Tribunal de santé et sécurité au travail Canada

Informations sur la décision

Contenu de la décision

RÉSUMÉ DE LA DÉCISION DE L’AGENT RÉGIONAL DE SÉCURITÉ

 

Décision no : 99-027

 

Demandeur : Association internationale des débardeurs

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

Intimé : Cerescorp Company

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

MOTS CLÉS :

 

Accident concernant des débardeurs, remorque, châssis, miroirs, faire le tour, inspection visuelle, déclaration écrite, contradictions entre les déclarations et les témoignages.

 

DISPOSITIONS

 

Code: 126(1)c), 145(1)

RCSST :

RÉSUMÉ

 

Un agent de sécurité a donné une instruction au conducteur d’un tracteur de manutention remorquant un « châssis » après qu’il eût heurté un employé de Cerescorp parce qu’il n’avait pas pris les précautions nécessaires pour éviter cet accident.

 

Les déclarations écrites initiales de l’employé victime de l’accident et de celui qui en a été l’unique témoin étaient concordantes. Selon ces déclarations, pendant que les deux employés se tenaient derrière le châssis, les roues arrières de celui‑ci ont roulé lentement sur le bout du pied de la victime, l’ont fait tomber par terre et lui ont lacéré la jambe droite à plusieurs endroits. Cependant, la déclaration fournie par le conducteur du tracteur plusieurs semaines plus tard ne correspond pas avec celle des deux autres employés. Il prétendait les avoir prévenus qu’il retournait à son poste et les avoir vus s’éloigner du châssis. Il ajoutait qu’il avait regardé dans ses miroirs et n’avait vu personne près du châssis.

 

L’enquête de l’agent de sécurité a révélé que le conducteur du tracteur n’avait pas effectué une inspection visuelle de son véhicule avant de le déplacer. Cette conclusion s’appuyait sur les déclarations écrites initiales des deux employés selon lesquelles ils se tenaient derrière le châssis, ce qui signifie que le conducteur ne s’est pas assuré qu’il n’y avait pas d’obstacles humains ou autres autour de son véhicule avant de le déplacer. Lorsqu’il a examiné la décision, l’agent régional de sécurité a constaté que les témoignages des deux employés à l’audience ne concordaient pas avec leurs déclarations écrites initiales, mais correspondaient plutôt à celle du conducteur. Il a jugé que les déclarations écrites initiales avaient plus de valeur et a décidé de CONFIRMER l’instruction.


CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II

SÉCURITÉ ET SANTÉ AU TRAVAIL

 

Examen en vertu de l’article 146 du Code canadien du travail,

Partie II, d’une instruction donnée par un agent de sécurité

 

 

Décision n: 99-027

 

 

Demandeur : Association internationale des débardeurs, section locale no 269

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

Représentée par : Ronald A. Pink et Mme Gail Gatchalian

 

Intimé : Cerescorp Inc.

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

Représentée par : C. Whidden et Steve Belding

 

Mis-en-cause : Matthew Tingley

Agent de sécurité

Développement des ressources humaines Canada

 

Devant : Serge Cadieux

Agent régional de sécurité

Développement des ressources humaines Canada

 

 

L’audience a eu lieu, le 20 octobre 1999, à Halifax, en Nouvelle‑Écosse.

 

 

Contexte

 

Le 28 février 1999, un accident concernant des débardeurs a eu lieu au terminal à conteneurs de Fairview Cove, dans le port d’Halifax. Un employé de Cerescorp Inc., M. Kevin Nolan, a été gravement blessé quand la roue arrière gauche d’une remorque appelée « châssis » attachée à un tracteur de manutention conduit par M. Paul O’Malley a roulé sur sa jambe droite. Cette roue, qui se trouvait du côté de l’eau, à ce moment‑là, a roulé lentement sur le bout de son pied, l’a projeté au sol et a lacéré sa jambe droite à plusieurs endroits.

