’il avait nargué trop de gestionnaires et que ceux-ci ne voulaient plus de lui. Il fallait donc le cacher dans une institution de protection offrant des mesures de sécurité beaucoup plus importantes que les institutions à sécurité minimale et où il est possible de gérer des cas lourds comme celui-ci. En plus, même les maisons de transition, qui ont une connaissance du milieu et de la gestion de détenus et qui sont chapeautées par le SCC, de même que la police locale, ne veulent pas de la présence du détenu justement parce que c’est un cas notoire qui apporte d’importants problèmes de sécurité avec lui.

[326] En somme, le tribunal est d’avis que le détenu est repérable. Ceci, combiné à l’existence du contrat visant le détenu et le fait que ce contrat soit toujours d’actualité, augmente considérablement la possibilité raisonnable qu’une agression se fasse contre le détenu lors de l’escorte extérieure. Ceci rend les AC, lorsqu’ils escortent le détenu, susceptibles d’être blessés avant que la menace venant de l’extérieur soit écartée.

(iv) L’évaluation de la menace et du risque

 

[327] L’évaluation de la menace et du risque (EMR) est effectuée par le SCC sur la base des trois critères suivants, à savoir :

 

· le risque lié à l’adaptation en établissement,

· le risque d’évasion et,

· le risque pour la sécurité du détenu.

[328] Cette EMR est faite en fonction du détenu. Il a été admis par les parties que le détenu est poli et qu’il ne cause pas de problèmes pour les AC. Son cheminement personnel en établissement a amené le détenu à changer sa vision de la vie de telle sorte que madame C.A prévoit que le détenu sera un candidat à la réinsertion sociale. L’ASS a déclaré que le risque d’évasion du détenu était faible. Madame C.A. a déclaré que les trois critères ci-dessus étaient faibles pour le détenu. En somme, le détenu ne constituait pas une menace évidente pour les AC, nonobstant la propension à la violence extrême démontrée dans le passé par le détenu. Monsieur J.T. a affirmé qu’il a toujours eu confiance dans l’EMR effectuée en rapport avec les détenus à escorter. Dans ce cas-ci toutefois, les appelants ont refusé de faire l’escorte non armée non pas à cause du détenu mais plutôt à cause de l’éventualité plus que plausible, selon monsieur P.G., d’une agression externe contre le détenu et du fait que l’escorte serait non armée. Or, les AC soumettent que ces trois critères ne s’adressent qu’au détenu et non pas à la possibilité d’une agression provenant de l’extérieur.

[329] En regard de ces critères, le détenu est classé au niveau de sécurité minimal. Toutes les EMR sont sujettes à cette classification. D’ailleurs, le Bulletin de sécurité 2006-05 a confirmé cette prémisse. La seule raison pour laquelle une EMR est faite pour l’escorte du détenu est que l’établissement est classé au niveau de sécurité moyen et que des évaluations sont faites pour toutes les sorties dans un tel établissement. Madame C.A. a reconnu que la décision de ne pas armer l’escorte est conséquente à la cote de sécurité minimale du détenu. La Directrice a entériné la recommandation de ne pas armer l’escorte sur cette base. De plus, madame C.A. a déclaré qu’il a été décidé que la sortie humanitaire du détenu se ferait avec une escorte humanitaire plutôt qu’une escorte sécuritaire sur la base de la cote de sécurité du détenu.

[330] Par conséquent, et tel que l’a argumenté Me Mancini, quel que soit le risque à l’extérieur de l’institution, le détenu sera toujours coté minimum ce qui fait que de façon systématique, l’escorte de sécurité devrait se faire sans arme. Le tribunal note que la cote de sécurité du détenu occupe une place prépondérante dans l’EMR, ce qui a pour effet de banaliser l’éventualité d’une attaque provenant de l’extérieur et le risque que représente cette attaque pour les AC. Or, en vertu du Code et de la notion de danger qui s’y trouve, un danger n’existe pas uniquement en vertu de la présence réelle du risque, mais aussi en vertu de sa présence éventuelle [En anglais "…potential…"] et pourvu qu’il soit susceptible de causer des blessures aux AC qui y sont exposés avant que ce risque soit écarté.

