Tribunal de santé et sécurité au travail Canada

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Human Resources Développement des

Development Canada ressources humaines Canada

 

Canada Appeals Office on Occupational Health and Safety · Bureau d’appel canadien en santé et sécurité au travail

__________________________________________________________________________________________

 

CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II

SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

 

Employés et Syndicat uni du transport

demandeur

 

et

 

Laidlaw Transit Ltd. -

Para Transpo Division

employeur

 

et

 

Michel Labrecque

agent de santé et de sécurité

Décision n° 01-018

Le 7 août 2001

 

Le 11 mars 2001 et le 22 mars 2001, M. Douglas Malanka, agent d’appel, a tenu des audiences à Ottawa (Ontario) afin d’examiner la décision rendue par l’agent de santé et de sécurité Labrecque le 12 janvier 2001, selon laquelle il n’existait aucun danger pour les conducteurs qui refusaient des travailler à cause de la présence de moisissure dans certains autobus.

 

Personnes présentes

 

Pour le demandeur :

M. David J. Jewitt, conseiller

M. Bruce Stewart, premier vice-président, Pinchin Environmental Ltd.;

M. Wayne Sykora, conducteur et membre du comité de santé et sécurité.

 

Pour l’employeur :

Mme Rosalind Cooper, conseiller

Mme Lydia Renton, directrice, Hygiène industrielle, santé et sécurité au travail, Water and Earth Science Associates Ltd.;

Mme Yvonne Swant, directrice générale, Para Transpo;

M. James Tierney, directeur, Ressources humaines, Laidlaw Transit Ltd.

  • [1] La présente affaire concerne un appel interjeté en vertu du paragraphe 129.(7) du Code canadien du travail, partie II, (ci-après appelé le Code ou la partie II). Le paragraphe 129.(7) est ainsi libellé :

 

129.(7) Si l’agent conclut à l’absence de danger, l’employé ne peut se prévaloir de l’article 128 ou du présent article pour maintenir son refus; il peut toutefois – personnellement ou par l’entremise de la personne qu’il désigne à cette fin – appeler par écrit de la décision à un agent d’appel dans un délai de dix jours à compter de la réception de celle-ci.

 

  • [2] L’agent de santé et de sécurité Labrecque a déposé un rapport et témoigné à l’audience. Son rapport ne sera pas reproduit dans les présents motifs, mais il sera versé au dossier. Je retiens les éléments suivants de son rapport et de son témoignage.

 

  • [3] Le 11 janvier 2001, vingt conducteurs de Para Transpo ont invoqué leur droit de refuser de travailler en vertu du paragraphe 128(1) du Code. Plus précisément, les conducteurs ont refusé de conduire les autobus urbains spécialisés Champion E350 de Para Transpo parce qu’on avait trouvé de la moisissure dans deux de ces autobus et qu’il y avait des raisons de croire que tous les autobus de modèle Champion E350 contenaient de cette même moisissure. Lorsque l’agent de santé et de sécurité Labrecque est arrivé sur les lieux pour mener enquête sur ce refus de travailler, le nombre d’employés qui refusaient de travailler avait déjà atteint 44. Au deuxième jour de son enquête, ce nombre se montait à 105. Certains conducteurs qui avaient refusé de travailler se plaignaient de maux de gorge et de respiration sifflante. D’autres se plaignaient qu’ils avaient développé des allergies aux moisissures et qu’ils devaient utiliser des inhalateurs.

 

  • [4] Au paragraphe 128.(11), il est stipulé que lorsque plusieurs employés refusent de travailler pour la même raison, ils peuvent désigner l’un d’entre eux pour participer à l’enquête de l’agent de santé et de sécurité. En l’espèce, M. Wayne Sykora, conducteur et employé-membre du comité de santé et sécurité à Para Transpo a été chargé de représenter les conducteurs qui refusaient de travailler. Le paragraphe 128.(11) est ainsi libellé :

 

128.(11) Lorsque plusieurs employés ont présenté à leur employeur des rapports au même effet, ils peuvent désigner l’un d’entre eux pour agir en leur nom dans le cadre de l’enquête.

 

  • [5] Pendant cette enquête sur le refus de travailler, l’agent de santé et de sécurité Labrecque a appris que la conductrice Verni Tanner avait déjà communiqué par écrit avec le comité de santé et sécurité à Para Transpo en août 2000. Elle avait expliqué qu’elle était allergique aux moisissures et s’était plainte d’être tombée malade après avoir conduit les autobus 319, 334, 336 et 339. Elle demandait que Para Transpo règle le problème de moisissure et ne lui confie que des véhicules exempts de moisissure. Le comité de santé et sécurité ne s’est penché sur la plainte de Mme Tanner’s qu’en octobre 2000. En novembre 2000, Para Transpo a retenu les services de la Water and Earth Science Associated Ltd. (WESA), une entreprise spécialisée en évaluation de la qualité de l’air, pour mener enquête et faire un rapport sur les plaintes de trois de ses employés, y compris Mme Tanner, quant à la qualité de l’air.