 

L’agent de sécurité Matthew Tingley, accompagné par l’agent de sécurité Ron Thibault, a enquêté sur l’accident. L’agent Blain Lane de la police régionale d’Halifax a remis à M. Tingley une déclaration écrite qu’il a obtenue, juste après l’accident, de M. Kevin Piper, un débardeur qui a été le seul témoin de cet accident. L’agent de sécurité a ensuite obtenu, en présence de leurs permanents syndicaux, une déclaration de M. O’Malley, le 1er mars 1999, et de M. Nolan, le 12 mars 1999.

 

Dans sa déclaration, M. O’Malley explique qu’en attendant que les grues se mettent dans la position voulue pour décharger un navire, lui et messieurs Nolan et Piper se sont parlés pendant 5 à 10 minutes près de la roue arrière gauche du châssis. À un moment donné, pendant la conversation, il a dit « bonjour » à ses deux collègues et s’est dirigé vers son tracteur et il affirme qu’à ce moment-là ses deux collègues se sont éloignés du châssis. Il est monté dans son tracteur dont le moteur tournait au neutre et dont le frein de secours était serré. Le pare-brise, les vitres latérales et la fenêtre de la portière située à l’arrière de ce véhicule sont en verre. Il est entré dans la cabine du tracteur par la portière arrière, a mis son pied sur le frein, a desserré le frein de secours, a regardé dans son miroir de droite pour voir si d’autres châssis ne s’en venaient pas et s’est mis à avancer lentement tout en gardant son pied sur le frein. Il a entendu un hurlement et en regardant par la portière arrière, il dit qu’il a vu M. Keven Piper courir vers l’arrière du châssis. Il s’est alors rendu compte qu’une roue du châssis avait passé sur M. Nolan. Il a arrêté son tracteur et a reculé. Des mesures d’urgence ont été prises à ce moment‑là pour aider M. Nolan.

 

L’agent de sécurité a constaté que la déclaration de M. Piper, qui a été obtenue par un agent de police presqu’immédiatement après l’accident, différait quelque peu de celle de M. O’Malley. M. Piper a dit que lorsque la grue a abaissé sa flèche et que M. O’Malley est entré dans son tracteur : «…K. Nolan et moi, nous trouvions derrière le châssis. Paul a démarré et a commencé à avancer et j’ai entendu Kevin hurler! …»

 

La déclaration de M. Nolan à l’agent de sécurité confirme que les trois employés avaient une conversation derrière les roues arrières du châssis. Elle confirme aussi que M. O’Malley a pris congé du groupe d’une manière semblable à celle qu’il a décrite dans sa déclaration. M. Nolan ajoute cependant : « je lui tournais le dos, c’est pourquoi je n’ai pas vu où il s’en allait. Moi et M. Piper sommes restés là encore une minute, puis j’ai senti quelque chose qui tirait sur le bout de mon pied et j’ai été entraîné en‑dessous de la roue ».

 

L’agent de sécurité a soumis à l’audience une déclaration écrite dans laquelle il décrit ses constatations de la façon suivante :

 

  • M. Piper, dans sa déclaration, ne dit pas que lui et M. Nolan se sont éloignés du châssis. Il ne dit pas qu’il a accouru auprès de M. Nolan, mais mentionne que le châssis a reculé de six pieds. Quand j’ai communiqué avec lui, il a jugé que sa déclaration à l’agent Lane était adéquate et n’a rien trouvé à y ajouter. Nous n’avons pas pu nous revoir pour que je puisse obtenir une déclaration additionnelle avant de remettre l’instruction à M. O’Malley.

  • M. Nolan m’a déclaré à l’hôpital et a mentionné dans la déclaration qu’il a rédigée près de deux semaines plus tard, que M. O’Malley avait dit « Au revoir » et s’était éloigné, mais n’avait demandé ni à lui ni à M. Piper de s’écarter. M. Nolan n’a pas dit non plus qu’il s’était éloigné de l’endroit où se trouvaient les roues du châssis, lesquelles lui ont passé dessus.

  • M. O’Malley savait qu’il y avait des employés près de sa remorque.

  • Il ne leur a pas dit de s’écarter.

  • Il n’a pas dit non plus, ni dans sa déclaration ni lorsque je l’ai rencontré, le 22 mars 1999, qu’il avait vérifié autre chose que la présence de véhicules à sa droite.

