Tribunal de santé et sécurité au travail Canada

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CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II

SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

 

 

 

 

Société de Terminus Cast

demandeur

 

et

 

Association internationale des débardeurs, section locale 1657

défendeur

 

___________________

Décision no 06-020

Le 30 juin 2006

 

 

 

Cette affaire a été entendue par Katia Néron, agent d’appel, le 10 mai 2006, à Montréal (Québec).

 

 

Ont témoigné

 

Pour le demandeur

Maître Philippe Vachon, avocat

Pour le défendeur

Edward Doyle, agent syndical de santé et sécurité, Association Internationale des débardeurs, section locale 1657

 

Agent de santé et de sécurité

France Racicot, Ressources humaines et Développement social Canada, programme du Travail, Montréal (Québec)

 

 

[1] Le 1er mars 2004, la Société de Terminus Cast (Cast) a fait appel, en vertu du paragraphe 146(1) de la partie II du Code canadien du travail (le Code), de l’instruction émise verbalement le 3 février 2004 et confirmée par écrit le 6 février 2004 par l’agent de santé et de sécurité (ASS) France Racicot. L’agent Racicot a donné cette instruction à la suite de son enquête sur le décès accidentel de Pascal Santamaria, camionneur employé par Transport Rollex Ltée.

 

[2] Dans cette affaire, le représentant de Cast, Me Philippe C. Vachon, demande que l’instruction de l’ASS Racicot soit annulée parce que le libellé en est vague et ambigu et que l’agent n’a pas suivi le processus prévu au paragraphe 145(3) et à l’alinéa 145(1.1)a) du Code.

 

[3] Je retiens ce qui suit du rapport d’enquête de l’ASS Racicot, daté du 29 octobre 2004, ainsi que de son témoignage à l’audience.

 

[4] Pascal Santamaria avait été autorisé, le 2 février 2004, à entrer dans le terminal de Cast situé à la section 74 nord du Port de Montréal afin qu’il y rapporte un conteneur vide. Pour ce faire, P. Santamaria devait d’abord faire inspecter le conteneur par un inspecteur [1] de Cast.

 

[5] Cast avait, au début de l’année 2003, temporairement aménagé à la section 74 nord l’aire d’attente pour les camions remorques rapportant les conteneurs ainsi que l’aire d’inspection et de vérification des conteneurs.

 

[6] Ces deux aires comprenait chacune cinq voies de circulation parallèles et délimitées par des lignes jaunes tracées sur le sol. Ces voies étaient séparées en deux sections placées l’une derrière l’autre. La section arrière servait d’aire d’attente alors que celle du devant servait à la vérification et à l’inspection des conteneurs.

 

[7] Pour indiquer aux camionneurs qui avançaient dans l’aire d’attente où arrêter et pour délimiter les deux aires, des panneaux d’arrêt avaient été installés à l’avant de l’aire d’attente. On pouvait ainsi retrouver en même temps cinq camions remorques alignés les uns à côté des autres et attendant derrière cinq autres camions remorques sur lesquels les conteneurs vides rapportés étaient inspectés. L’inspection d’un conteneur ne nécessitant pas plus que quelques minutes, la circulation des camions remorques dans les deux aires était constante.

 

  • [8] Lors de leur aménagement, un espace d’environ 20 pieds avait été prévu entre les deux aires pour permettre aux inspecteurs et aux vérificateurs [2] de Cast d’accéder par l’arrière des remorques aux conteneurs qu’ils devaient inspecter. Des cônes orange avaient été ajoutés, en plus des panneaux d’arrêt, pour indiquer aux camionneurs en attente la ligne d’arrêt à ne pas franchir.Les inspecteurs de Cast devaient, tout en faisant l’inspection des conteneurs, placer un cône orange devant chaque camion en attente, l’enlever une fois la voie libre et indiquer au camionneur en attente d’avancer, puis replacer le cône devant l’autre camion en attente.

 

[9] Dans son rapport d’enquête, l’ASS Racicot a indiqué qu’il était cependant toléré et fréquent que les camionneurs ainsi que les inspecteurs et les vérificateurs de Cast circulent librement à pied entre les camions qui se déplaçaient dans les voies aménagées pour eux dans l’aire de vérification et d’inspection des conteneurs. Elle a également indiqué qu’il n’y avait pas de signaleur attitré pour diriger la circulation des camions et des piétons lorsque les camions se mettaient en mouvement dans cette aire.

