Tribunal de santé et sécurité au travail Canada

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Human Resources Développement des

Development Canada ressources humaines Canada

 

Canada Appeals Office on Occupational Health and Safety · Bureau d’appel canadien en santé et sécurité au travail

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CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II

SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

 

François Jeanson

demandeur

 

et

 

Service correctionnel du Canada

employeur

 

et

 

Mario Thibault

agent de santé et de sécurité

Décision n° 01‑023

Le 11 octobre 2001

 

 

Affaire entendue par Michèle Beauchamp, agent d’appel, à Cowansville (Québec), le 1er juin 2001.

 

Ont comparu

 

Pour le demandeur :

 

François Jeanson, agent de programme

Robert Guimond, conseiller syndical, Confédération des syndicats nationaux (CSN)

Jean-Yves Cyr, président, section locale, UCCO-SACC, CSN

 

Pour l’employeur :

 

Roger Quesnel, directeur adjoint, Services de gestion, Service correctionnel du Canada

Serge Doyon, conseiller senior

  • [1] Le présent appel, interjeté en vertu du paragraphe 129(7) de la partie II du Code canadien du travail (le Code) par François Jeanson, agent de programme de l’Établissement de Cowansville (Québec), Service correctionnel du Canada (SCC), vise la décision d'absence de danger rendue le 30 novembre 2000 par Mario Thibault, agent de santé et de sécurité, Programme du travail, Développement des ressources humaines Canada.

  • [2] François Jeanson a fait, le 14 novembre 2000, en vertu du paragraphe 128(1) de la partie II du Code canadien du travail, un refus de travail libellé comme suit :

 

 

J’ai refusé d’accomplir l’escorte sécuritaire non armée car je jugeais qu’il aurait pu être dangereux pour ma sécurité et celle de mon confrère de se rendre à la destination demandée ; soit le Centre de Radiologie de Granby. J’ai pris en considération la présence de 03 débits d’alcool (dont 01 bar de danseuses nues) entourant la clinique et de leurs liens possibles avec les groupes criminalisés ; faits largement rapportés dans les médias locaux. J’ai également considéré le fait que la clinique est située dans un sous-sol avec peu et/ou pas d’issue de secours, qu’elle est située dans un quartier potentiellement criminogène de Granby (présence d’un bureau du S.C.C. à proximité, maisons de transition, points de vente de drogue identifiés par les policiers dans ce secteur de la ville), d’où une présence possible de délinquants et de délinquance. Je termine en mentionnant que je considère qu’il aurait été essentiel d’être armé pour faire cette escorte, tant pour notre protection que celle du détenu.

 

  • [3] François Jeanson devait accomplir cette escorte non armée dans l’après-midi du 14 novembre, en compagnie d’un autre agent correctionnel, Éric Guillemette.Monsieur Guillemette a également refusé de travailler ce jour-là, pour les mêmes motifs que M. Jeanson*.

  • [4] Dans son rapport d’enquête envoyé aux parties, l’agent de santé et de sécurité Thibaut indique qu’on l’a informé du refus de travailler de M. Jeanson le même jour, vers 14h30.Il a été convenu, en conférence téléphonique tenue avec les parties à ce moment-là, qu’il ferait enquête à l’Établissement de Cowansville le lendemain matin.L’agent note également que Roger Quesnel, Directeur adjoint, Services de gestion, l’a informé dans l’après-midi du 14 novembre que le surveillant correctionnel Stephan Felx avait annulé l’escorte que devaient faire les agents Jeanson et Guillemette.

  • [5] L’agent de santé et de sécurité Thibault a déclaré qu’il savait qu’une autre escorte pour le même détenu et le même endroit était prévue le 15 novembre, avec des agents correctionnels différents.Partout au pays à l’exception du Québec, a-t-il dit, la politique du SCC est depuis nombre d’années de ne pas armer les agents escortant des détenus, sauf si nécessaire.Au Québec, cette politique s’applique depuis janvier 2000.

  • [6] L’agent de santé et de sécurité Thibault a expliqué qu’un agent qui enquête sur un refus de travailler doit s’assurer de l’application du Code et n’est pas lié par les politiques d’un employeur.Dans le cas présent, il a cherché à savoir si l’employeur avait analysé la situation, s’il en connaissait les risques et s’il en avait informé les employés.Il a souligné que c’est à l’employeur, non au syndicat, qu’il a demandé une évaluation des risques parce que c’est à l’employeur qu’incombe la responsabilité d’assurer la santé et la sécurité de ses employés aux termes de la partie II du Code.