  • C’est un conducteur expérimenté, qui a été formé au Commercial Safety College.

  • L’accident s’est produit un matin où il faisait beau.

  • M. Nolan portait un gilet de sécurité très visible et un équipement de protection personnel.

  • Un accident presque identique s’est produit dans le port d’Halifax, un soir, en 1998. La victime a été tuée. Même si la sécurité a été améliorée de plusieurs façons, un accident semblable vient de se produire.

  • Presque toutes les publications concernant les procédures à suivre pour le déplacement sécuritaire de l’équipement insistent sur le fait que le conducteur doit s’assurer qu’il n’y a personne autour de son véhicule.

 

En se basant sur cette information, l’agent de sécurité Tingley a donné une instruction (VOIR ANNEXE) en vertu du paragraphe 145(1) du Code canadien du travail, Partie II (le Code), à M. O’Malley, pour ne s’être pas assuré qu’il n’y avait personne autour de son véhicule, comme l’exige l’alinéa 126(1)c) du Code. M. O’Malley a interjeté appel de l’instruction dans le délai prévu.

 

 

Témoignages

 

Mme Gail Gatchalian a fait témoigner les trois employés concernés par l’accident ainsi que M. Gerry Vigneault, le représentant des employés au comité de sécurité et de santé de Cerescorp. Je ne citerai pas au long leurs témoignages, mais j’en tirerai les faits suivants :

 

M. O’Malley a expliqué qu’il avait reçu, pour conduire les tracteurs de manutention et les camions à chargement frontal sur les quais, une formation où on insistait sur la nécessité d’utiliser les miroirs pour avancer ou reculer, parce que le conteneur qui se trouve habituellement sur le châssis bloque la vue qu’on peut avoir par la portière arrière. Il importe encore plus de les utiliser quand on recule la remorque vers un navire ou sous un pont‑portique. Pour ce qui est de faire le tour de l’équipement pour l’inspecter, selon M. O’Malley, on ne fait ce genre d’inspection que la première fois qu’on utilise un véhicule et non chaque fois qu’on l’arrête ou qu’on détache la remorque. Il a répété ce qu’il avait dit dans sa déclaration à l’agent de sécurité, et surtout que les deux hommes s’éloignaient du châssis quand il les a quittés.

 

Lorsque Mme Gatchalian lui a demandé ce qui s’était passé, à son avis, M. O’Malley a répondu que M. Nolan était probablement retourné précipitamment vers le châssis pour prendre une pièce d’équipement qui s’y trouvait. Il l’aurait oublié là et en s’éloignant du châssis, il s’en serait rappelé et serait revenu rapidement sur ses pas pour la reprendre. Quant à lui, il n’avait vu personne quand il avait regardé dans son miroir de gauche. L’accident avait dû se produire en une fraction de seconde et il n’y était pour rien. Il avait fait tout ce qu’il avait à faire dans les circonstances.

 

M. Vigneault, qui a aussi témoigné dans cette affaire, a déclaré que les chauffeurs doivent faire le tour de leur équipement avant de le mettre en marche et que cette inspection prend de 5 à 10 minutes, quand elle est bien faite. À son avis, lorsque M. O’Malley est revenu dans son tracteur, il en a profité pour examiner ce qu’il y avait autour de la remorque. Comme il n’y avait personne à ce moment‑là, il est évident que quelqu’un est revenu sur la scène de l’accident. M. Vigneault a expliqué que le comité de sécurité et de santé s’était réuni le 5 mars 1999 pour examiner les déclarations de messieurs O’Malley, Piper et Nolan et avait conclu que l’accident était attribuable au fait que « les hommes ne faisaient pas attention au châssis en mouvement ». Toutefois, après avoir répété à Mme Gatchalian qu’il avait examiné les trois déclarations, l’agent de sécurité a précisé qu’il n’avait reçu celle de M. Nolan que le 12 mars 1999 et que cette déclaration n’avait donc pas pu être examinée à la réunion du 5 mars 1999.