 

[10] L’ASS Racicot a précisé qu’elle a mesuré la largeur des voies #4 et #5 dans l’aire de vérification et d’inspection et que chacune avait une largeur d’environ 12 pieds. Par ailleurs, un camion remorque mesure généralement 8 pieds de large. Bien qu’on ait pu en déduire que cela pouvait laisser un espace d’environ 48 pouces de large pour circuler à pied entre les camions occupant ces voies, l’ASS Racicot a indiqué qu’elle avait mesuré que cet espace était en réalité de 45 pouces de large au moment de l’accident. En fait, dépendamment de la position prise par les camions pour se stationner, l’ASS Racicot a spécifié que la largeur de l’espace libre pour se déplacer à pied entre les camions dans l’aire de vérification et d’inspection pouvait varier.

 

[11] C’est ainsi que lors de l’accident survenu le 2 février 2004, Pascal Santamaria a engagé son camion remorque dans la voie #5 de l’aire d’attente pour y rapporter un conteneur vide. Quelques minutes plus tard, on lui a fait signe qu’il pouvait avancer son camion dans la zone d’inspection et de vérification. Une fois rendu dans la zone, il a fermé le moteur, est sorti de son camion et s’est rendu au bureau de facturation de Cast pour recevoir son récépissé de transbordement.

 

  • [12] En revenant, P. Santamaria a longé son camion du côté passager, puis il est monté sur sa remorque en passant par l’arrière pour ouvrir les portes du conteneur afin que l’inspecteur de Cast puisse l’inspecter.Une fois l’inspection terminée, il a refermé les portes du conteneur.

 

[13] Pendant ce temps, l’inspection du conteneur du camion stationné dans la voie #4 a été effectuée et le chauffeur a eu l’autorisation d’aller porter son conteneur et les indications pour s’y rendre. Il a donc démarré le camion, puis il a regardé dans ses rétroviseurs pour s’assurer que la voie était libre sur les côtés. Il n’a vu personne.

 

[14] Une fraction de seconde plus tard, Pascal Santamaria a sauté en bas de sa remorque du côté conducteur, soit entre sa remorque stationnée dans la voie #5 et celle du camion se trouvant dans la voie #4. Il a perdu l’équilibre en touchant le sol et, en voulant le reprendre, il s’est retourné sur lui-même et s’est retrouvé les pieds devant les roues arrière de la remorque du camion qui était dans la voie #4.

 

[15] Au même moment, le camionneur de la voie #4 a commencé à avancer son camion, entraînant par le fait même le corps de Pascal Santamaria sous les roues arrière droites de sa remorque. Les blessures qu’il a alors subies ont causé sa mort.

 

[16] Tous les faits susmentionnés ont été soumis avant l’audience aux deux parties et celles-ci n’ont présenté aucun élément de preuve pour les contester.

 

[17] Après son enquête préliminaire menée sur les lieux de l’accident le jour même, l’ASS Racicot n’a donné aucune instruction à Cast.

 

[18] Cependant, le lendemain, 3 février 2004, l’ASS Racicot a donné verbalement à Cast, avant de quitter le lieu de travail, une instruction en vertu de l’alinéa 145(2)a) du Code concernant l’existence d’un danger dans l’aire de vérification et d’inspection des conteneurs vides. L’ASS Racicot estimait alors que les employés travaillant dans cette section ainsi les autres personnes qui y étaient admises couraient le risque d’être écrasés par un camion en mouvement. Pour délimiter la zone de danger, l’ASS Racicot a établi un périmètre autour de la zone à l’aide d’un ruban de sécurité.

 

[19] L’ASS Racicot a confirmé son instruction par écrit à Cast le 6 février 2004.

 

  • [20] L’instruction se lit comme suit :

 

DANS L’AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II – SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

 

INSTRUCTION À L’EMPLOYEUR EN VERTU DE L’ALINÉA 145(2)a)

 

Le 3 février 2004, l’agente de santé et sécurité soussignée a procédé à une enquête concernant le décès de M. Pascal Santamaria, voiturier(chauffeur) de Transport Rollex Ltée survenu dans le lieu de travail exploité par Société de Terminus Cast, section 74 Nord, Port de Montréal, employeur assujetti à la partie II du Code canadien du Travail, et sis au 305, rue Curatteau, Montréal, Québec, H1L 6R6, ledit lieu étant parfois connu sous le nom de Cast Terminal, Cast-Racine.