  • [7] Après enquête, considérant que l’escorte avait été annulée la veille et que, de ce fait, l’agent correctionnel François Jeanson n’avait plus à se rendre à la clinique de radiologie de Granby, l’agent de santé et de sécurité Thibault a décidé, le 15 novembre, qu’il y avait absence de danger pour cet employé d’escorter le détenu à la clinique.

  • [8] François Jeanson a expliqué à l’audience que deux facteurs motivaient son refus : la destination et le détenu en cause.Le centre où il devait conduire le détenu est situé dans un quartier potentiellement criminogène, dans le sous-sol d’un immeuble entouré de trois débits de boisson - dont un aurait été fréquenté par les motards - , avec lesquels il partage le même stationnement municipal.Pour se rendre à la salle de radiographie, il faut traverser la salle d’attente, où peuvent se trouver des amis du détenu.Sur les deux issues d’urgence de la clinique, l’une donne sur le stationnement arrière, loin du véhicule des agents, et l’autre, au fond de la clinique, donne sur la salle d’attente.Il faut, selon lui, de 4 à 5 minutes pour retourner au véhicule d’escorte.

  • [9] Si on doit conduire un détenu quelque part, on le lui dit à la dernière minute seulement (sans préciser l’endroit).Le détenu est menotté et a des fers aux pieds pour l’empêcher de s’évader, mais il sait que les agents qui l’accompagnent ne sont pas armés.Le détenu en cause purgeait une peine de deux ans et deux mois pour voies de fait graves.Au moment du refus, le Service correctionnel ne l’avait pas encore évalué pour établir le plan de suivi habituel.De l’avis de M. Jeanson, le détenu acceptait mal l’autorité et était potentiellement très violent - il a d’ailleurs menacé du personnel dans les mois suivants le refus - , parce qu’il savait qu’il serait renvoyé dans son pays après avoir purgé les 2/3 de sa sentence.

  • [10] M. Jeanson s’est dit d’avis que le fourgon transportant les détenus est un prolongement de la prison (à sécurité modérée) où il travaille.Cette prison est entourée de deux périmètres clôturés, des surveillants armés sont de garde dans les tours et des patrouilles armées y font la ronde.En outre, lorsqu’ils escortent un détenu, a-t-il dit, les agents doivent non seulement protéger ce détenu, mais aussi empêcher les évasions et les invasions et, même s’ils portent alors un gilet pare-balles, il est dangereux pour eux de ne pas être armés à ce moment-là.

  • [11] Pour sa part, le conseiller syndical Robert Guimond a souligné qu’il existe une vaste jurisprudence sur la notion de « danger immédiat » et que le législateur a pris un virage important en lui ajoutant la notion de danger « potentiel » dans la nouvelle partie II du Code entrée en vigueur en septembre 2000.À son avis, cette notion implique que l’employé doit jouir d’une protection maximale, ce qui, dans le cas présent, signifie, pour respecter le principe de prévention établi à l’article 122.2 du Code, que les agents correctionnels doivent être armés lorsqu’ils escortent les détenus.

  • [12] M. Doyon, conseiller senior du SCC, a témoigné que la politique du SCC sur les sorties des détenus établit que les absences temporaires de resocialisation se font sous escorte non armée et les absences temporaires sécuritaires, sous escorte armée ou non, dépendant de l’évaluation des risques établie par l’équipe pavillonnaire.Composée d’agents correctionnels et d’agents de libération conditionnelle, cette équipe connaît le dossier du détenu et les raisons de la sortie et, après évaluation, soumet le cas au comité pavillonnaire.Dans le cas présent, le comité, qui connaissait le lieu de destination et le potentiel de violence du détenu, a recommandé à la directrice de l’établissement que la sortie se fasse sous escorte non armée, ce qu’elle a accepté.