[331] Madame C.A. a déclaré que lorsqu’on procède à compléter l’EMR , c’est une évaluation globale qui est faite. Ainsi, on tient compte de la sécurité des AC. On contacte les gens du programme P pour déterminer si des informations nouvelles existent concernant la sécurité du détenu. Ces gens vont même s’assurer que les lieux de la sortie sont sécuritaires. Toutefois, cette analyse, bien que conforme aux articles 4 et 70 de la Loi sur le service correctionnel, est loin de rencontrer les exigences du Code parce qu’elle ne vise pas d’abord et avant tout la protection des employés dans l’accomplissement de leurs tâches, ce qui inclut les escortes extérieures, mais vise d’abord et avant tout le risque que représente le détenu sur la base de son comportement en établissement. Il est important de souligner ici que lorsque Me Mancini a demandé à madame C.A. si on tient compte du Code lorsque l’on fait l’EMR, elle a admis qu’en ce qui concerne les dispositions du Code,

"…c’est pas les lignes directrices auxquelles nous autres on travaille pour faire le rapport d’évaluation"

[332] Selon madame C.A., personne n’est au courant de la sortie du détenu à un établissement de santé local. Toutefois,au moment de l’enquête de l’ASS, il a été démontré que le risque de fuite d’informations était une préoccupation importante pour tout le monde et que ce risque n’a pas été évalué. De plus, tout le monde à l’institution connaissait le détenu et l’existence du contrat mettant sa tête à prix. Le risque que de l’information soit vendue ou simplement donnée pour des considérations futures ne fait pas partie de l’EMR. Le fait que le détenu soit un cas notoire a peu d’importance pour le comité pavillonnaire qui fait l’EMR puisque le cas du détenu ne représente plus d’intérêt pour les ARS. Selon eux, c’est de la vieille histoire, le détenu n’a plus d’influence en établissement ou en communauté et il n’y a pas de nouvelles informations à l’effet qu’on pourrait attenter à sa vie.

[333] L’ASS a rapporté qu‘il ressortait des discussions qui ont eu lieu lors de l’enquête que "c’était clair pour tout le monde que, de par la situation, le risque d’une agression externe était plus important." Il a précisé que si l’EMR avait laissé voir qu’il y avait effectivement un risque provenant de l’extérieur, l’escorte aurait été armée. Or l’ASS n’a pas évalué ce risque et l’employeur s’est contenté d’affirmer qu’ils ont fait une EMR globale.

[334] Il n’est pas suffisant de dire qu’après consultation avec les gens du programme P, il n’y a pas de nouvelles informations concernant la possibilité del’exécution du contrat sur la vie du détenu au moment de l’escorte. Comme l’a soumis Me Mancini, ceux qui voudront exécuter ledit contrat ne vont pas envoyer un avis à la police lui signifiant leur intention de tuer le détenu. Seule une évaluation du risque que représente l’escorte extérieure du détenu pourra qualifier et quantifier adéquatement ce risque et déterminer les mesures de protection nécessaires pour accomplir le travail de la façon la plus sécuritaire possible dans les circonstances. De plus, cette évaluation du risque devra être accomplie en vertu et selon les critères du Code et en consultation avec le comité local de santé et de sécurité.

[335] Le tribunal note qu’en plus de la déclaration de madame C.A. concernant l’application, ou plutôt la non application du Code dans l’EMR, aucune analyse de risques spécifiques aux escortes extérieures et à la protection des AC effectuant des escortes de sécurité n’a été soumise au tribunal par l’employeur au soutien de son affirmation voulant qu’on ait tenu compte de la sécurité des AC. Il est alors impossible pour l’employeur de démontrer qu’en rapport à une agression extérieure, il a évalué le risque existant ou éventuel pour les AC, que représente une escorte de sécurité non armée du détenu en question.

[336] Par conséquent, l’EMR effectuée par l’employeur ne rencontre pas les exigences du Code et ne constitue pas une évaluation de risques effectuée en vertu du Code. Pour toutes les raisons citées ci-dessus, le tribunal conclut que l’EMR effectuée par le SCC est déficiente en ce qui concerne la protection des AC.

 

(v) Les mesures de protection

[337] À l’intérieur des murs du pénitencier, le détenu est protégé par le système mis en place par le SCC. À l’extérieur, c’est la responsabilité des agents escorteurs de le protéger, et de se protéger eux-mêmes. L’enjeu dans cette affaire consiste, en partie, à déterminer si les mesures de protection mises en place par l’employeur sont suffisantes pour réduire au minimum la possibilité raisonnable que les AC soient blessés dans l’exécution de l’escorte avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée.

