Tribunal de santé et sécurité au travail Canada

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PARTIE II

SÉCURITÉ ET SANTÉ AU TRAVAIL

 

Révision, en vertu de l'article 146 du Code canadien du travail (Partie II),

des instructions données par un agent de sécurité

 

Décision no : 98-015

 

Requérante : Neptune Bulk Terminals (Canada) Ltd.

Vancouver (Colombie-Britannique)

Représentée par Darren Parry

 

Intimée : International Longshoremen's and Warehousemen's Union

Représentée par Albert Le Monnier

Président du comité de sécurité et de santé

Section locale 500

 

Mise-en-cause : Diana Smith

Agente de sécurité

Développement des ressources humaines Canada

 

Devant : Serge Cadieux

Agent régional de sécurité

Développement des ressources humaines Canada

 

L'affaire a été entendue les 27 octobre et 26 novembre 1998 à Vancouver (C.-B.).

 

RÉSUMÉ DES FAITS

 

Neptune Bulk Terminals (Canada) Ltd. (ci-après « Neptune ») est un terminal de marchandises en vrac situé à North Vancouver, dans le port intérieur de Burrard Inlet. Le terminal de Neptune est un établissement automatisé où l'on utilise des convoyeurs à grande vitesse pour déplacer les produits en vrac en provenance et à destination du lieu d'entreposage, du train ou du navire.

 

Le 10 juin 1998, vers midi, M. Leslie Kalo, débardeur envoyé chez Neptune pour y travailler comme manoeuvre, a refusé de travailler. Dans une déclaration signée qui figure sur le formulaire de consignation du refus de travailler, M. Kalo a décrit la condition qu'il craignait en ces termes :

 

J'estimais qu'il y avait un danger, parce que je travaillais seul dans un endroit isolé à un niveau assez élevé du sol.

 

 

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L'agente de sécurité Diana Smith est arrivée au lieu de travail vers 15 h [1] ce jour-là pour mener une enquête sur le refus de travailler. Dans son rapport, elle indique que M. Kalo avait été affecté à une autre tâche par suite de son refus de travailler mais que, lorsqu'elle est arrivée sur les lieux, il venait de quitter pour la journée. Néanmoins, elle a décidé de mener une enquête sur le refus de travailler et a examiné le lieu de travail et l'endroit en question en présence de représentants de l'employeur et de l'employé.

 

La tâche à laquelle M. Kalo avait été affecté consistait à enlever le surplus de graisse autour des appareils d'appui du portique de manutention no 32, qui est une structure métallique de trois niveaux. À cette fin, M. Kalo devait placer l'excédent de graisse qui s'était accumulée autour des appareils d'appui de chaque niveau dans un seau et s'en débarrasser.

 

Dans son rapport sur le refus de travailler, l'agente de sécurité décrit de façon détaillée l'emplacement de travail et la tâche que M. Kalo devait y exécuter :

 

Le portique était une structure en plein air comportant trois niveaux. Situés à chaque niveau, les appareils d'appui étaient accessibles au moyen d'un large escalier de métal déployé en bon état. Au niveau du sol, les appareils d'appui « A » et « B » de la courroie du portique no 32 étaient accessibles au moyen d'une rampe. Lors de l'enquête, la rampe et les mains courantes étaient enduites d'une couche de résidu de potasse humide qui ressemblait à de la boue dense et glissante. Au sommet/troisième niveau, pour avoir accès aux appareils d'appui situés à un certain endroit, il fallait grimper et se glisser entre deux pièces d'équipement dans un espace qui ne pouvait recevoir qu'une seule personne et qui se trouvait juste à côté d'un convoyeur.

 

Les courroies avaient été verrouillées, mais M. Kalo n'utilisait pas de dispositif de verrouillage lui-même et n'avait reçu aucune directive lui enjoignant de le faire. L'article 13.11 du Règlement canadien sur la sécurité et la santé au travail (partie 13) est ainsi libellé : « chaque employé doit être formé et entraîné par une personne qualifiée nommée par l'employeur concernant l'inspection, l'entretien et l'utilisation adéquate, en toute sécurité, de tous les outils et de toutes les machines dont il doit se servir ». De plus, selon la méthode de verrouillage écrite de Neptune, lorsqu'il doit exécuter des travaux de nettoyage et qu'il est accompagné d'un superviseur, l'employé est tenu d'installer un dispositif de verrouillage à chaque endroit isolé.