 

Ledit agent de santé et de sécurité estime que la situation en cause constitue un danger à savoir :

 

Que lors de l’inspection et de la vérification des conteneurs vides installés sur des remorques, à la section 74 Nord du Port de Montréal, Société de terminus Cast, (nommé section des conteneurs vides) il y a un risque que les employés ainsi que toutes les personnes ayant accès au site soient écrasés par le déplacement des camions.

 

Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(2)a) de la partie II du Code canadien du Travail, de procéder immédiatement à la prise de mesures afin de corriger la situation.

 

Conformément au paragraphe 145(3) un ruban a été installé afin de déterminer le périmètre de sécurité et ne peut être enlevé sans l’autorisation de l’agente soussignée. Étant donné la dimension du périmètre de sécurité le ruban agit comme avis.

 

[21] Dans son rapport d’enquête, l’ASS Racicot a indiqué qu’en juillet 2004, Cast a définitivement cessé toute opération de manutention des conteneurs vides à la section 74 nord. Cast a toutefois transféré ces activités dans une autre section du Port de Montréal.

 

[22] Je retiens ce qui suit de l’argumentation finale présentée à l’audience par Me Vachon au nom de l’employeur.

 

[23] Pour établir la façon dont les agents de santé et de sécurité doivent procéder lorsqu’ils réagissent aux situations de non-conformité au Code, MVachon a souligné qu’en janvier 2004, la direction générale du Travail, direction des Opérations, du ministère des Ressources humaines et Développement social Canada (RHDSC), appelé à l’époque Ressources humaines Canada, avait en place une directive interne sur les procédures opérationnelles (DPO) intitulée « DPO 700-5, Réaction à la non-conformité au Code canadien du travail (partie II) ». Me Vachon a indiqué que cette directive était accessible au public en 2004 sur le site internet de RHDSC et qu’elle l’était toujours au moment de l’audience.

 

[24] Me Vachon a cité les exemples donnés à l’annexe D de la DPO 700-5 pour décrire la façon dont doit être rédigée, d’une part, en vertu de l’alinéa 145(2)a) du Code, une instruction concernant un danger sans qu’il y ait interdiction d’utiliser le lieu en cause, et, d’autre part, une instruction sur un danger assortie d’une interdiction d’utiliser le lieu en cause émise en vertu des alinéas 145(2)a) et b) du Code.

 

[25] Je retiens ce qui suit de ce qui est écrit au début de l’annexe D :

 

Formulation juridique des instructions

 

Une instruction qui contiendrait des renseignements incomplets ou erronés peut fort bien être contestée par un employeur, un employé ou un syndicat et être annulée pour vice de forme, peu importe qu’elle ait été ou non justifiée par la situation et émise de bonne foi.

 

De plus, compte tenu que beaucoup de nos employeurs ont des lieux de travail un peu partout au pays, il est important que nos instructions, et leur lettre d’accompagnement, soient uniformes sur les plans de la forme, du style et du contenu.

 

Voilà pourquoi les modèles d’instruction fournis ont été élaborés de sorte à

inclure tous les renseignements nécessaires sur le plan juridique […]

 

Pour assurer l’uniformité et la conformité des instructions sur le plan juridique, il est primordial que les agents de santé et de sécurité utilisent ces modèles pour émettre des instructions sous la partie II.

 

[26] Me Vachon a soutenu que comme l’instruction de l’ASS Racicot ne précisait pas la situation ou la condition devant être corrigée tel qu’énoncé dans les modèles de la DPO 700-5, cette instruction ne respectait pas les lignes directrices de RHDSC.

 

[27] Me Vachon a également soutenu que, tel que l’indique Wayne Smith, spécialiste en santé, sécurité et environnement pour Cast, dans la lettre datée du 19 avril 2004 que Me Vachon a soumise pour les fins de l’audience, sans cette précision sur la situation ou la condition à corriger, il était difficile voire impossible pour Cast d’identifier les mesures correctives devant être prises pour répondre à l’instruction et s’y conformer.