 

  • [6] L’agent de santé et de sécurité Labrecque a consulté Mme Eva Karpinski, ingénieure en hygiène industrielle à Développement des ressources humaines Canada. Il lui a remis les rapports de la WESA et lui a demandé son avis. Le 12 janvier 2001, Mme Karpinski a écrit à M. Labrecque pour lui faire part des observations suivantes :

 

[TRADUCTION]

1. Les résultats de l’analyse de l’échantillon d’air indiquent que dans des conditions de conduite normales, il n’existe aucun danger susceptible de rendre malade une personne qui y serait exposé avant que la situation n’ait pu être rectifiée. Les résultats, exprimés en CFU/m3 représentent des niveaux acceptables et comparables à ceux que l’on retrouve à l’extérieur. [Souligné par mes soins.]

 

2. Les résultats de l’analyse de l’échantillon d’air recueilli pendant qu’on frappait sur le toit du véhicule et les panneaux latéraux, ainsi que les résultats de l’échantillonnage global indiquent bel et bien la présence d’un champignon. Toutefois, il faut bien comprendre que ces concentrations ne représentent pas le degré d’exposition d’un conducteur durant l’exercice normal et routinier de ses fonctions. [Souligné par mes soins.]

 

  • [7] L’agent de santé et de sécurité Labrecque a décidé que l’exposition à la moisissure ne présentait pas de danger pour les conducteurs qui refusaient de travailler. Il a rencontré les représentants de l’employeur et des employés le 12 janvier 2001 et les a informés de sa décision. Il a émis une instruction ordonnant à Para Transpo d’éliminer les moisissures avant le 28 février 2001.

 

  • [8] Au cours de cette même réunion, Para Transpo a informé ses conducteurs qu’ils seraient affectés à d’autres autobus s’ils tombaient malades en conduisant un des autobus en question. L’agent de santé et de sécurité Labrecque a ensuite enjoint les conducteurs de communiquer avec lui si Para Transpo n’honorait pas cet engagement.

 

  • [9] M. Bruce Stewart, premier vice-président de Pinchin Environmental Ltd., a témoigné en tant qu’expert sur les moisissures en milieu de travail. Son rapport et son témoignage ne sont pas répétés dans les présent motifs. Cependant, j’en retiens les éléments suivants :

 

  • [10] Le Department of Health - Environment and Occupational Disease Epidemiology (département de la santé – Environnement et épidémiologie des maladies professionnelles) de la Ville de New York publie un document intitulé « Guidelines on Assessment and Remediation of Fungi in Indoor Environments, 2000 » (Lignes directrices sur l’évaluation et l’élimination des champignons dans des environnements intérieurs, 2000). Les organismes de réglementations municipaux, provinciaux et fédéraux au Canada estiment généralement que ce protocole constitue la norme de diligence raisonnable.

 

  • [11] Le protocole de New York est fondé sur la prémisse qu’il n’existe aucun niveau sécuritaire d’exposition aux moisissures dans un milieu de travail et qu’il convient d’éliminer les moisissures dès qu’on en découvre la présence. Le protocole recommande à l’employeur d’informer les employés par écrit immédiatement après avoir constaté la présence de moisissures en leur indiquant le type de moisissure trouvé, les symptômes associés à l’exposition à cette moisissure et les mesures correctives prises pour éliminer la moisissure. Le protocole précise en outre qu’il faut conseiller à toute personne qui ressent des symptômes de consulter un médecin qui prendra connaissance de l’information concernant le type de moisissure présent et décidera s’il convient de renvoyer la personne à un médecin spécialiste de la santé et de la sécurité au travail et de la médecine environnementale. Le spécialiste déterminera si les symptômes de l’employé sont liés au milieu de travail et s’il convient de prendre des mesures pour protéger la santé et la sécurité de l’employé.