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Les représentants du comité et du syndicat ont dit à l'agente de sécurité que M. Kalo avait refusé non pas pour les raisons susmentionnées, mais parce qu'il devait travailler seul dans le portique de manutention. Neptune n'avait aucune procédure écrite au sujet des personnes devant travailler seules. Selon M. Smith (contremaître d'entretien), lorsqu'il a été mis au courant des préoccupations de M. Kalo, il a offert à celui-ci un poste radio et lui a proposé de travailler avec lui. M. Kalo a continué à refuser et s'est vu confier une autre tâche jusqu'à ce qu'il termine son quart de travail et qu'une enquête soit menée au sujet de l'affaire.

 

À la fin de la visite de l'emplacement, l'agente de sécurité a conclu qu'un danger existait pour les raisons mentionnées dans les instructions. De l'avis des représentants du syndicat et du comité, il était dangereux de travailler seul. Pour sa part, l'agente de sécurité estimait que ce n'était pas dangereux, en autant que l'endroit était exempt de risques, comme la présence de résidu de potasse, qu'une méthode de verrouillage satisfaisante était suivie et qu'une procédure prévoyant la surveillance des employés appelés à travailler seuls existait. M. Parry a fait nettoyer la rampe et la main courante immédiatement. Le 12 juin, des instructions écrites confirmant les instructions données verbalement le 10 juin ont été remises en mains propres (voir l'annexe).

 

 

Arguments de l'employeur

 

L'ensemble des arguments de M. Parry sont consignés au dossier. Les raisons qu'il invoque pour demander que les instructions soient annulées ou modifiées de la façon indiquée ci-dessous sont également consignées au dossier et ne seront pas répétées ici. Cependant, M. Parry a passé en revue les faits de la présente affaire et cité les décisions applicables à l’appui de ses arguments, qui portaient sur chaque point des instructions.

 

Essentiellement, M. Parry a expliqué que, lorsque M. Kalo a été informé des détails relatifs à la tâche à accomplir, il a été avisé par le contremaître Smith [2] de la politique et de la procédure de Neptune en matière de verrouillage. Le contremaître Smith lui a dit qu'il avait placé les dispositifs de verrouillage de ses superviseurs aux endroits nécessaires, que deux autres employés affectés à l'entretien préventif feraient la même chose, parce qu'ils travailleraient également au portique de manutention no 32, et qu'il devrait lui aussi fixer ses propres dispositifs de verrouillage à ces endroits correspondants. Selon le contremaître Smith, M. Kalo a refusé de le faire.

 

 

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M. Kalo portait le matériel de protection personnel nécessaire pour faire le travail sans danger. Après avoir expliqué les travaux de nettoyage à exécuter, le contremaître Smith a quitté M. Kalo pour une courte période et est revenu peu après, ce qui s'est produit deux fois au cours de l'avant-midi. M. Smith n'a pas été informé des craintes que M. Kalo éprouvait au sujet de sa sécurité pendant l'avant-midi, ce dernier ayant simplement mentionné qu'il s'agissait d'un travail de deux hommes. Néanmoins, M. Smith a aidé M. Kalo à transporter les seaux de graisse dans le camion pour s'en défaire de façon satisfaisante.