[338] Pour s’acquitter de cette responsabilité, l’employeur doit s’assurer que les AC disposent non seulement de la formation et de l’entraînement sur la tâche à accomplir mais aussi de l’équipement qui leur permettrait de faire face à toutes les situations, y compris celle, en considération de la preuve au dossier, d’une possibilité raisonnable et non hypothétique, contrairement à ce que monsieur G.F. a suggéré, d’une attaque contre le détenu provenant de l’extérieur et, par le fait même, contre les AC.

[339] Les appelants ont reconnu avoir effectivement reçu la formation d’AC, laquelle dure environ trois mois. Cette formation inclut une formation sur l’usage des armes à feu. Elle inclut aussi un volet sur les escortes intérieures et les escortes extérieures, bien que le volet sur les escortes extérieures ne dure qu’une heure et demie. De plus, selon monsieur A.S.D., tous les modules de formation sont inter reliés. Monsieur A.S.D. a précisé qu’on enseigne aussi aux AC les différents documents dont ils auront à tenir compte lors de l’escorte.

[340] Lorsqu’un détenu doit aller à l’hôpital, ce qui était central aux refus de travail en question dans la présente affaire, l’escorte est planifiée d’avance. À ce moment, on avise l’ALC du détenu, dans ce cas-ci madame C.A., qui prépare une évaluation sommaire du risque et qui fait une recommandation ayant trait aux mesures de sécurité et de contrainte à être employées lors de l’escorte. Cette recommandation est étudiée en comité pavillonnaire, lequel formule aussi sa propre recommandation, à savoir si le comité est d’accord ou non avec les mesures recommandées. Dans le cas des deux escortes qui ont fait l’objet de refus de travailler, les deux PSAE (Pièces A-14 et A-15) indiquent qu’il y aura une escorte avec deux (2) officiers, où les AC ont avec eux du gaz et où le détenu est menotté et enchaîné. L’escorte est non armée.

[341] Lors des refus de travailler, un rapport (Pièce A-13) fut préparé par la représentante de l’employeur madame E.B., co-présidente du comité local de santé et de sécurité. Ce rapport reflète adéquatement la position de l’employeur dans les présents dossiers. En vertu de ce rapport :

o Le détenu est connu pour son implication antérieure au sein d’une organisation criminelle.

o La cote de sécurité du détenu demeure de niveau minimal. Par conséquent, l’EMR recommande de procéder à des escortes médicales non armées.

o Les trois critères de risque sont cotés faibles. Ainsi, la cote de sécurité du détenu a été réévaluée et elle demeure minimale.

o La gestion est d’avis qu’il n’y a pas de motifs raisonnables de refuser parce que le risque avait été évalué par l’équipe de gestion de cas et l’ARS. De plus, le Bulletin de Sécurité 2006-5 précisait que lorsque le détenu possède une cote de sécurité minimale, on utilise les chaînes et les menottes.

[342] Il découle clairement du rapport ci-dessus, des témoignages des représentants de l’employeur, des Directives du Commissaire soumises de même que du Bulletin de sécurité 2006-05, que la cote de sécurité du détenu est un facteur dominant dans la recommandation visant les mesures de sécurité et de contrainte. Si le détenu possède une cote de sécurité minimale, il importe peu qu’une menace non détectée provenant de l’extérieur existe, la recommandation sera toujours de ne pas armer l’escorte, tel que l’a souligné Me Mancini à plusieurs reprises. En fait, monsieur G.F., ARS et membre du comité pavillonnaire qui a recommandé que toutes les escortes médicales pour les détenus possédant une coté de sécurité minimale se fassent non armées, était d’accord avec cette recommandation. Le tribunal note que cette recommandation est faite en l’absence d’une analyse de risques des escortes de sécurité ou humanitaires exécutées en vertu du Code. À mon avis, une telle recommandation a pour effet de banaliser toute menace venant de l’extérieur, surtout dans ce cas-ci où la menace est omniprésente suite à l’existence du contrat sur la tête du détenu. De plus, et comme l’a souligné monsieur P.G., les trois critères d’EMR ne tiennent pas compte de la menace qui vient de l’extérieur, alors que le motif des refus ne concerne pas le détenu mais la possibilité plausible d’une attaque provenant de l’extérieur.