  • [12] L’Association américaine des Hygiénistes Industriels (ACIGH) ne publie pas de valeur limite d’exposition (VLE) aux moisissures et ne prévoit pas en élaborer une sous peu. Les raisons de cette lacune sont les suivantes : un environnement où il y a des moisissures peut contenir plusieurs espèces de moisissures et comme les méthodes d’échantillonnage des moisissures laissent à désirer, la science ne parvient pas à établir avec certitude si les gens réagissent aux spores ou à d’autres éléments présents dans la moisissure. En outre, l’incidence des moisissures sur la santé d’une personne dépend de nombreux facteurs. Ces facteurs sont, entre autres, le type de moisissure présent, le degré de susceptibilité de la personne exposé à la moisissure, la concentration de la moisissure et la durée de l’exposition.

 

  • [13] Les effets néfastes des moisissures sur la santé sont généralement classés en trois groupes, soit les réactions allergiques, les effets toxiques et les mycoses. Selon M. Stewart, de 10 à 15 p. 100 de l’ensemble de la population adulte ont un degré de sensibilité élevé aux moisissures et, tôt ou tard, connaîtront une réaction allergique. Ces personnes peuvent avoir d’autres allergies ou souffrir de maladies respiratoires comme l’asthme ou d’autres maladies pulmonaires. Lorsqu’ils sont exposés aux moisissures, il peut se produire une sensibilisation allergique et des réactions immunitaires comme des rhinites, de l’asthme ou de l’eczéma. Il est également possible que d’autres problèmes plus graves se déclarent, mais ils sont moins répandus. Lorsqu’une personne a été sensibilisée et a connu une réaction allergique aux moisissures, elle réagira immédiatement lors d’une nouvelle exposition.

 

  • [14] N’importe qui peut souffrir d’effets toxiques par suite de l’exposition à une concentration élevée de moisissures toxiques. Les effets toxiques peuvent être, entre autres, des symptômes grippaux comme la fatigue, des maux de tête, la fièvre et les douleurs musculaires. L’inhalation de spores toxiques peut engendrer ou exacerber des réactions immunitaires (ou allergiques) ou causer des infections.

  • [15] Les risques de mycoses sont très faibles et sont généralement limités aux personnes dont le système immunitaire est gravement compromis. Ils ne peuvent donc être déterminés que sur une base individuelle. Les personnes dont le système immunitaire est compromis sont les récipiendaires d’une greffe d’organe, les gens qui souffrent du SIDA ou de la leucémie ou les personnes qui subissent des traitements de chimiothérapie. Les mycoses peuvent engendrer de la toux, des crachats de sang, des pertes de poids, des douleurs osseuses, des frissons et des maux de tête. Les mycoses peuvent également engendrer ou aggraver des maladies sous-jacentes comme l’asthme ou la fibrose kystique.

 

  • [16] Selon M. Stewart, Mme Lydia Renton ou Mme Karpinski se sont trop fiées aux analyses d’échantillon d’air recueillies par les techniciens de la WESA lorsqu’elles ont conclu qu’il n’existait aucun danger pour les conducteurs. Il soutient que les échantillons d’air n’illustrent qu’une infime partie de la qualité de l’air dans un autobus et qu’ils ne sont pas vraiment représentatifs des niveaux de moisissure qui s’accumulent dans un autobus pendant tout un quart de travail. En outre, il prétend que les échantillons d’air peuvent indiquer des niveaux bien en deçà de la réalité lorsqu’il s’agit de la présence de stachybotrys chartarum puisque ces spores perdent leur viabilité ou leur capacité de germer et de former une colonie de croissance pour la moisissure après quelques semaines en milieu sec. Par contre, même si les spores ne sont pas viables et, par conséquent, sont indécelables, les spores de stachybotrys chartarum gardent leurs propriétés allergènes et toxiques et restent un problème de santé. Pour ces raisons, il fait valoir que l’absence de tests avec pièges à spores dans l’évaluation de la qualité de l’air effectué par la WESA pourrait avoir engendré une sous-estimation grave des risques potentiels de la moisissure. Il est d’avis que les photographies des panneaux infestés retirés des autobus laissent croire à un degré très élevé d’infestation des véhicules. Il déclare également que le fait que la WESA ait déclaré que les unités capables de former des colonies étaient « trop nombreuses pour les compter » démontre que la moisissure derrière les panneaux s’était frayé un chemin vers l’intérieur des autobus. (Voir paragraphe 24.)

 

  • [17] Mme Lydia Renton a témoigné pour le compte de Para Transpo à titre d’expert. Les rapports qu’elle a remis à Para Transpo au nom de la WESA ont été versés au dossier et ne seront pas reproduits dans les présents motifs. Je retiens les éléments suivants de ses rapports et de son témoignage.