 

M. Piper a déclaré que les trois employés avaient une conversation près des pneus du châssis lorsque la flèche de la grue a commencé à baisser, ce qui signifie qu’il était temps de retourner au travail. M. O’Malley s’est alors dirigé vers son tracteur et lui et Kevin Nolan se sont éloignés en même temps des pneus et se sont dirigés vers le navire. Lorsque Kevin Nolan a hurlé, a-t-il ajouté, « j’étais rendu plus loin que l’arrière de la remorque ». Il a expliqué qu’une clé qu’on utilise pour les conteneurs et qui lui avait été donnée par le contremaître en charge de l’arrimage se trouvait sur le cadre du châssis. Ni M. Nolan ni lui n’avaient cette clé pendant qu’ils s’éloignaient du châssis, ce qui pourrait expliquer la présence de M. Nolan près de celui-ci. Il a ensuite entendu M. Nolan hurler et il est revenu pour l’aider. Il a fait une déclaration écrite à la police dans les 30 minutes suivant l’accident. Il a dit que même s’il ne l’a pas mentionné dans sa déclaration à la police, « il s’est éloigné du châssis ». Il a ajouté, pour terminer, que M. O’Malley était un bon conducteur et qu’il croyait que « Paul a regardé dans ses deux miroirs ».

 

M. Kevin Nolan a témoigné que les trois employés tenaient une conversation près des roues arrières de la remorque. Lorsque la grue a commencé à bouger, M. O’Malley a dit qu’il était temps d’y aller, c’est-à-dire de reprendre le travail, et les employés se sont dispersés, comme Kevin Piper a dit qu’ils l’ont fait. Il se rappelle que lui et Kevin Piper se dirigeaient vers le navire, mais sa mémoire fait défaut à partir de là. Il se rappelle vaguement, cependant, s’être étiré au‑dessus du châssis pour atteindre quelque chose et avoir senti un poids sur son pied. Il a ensuite décrit en détail l’accident et les pensées qui lui ont passé par la tête à ce moment‑là. Il se rappelle que Kevin Piper devenait plus petit parce qu’il s’éloignait de lui. Lorsque Mme Gatchalian a ajouté, pour vérifier ce que M. Nolan venait de dire : « il s’en allait vers le navire », M. Nolan a répondu : « Non, ce n’est pas lui qui s’éloignait de moi, c’est moi qui était entraîné loin de lui ». Pour terminer, M. Nolan a vanté le professionnalisme de M. O’Malley et a déclaré qu’il croyait que ce dernier avait agi d’une façon sécuritaire dans les circonstances.

 

Déposition de l’employeur

 

M. Steve Belding a déclaré qu’il ne prendrait aucune position et ne ferait aucune déposition dans cette affaire et se contenterait d’un rôle d’observateur.

Déposition de l’employé

 

La déposition de Mme Gatchalian s’appuie sur l’hypothèse que les deux employés, M. Piper et M. Nolan, s’éloignaient du châssis, lorsque M. O’Malley les a quittés pour retourner au travail et que ce dernier avait toutes les raisons de croire, par conséquent, qu’il n’y avait personne autour de la remorque. Voici comment elle a énoncé sa position :

 

« M. O’Malley a été formé à utiliser ses miroirs pour s’assurer qu’il n’y a aucun obstacle autour de sa remorque, cependant, il n’est pas obligé de faire le tour de cette dernière chaque fois qu’il s’arrête. Il a quand même examiné le châssis pendant la conversation à l’arrière de ce châssis et quand il est revenu vers le tracteur. Étant donné qu’il n’y avait pas de conteneur sur le châssis et qu’il a regardé dans ses deux miroirs, il a pu vérifier s’il y avait quelqu’un d’autre que MM. Nolan et Piper de chaque côté du châssis. Il a donc pris toutes les précautions nécessaires dans les circonstances.

 

À notre avis, les témoignages que nous avons entendus aujourd’hui démontrent que M. O’Malley a pris toutes les précautions raisonnables et nécessaires pour assurer la sécurité des autres employés aux alentours de son châssis. Premièrement, nous avons entendu qu’il n’y avait pas de conteneur sur le châssis, que MM. O’Malley, Nolan et Piper avaient une conversation derrière la roue arrière gauche de cette remorque et que cette dernière n’arrive qu’à la hanche de M. O’Malley. Par conséquent, il pouvait voir des deux côtés du châssis s’il s’y trouvait quelqu’un d’autre que M. Nolan et Piper.