[343] Le directeur a toujours la possibilité de recommander que l’escorte soit armée après avoir consulté, entre autres, l’ALC ou les ARS, des professionnels de la sécurité selon madame C.A. Dans ce cas-ci, le directeur a maintenu la recommandation de ne pas armer l’escorte sur la base de la cote de sécurité minimale du détenu. De plus, les professionnels que consulte le directeur ont des positions contradictoires sur la dangerosité que représente le détenu. En effet, l’ARS, monsieur G.F., a une position officielle qui est basée sur la cote de sécurité minimale du détenu et une position personnelle à l’effet que le contrat de mort existe et qu’il est toujours d’actualité, une affirmation absente des documents remis aux AC en préparation de l’escorte. L’ALC a aussi une position officielle, telle qu’elle l’a soumise lors de son témoignage. Officiellement, elle se conforme aux directives du Commissaire qui prévoient une EMR basée principalement sur le détenu et faite par des professionnels. Même si elle a déclaré consulter les gens du programme P pour toute sortie, elle a confirmé qu’en fin de compte, la décision de ne pas armer l’escorte est fondée sur la cote de sécurité minimale du détenu. Toutefois, sa position personnelle face aux escortes de sécurité est que celles-ci devraient toutes être armées parce qu’il est dangereux de faire de telles escortes. Monsieur S.H., aussi ARS, a affirmé qu’on devra changer l’identité du détenu à sa sortie de l’établissement parce que sa vie est en danger en dehors de l’établissement. Toutefois, monsieur S.H. était le Surveillant correctionnel en charge lors des refus de messieurs J.T. et P.G. et, nonobstant cette affirmation, il a appliqué les mêmes directives du Commissaire sans égard à la menace existante ou éventuelle provenant de l’extérieur.

[344] Il est évident que la recommandation des ARS et de l’ALC est biaisée en faveur d’une conformité stricte avec les directives du Commissaires qui sont issues uniquement de la Loi sur le service correctionnel et non du Code.

[345] Pour que le directeur change d’opinion, il lui faudrait une information ponctuelle à l’effet que la sécurité des AC est menacée. Me Perron soutient que les appelants n’ont pas apporté une preuve probante qu’il y avait une information ou une tentative réelle de réaliser une vengeance ou que le contrat allait se concrétiser lors de l’escorte ou un peu après. D’ailleurs, madame C.A. a expliqué que lors de la sortie humanitaire du détenu,

"…si on avait eu de l’information à savoir, là, qu’il aurait pu y avoir quelque risque que ce soit, ben c’est désolé mais on l’aurait pas sorti [66] "

[346] Toutefois, comme l’a souligné Me Mancini, aucun avis ne leur sera signifié à l’effet que le contrat va être exécuté. Il est peut-être possible d’obtenir de telles informations pour une escorte exécutée à l’intérieur de l’institution où le département de sécurité préventive est au fait des menaces. Il est moins évident d’obtenir ces informations de l’extérieur. Comme je l’ai expliqué ci-dessus, il n’est pas nécessaire d’avoir une preuve que la menace provenant de l’extérieur va se concrétiser durant l’escorte pour que le danger, tel que défini au Code, existe.

[347] Lorsque l’agent contrôleur du détenu, qui connaît bien la situation, vient le chercher pour une sortie, il est armé. En fait, non seulement le policier est-il armé, mais l’identité du détenu est changée. Les policiers qui doivent venir chercher le détenu, pour le questionner ou pour tout autre motif, sont aussi armés même si on leur remet toute l’information pertinente. Il en est aussi de même des agents des services correctionnels du Québec qui peuvent avoir à transporter le détenu au Palais de Justice. Si le détenu a fait un séjour dans un pénitencier fédéral dans les cinq dernières années, comme dans le cas présent, ou si le détenu a des antécédents de violence durant cette même période, ils sont armés. En fait, ils sont non seulement armés, mais des mesures particulières sont prises, comme on l’a vu ci-dessus, dans le cas de détenus notoires. À mon avis, cette façon d’exécuter l’escorte du détenu se rapproche plus de ce qui est normal et sécuritaire en vertu du Code que le processus d’EMR mis en place par le SCC.