 

[28] Me Vachon a aussi souligné qu’une instruction donnée en vertu du Code constitue un avis légal qui peut mener à des procédures pénales en vertu du Code, voire à des poursuites aux termes du Code Criminel, s’il est démontré que la personne ou l’employeur qui l’a reçue ne s’y est pas conformé. C’est pourquoi tout employeur ou toute personne qui reçoit un tel avis est en droit de s’attendre qu’il lui permette d’identifier clairement quel résultat il doit atteindre pour s’y conformer.

 

[29] Pour soutenir ces arguments, Me Vachon a cité des extraits des paragraphes 123 et 126 de l’arrêt Apotex Inc. c. Canada (Procureur général) [3] , qui se lisent comme suit :

 

[123] Les droits sous-tendant la théorie de l'expectative légitime se rapportent à l'application non discriminatoire, au sein de l'administration publique, des normes procédurales établies par la pratique passée ou par des lignes directrices publiées, et à la protection de l'individu contre l'abus de pouvoir résultant de la violation d'un engagement. […]

 

[126] Par conséquent, en l’absence d’arrêts contraires faisant autorité, je conclus que la théorie de l’expectative légitime s’applique en principe aux pouvoirs législatifs délégués de façon à créer des droits de participation dans des circonstances aucun droit de ce genre n’aurait par ailleurs pris naissance, à condition que le fait de respecter l’expectative ne viole pas certaines autres obligations légales ou ne retarde pas indûment la prise de règlements à l’égard desquels l’existence d’un besoin urgent est démontrée […]

 

  • [30] Me Vachon a de plus cité le paragraphe 13 de l’arrêt Association des employeurs maritimes c. Harvey et al. [4] qui énonce certains principes quant à la précision que doit avoir le libellé d’une instruction émise en vertu du paragraphe 145(2) du Code.Le paragraphe se lit comme suit :

[13] Même si la Loi ne le dit pas expressément, il est clair que les instructions données en vertu du paragraphe 145(2) doivent être assez précises pour permettre de déterminer si l’employeur s’y est conformé. Pour avoir la précision requise, il n’est cependant pas nécessaire que ces instructions spécifient les moyens que l’employeur doit prendre pour parer au danger que couraient ses employés; il suffit qu’elles précisent le résultat que l’employeur doit atteindre en identifiant clairement le danger que courent les employés et en imposant à l’employeur l’obligation de prendre les mesures nécessaires pour y parer. En effet, s’il peut être facile, en certains cas, de préciser ce que l’employeur doit faire pour remédier à un danger, cela peut être, en d’autres cas, difficile ou même impossible. Il peut exister une multitude de moyens permettant d’arriver au résultat désiré; ou, encore, il peut être impossible à une personne qui ne possède pas de connaissances scientifiques spécialisées, de savoir comment arriver à ce résultat. Il est normal, dans ces circonstances, qu’on laisse à l’employeur le choix des moyens à prendre pour atteindre le but qu’on lui assigne.

 

[31] Me Vachon a également soutenu que, comme l’ASS Racicot n’a apposé aucun avis écrit et signé par elle sur le lieu jugé dangereux, l’agent n’a pas, par le fait même, formulé son instruction conformément au paragraphe 145(3) du Code.

 

[32] Le paragraphe 145(3) se lit comme suit:

145(3) L’agent qui formule des instructions au titre de l’alinéa (2)a) appose ou fait apposer dans le lieu, sur la machine ou sur la chose en cause, ou à proximité de ceux-ci ou à l’endroit où s’accomplit la tâche visée, un avis en la forme et la teneur que le ministre peut préciser. Il est interdit d’enlever l’avis sans l’autorisation de l’agent.

 

[33] Me Vachon a en outre ajouté que l’ASS Racicot n’a pas émis son instruction conformément à l’alinéa 145(1.1)a) du Code puisqu’elle n’a pas confirmé par écrit, avant de quitter le lieu de travail ce jour-là, l’instruction verbale qu’elle a donnée le 3 février 2004. Cet alinéa se lit comme suit :

 

145(1.1) Il confirme par écrit toute instruction verbale :

 

  • a) avant de quitter le lieu de travail si l’instruction y a été donnée;

 

[34] Pour toutes ces raisons, Me Vachon a argué que l’instruction donnée par l’ASS Racicot devait être jugée invalide et annulée.