 

Nous avons aussi entendu que M. Nolan et Piper se sont éloignés du châssis quand M. O’Malley a cessé de leur parler et est revenu vers son tracteur. Il avait donc toutes les raisons de croire qu’il n’y avait personne autour du châssis quand il est entré dans sa cabine. Nous avons aussi entendu que M. O’Malley, comme on le lui a enseigné et comme cela se pratique à Cerescorp, a regardé dans son miroir pour vérifier s’il n’y avait pas quelque chose ou quelqu’un près de son châssis avant de le faire avancer. Nous avons entendu qu’il a regardé dans le miroir de gauche, qu’il n’a pas vu personne, qu’il a regardé ensuite par la fenêtre de droite puis qu’il s’est retourné pour regarder le côté droit du châssis et qu’il n’a vu ni piéton ni véhicule de ce côté. Compte tenu de ces circonstances, et surtout du fait que M. Piper et Nolan s’éloignaient du châssis et s’en allaient vers leur aire de travail, nous considérons que M. O’Malley a pris toutes les mesures raisonnables et nécessaires pour s’assurer qu’il n’y avait pas de piétons autour de son châssis quand il a commencé à le faire avancer.

 

Nous avons entendu que les conducteurs de tracteurs de manutention sont formés à faire le tour de leur équipement pour effectuer une inspection préalable avant de commencer leur poste de travail. Cependant, ils ne sont pas supposés en faire le tour chaque fois qu’ils l’arrêtent pendant la journée. Cette fois‑là, M. O’Malley tenait une conversation à l’arrière du châssis avec deux autres employés et il en a profité pour inspecter les alentours du châssis, même si sa formation ne l’exigeait pas.

 

En outre, nous avons entendu que la formation et la pratique à Cerescorp en ce qui concerne les conducteurs de tracteur de manutention consistent à se fier aux miroirs droit et gauche et non à la fenêtre arrière de leur véhicule, parce que celle-ci est souvent bloquée par les conteneurs qui se trouvent sur le châssis. En somme, ils doivent apprendre à regarder dans leurs miroirs, comme M. O’Malley l’a fait dans ce cas.

 

À notre avis, il serait impossible pour un conducteur de tracteur de manutention de regarder constamment des deux côtés du châssis pendant qu’il le déplace, et même s’il vérifiait alternativement son miroir de droite et son miroir de gauche en avançant, quelqu’un aurait le temps de s’approcher des roues du châssis et de se faire attraper par ces roues, comme cela a dû se passer dans ce cas, bien que M. Piper ait tourné le dos à M. Nolan et ne puisse pas le certifier. M. Nolan est revenu au châssis et, comme nous l’avons entendu, il ne se rappelle pas bien comment il s’est trouvé près du châssis après s’en être éloigné. Cependant, il doit avoir rebroussé chemin assez rapidement parce qu’il s’est écoulé à peine une minute entre le moment où M. O’Malley est parti de l’arrière du châssis pour revenir dans sa cabine et seulement quelques secondes entre le moment où il a regardé dans son miroir de gauche et celui où il a commencé à avancer lentement. C’est durant ces quelques secondes que M. Nolan doit être revenu à l’endroit où il a été frappé.

 

Nous avons aussi entendu qu’en 1988, au terminal à conteneurs Halterm, un travailleur a été victime d’un accident mortel dans des circonstances semblables. Comme il n’y avait aucun garde‑fou pour empêcher les gens de s’approcher des roues, qui se trouvaient à l’extérieur du châssis, à la suite de cet accident, Halterm a reçu l’ordre d’en installer et a soudé des plaques de métal le long du châssis, mais Cerescorp n’a pas imité cette compagnie.