 

Vers 12h30, M. Veriah, coprésident du comité de sécurité et de santé et représentant des employés, a informé M. Smith du refus de travailler de M. Kalo aux termes de l'article 128 du Code canadien du travail (Partie II) (ci-après le Code). Une enquête de l'employeur a ensuite été menée en présence de représentants de M. Kalo et des employés. M. Parry a répondu comme suit aux préoccupations de M. Kalo :

 

  • A) le fait de travailler en hauteur n'était pas un problème, parce que, même s'il était élevé, le portique était sans danger. Il était muni de mains courantes, d'appuie-pieds, etc., de sorte que personne ne risquait de faire une chute;

  • B) l'employeur estimait qu'il s'agissait du travail d'un homme; toutefois, le contremaître Smith était prêt, comme mesure provisoire, à rester avec M. Kalo pour le reste du quart de travail de celui-ci et à l'aider à exécuter les travaux de nettoyage;

  • C) M. Kalo serait muni d'un poste radio pour le cas où le contremaître devrait quitter les lieux.

 

M. Parry a dit que M. Veriah a semblé satisfait de la façon dont l'employeur avait résolu la préoccupation de M. Kalo, étant donné que M. Veriah et lui-même ont recommandé que le contremaître reste avec l'employé pour le reste du quart de travail et lui fournisse un poste radio en cas d'urgence. Toutefois, M. Kalo a continué de refuser de travailler et l'agente de sécurité Diana Smith a été appelée pour mener une enquête conformément au Code. M. Parry a soutenu que Mme Smith était arrivée sur les lieux à 16h10 précises cet après-midi-là, bien après que M. Kalo ait quitté le lieu de travail. L'enquête a eu lieu en l'absence de M. Kalo.

 

M. Parry a fait valoir que les instructions devraient être annulées parce qu'il n'y avait eu

 

aucun manquement à l'article 124 ou aux alinéas 125p) ou q) du Code canadien du travail ou encore au paragraphe 2.12(2) du Règlement canadien sur la sécurité et la santé au travail.

 

M. Parry a soutenu subsidiairement que les instructions devraient être modifiées

 

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par l'annulation du point 2 conformément à l'alinéa 125q) et du point 3 conformément à l'alinéa 125p) et par la modification du point 1 conformément à l'article 124 au motif qu'un danger existait, mais qu'il était « inhérent » suivant l'alinéa 129(2)b) du Code canadien du travail.

 

M. Parry a terminé son argumentation en faisant valoir que le droit de refuser de travailler est une mesure d'urgence. Ce droit « ne peut être exercé lorsque le « danger » est inhérent au travail ou constitue une condition d'emploi normale. Dans la présente affaire, le fait de travailler au sommet du portique n'était pas dangereux et constituait une condition d'emploi normale, tout comme l'obligation de travailler seul ».

 

 

Arguments de l'employé

 

M. Le Monnier a demandé à l'agent régional de sécurité d'examiner les trois points des instructions dans le contexte du motif que l'employé a invoqué pour refuser de travailler. En effet, l'agente de sécurité n'a pas donné d'instructions au motif que le fait de travailler seul comportait un danger, mais plutôt parce que, en raison des trois observations mentionnées dans les instructions, il devenait dangereux de travailler seul.

 

M. Le Monnier analyse la chronologie des événements relatés par M. Parry pour prouver que les nombreux faits examinés et signalés par celui-ci ont été mal interprétés et ne sont pas pertinents ou n'ont tout simplement rien à voir en l'espèce. Ainsi, alors que le contremaître Smith mentionne que M. Kalo a refusé de placer ses dispositifs de verrouillage aux endroits appropriés, M. Le Monnier soutient que M. Kalo nie catégoriquement avoir été informé de l'existence de procédures à ce sujet. De plus, bien que M. Smith allègue que le travail de nettoyage était le travail d'un homme, M. Le Monnier souligne que le contremaître a aidé M. Kalo à transporter les seaux de graisse, ce qui contredit carrément cette allégation en plus d'aller à l'encontre de la convention collective applicable. Les photographies que M. Parry a présentées en preuve illustrent un travailleur « croqué sur le vif » dont le dispositif de verrouillage n'était pas conforme, puisque seul le contremaître avait son dispositif de verrouillage à cet endroit. M. Le Monnier a montré à d'autres photos illustrant un portique où aurait pu se trouver un travailleur blessé, un espace restreint ou une plateforme glissante enduite de graisse un peu partout.