 

  • [18] Para Transpo a retenu les services de la WESA en novembre 2000 dans le but de déterminer si les maladies signalées par trois de ses conducteurs étaient dues à la présence de moisissures ou à des émanations de diesel dans ses autobus de modèle Champion E350. La WESA a effectué des prélèvements habituels d’échantillons de l’air sur trois des autobus Champion E350 le 29 novembre 2000.Pendant les tests, le conducteur a simulé les pires conditions de conduite liées aux nids de poule, aux virages et à la réduction des gaz. Durant la prise de l’échantillon, les techniciens de la WESA ont frappé et donné des coups de pied sur le toit et les panneaux latéraux sur toute la longueur des autobus.

 

  • [19] Le lendemain, soit le 30 novembre 2000, les techniciens de la WESA ont démonté la section du capot avant de la cabine d’un des autobus. La garniture du pavillon, qui mesure environ 5 pi sur 4 pi, portait visiblement des signes de dégâts causés par l’eau et on pouvait y voir de la moisissure sur les bords extérieurs où les panneaux entrent en contact avec le capot en fibre de verre. On a également constaté des dégâts d’eau et la présence de moisissure derrière les panneaux latéraux et arrières de l’autobus. Les techniciens ont prélevé des échantillons d’air près de la garniture endommagée et ont pris des échantillons globaux de la moisissure pour effectuer des cultures et en identifier l’espèce.

 

  • [20] Le 2 décembre 2000, Mme Renton a alerté Para Transpo qu’on avait trouvé de la moisissure dans les autobus de modèle Champion E350. Elle a indiqué que l’eau s’infiltrait dans les autobus par un joint d’étanchéité défectueux sur le principal joint horizontal du toit des autobus Champion E350 ayant fait l’objet des tests et que cette infiltration créait un environnement favorable à la croissance de moisissure. Elle indiqué que les infiltrations s’étaient produites en raison de la conception médiocre du joint d’étanchéité et parce que Para Transpo n’avait pas correctement entretenu ces joints.Elle a conclu qu’il était possible que tous les autobus Champion E350 soient infestés. Mme Renton estimait que l’infestation de moisissure pouvait représenter de 10 à 30 p. 100 des panneaux de contre-plaqué dans les autobus.

 

  • [21] Dans la même lettre, Mme Renton émettait l’opinion que les risques pour la santé des conducteurs n’étaient pas graves au point de justifier un arrêt des activités jusqu’à que les autobus aient été débarrassés de toutes les moisissures. Elle faisait valoir que les effets sur la santé signalés par les conducteurs n’excédaient pas les nombres prévus dans la population en général, qu’il n’y avait aucune moisissure sur les surfaces de travail exposées à l’intérieur des autobus et que les analyses de l’air effectuées par la WESA confirmaient que la quantité d’aération à l’intérieur des autobus était suffisante. Elle ajoutait, en outre, que l’ouverture à intervalles réguliers des grandes portes de l’autobus pour laisser entrer et sortir les passagers suffisait à assurer un taux suffisant de renouvellement de l’air.

 

  • [22] Mme Renton a témoigné à l’audience qu’elle avait également mis l’agent médical régional de la santé au courant du problème de moisissure dans les autobus étant donné que ces véhicules servaient à transporter des gens dont le système immunitaire pouvait être affaibli. Le 3 décembre, un inspecteur de la santé publique a constaté les dégâts de moisissure dans les autobus et a pris connaissance des plans de l’entreprise pour rectifier la situation. L’inspecteur n’a imposé aucune restriction à Para Transpo pour le transport des passagers.

 

  • [23] Para Transpo a ensuite demandé à la WESA de tenir des séances d’information à l’intention de ses conducteurs. La WESA a donc tenu huit séances d’information les 4 et 5 décembre 2000 auxquelles environ 60 employés ont participé. Pendant ces séances qui ont duré entre une et deux heures, Mme Renton a informé les employés des types de moisissure qu’on avait trouvé dans les autobus et des éventuels symptômes qu’ils pouvaient engendrer. Elle se souvient avoir recommandé aux employés de consulter leur médecin et un spécialiste en médecine de l’environnement et du travail s’ils éprouvaient ou avaient éprouvé des symptômes liés aux moisissures. Elle a mis des documents écrits à leur disposition, mais a remarqué que seuls quelques employés en avaient pris des copies.