 

À notre avis, M. O’Malley a inspecté visuellement les alentours du châssis pour vérifier s’il y avait des piétons et il a pris toutes les précautions raisonnables qu’il devait prendre pour assurer la sécurité des autres employés. Par conséquent, il n’y a pas de raison de conclure qu’il a enfreint l’alinéa 126(1)c) du Code et on doit plutôt déduire que l’accident est dû au fait que M. Nolan est revenu rapidement vers le châssis et qu’il n’y avait pas de garde‑fous pour l’empêcher de s’approcher des pneus. »

 

 

 

Décision

 

Il s’agit de juger, dans ce cas‑ci, si M. Paul O’Malley, conducteur de tracteur de manutention, a négligé de regarder autour de son véhicule pour voir s’il y avait des piétons avant de le déplacer [1] . Cette question est intimement liée à la suivante : M. Nolan et M. Piper se sont-ils éloignés lorsque M. O’Malley les a quittés pour revenir au travail.

 

Il y a des contradictions frappantes entre les témoignages des personnes qui ont comparu devant moi et les déclarations écrites faites après l’accident par les deux plus importantes d’entre elles, soit M. Kevin Piper, le seul témoin de l’accident, et M. Kevin Nolan, la victime. Les déclarations écrites de ces personnes ne concordent pas avec la déclaration écrite de M. O’Malley, alors que leurs témoignages à l’audience correspondent inexplicablement avec celle-ci.

 

La déclaration de M. Piper à l’agent de police a été faite trente minutes après l’accident. L’affirmation selon laquelle « K. Nolan et moi‑même nous tenions derrière la machine » est aussi claire et véridique qu’une affirmation peut l’être dans les circonstances où celle-ci a été faite. S’il y a une chose dont je suis convaincu dans ce cas, c’est que lorsque M. O’Malley a déplacé le tracteur, M. Piper et M. Nolan étaient encore près de la roue arrière du châssis. Le fait que la déclaration de M. Piper a été donnée à un agent de police dans les trente minutes suivant l’accident est particulièrement important, parce que le moment et les circonstances dans lesquelles elle a été faite la rendent particulièrement authentique. En effet, dans un tel contexte, il est difficile, et même impossible, pour une personne très stressée d’inventer une histoire qui tienne compte des faits et qui soit cohérente. En outre, lorsque l’agent de sécurité lui a demandé s’il voulait clarifier ou modifier la déclaration qu’il avait donnée à l’agent de police, M. Piper l’a jugée adéquate et n’a pas voulu y changer quoi que ce soit. Par conséquent, à mon avis, la déclaration de M. Piper décrit exactement ce qu’il a vu lorsque l’accident s’est produit, soit que les deux employés se tenaient près des roues arrières du châssis lorsque celui-ci s’est déplacé.

 

Ma conviction à ce sujet est renforcée par la déclaration de M. Nolan, la victime, selon laquelle : « M. Piper et moi sommes restés là une minute, puis j’ai senti quelque chose qui tirait le bout de mon pied... ». Cette affirmation de M. Nolan, qui correspond à la première déclaration qu’il a faite à l’agent de sécurité à l’hôpital, est claire. Aucune personne ayant un minimum d’éducation ne pourrait s’y tromper. « Restés là une minute » signifie ne pas bouger. Il est impossible d’interpréter cela autrement. L’image qui vient à l’esprit concernant ces deux personnes au moment de l’accident est qu’elles étaient immobiles et non en mouvement. On ne peut être immobile et en mouvement en même temps. Lorsque M. Nolan a déclaré à l’agent de sécurité qu’il était resté là, il n’a pas dit qu’il était revenu vers la remorque. Il a ajouté que pendant qu’il se tenait là, il a senti le pneu passer sur son pied. C’est un autre élément de sa déclaration qui contredit l’hypothèse selon laquelle il serait revenu précipitamment pour reprendre une pièce d’équipement qui aurait été oubliée sur le châssis.

 

Compte tenu des faits et de l’opinion des deux agents de sécurité qui m’ont précédé, j’accorde plus de crédit aux déclarations écrites initiales de MM. Nolan et Piper qu’à leur témoignage devant moi.