  • [13] La direction de l’Établissement de Cowansville a donné suite à la demande de l’agent de santé et de sécurité Thibault d’évaluer les risques reliés au Centre de radiologie de Granby et a remis aux parties à l’audience son évaluation de l’endroit, datée du 6 décembre 2000.Elle y conclut que « la clinique et le secteur où elle se trouve ne devrai[en]t pas être considéré[s] comme des endroits à risque élevé pendant les heures ouvrables ».

  • [14] Selon M. Doyon, l’article 122.2 du Code sous-entend que l’élimination des risques doit se faire au moyen de mesures raisonnables, telles celles que le SCC a mises en place pour protéger les employés et les détenus.Par définition, un détenu représente un risque, a-t-il soutenu, et chaque situation est analysée en fonction de ce risque et de la nécessité de protéger les employés.Dans le cas présent, le comité pavillonnaire, composé de professionnels, a évalué la situation et confirmé qu’il y avait un risque avec lequel le SCC pouvait composer : les agents correctionnels n’étaient pas exposés de façon déraisonnable en n’étant pas armés.

  • [15] Les paragraphes 146.(1) et 146(2) de la partie II du Code canadien du travail définissent le rôle de l’agent d’appel saisi d’un appel d’une décision d’absence de danger émise aux termes du paragraphe 129(7).En voici le texte :

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

*****

 

146.1(1). Saisi d’un appel formé en vertu du paragraphe 129(7) ou de l’article 146, l’agent d’appel mène sans délai une enquête sommaire sur les circonstances ayant donné lieu à la décision ou aux instructions, selon le cas, et sur la justification de celles-ci. Il peut :

  • a) soit modifier, annuler ou confirmer la décision ou les instructions;

  • b) soit donner, dans le cadre des paragraphes 145(2) ou (2.1), les instructions qu’il juge indiquées.

 

(2) Il avise par écrit de sa décision, de ses motifs et des instructions qui en découlent l’employeur, l’employé ou le syndicat en cause; l’employeur en transmet copie sans délai au comité local ou au représentant.

 

  • [16] L’agent de programme Jeanson faisait-il face à un danger, au sens du Code, lorsqu’il a refusé de travailler le 14 novembre 2000 ?Voici les dispositions de la partie II du Code sur le refus de travail :

128(1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’employé au travail peut refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche s’il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas :

a) l’utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose constitue un danger pour lui-même ou un autre employé;

b) il est dangereux pour lui de travailler dans le lieu;

c) l’accomplissement de la tâche constitue un danger pour lui-même ou un autre employé.

 

(2) L’employé ne peut invoquer le présent article pour refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche lorsque, selon le cas :

a) son refus met directement en danger la vie, la santé ou la sécurité d’une autre personne;

  • b) le danger visé au paragraphe (1) constitue une condition normale de son emploi.

 

  • [17] Un nombre important de décisions ont fait jurisprudence sur la notion de danger.Il en ressortait clairement que, dans la partie II du Code en vigueur avant le 30 septembre 2000, l’agent de sécurité devait décider si, au moment de son enquête sur le refus de travail exprimé par l’employé, le lieu en cause représentait un risque si réel et immédiat que l’employé était justifié de refuser de travailler.

  • [18] Le jugement prononcé par l’honorable juge Marc Nadon, Section de première instance de la Cour fédérale, dans La Procureur générale du Canada et Mario Lavoie [2] , est particulièrement intéressant à cet égard, car la notion de danger y est directement liée au contexte du Service correctionnel.

  • [19] Le juge Nadon accueillait une demande de contrôle judiciaire d’une décision en vertu de laquelle l’agent régional de sécurité Serge Cadieux avait confirmé une décision d’existence de danger lors du déplacement de deux détenus à l’Établissement Leclerc et, par le fait même, l’instruction qui en avait résulté pour le Service correctionnel.Précisant que ce n’était pas la première fois qu’un agent correctionnel soulevait la notion de danger, le juge Nadon a cité les motifs sur lesquels la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) s’était appuyée pour conclure à l’absence d’un danger dans l’affaire Stephenson [3] , concernant le nombre d’agents de correction en devoir dans un établissement à sécurité maximale.Le juge Nadon a déclaré que ces motifs étaient tout à fait pertinents à l’affaire dont il était saisi :

 

The root of the problem is that the danger, under the law, must be actual and real whereas, the reality in a correctional institution is that the source of the danger, the inmate, has intelligence and free will.