 

  • [24] Le 7 décembre 2000, la WESA a présenté son rapport officiel à Para Transpo sur les résultats des analyses microbiennes des échantillons d’air prélevés dans les autobus le 29 novembre 2000. Mme Renton a écrit que la qualité de l’air dans les deux autobus testés était comparable à celle de l’air extérieur et, par conséquent, qu’elle était acceptable. Elle a reconnu que les échantillons d’air prélevés pendant que les techniciens frappaient sur le toit et les côtés des autobus contenaient trop d’unités capables de former des colonies pour qu’on puisse les compter, et que ce genre de résultats signifie normalement un environnement très saturé en moisissure. Par contre, elle a souligné que le fait de frapper sur le toit et les côtés de l’autobus ne correspond pas aux conditions normales de fonctionnement d’un autobus . Elle a également fait remarquer qu’il n’y avait aucune moisissure sur les surfaces de travail exposées à l’intérieur de l’autobus et que la concentration de moisissure dans l’air n’était pas excessive. Elle a averti Para Transpo qu’elle ne pouvait faire aucun commentaire sur la toxicité des moisissures trouvées dans les autobus avant d’avoir obtenu les résultats de différenciation des espèces qu’elle ne prévoyait avoir que trois semaines plus tard.

 

  • [25] Le 9 janvier 2001, la WESA a signalé à Para Transpo que les échantillons globaux prélevés le 29 novembre 2000 confirmaient la présente de stachybotrys chartarum, une moisissure toxique. La moisissure stachybotrys chartarum est connue pour causer des symptômes allergiques comme la sinusite, des difficultés respiratoires, des symptômes grippaux, des maux de tête, des malaises et des réactions cutanées. Cependant, le rapport précisait que le fait qu’on ait identifié cette moisissure toxique dans deux des neuf échantillons prélevés dans un même autobus mettait en doute la validité de cette découverte. Mme Renton a expliqué que la stachybotrys chartarum est une moisissure plutôt rare et que les spores de cette espèce ne deviennent pas facilement aérogènes. Elle a ajouté que, malgré la présence douteuse des spores, l’absence de colonies de stachybotrys dans l’air et dans les échantillons globaux était typique du faible degré de viabilité de cette moisissure. Elle a également fait remarquer qu’on n’avait trouvé dans l’air aucune trace de trichoderma harzianum trouvé dans les échantillons globaux. Elle a réitéré dans son rapport que Para Transpo pouvait continuer d’utiliser sa flotte d’autobus pendant qu’on rectifiait le problème un véhicule à la fois.

 

  • [26] Dans son plaidoyer final, M. Jewitt a soutenu que je devais décider qu’il existait bel et bien un danger pour les employés qui avaient exercé leur droit de refuser de travailler le 11 janvier 2000. Selon lui, les preuves établissaient clairement que chaque personne réagit différemment aux moisissures et qu’il n’existe aucune norme sur les doses inoffensives permettant de prédire avec un certain degré de fiabilité si un employé sera malade ou non. Il a insisté sur le fait qu’on ne peut déterminer la présence ou l’absence d’un danger tant qu’un spécialiste en médecine de l’environnement et du travail n’avait pas examiné un employé et déterminé s’il existait un lien de cause à effet entre l’exposition à la moisissure et les effets néfastes subis par l’employé. Puisque personne n’avait subi ce genre d’examen, il en concluait que la décision d’absence de danger de l’agent de santé et de sécurité Labrecque n’était pas fondée.

 

  • [27] M. Jewitt a en outre fait valoir que l’étendue de l’infestation de moisissure dans les autobus était exceptionnelle et qu’on avait décelé au moins un type de moisissure toxique dans tous les autobus de modèle Champion E350. Il a fait mention du témoignage de M. Stewart contredisant les affirmations Mme Renton à l’effet que la stachybotrys chartarum n’était pas viable et, par conséquent, pas dangereuse. Selon M. Stewart, la diffusion de moisissures toxiques au moyen de spores est élevée lorsque la moisissure n’est plus viable. M. Jewitt a tourné en dérision l’offre de Para Transpo faite les 5 et 6 décembre 2000, et répétée le 11 janvier 2001, soit que les conducteurs qui éprouvaient des malaises dus à l’exposition à la moisissure pouvaient demander de conduire un autre autobus. Il soutient que le jour du refus de travailler, un seul autobus avait été débarrassé des moisissures et qu’il n’y avait donc aucun autre autobus sécuritaire. Il a en outre souligné que les conducteurs avaient déjà subi les effets néfastes sur leur santé et qu’ils avaient déjà été longtemps exposés à la moisissure.

 

  • [28] Mme Cooper, quant à elle, était d’avis que je devais maintenir la décision de l’agent de santé et de sécurité Labrecque à l’effet qu’il n’existait aucun danger pour conducteurs qui avaient refusé de travailler. Elle a souligné que les deux témoins experts ainsi que le Protocole de New York confirmaient que l’on retrouve de la moisissure partout à l’intérieur comme à l’extérieur. Elle a maintenu que la moisissure a des effets sur approximativement 10 à 15 p. 100 de la population, et que cette proportion inclut généralement les gens qui souffrent d’allergies, de bronchites, de fièvre des foins et ceux qui dont le système immunitaire est affaibli. Elle a également expliqué que les symptômes les plus communs d’une exposition à la moisissure disparaissent généralement lorsque le sujet n’y est plus exposé.