[348] En l’absence d’information de sécurité ponctuelle, le directeur de l’établissement est sujet à l’application de la Directive 566-6 (Escortes de sécurité). Or, le paragraphe 12 de cette directive prévoit que le directeur de l’établissement doit déterminer les mesures de sécurité à appliquer pour effectuer la sortie. Il se lit comme suit :

 

12. Le directeur de l’établissement doit déterminer le niveau de surveillance et le matériel de sécurité (incluant les armes à feu) requis au cours de l’escorte, en se fondant sur une évaluation objective du risque, y compris :

 

a. la cote de sécurité du détenu;

b. la santé physique et mentale du détenu;

c. le comportement et les caractéristiques du détenu;

d. l’objet de la sortie sous escorte, la destination, le mode de transport et la durée du parcours;

e. les renseignements de sécurité

[349] Cette directive se concentre sur le risque que représente le détenu. De plus, la cote de sécurité du détenu est toujours déterminante dans cette évaluation. En fait, dans cette affaire, cette cote de sécurité minimale du détenu détermine presque exclusivement les mesures de sécurité et de contrainte à être appliquées pour protéger les AC du détenu. Elle n’a que très peu d’effet sur les mesures à prendre, incluant l’équipement de protection i.e. l’arme à feu, pour protéger les AC lors d’escortes extérieures contre une éventuelle agression armée. En ce qui concerne les renseignements de sécurité référés à l’item "e." ci-dessus, les ARS et l’ALC ont déjà exprimé leurs positions officielles à ce sujet, des positions comme on l’a vu ci-dessus plutôt contradictoires et biaisées selon le tribunal.

[350] Or, dans cette affaire, selon le tribunal, l’arme à feu est un outil de travail essentiel pour protéger les AC contre toute agression ou situation de crise lors d’escortes à l’extérieur du pénitencier.

[351] Contrairement aux mesures de sécurité et de contrainte recommandées, l’arme à feu est l’équipement de protection susceptible de maximiser la protection de l’AC qui est confronté à une situation de crise exigeant une réaction à une agression armée. Dans un tel cas, les AC, qui sont aussi des agents de la paix, devront réagir avec une force au moins égale sinon supérieure à celle des agresseurs afin de se protéger et protéger le détenu. Dans une telle situation, l’arme à feu est plus que nécessaire, elle est essentielle.

[352] L’utilisation de l’arme à feu par les corps policiers qui doivent escorter le détenu à l’extérieur ou même par le service correctionnel du Québec lors du transport du détenu, confirme au tribunal que l’arme à feu est un outil de travail essentiel à la protection des AC lors d’escortes de sécurité qui peuvent dégénérer. Cet outil de travail, bien qu’il n’élimine pas totalement le risque de blessures, a pour effet de maximiser le niveau de protection des AC et ainsi réduire au minimum le risque de blessures provenant de situations de crise lors d’escortes extérieures.

 

 

 

 

 

 

 

DÉCISION

 

[353] Il a été établi que dans la présente affaire, la menace ne venait pas du détenu mais de l’extérieur. Si cette menace peut raisonnablement se concrétiser, elle pourra porter atteinte à la santé et à la sécurité, voire à la vie des AC avant d’être éliminée. Pour rendre une décision dans cette affaire, j’ai tenu compte, entre autres, des facteurs suivants, à savoir :

· Que le détenu, à titre de tueur à gages, a commis des crimes excessivement violents, qu’il est un cas notoire à cause de sa délation qui a permis de faire incarcérer le chef et d’autres membres d’une organisation criminelle.

· Que la tête du détenu est mise à prix et que ce contrat est toujours d’actualité.

· Que le détenu est repérable, ce qui augmente considérablement la possibilité raisonnable qu’il soit l’objet d’une agression lors de l’escorte extérieure et, par le fait même, que les AC en soient également victimes..

· Que le programme P doit être appliqué au détenu, même après sa libération, parce que sa vie est en danger en dehors de l’établissement et que par conséquent, la sécurité des AC qui l’escortent lors de sorties l’est aussi.

· Que la cote de sécurité minimale du détenu occupe une place prépondérante dans l’EMR et dans la recommandation concernant les mesures de protection, incluant le matériel de sécurité, ce qui a pour effet de banaliser la possibilité raisonnable d’une agression provenant de l’extérieur.

· Qu’on n’a pas tenu compte du Code dans l’EMR.

· Qu’on n’a pas évalué le risque d’une attaque externe même si ce risque était important.

· Que l’EMR est déficiente en ce qu’aucune analyse de risques spécifiques aux escortes extérieures qui vise la protection des AC n’a été effectuée en vertu du Code ni soumise au tribunal.