 

[35] Pour sa part, Edward Doyle, agent syndical de santé et sécurité de la section locale 1657 de l’Association internationale des débardeurs, n’a formulé aucun argument ni soumis de position à l’encontre de la position soutenue par Me Vachon au nom de l’employeur.

 

*************

 

[36] Deux questions sont à trancher dans cette affaire, soit :

 

  • 1) l’instruction est-elle vague et ambiguë ?

 

  • 2) l’ASS Racicot a-t-elle respecté le processus prévu au paragraphe 145(3) et à l’alinéa 145(1.1)a) du Code ?

 

[37] Pour répondre à ces questions, je dois tenir compte de la jurisprudence citée, de la législation pertinente ainsi que des faits entourant cette affaire.

 

[38] Tel que m’y autorisent les alinéas 146.1(1)a) et b) du Code, après enquête sur les circonstances ayant donné lieu à l’instruction, je peux décider soit de l’annuler, soit de la modifier ou d’en émettre une nouvelle aux termes des paragraphes 145(2) ou (2.1) du Code.

 

[39] Les alinéas 146.1(1)a) et b) du Code se lisent comme suit:

 

146.1(1) Saisi d’un appel formé en vertu du paragraphe 129(7) ou de l’article 146, l’agent d’appel mène sans délai une enquête sommaire sur les circonstances ayant donné lieu à la décision ou aux instructions, selon le cas, et sur la justification de celles-ci. Il peut:

 

a) soit modifier, annuler ou confirmer la décision ou les instructions;

b) soit donner, dans le cadre des paragraphes 145(2) ou (2.1), les instructions qu’il juge indiquées.

 

[c’est moi qui souligne]

 

[40] Pour répondre à la première question, à savoir si l’instruction est vague et ambiguë, je suis d’avis que l’arrêt Apotex Inc. c. Canada (Procureur général) [5] ne m’est pas vraiment utile pour identifier les raisons à l’appui desquelles je peux décider si l’instruction de l’ASS Racicot est suffisamment précise au sens du Code.

 

[41] Par contre, je considère que les principes énoncés par le juge Pratte dans l’arrêt Association des employeurs maritimes c. Harvey et al. [6] sont extrêmement pertinents pour établir le degré de précision que l’on doit retrouver dans les instructions données en vertu du paragraphe 145(2) du Code.

 

[42] En effet, selon le juge Pratte, « les instructions données en vertu du paragraphe 145(2) doivent être suffisamment précises pour permettre de déterminer si l’employeur s’y est conformé. Pour avoir la précision requise, il n’est cependant pas nécessaire que ces instructions spécifient les moyens que l’employeur doit prendre pour parer au danger … il suffit qu’elles précisent le résultat à atteindre en identifiant clairement le danger... »

 

[43] Par ailleurs, pour bien identifier le danger, il ne suffit pas que l’on retrouve uniquement une mention du risque dans le libellé de l’instruction. Il faut également qu’y soit décrite, tel qu’énoncé au paragraphe 145(2) du Code, la situation existant dans le lieu, ou la machine ou chose utilisée dans le lieu, ou la tâche accomplie dans le lieu, qui, selon l’agent, occasionne le risque. Cela permet à l’agent non seulement de spécifier quel est le danger existant dans le lieu, mais également d’identifier le résultat auquel il s’attend.

 

[44] L’alinéa 145(2)a) du Code se lit comme suit:

 

145(2) S’il estime que l’utilisation d’une machine ou chose, une situation existant dans un lieu de travail ou l’accomplissement d’une tâche constitue un danger pour un employé au travail, l’agent:

 

a) en avertit l’employeur et lui enjoint, par instruction écrite, de procéder immédiatement ou dans un délai qu’il précise, à la prise de mesures propres:

(i) soit à écarter le risque, à corriger la situation ou à modifier la tâche,

(ii) soit à protéger les personnes contre ce danger [.]