 

  • [29] Elle a précisé que le Protocole de New York, s’il recommande de prendre des mesures immédiates pour éliminer la moisissure dès qu’on en constate la présence, ne dit pas qu’il faut évacuer les gens pendant que cette élimination a lieu. Il recommande plutôt de fonder la décision d’évacuer sur les résultats d’évaluations médicales. Elle a maintenu qu’il n’existait aucun danger pour les employés de Para Transpo qui ressentaient des symptômes puisque Para Transpo avait pris des mesures excédant les recommandations du Protocole de New York en faisant savoir à ses conducteurs qu’ils n’étaient pas tenus de conduire des autobus qui les rendaient malades. Elle a ajouté qu’il n’y avait aucun danger pour les employés qui n’éprouvaient aucun symptôme puisque rien ne permettait raisonnablement de croire qu’ils risquaient d’être blessés ou de tomber malades.

 

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  • [30] Le rôle d’un agent d’appel dans le cadre d’un appel d’une décision rendue par un agent de santé et de sécurité en vertu du paragraphe 129(7) consiste à examiner sommairement et rapidement la décision et, selon le cas, à la modifier, à la confirmer ou à l’annuler. Le paragraphe 146.1 (1) du Code est ainsi libellé :

 

146.1 (1) Saisi d’un appel formé en vertu du paragraphe 129(7) ou de l’article 146, l’agent d’appel mène sans délai une enquête sommaire sur les circonstances ayant donné lieu à la décision ou aux instructions, selon le cas, et sur la justification de celles-ci. Il peut :

a) soit modifier, annuler ou confirmer la décision ou les instructions;

b) soit donner, dans le cadre des paragraphes 145 (2) ou (2.1), les instructions qu’il juge indiquées.

 

  • [31] En l’espèce, il m’incombe de décider si l’exposition à la moisissure constituait un danger pour les employés de Para Transpo qui ont refusé de conduire des autobus de modèle Champion E350 le 11 janvier 2001. Si je décide qu’il existait un danger au sens du Code, je dois ensuite émettre une instruction en vertu du paragraphe 145 (2) du Code. Pour trancher dans cette affaire, je dois tenir compte de la manière dont le Code définit la notion de danger, des faits du dossiers et de toute jurisprudence applicable.

 

  • [32] Examinons d’abord la loi. Au paragraphe 122 (1) du Code, le terme « danger » est ainsi défini :

 

« danger » Situation, tâche ou risque – existant ou éventuel – susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade – même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats -- avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur.

 

  • [33] Selon M. Stewart, la moisissure peut causer des blessures ou des maladies chez une personne qui y est exposée en provoquant des réactions allergiques, des effets toxiques ou des mycoses. Bien que cela confirme que la moisissure peut présenter un risque dans le milieu de travail, cela ne suffit pas à établir que la moisissure dans les autobus constituait un danger au sens du Code.

 

  • [34] Dans la décision non publiée rendue par l’agent d’appel Serge Cadieux dans l’affaire opposant Darren Welbourne à la société Canadien Pacifique Limitée, décision n°1-008, en date du 22 mars 2001, l’agent d’appel Cadieux a écrit ce qui suit aux paragraphes 19 et 20 :

 

[19] La situation, la tâche ou le risque – existant ou éventuel, mentionné dans la définition doit être susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade, avant que le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Donc, cette notion «d’être susceptible de causer» exclut toutes situations hypothétiques. [Souligné par mes soins]

 

[20] L’expression «avant que le risque soit écarté ou la situation corrigée» a été interprétée comme signifiant que des blessures ou une maladie vont probablement être causées sur place et à l’instant, c’est-à-dire immédiatement [1] . Toutefois, dans la définition actuelle du terme «danger», la mention de risque, de situation ou de tâche doit être interprétée en tenant compte du risque, de la situation ou de la tâche existants ou éventuels, ce qui semble éliminer de la notion précédente de danger le préalable que des blessures ou la maladie se produiront raisonnablement sur-le-champ. En fait, les blessures ou la maladie ne peuvent découler que de l’exposition au risque, à la situation ou à la tâche. Donc, étant donné la gravité de la situation, il doit y avoir un niveau raisonnable de certitude qu’il y aura effectivement une blessure ou une maladie immédiatement s’il y a une exposition au risque, à la situation ou à la tâche, à moins qu’on élimine le risque, que l’on corrige la situation ou que l’on modifie la tâche. En sachant cela, on ne peut attendre qu’un accident se produise, d’où le besoin d’agir rapidement et immédiatement dans de telles situations. [Souligné par mes soins]