· Que l’arme à feu est, dans ce cas-ci, un équipement de protection essentiel aux AC afin de réduire au minimum le risque de blessures provenant de situations de crise lors d’escortes extérieures, telle que l’exécution du contrat contre le détenu.

[354] Par conséquent, je suis d’avis qu’en considérant les facteurs décrits ci-dessus, il existait un danger, tel que défini au Code, pour les quatre AC qui ont refusé d’exécuter l’escorte du détenu. Le danger provenait du fait que les facteurs décrits ci-dessus permettent de conclure que l’employeur n’a pas éliminé ni suffisamment réduit le risque existant ou éventuel que représentait la possibilité raisonnable qu’une agression provenant de l’extérieur survienne et cause des blessures aux AC. L’employeur n’a pas non plus raisonnablement agi sur le risque existant ou éventuel que représentait la possibilité raisonnable d’une agression armée provenant de l’extérieur en ne fournissant pas l’équipement de protection, telle l’arme à feu, qui aurait permis aux AC de maximiser leurs chances de faire l’escorte du détenu le plus sécuritairement possible. Les AC étaient donc susceptibles d’être blessés lors de l’escorte non armée du détenu avant que le risque existant ou éventuel décrit ci-dessus ne soit écarté ou éliminé.

[355] À mon avis, ce danger justifiait l’exercice du droit de refuser de travailler par les AC puisque ce danger ne constitue pas une condition normale de leur emploi prévue à l’alinéa 128(2) (b) du Code. Par conséquent, une instruction pour danger devrait normalement être émise en vertu du paragraphe 145(2) ou (2.1) du Code pour protéger les AC en ordonnant à l’employeur de leur fournir une arme à feu lors de l’escorte du détenu à l’extérieur de l’établissement.

[356] Or, le détenu en question n’est plus à l’établissement. Le tribunal n’a pas été informé de l’endroit où se trouve présentement le détenu de sorte que le tribunal ne peut présumer que d’autres AC auront à l’escorter. Toutefois, les quatre AC nommés dans cette affaire n’auront plus à escorter ce détenu en particulier. Une instruction pour protéger ces AC du danger que représente une escorte du détenu ne serait pas utile en l’occurrence.

[357] Toutefois, une instruction à l’effet d’armer les AC chargés d’escorter le détenu, peu importe l’établissement où il se trouverait, serait de mise. Cependant, la preuve soumise ne me permettant pas de savoir avec certitude si le détenu est toujours sous la responsabilité de l’employeur, je ne peux donc pas émettre une instruction formelle en ce sens. Néanmoins, je me permets, et ce basé sur la preuve qui fut soumise dans la présente affaire, de suggérer fortement à l’employeur d’armer les AC chargés d’escorter le détenu advenant que ce dernier soit encore sous sa garde.

 

 

 

 

__________________________________________________

SERGE CADIEUX

Agent d’appel

 



[1] Seules les initiales seront utilisées dans le texte pour protéger lidentité des personnes.

[2] Pièces R-3

[3] Le BAC porte dorénavant le titre Tribunal de santé et de sécurité au travail Canada. Toutefois, pour les besoins de la présente affaire qui date de 2007, je continuerai de faire référence à l’appellation BAC pour référer au Tribunal en tant qu’organisation et à l’appellation plus générale de tribunal en référence à l’agent d’appel qui siège en appel de cette affaire.

[4] 146.2 Dans le cadre de la procédure prévue au paragraphe 146.1(1), l’agent d’appel peut :

(f) abréger ou proroger les délais applicables à l’introduction de la procédure, à l’accomplissement d’un acte, au dépôt d’un document ou à la présentation d’éléments de preuve.

[5] Transcription de l’enregistrement du 1er novembre 2007, p. 209, ligne 18 à p. 215, ligne 23

[6] Transcription de l’enregistrement du 1er novembre 2007, p. 240, lignes 12-20

[7] Document D36, "ANNEXE G, RAPPORT D’ENQUÊTE PRÉLIMINAIRE".

[8] Pièce S-11

[9] Voir Document D4, p. 1 de 2.

[10] Acronyme anglais qui signifie Interim Policy Guideline

[11] Pièce S-9

[12] Pièce S-10

[13] Transcription de l’enregistrement du 1er novembre 2007, p. 87, lignes13-21

[14] Pièce A-8

[15] Transcription de l’enregistrement du 1er novembre 2007, p. 102, lignes 8-15

[16] Il est à noter que monsieur J.T. n’a pas fait référence à ce commentaire lors de son témoignage. Voir ses motifs ci-après sous Témoins pour les employés, Monsieur J.T.