 

M. Le Monnier a répondu à chaque argument de M. Parry au sujet des trois points mentionnés dans les instructions. En réponse au dernier argument concernant le refus de travailler, M. Le Monnier s'est exprimé comme suit : « Nous nous opposons vivement à l'idée selon laquelle le droit de refuser de travailler peut être exercé uniquement en cas d'urgence. Si cette idée était acceptée, les conditions de travail au Canada se détérioreraient au point de ressembler à celles du tiers-monde. Le mot imminent a été supprimé du Code pour cette raison ».

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Décision

 

La question à trancher en l'espèce est celle de savoir si M. Kalo était en danger lorsque l'agente de sécurité a mené son enquête. À ce sujet, la Cour d'appel fédérale a décidé, à deux occasions, que le danger doit exister au moment de l'enquête tenue par l'agent de sécurité. Dans l'arrêt Bidulka c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 3 C.F. 630 (C.A.), le juge Pratte a formulé la conclusion suivante (décision A-524-86) :

 

Conformément à l'alinéa 86(2)b) [maintenant 129(2)b)] du Code, l'agent de sécurité est clairement tenu de décider de l'existence ou de l'inexistence, au moment de son enquête, « d'une situation constituant un danger pour l'employé ». (C’est moi qui souligne)

 

Plus tard, il a réaffirmé ce principe dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Bonfa (1989), 33 C.C.E.L. 105, 73 D.L.R. (4th) 364, 113 N.R. 224 (C.A.F.) (A-138-89), où il s'est exprimé comme suit :

 

Ces considérations étaient étrangères aux questions auxquelles l'agent régional devait répondre et, en particulier, à la première de ces questions qui était celle de savoir si le lieu de travail de l'intimé présentait, au moment où l'agent de sécurité avait fait son enquête, des dangers tels que les employés étaient justifiés de n'y pas travailler tant que l'on n'aurait pas remédié à cette situation. Le fait que l'intimé ait pu avoir, avant que l'agent de sécurité ne fasse son enquête, des motifs légitimes de refuser de faire le travail qu'on lui avait confié ne pouvait influer sur la réponse à donner à cette question. Et le fait que l'agent de sécurité ait pu, en vertu du paragraphe 145(1), constater que l'employeur contrevenait à la Partie II et lui ordonner de mettre fin à cette contravention était, lui aussi, étranger au litige puisque l'agent de sécurité n'avait jamais constaté pareille contravention et n'avait jamais donné d'instructions à l'employeur en vertu du paragraphe 145(1). (C’est moi qui souligne)

 

Les parties devaient examiner l'application de l'arrêt Bonfa précité, jugement que la Cour d'appel fédérale a rendu dans un litige découlant d'un refus de travailler. Même si M. Le Monnier soutient que les circonstances du présent litige sont bien différentes de celles de ce jugement, les décisions que les sections d'appel et de première instance de la Cour fédérale ont rendues constituent un ensemble important de jugements qui établissent les principes d'interprétation législative et que l'agent régional de sécurité ne peut ignorer.

 

En plus des jugements de la Cour fédérale, les décisions rendues par les organismes compétents (CCRT et CRTFP) ainsi que des décisions antérieures de l'agent régional de sécurité font également partie de cette jurisprudence et sont prises en compte dans les litiges dont l'agent régional de sécurité est saisi.

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Dans l'affaire Air Canada c. Syndicat canadien de la fonction publique, décision non publiée no 94-007, j'ai examiné le concept du danger que comportaient les sièges utilisés par les agents de bord. L'extrait suivant de cette décision permettra à M. Le Monnier de comprendre que le concept du danger actuellement défini dans le Code n'est pas vraiment différent du concept du danger imminent qui existait avant que la Partie II du Code canadien du travail ne soit modifiée en 1984. Voici ce que j'écrivais :

 

Pour répondre à ces questions, je dois consulter la définition du terme « danger » que l'on retrouve au paragraphe 122(1) du Code et appliquer cette définition en regard de la jurisprudence existante. Danger est défini comme suit :

 

« danger » Risque ou situation susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée ou de la rendre malade, avant qu'il ne puisse y être remédié. (souligné dans l'original).