 

  • [35] Ainsi, pour qu’il puisse exister un danger au sens du Code, il doit y avoir un niveau raisonnable de certitude qu’il y aura effectivement une blessure ou une maladie immédiatement s’il y a une exposition au risque, à la situation ou à la tâche, à moins qu’on élimine le risque, que l’on corrige la situation ou que l’on modifie la tâche. En l’espèce, afin de déterminer s’il existe un degré raisonnable de certitude, il est indispensable d’examiner les faits spécifiques du cas.

 

  • [36] En ce qui concerne les mycoses engendrées par une exposition à la moisissure, M. Stewart, dans son témoignage, a affirmé que les mycoses sont rares, qu’elles se limitent généralement aux gens dont le système immunitaire est gravement affaibli et qu’on ne peut déterminer ce facteur que sur une base individuelle. Il a indiqué que les gens dont le système immunitaire est gravement affaibli sont ceux qui sont atteints du SIDA ou de la leucémie, qui suivent des traitements de chimiothérapie ou les récipiendaires de greffes d’organes. Dans ce cas, rien ne porte à croire que le système immunitaire de l’un ou l’autre des conducteurs était affaibli. Par conséquent, j’en conclus qu’il n’est pas raisonnable de craindre que l’exposition aux moisissures trouvées dans les autobus de modèle Champion E350 pouvait causer des blessures ou des maladies à un des conducteurs par suite d’une mycose.

 

  • [37] Quant aux blessures pouvant éventuellement être causées par une exposition aux moisissures toxiques, M. Stewart a avancé que quiconque est exposé à des concentrations élevées de moisissures toxiques aérogènes pouvait subit des effets toxiques. Bien qu’il n’ait pas défini clairement le terme « concentrations élevées », je ne suis pas convaincu que les autobus contenaient des concentrations élevées de moisissures toxiques aérogènes, ceci pour trois raisons. Premièrement, l’infestation de moisissures trouvée dans les autobus était prisonnière entre les murs extérieurs et les panneaux intérieurs des véhicules. Deuxièmement, on n’a trouvé de moisissures toxiques aérogènes que dans les échantillons d’air prélevés lorsque les techniciens de la WESA se sont mis à frapper sur le toit et les murs des autobus. Bien que le fait d’avoir trouvé des moisissures toxiques aérogènes dans les échantillons d’air démontre à lui seul que ces moisissures avaient bel et bien accès à l’intérieur de l’autobus dans des conditions précises, je ne considère pas que les coups sur le toit et les panneaux latéraux des autobus simulent les conditions normales de fonctionnement des autobus. En fait, lorsqu’on a répété les tests de qualité de l’air dans le même autobus, cette fois en s’abstenant de frapper sur les murs et sur le toit, on n’a trouvé aucune moisissure toxique dans les échantillons d’air. En outre, je suis enclin à abonder dans le même sens que Mme Renton, à savoir que toute concentration de moisissure aérogène dans l’air aurait été rapidement diluée par l’ouverture fréquente des portes d’autobus pour laisser monter ou laisser descendre des passagers.

 

  • [38] Sur le plan des réactions allergiques aux moisissures, M. Stewart a témoigné qu’une proportion de 10 à 15 p. 100 de l’ensemble de la population adulte est plus sensible aux moisissures et que ces personnes auront, tôt ou tard, des réactions allergiques aux moisissures. Cependant, il a convenu qu’il importe de consulter un spécialiste en médecine de l’environnement et du travail pour faire confirmer le lien de cause à effet entre la blessure ou la maladie dont souffre la personne et la moisissure,

 

  • [39] Lorsque l’agent de santé et de sécurité Labrecque a mené son enquête sur le refus de travailler des conducteurs de Para Transpo, certains ont affirmé se sentir malades. M. Stewart a laissé entendre que l’agent de santé et de sécurité Labrecque aurait dû solliciter l’avis d’experts médicaux dans son enquête pour déterminer si les plaintes des conducteurs qui refusaient de travailler étaient liées aux moisissures trouvées dans les autobus avant de décider qu’il n’existait aucun danger pour les conducteurs. Je suis parfaitement d’avis qu’il est du devoir des agents de santé et de sécurité d’enquêter à fond sur les refus de travailler, et qu’il aurait peut-être été instructif d’examiner d’un peu plus près les cas des conducteurs, mais il faut se souvenir que le Code n’autorise pas l’agent de santé et de sécurité à obliger un employé à se soumettre à des tests médicaux ou à consulter un médecin ou un spécialiste en médecine de l’environnement ou du travail afin de confirmer que ses malaises sont causés par quelque chose qui se trouve dans son milieu de travail.