The law provides that an employee may not refuse to work until the danger has crystalllised and is present in the work place. The reality is that until the moment that the inmate acts in a manner which endangers a correctional officer, there is no danger. The reality is, as well, that once an inmate has ceased to act in a manner which endangers a correctional officer, there is no longer a danger and, therefore, no right to refuse to work. This is true even if all of the conditions which led the inmate to act as he did continue unchanged.

Indeed, under the law as it now stands, a correctional officer who is endangered by the malicious conduct of an inmate could refuse to work only while the inmate is engaging in such conduct. Whether the inmate would, under such circumstances, be willing to recognize a correctional officer’s right to withdraw is another matter.

Another matter, as well, is the question of whether services could be withdrawn even under the conditions described above. Faced with rampaging inmates, it might well be the case that a correctional officer would find his right to invoke Section 128(1) of the Code barred by the provisions of Section 128(2)(a) : “the refusal puts the life, health or safety of another person directly in danger”.

The reality is that under the law as it now stands, correctional officers are, except in the most unusual cases, effectively barred from exercising the right to refuse to work under Section 128 of the Code where the source of danger lies in misconduct on the part of the inmates. Mr. Brenda would argue that this is as it should be, that the Code was never intended to cover such risks and that threats arising from the conduct of inmates are a labour relations matter rather that a health and safety problem.

It would appear that Mr. Brenda has the law on his side. However, that does not alter the fact that there is a problem, that the problem is real enough to those who must live with it and that the law provides no remedy.

……….

Perhaps consideration ought to be given to the explicit removal of inmate generated dangers from the kind of dangers contemplated by Section 128 of the Code and the substitution therefor of some other procedures which takes account of the special nature of such dangers.

Due to the omission in the statute, I indeed must find that the applicants could not reasonably exercise their rights under subsection 128(1) since the danger was prospective rather than real. The report of the safety officer is therefore confirmed.

  • [20] Compte tenu de la nouvelle définition du danger, peut-on encore maintenant, comme dans l’affaire Stephenson, affirmer qu’un employé ne peut exercer le droit prévu au paragraphe 128(1) parce que la situation, la tâche ou le risque auquel il dit faire face ne constitue pas un « danger immédiat », pour reprendre une expression abondamment utilisée dans la jurisprudence, mais représente plutôt un « risque éventuel susceptible de » le blesser ou de le rendre malade ?

  • [21] Pour répondre à cette question, je reprendrai ce qu’a déclaré l’agent d’appel Serge Cadieux dans l’affaire Darren Welbourne et Canadien Pacifique Ltée [4] , alors qu’il examinait la nouvelle définition du danger énoncée dans la partie II du Code entrée en vigueur en septembre 2000.Serge Cadieux écrit :

 

[15] Le Code définit comme suit le terme « danger » au paragraphe 122(1) :

 

“danger” means any existing or potential hazard or condition or any current or future activity that could reasonably be expected to cause injury or illness to a person exposed to it before the hazard or condition can be corrected, or the activity altered, whether or not the injury or illness occurs immediately after the exposure to the hazard, condition or activity, and includes any exposure to a hazardous substance that is likely to result in a chronic illness, in disease or in damage to the reproductive system.

“danger” Situation, tâche ou risque – existant ou éventuel – susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade – même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats -, avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur.

 

[16] Cette nouvelle définition du terme est similaire à l’ancienne définition, stipulée avant que le Code soit modifié, et qui se lisait comme suit :

 

« danger » Risque ou situation susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade, avant qu’il ne puisse y être remédié.

 

[17] La définition actuelle du « danger » vise à améliorer la définition du même terme que l’on retrouvait avant la modification du Code, qui était jugée comme trop limitative pour protéger la santé et la sécurité des employés. Selon la jurisprudence basée sur l’ancienne notion de danger, celui‑ci devait être présent et immédiat au moment de l’enquête de l’agent de santé et sécurité. La nouvelle définition élargit cette notion pour tenir compte des risques, situations ou tâches éventuels. Cette approche reflète mieux le but du Code, énoncé à l’article 122.1:

 

122.1 La présente partie a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions.

 