 

Les tribunaux ont eu l'occasion maintes fois d'interpréter la portée du terme danger. Il s'est dégagé de cette jurisprudence deux points fort importants qui m'ont guidé dans ma décision.

 

Le premier point est que le danger doit être immédiat. Ainsi, l'expression « avant qu'il ne puisse y être remédié » a été associée à la notion de « danger imminent » qui existait avant que le Code ne soit modifié en 1984. Dans l'affaire Pratt, le vice-président du Conseil canadien des relations de travail, Hugh R. Jamieson, écrivait :

 

... Le Parlement a retiré le mot « imminent » de la notion de danger, mais il l'a remplacé par une définition qui a pratiquement le même sens ».

 

Le deuxième point que je retire des nombreuses décisions est que l'exposition de l'employé au risque ou à la situation doit être manifestement susceptible de causer des blessures. Par conséquent, le danger doit être plus qu'hypothétique ou avoir plus que de faibles probabilités de se matérialiser. Le danger doit être immédiat et réel et par conséquent, il ne doit persister aucun doute sur sa réalisation imminente. Il doit être suffisamment grave pour justifier la cessation d'utilisation, dans le cas en l'espèce, des sièges utilisés par les agents de bord.

 

L'intention sous-jacente au droit de l'employé de refuser d'exécuter un travail qui comporte un danger est de veiller à ce que l'employé puisse, lorsqu'il estime de bonne foi qu'il est exposé à une situation comportant un danger imminent, cesser de travailler (par. 128(1)) et demander à son employeur de faire immédiatement enquête à ce sujet (par. 128(7)); s'il n'est pas satisfait du résultat de l'enquête, l'employé pourra demander à un agent de sécurité d'effectuer sans délai une enquête (par. 129(1)) et de décider s'il y a danger ou non pour l'employé (par. 129(2)). Lorsque l'agent de sécurité conclut à la réalité du danger, il doit donner à l'employeur, aux termes du paragraphe 145(2), des instructions

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l'enjoignant de prendre des mesures propres à parer au danger (par. 129(4)). Une lecture des dispositions qui concernent le droit de refuser de travailler indique la nécessité d'examiner sans délai la crainte que l'employé a manifestée au sujet de sa santé et de sa sécurité. L'omission de le faire risque vraisemblablement de se traduire par un préjudice, s'il y a effectivement danger.

 

Pour répondre à la question en litige, je dois donc me demander si la situation que M. Kalo craignait constituait un danger pour lui au sens du Code et s'il s'agissait d'un danger réel et immédiat au moment de l'enquête de l'agente de sécurité. Cependant, pour répondre à cette question en l'espèce, je dois tenir compte du fait que M. Kalo ne se trouvait pas au lieu de travail lorsque l'agente de sécurité a mené son enquête et je dois décider si cette absence aurait dû toucher la décision de l'agente.

 

M. Le Monnier a fait valoir que Neptune avait affecté M. Kalo à un autre travail conformément au paragraphe 129(3) du Code, qui est ainsi libellé :

 

Avant la tenue de l'enquête et tant que l'agent de sécurité n'a pas rendu sa décision, l'employeur peut exiger la présence de l'employé en un lieu sûr proche du lieu en cause ou affecter celui-ci à un autre travail convenable. Il ne peut toutefois pas affecter un autre employé au poste du premier sans lui faire part du refus de celui-ci.

 

Il a ajouté que M. Kalo ne s'était pas fait dire de rester au lieu de travail pour l'enquête de l'agente de sécurité. Selon M. Le Monnier, cette absence ne devrait pas invalider l'ensemble de l'enquête, à l'issue de laquelle l'agente a conclu à l'existence d'un danger et donné des instructions en ce sens.