 

  • [40] L’agent de santé et de sécurité Labrecque a décidé qu’il n’existait pas de danger parce que la concentration de moisissures aérogènes trouvées dans les autobus était semblable à la quantité qu’on trouve dans l’air ambiant à l’extérieur et qu’il n’était pas raisonnable de craindre que les moisissures puissent causer des blessures ou des maladies à un conducteur avant qu’on ait fini de les éliminer. En me fondant sur mon examen, j’en conclus, sur la prépondérance des probabilités, que cette décision était raisonnable et correcte. Selon moi, la concentration de moisissures aérogènes dans les autobus n’était pas suffisamment élevée pour créer un niveau raisonnable de certitude qu’un conducteur qui y serait exposé serait blessé ou tomberait malade avant qu’on ait pu les éliminer. En outre, on n’a présenté aucune preuve établissant que les malaises signalés par les conducteurs étaient liés aux moisissures trouvées dans les autobus.

 

  • [41] Pendant les séances d’information tenues par la WESA les 4 et 5 décembre 200 afin d’informer les conducteurs qu’on avait trouvé des moisissures dans les autobus de modèle Champion E350, Para Transpo a indiqué à ses conducteurs qu’ils seraient immédiatement affectés à un autre véhicule s’ils tombaient malades en conduisant un des autobus. Je trouve intéressant et je tiens à souligner le fait que les conducteurs, y compris les trois qui étaient allergiques aux moisissures, ont semblé accepter la formule d’accommodement de Para Transpo jusqu’au moment où la WESA a confirmé qu’on avait trouvé des moisissures toxiques dans certains des échantillons. À l’origine, 20 conducteurs avaient refusé de travailler, mais le lendemain le nombre est soudainement monté à 105. Tout cela me porte à croire que le refus de travailler était lié à la découverte de moisissures toxiques dans les échantillons.

 

  • [42] Pour toutes les raisons énoncées ci-dessus, je confirme la décision de l’agent de santé et de sécurité sur l’absence de danger pour les conducteurs qui ont refusé de travailler le 11 janvier 2001.

 

 

 

 

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Douglas Malanka

Agent d’appel


RÉSUMÉ DE LA DÉCISION DE L’AGENT D’APPEL

N° de décision : 01-018

 

Demandeur : Syndicat uni du transport

Employeur : Laidlaw Transit Ltd. - Para Transpo Division

 

MOTS CLÉ : Moisissure, moisissures toxiques, stachybotros actra, autobus spécialisés Champion E350, panneaux intérieurs, résultats des tests de qualité de l’air, Protocole de New York, panneaux de bois non traités, refus de travailler, danger, certitude raisonnable de blessure ou de maladies.

DISPOSITION :

 

Code : 122.1, 128.(1), 128.(11), 129.(7), 146.1(1), 145.(2), 145.(2.1)

 

RÉSUMÉ :

 

Le 11 janvier 2001, 20 conducteurs de Para Transpo ont refusé de travailler en vertu du paragraphe 128 (1) de la partie II. Plus précisément, les conducteurs ont refusé de conduire les autobus spécialisés de modèle Champion E350 parce qu’on avait constaté la présence de moisissures toxiques dans deux de ces autobus et qu’il y avait tout lieu de croire que tous les autobus de ce modèle étaient également infestés. Lorsque l’agent de santé et de sécurité Labrecque est arrivé à Para Transpo pour mener son enquête sur le refus de travailler, le nombre d’employés qui refusaient de travailler pour la même raison est grimpé à 44. Au deuxième jour de l’enquête, 105 employés ont refusé de travailler.

 

Après révision, l’agent d’appel a décidé que les preuves étaient insuffisantes pour établir un niveau de certitude raisonnable que la moisissure trouvée dans les autobus Champion E350 causerait des blessures ou des maladies aux conducteurs qui y étaient exposés avant qu’on ait pu l’éliminer. Il a confirmé la décision de l’agent de santé et de sécurité Labrecque selon laquelle il n’existait pas de danger pour les conducteurs qui ont refusé de travailler le 11 janvier 2001.

 

 



[1] Brailsford v. Worldways Canada Ltd. (1992), 87 di 98 (CCRT)

Bell Canada v. Travail Canada (1984), 56 di 150 (CCRT)

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