 

[45] À cet égard, l’instruction de l’ASS Racicot ne précise pas, comme le demande le paragraphe 145(2) du Code, la condition existant dans le lieu et devant être corrigée. De ce fait, l’instruction n’identifie pas le danger existant dans le lieu de travail. Cette imprécision dans le libellé de l’instruction a également pour conséquence que l’employeur ne peut pas savoir quel est le résultat attendu par l’agent pour qu’il n’y ait pas de risque d’écrasement.

 

[46] Pour ces raisons, je conclus que l’instruction de l’ASS Racicot n’est pas suffisamment précise au sens du Code et qu’elle est, par conséquent, vague et ambiguë.

 

[47] Compte tenu des faits recueillis par l’ASS Racicot au sujet de l’accident et des dispositions prévues à l’alinéa 145(2)a) du Code, j’aurais plutôt formulé l’instruction de la façon suivante :

 

Ladite agente de santé et de sécurité estime que, dans les voies de circulation réservées aux camions dans l’aire de vérification et d’inspection des conteneurs vides de la section 74 nord, la situation suivante constitue un danger pour un employé au travail, à savoir :

 

Aucun moyen de contrôle n’est mis en place pour s’assurer que personne ne se trouve dans les voies ou à proximité lorsque les camions remorques se mettent en mouvement dans l’une ou l’autre des voies, ce qui occasionne un risque d’être frappé ou écrasé par un camion pour les employés, pour les camionneurs ou pour toute autre personne admise dans l’aire de travail et, par conséquent, causer des blessures à ces personnes.

Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(2)a) de la partie II du Code canadien du travail, de procéder immédiatement à la protection des personnes contre ce danger.

 

[48] Par ailleurs, je suis aussi d’avis que l’ASS Racicot n’a pas respecté la procédure prévue au paragraphe 145(3) et à l’alinéa 145(1.1)a) du Code.

[49] En effet, l’ASS Racicot a donné une instruction concernant la présence d’un danger aux termes de l’alinéa 145(2)a), mais il est clair qu’elle aurait dû apposer ou faire apposer un avis de danger dans le lieu ou à proximité de celui-ci, conformément au paragraphe 145(3) du Code. En outre, je considère que l’ASS Racicot ne pouvait pas utiliser le ruban délimitant le périmètre de sécurité pour signifier l’avis de danger.

 

[50] Je suis persuadée aussi que, comme le stipule l’alinéa 145(1.1)a) du Code, l’ASS Racicot aurait dû, avant de quitter le lieu de travail, confirmer par écrit l’instruction qu’elle y avait donnée verbalement.

 

[51] De plus, je suis d’avis que l’instruction aurait dû être donnée aux termes des alinéas 145(2)a) et b) du Code et non pas uniquement en vertu de l’alinéa 145(2)a). En procédant ainsi, l’agent aurait interdit, conformément au Code, l’utilisation du lieu jusqu’à ce que l’instruction ait été exécutée.

 

[52] L’alinéa 145(2)b) du Code se lit comme suit:

 

145(2) S’il estime que l’utilisation d’une machine ou chose, une situation existant dans un lieu de travail ou l’accomplissement d’une tâche constitue un danger pour un employé au travail, l’agent :

[…]

b) peut en outre, s’il estime qu’il est impossible dans l’immédiat de prendre les mesures prévues à l’alinéa a), interdire, par instruction écrite donnée à l’employeur, l’utilisation du lieu, de la machine ou de la chose ou l’accomplissement de la tâche en cause jusqu’à ce que ses instructions aient été exécutées, le présent alinéa n’ayant toutefois pas pour effet d’empêcher toute mesure nécessaire à la mise en œuvre des instructions.

 

[53] En fait, je considère que, le 2 février 2004, vu les circonstances du décès de Pascal Santamaria et l’urgence de prendre les mesures pour éviter qu’un accident similaire ne se reproduise, l’ASS Racicot aurait pu, si elle n’avait pas fini de recueillir ce jour-là tous les éléments lui permettant d’identifier par écrit la condition devant être corrigée parce qu’elle créait le danger, simplement rappeler verbalement à Cast l’obligation qui lui incombait sous le paragraphe 127(1) du Code de ne pas déranger l’endroit avant qu’elle ait terminé son enquête.