 

En réponse, je dois dire que j'aurais été disposé à accepter cet argument si M. Kalo s'était trouvé au travail ou, du moins, s'il avait été tenu de retourner au même endroit pour d'autres fins liées au travail. Cependant, M. Kalo avait quitté les lieux et ne devait pas y retourner. Le nettoyage des appareils d'appui avait été fait et cette tâche ne devait pas être répétée avant environ trois autres mois. Cette disposition vise à protéger l'employé avant l'enquête de l'agent de sécurité et jusqu'à la fin de celle-ci. En cas de conclusion négative quant à l'existence d'un danger, l'employé retourne à son travail et ne peut continuer à refuser. La disposition vise également à veiller à ce qu'aucun autre employé ne soit affecté au travail à moins d'avoir été informé du refus de travailler.

 

Pour qu'il y ait danger, l'employé doit travailler dans des conditions susceptibles de causer des blessures avant qu'il ne puisse y être remédié. Étant donné que M. Kalo ne devait pas retourner à son lieu de travail, l'agente de sécurité aurait dû conclure qu'aucun danger n'existait pour lui à ce moment et n'aurait pas dû donner d'instructions aux termes du paragraphe 145(2). Il faut comprendre que, lorsque l'agent de sécurité mène une enquête au sujet d'un refus de travailler, il examine les circonstances existant au moment de son

 

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enquête et non au moment où l'employé a refusé de travailler. Comme l'a dit le juge Pratte dans l'affaire Bonfa,

 

Le fait que l'intimé ait pu avoir, avant que l'agent de sécurité ne fasse son enquête, des motifs légitimes de refuser de faire le travail qu'on lui avait confié ne pouvait influer sur la réponse à donner à cette question.

 

Si l'agente de sécurité avait décidé, comme elle aurait dû le faire, que M. Kalo n'était pas en danger lorsqu'elle a tenu son enquête, elle aurait accompli son mandat aux termes de l'article 129 du Code, qui consiste à se prononcer sur l'existence d'un danger pour l'employé au moment de l'enquête. Elle aurait ainsi réglé le problème soulevé par le refus de travailler de M. Kalo en raison de l'existence d'un danger.

 

Cependant, je dois ajouter que je suis d'accord avec M. Le Monnier lorsqu'il dit que l'absence de M. Kalo ne devrait pas invalider l'ensemble de l'enquête de l'agente de sécurité simplement parce qu'il était absent de son lieu de travail. Le fait que l'agente de sécurité aurait réglé le problème du refus de travailler de M. Kalo en se prononçant sur l'absence de danger ne met pas un terme à son rôle. Encore là, comme l'a dit le juge Pratte dans l'affaire Bonfa,

 

Et le fait que l'agent de sécurité ait pu, en vertu du paragraphe 145(1), constater que l'employeur contrevenait à la Partie II et lui ordonner de mettre fin à cette contravention était, lui aussi, étranger au litige puisque l'agent de sécurité n'avait jamais constaté pareille contravention et n'avait jamais donné d'instructions à l'employeur en vertu du paragraphe 145(1).

 

À mon avis, ce commentaire du juge Pratte signifie qu'un agent de sécurité ne doit pas se limiter à décider si un danger existe au moment où il mène son enquête sur un refus de travailler. Il peut également chercher à savoir si les conditions examinées au cours de l'enquête relative au refus de travailler vont à l'encontre d'une disposition du Code canadien du travail et du Règlement canadien sur la sécurité et la santé au travail (ci-après le Règlement). S'il répond par l'affirmative à cette question, l'agent de sécurité peut enjoindre à un employeur de mettre fin à une contravention à une disposition législative aux termes du paragraphe 145(1) du Code.

 

Dans la présente affaire, l'agente de sécurité a simplement examiné la question de l'existence d'un danger et donné des instructions aux termes de l'alinéa 145(2)a) du Code plutôt que du paragraphe 145(1). La question que je dois trancher à ce moment-ci est celle de savoir si l'article 146 autorise l'agent régional de sécurité à corriger cette situation en décidant que les conditions examinées par l'agente de sécurité étaient en réalité des contraventions. Le paragraphe 146(3) énonce les pouvoirs de l'agent régional de sécurité en ces termes :

 

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146. (3) L'agent régional de sécurité mène une enquête sommaire sur les circonstances ayant donné lieu aux instructions et sur la justification de celles-ci. Il peut les modifier, annuler ou confirmer et avise par écrit de sa décision l'employeur, l'employé ou le syndicat en cause.