[17] Transcription de l’enregistrement du 1er novembre 2007, p.169, lignes 7-8

[18] Transcription de l’enregistrement du 1er nov. 2007, p.184, lignes 20-25 et p.185, lignes 1-2

 

[19] Vu l’importance démontrée par les parties pour ce dossier, j’ai tenté de relater le plus fidèlement possible, sans toutefois tomber dans l’excès, les témoignages des témoins et les soumissions des parties.

[20] Document A-2

[21] Transcription de l’enregistrement du 2 novembre 2007, p. 59, lignes 3-10

[22] Ci-dessous, monsieur G.R. explique la règle de 72 heures qui s’applique aux escortes armées.

[23] Document A-13, pages 2 et 3

[24] Transcription de l’enregistrement du 2 novembre 2007, p. 80, lignes 24-25 et p.81, lignes 1-3

[25] Documents A-5 à A-8

[26] Documents A-14 pour la sortie du 11 avril 2007, et A-15 pour la sortie du 5 mai 2007. Le sigle utilisé dans le texte pour référer à cette "Permission de sortir avec escorte" est PSAE.

[27] Transcription de l’enregistrement du 2 novembre 2007, p. 159, lignes 22-23

[28] Transcription de l’enregistrement du 2 novembre 2007, p. 164, ligne 4

[29] Pièce A-21 : Entente (intervenue en comité paritaire) entre le gouvernement et le syndicat concernant les sorties extérieures nécessitant une escorte. (Datée du 15 octobre 1998 et modifiée le 25 avril 2000)

[30] Voir aussi témoignage de madame C.A. ci-dessous concernant l’exécution de ce témoin.

[31] Pièce A-14

[32] Pièce R-27

[33] Pièce R-28

[34] Dans le texte, le terme "minimum" est interchangeable avec le terme "minimale"

[35] Pièce R-29

[36] Pièce R-30

[37] Pièce R-31

[38] Pièce R-32

[39] Transcription de l’enregistrement du 15 avril 2008, p. 40, lignes 5-6

[40] Pièce A-14

[41] Pièce R-31

[42] Transcription de l’enregistrement du 15 avril 2008, p. 49, ligne 25 et p.50, ligne 1-4

[43] Évaluation de la menace et du risque

[44] Transcription de l’enregistrement du 15 avril 2008, p. 180, lignes 12-14

[45] Pièce A-33

[46] Pièce A-34

[47] Pièce A-35

[48] Transcription de l’enregistrement du 15 avril 2008, p. 226, lignes 7-8

[49] Pièce A-37

[50] Autrefois, l’agent de correction était identifié selon l’acronyme CX plutôt que AC. Je vais utiliser l’acronyme AC même si monsieur S.H. utilise l’acronyme CX.

[51] Pièce A-39

[52] Pièce A-40

[53] Pièce A-41(A)

[54] Pièce A-41(B)

[55] Pièce A-42(A)

[56] Pièce A-42(B)

[57] Voir ci-dessus la Loi sur le service correctionnel et mise en liberté sous condition.

[58] Il est important de distinguer le commentaire du Juge Lagacé sur la vision restrictive de l’employeur et la règle à l’effet que l’on doit adopter une interprétation restrictive de l’alinéa 128(2)(b). Ce sont deux concepts entièrement différents.

[59] 147.1 (1) À l’issue des processus d’enquête et d’appel prévus aux articles 128 et 129, l’employeur peut prendre des mesures disciplinaires à l’égard de l’employé qui s’est prévalu des droits prévus à ces articles s’il peut prouver que celui-ci a délibérément exercé ces droits de façon abusive.

 

[60] Comme nous le verrons ci-après, l’évaluation de la menace et du risque est déficiente en ce qui concerne la protection des AC.

[61] Voir Document D4, p. 1 de 2. Voir aussi Sommaire de l’enquête de l’ASS ci-dessus.

[62] Voir Document D4, p. 1 de 2.

[63] Transcription de l’enregistrement du 2 novembre 2007, page 180, lignes 13-21

[64] Transcription de l’enregistrement du 2 novembre 2007, p. 164, ligne 4

[65] Transcription de l’enregistrement du 1er novembre 2007, p.167, lignes 15-22

[66] Transcription de l’enregistrement du 1er mai 2008, p. 128, lignes 2-5

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