 

Je suis convaincu que M. Nolan et Piper ne se sont pas éloignés quand M. O’Malley est monté dans son tracteur et l’a déplacé. Bien qu’il soit possible qu’il ait salué les deux employés près des roues arrières quand il les a quittés, il ne leur a pas dit clairement qu’il allait faire avancer ou reculer le tracteur. Je crois qu’il l’a déplacé sans s’assurer que l’espace qui l’entourait était libre et qu’il pouvait agir ainsi sans danger. Je crois plus précisément qu’il n’a pas regardé dans son miroir de gauche, parce que s’il l’avait fait, il aurait vu les deux employés qui se trouvaient encore près des roues arrières. Il n’a pas regardé non plus par la porte arrière pour s’assurer qu’il n’y avait personne près de son véhicule, alors qu’il aurait pu le faire étant donné qu’il n’y avait pas de conteneur sur le châssis. Il n’a pas fait le tour de son véhicule, comme l’agent de sécurité l’a dit, pour s’assurer qu’il n’y avait pas de piétons aux alentours avant de bouger. Il a seulement regardé dans son miroir de droite pour vérifier s’il n’y avait pas d’autres châssis qui s’en venaient. Comme on peut le constater, cela n’a pas suffi pour protéger M. Nolan.

 

M. Nolan et M. Piper considèrent M. O’Malley comme un conducteur compétent et je n’ai aucune raison d’en douter. Cependant, parce qu’il conduit de l’équipement lourd dans un endroit bourdonnant d’activités et de monde, il a la lourde responsabilité de prendre toutes les précautions raisonnables nécessaires pour ne pas mettre en danger la sécurité et la santé des gens qui travaillent autour de lui. Par conséquent, l’agent de sécurité a eu raison, à mon avis, de lui donner pour instruction de corriger une situation inacceptable qui aurait pu causer la mort d’un de ses collègues. À mon avis, c’est seulement par chance que l’accident qu’a subi M. Nolan n’a pas été plus grave. Les employés devraient profiter de cette occasion pour discuter des règles de sécurité et des améliorations à apporter à leur comportement quand ils travaillent. L’une des règles cardinales de sécurité dans le secteur du débardage est que les employés se tiennent hors de portée de l’équipement mobile. À cet égard, M. Nolan n’est pas sans tache. Il s’est placé à la portée des pneus quand il discutait tout près de l’arrière du châssis. Les personnes concernées devraient tirer les leçons qui s’imposent de ce malheureux accident et prendre les mesures nécessaires pour s’assurer qu’il ne se reproduira plus et qu’il n’y aura plus de victimes, étant donné qu’il y en a déjà eu.

 

Pour les raisons susmentionnées, JE CONFIRME PAR LA PRÉSENTE l’instruction donnée à M. Paul O’Malley, le 22 mars 1999, en vertu du paragraphe 145(1) du Code par l’agent de sécurité Matthew Tingley.

 

Décision rendue le 15 novembre 1999

 

 

 

 

Serge Cadieux

Agent régional de sécurité


ANNEXE

 

DANS L'AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II – SÉCURITÉ ET SANTÉ AU TRAVAIL

 

INSTRUCTION À L'EMPLOYÉ EN VERTU DU PARAGRAPHE 145(1)

 

 

Le 28 février 1999, l'agent de sécurité soussigné a procédé à une enquête concernant une situation comportant des risques dans le lieu de travail exploité par la société CERESCORP INC., employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, et sis au TERMINAL POUR CONTENEURS FAIRVIEW COVE, À HALIFAX (NOUVELLE‑ÉCOSSE).

 

Ledit agent de sécurité est d'avis qu'il y a infraction à la disposition suivante de la partie II du Code canadien du travail :

 

Alinéa 126(1)c) de la partie II du Code canadien du travail.

 

M. Paul O'Malley, opérateur de tracteur de manutention, n'a pas regardé autour de lui pour voir s'il y avait des piétons.

 

Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu du paragraphe 145(1) de la partie II du Code canadien du travail, de cesser toute contravention au plus tard le 22 mars 1999.

 

Fait à Halifax, ce 22e jour de mars 1999.

 

MATTEW TINGLEY

Agent de sécurité

N° 1800

 

 



[1] J’utilise délibérément le mot « déplacé » dans ce cas sans préciser dans quelle direction le déplacement s’est effectué, parce qu’on a prétendu sans preuve que le tracteur avait reculé plutôt qu’avancé.

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.