[18] Selon la définition actuelle du terme, le risque, la situation ou la tâche n’ont plus à être présents uniquement lors de l’enquête de l’agent de santé et sécurité, mais peuvent l’être éventuellement ou dans le futur. Le New Shorter Oxford Dictionary, édition de 1993, définit le mot « potential (éventuel) » [sic] ainsi : « possible, par opposition à réel; capable de se produire; latent. » Le dictionnaire Black’s Law Dictionary, septième édition, définit « potential » comme « capable de se produire; possible ». L’expression « future activity » (tâche éventuelle) indique que cette tâche n’est pas « réellement » exécutée [en présence de l’agent de santé et sécurité], mais devra être éventuellement effectuée par une personne. Par conséquent, en vertu du Code, le danger peut aussi être éventuel dans la mesure où le risque, la situation ou la tâche peut prendre place et est susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée ou la rendre malade avant que le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée.

 

[19] La situation, la tâche ou le risque – existant ou éventuel, mentionné dans la définition doit être susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade, avant que le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Donc, cette notion « d’être susceptible de causer » exclut toutes situations hypothétiques.

[20] L’expression « avant que le risque soit écarté ou la situation corrigée » a été interprétée comme signifiant que des blessures ou une maladie vont probablement être causées sur place et à l’instant, c’est‑à‑dire immédiatement. Toutefois, dans la définition actuelle du terme « danger », la mention de risque, de situation ou de tâche doit être interprétée en tenant compte du risque, de la situation ou de la tâche existants ou éventuels, ce qui semble éliminer de la notion précédente de danger le préalable que des blessures ou la maladie se produiront raisonnablement sur‑le‑champ. En fait, les blessures ou la maladie ne peuvent découler que de l’exposition au risque, à la situation ou à la tâche. Donc, étant donné la gravité de la situation, il doit y avoir un niveau raisonnable de certitude qu’il y aura effectivement une blessure ou une maladie immédiatement s’il y a une exposition au risque, à la situation ou à la tâche, à moins qu’on élimine le risque, que l’on corrige la situation ou que l’on modifie la tâche. En sachant cela, on ne peut attendre qu’un accident se produise, d’où le besoin d’agir rapidement et immédiatement dans de telles situations.

  • [22] C’est donc dire que la deuxième partie de la définition actuelle du danger tient maintenant compte de l’éventualité d’une exposition à une situation, à une tâche ou à un risque qui, si cette éventualité se concrétise avant qu’on ait pu prendre les mesures requises pour corriger la situation, écarter le risque ou modifier la tâche, aura fort probablement comme conséquence -- ou, pour reprendre les termes du Code, serait « susceptible de - could reasonably be expected » --, comme dans le cas de la situation, du risque ou de la tâche existant, de causer des blessures à l’employé ou de le rendre malade, même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne se font pas sentir sur-le-champ.

  • [23] Par conséquent, je dirai qu’un employé peut refuser de travailler s’il a des motifs raisonnables de croire que l’accomplissement éventuel de sa tâche constituera un danger pour lui-même si, avant qu’il exécute cette tâche, on ne l’a pas modifiée de façon à ce qu’elle ne soit plus susceptible de le blesser ou le rendre malade.Ce qui sous-entend, comme l’a affirmé l’agent d’appel Serge Cadieux dans l’affaire Darren Welbourne et Canadien Pacifique Ltée, que « cette notion « d’être susceptible de causer » exclut toutes situations hypothétiques ».

  • [24] Il faut donc, peu importe que la situation, la tâche ou le risque soit «existant » ou « éventuel », corriger la situation, écarter le risque ou modifier la tâche avant que la blessure ou la maladie apparaissent.Et cela doit se faire en gardant à l’esprit, en premier lieu, l’objet de la partie II du Code énoncé à l’article 122.1 et, en second lieu, la recommandation formulée à l’article 122.2 quant à l’ordre de priorité des mesures de prévention à prendre.Ces deux articles se lisent comme suit :

122.1 La présente partie a pour objet de prévenir les accidents et les maladies liés à l’occupation d’un emploi régi par ses dispositions.

122.2 La prévention devrait consister avant tout dans l’élimination des risques, puis dans leur réduction, et enfin dans la fourniture de matériel, d’équipement, de dispositifs ou de vêtements de protection, en vue d’assurer la santé et la sécurité des employés.