 

[54] Le paragraphe 127(1) du Code se lit comme suit:

 

127(1) Dans le cas un employé est tué ou grièvement blessé dans son lieu de travail, il est interdit à quiconque, sans l’autorisation de l’agent de santé et de sécurité, de toucher aux débris ou objets se rapportant à l’évènement, notamment en les déplaçant, sauf dans la mesure nécessaire pour :

 

a) procéder à des opérations de sauvetage ou de secours ou prévenir les blessures sur les lieux ou dans le voisinage;

b) maintenir un service public essentiel;

c) empêcher que des biens ne soient détruits ou subissent des dommages inutiles.

 

[55] Pour toutes les raisons susmentionnées et puisque l’aire de vérification et d’inspection des conteneurs vides de la section 74 nord est aujourd’hui fermée et que je n’ai reçu aucune information sur le nouveau lieu de travail aménagé à cette fin par Cast au Port de Montréal ni sur les procédures de travail qui y sont dorénavant appliquées, j’annule l’instruction émise pas l’ASS Racicot à l’employeur sans lui en donner une autre.

 

  • [56] Je demande cependant à l’ASS Racicot ou à tout autre agent de santé et de sécurité de s’assurer que la Société de Terminus Cast a pris les mesures appropriées afin que personne ne se trouve à proximité de camions en mouvement dans les voies de circulation réservées aux camions, de façon à protéger tout employé, camionneur ou autre personne admise dans l’aire de vérification et d’inspection des conteneurs contre le risque d’être frappé ou écrasé par un camion.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

______________________

Katia Néron

Agent d’appel

 


 

RÉSUMÉ DE LA DÉCISION DE L’AGENT D’APPEL

 

 

Décision n: 06-020

 

Demandeur : Société de Terminus Cast

 

Défendeur : Association internationale des débardeurs, section locale1657

 

 

Dispositions :

Code canadien du travail : 145(2)a), 145(1.1)a), 145(3) et 146(1)

 

Mots clé : Danger, personne à proximité de camions en mouvement, instruction non formulée par écrit avant de quitter le lieu, libellé de l’instruction vague et ambigu, avis de danger non apposé

 

 

Résumé :

Suite à son enquête préliminaire sur le décès accidentel d’un camionneur admis dans le lieu de travail de l’employeur, l’agent de santé et de sécurité a émis verbalement à l’employeur une instruction d’avis de danger sous l’alinéa 145(2)a) du Code canadien du travail. L’agent de santé et de sécurité n’a pas confirmé cette instruction par écrit avant de quitter le lieu tel que demandé à l’alinéa 145(1.1)a) du Code canadien du travail. L’agent a toutefois confirmé par écrit son instruction trois jours plus tard.

 

Dans le libellé de l’instruction, l’agent de santé et de sécurité a indiqué qu’elle demandait de procéder immédiatement à la prise de mesures pour corriger le risque d’écrasement par le déplacement des camions pour les employés ainsi que pour toutes les personnes ayant accès dans le lieu. L’agent n’a toutefois pas précisé dans son instruction la situation existant dans le lieu qu’elle estimait comme constituant le danger. L’agent n’a également pas apposé ou fait apposé un avis de danger sur le lieu ou près de celui-ci conformément au paragraphe 145(3) du Code canadien du travail.

 

L’agent d’appel a annulé l’instruction sans en émettre d’autre à l’employeur.

 



[1] L’inspecteur est chargé de vérifier l’état des conteneurs vides rapportés selon des critères établis par Cast.

[2] Lorsque l’inspecteur a terminé son inspection, le vérificateur inscrit un code sur le côté du conteneur, pour identifier la section de l’aire d’entreposage le camionneur doit se rendre pour rapporter le conteneur. Le vérificateur doit également signer la facture dudit camionneur. Il doit enfin communiquer par radio avec le responsable de la section de l’aire d’entreposage afin de l’aviser de l’arrivée du camion remorque ramenant le conteneur.

[3] Apotex Inc. c. Le procureur général du Canada, le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social, Merck & Co., Inc. et Merck Frosst Canada Inc. (C.A.), [2000] 4 C.F. 264, A-922-96, 12 mai 2000.

[4] Association des employeurs maritimes c. Harvey et al., C. F., A-553-90, 22 avril 1991.

[5] Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), supra.

[6] Association des employeurs maritimes c. Harvey et al., supra.

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