  • [25] Le Service correctionnel est tout à fait conscient du risque que représente un détenu et il applique une série de mesures pour réduire ce risque dans toute la mesure possible. Partout au pays, il a établi une procédure précise concernant les permissions de sortir accordées aux détenus, en l’occurrence ici pour des raisons médicales.Ainsi, toutes les permissions de sortir sont examinées par un comité d’examen, chargé de présenter au directeur de l’établissement une recommandation fondée sur l’examen approfondi de tous les critères d’admissibilité aux permissions de sortir.Ces critères portent, entre autres, sur la destination, le moment et la durée de la sortie, sur le mode de transport utilisé, sur le type d’agents accompagnateurs, sur l’équipement de sécurité que ces agents porteront, sur le matériel de contrainte à utiliser s’il y a lieu, sur la cote de sécurité du détenu, sur son potentiel de violence et sur ses liens avec des milieux criminels.

  • [26] Dans la présente affaire, les témoignages reçus à l’audience démontrent que le comité d’examen a recommandé à la directrice de l’établissement, après évaluation dans les règles, que l’escorte accompagnant le détenu ne soit pas armée.La directrice de l’établissement a souscrit à cette recommandation.Il n’est pas de mon ressort de déterminer si les procédures du SCC, basées sur la Loi sur le service correctionnel qui le régit, devraient être telles que les agents d’escorte soient toujours armés lors d’une sortie avec tel ou tel détenu.Cela relève du SCC.

  • [27] Mon rôle comme agent d’appel est de déterminer si, au moment où l’agent de santé et de sécurité Thibault a enquêté sur le refus de travailler de M. Jeanson, il y avait une situation, une tâche ou un risque, existant ou éventuel, constituant un danger pour l’employé, et de modifier, confirmer ou annuler la décision de l’agent de santé et de sécurité.

  • [28] L’agent de programme Jeanson faisait-il face à un danger au sens du Code lorsqu’il a refusé de travailler ? Je ne crois pas que le risque auquel était confronté l’agent correctionnel Jeanson débordait le cadre de la normalité de sa tâche au point de constituer un danger au sens du Code.Ce risque tenait au fait que le travail d’un agent correctionnel se fait dans un milieu qui, de par sa nature même, comporte une interaction avec des détenus pouvant manifester une certaine violence.Son employeur, le SCC, a tâché de réduire ce risque dans toute la mesure du possible, entre autres par le biais d’une évaluation effectuée par un comité de professionnels connaissant très bien les circonstances rattachées à l’escorte et pouvant recommander les mesures appropriées à la directrice de l’établissement, en l’occurrence ici que les agents d’escorte ne soient pas armés.

  • [29] Par conséquent, je confirme la décision d’absence de danger rendue par l’agent de santé et de sécurité Thibault.

 

 

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Michèle Beauchamp

Agent d’appel

 


RÉSUMÉ DE LA DÉCISION DE L’AGENT D’APPEL

 

 

Décision no 01-023

 

Demandeur : François Jeanson

 

 

Employeur : Service correctionnel du Canada

 

Mots clés : Refus de travail, danger, escorte armée ou non armée

 

Code : 122, 128(1)

RCSST : s/o

 

Résumé : Un agent du Service correctionnel du Canada a refusé de travailler en vertu du paragraphe 128(1), alléguant qu’il était dangereux pour lui d’escorter un détenu à une clinique externe sans être armé. Après enquête, l’agent de santé et de sécurité a décidé qu’il n’y avait pas de danger pour l’employé à faire l’escorte sans être armé.

 

L’agent d’appel a confirmé la décision d’absence de danger de l’agent de santé et sécurité, parce que l’accomplissement de l’escorte sans que l’employé soit armé ne constituait pas un danger au sens du Code canadien du travail.

 

 

 

 



[1] M. Guillemette a également fait appel de la décision d’absence de danger rendue par l’agent de santé et de sécurité Thibault, mais il a par la suite avisé verbalement le Bureau d’appel canadien en santé et sécurité au travail qu’il retirait son appel.

[2] Décision T‑2420-97 de la Cour fédérale, Section de première instance, rendue le 9 septembre 1998

[3] Décision 165-2-83 de la Commission des relations de travail dans la fonction publique, rendue le 29 juillet 1991

[4] Décision 01‑008 rendue le 22 mars 2001

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