(C’est moi qui souligne)

 

Les pouvoirs dont l'agent régional de sécurité est investi en vertu de l'article 146 se limitent à celui de réviser des instructions spécifiques, en l'occurrence, des instructions données en application du paragraphe 145(2), et à modifier, annuler ou confirmer ces instructions et uniquement celles-ci. L'article 146 ne permet pas à l'agent régional de sécurité de décider si l'agente de sécurité a cherché à savoir si l'employeur avait commis un manquement au Code et au Règlement lorsqu'elle a mené son enquête sur le refus de travailler de M. Kalo et de modifier les instructions en conséquence. Agir de cette façon équivaudrait à donner de nouvelles instructions aux termes du paragraphe 145(1). J'outrepasserais ma compétence si je donnais des instructions aux termes du paragraphe 145(1) alors que l'agente de sécurité a conclu à l'existence d'un danger et donné des instructions en ce sens aux termes du paragraphe 145(2) du Code. Je n'ai d'autre choix en l'espèce que d'annuler les instructions quant à l'existence d'un danger.

 

Pour tous les motifs exposés ci-dessus, J'ANNULE PAR LES PRÉSENTES les instructions que l'agente de sécurité Diana Smith a données à Neptune Bulk Terminals (Canada) Ltd le 12 juin 1998 aux termes de l'alinéa 145(2)a) du Code.

 

 

Décision rendue le 23 décembre 1998

 

 

Serge Cadieux

Agent régional de sécurité

 

 

 

 


 

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ANNEXE

 

DANS L’AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II - SÉCURITÉ ET SANTÉ AU TRAVAIL

 

INSTRUCTIONS À L'EMPLOYEUR AUX TERMES DE L'ALINÉA 145(2)a)

Le 10 juin 1998, l'agente de sécurité soussignée a procédé à une enquête après le refus de travailler opposé par Al Lamonnier (sic) au nom de Leslie Kalo, au lieu de travail exploité par NEPTUNE BULK TERMINALS (CANADA) LTD., soit un employeur régi par la Partie II du Code canadien du travail, au 1001 LOW LEVEL ROAD, NORTH VANCOUVER.

 

Ladite agente de sécurité estime qu'une condition constituant un danger pour un employé pendant qu'il se trouve au travail existe pour les motifs suivants :

 

1. La rampe et les mains courantes menant à la courroie « B » du portique no 32 étaient enduites de résidu de potasse, de sorte que l'employé risquait de glisser, lequel danger allait à l'encontre de l'alinéa 125p) du Code canadien du travail et du paragraphe 2.12(2) du Règlement canadien sur la sécurité et la santé au travail;

 

2. L'employé (sic) Leslie Kalo n'a pas reçu suffisamment de directives et de formation et ne disposait pas d'une surveillance satisfaisante relativement à la procédure de verrouillage; de plus, il n'a pas utilisé un dispositif de verrouillage personnel, contrairement à l'alinéa 125q) du CCT;

 

3. Il n'existe aucune procédure écrite concernant les employés qui travaillent seuls, contrairement à l'article 124 du CCT.

 

Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, conformément à l'alinéa 145(2)a) de la Partie II du Code canadien du travail, de procéder immédiatement à la protection des personnes contre les dangers susmentionnés.

 

Instructions données à Vancouver, le 12 juin 1998.

 

Diana Smith

Agente de sécurité

1982

 

À : NEPTUNE BULK TERMINALS (Canada) LTD.

1001 LOW LEVEL ROAD

NORTH VANCOUVER (C.-B.)

V7L 4K6

 

 

RÉSUMÉ DE LA DÉCISION DE L'AGENT RÉGIONAL DE SÉCURITÉ

 

Décision : 98-015

 

Requérante : Neptune Bulk Terminals (Canada) Ltd., Vancouver (C.-B.)

 

Intimée ILWU

 

MOTS CLÉS

 

Refus de travailler, danger au moment de l'enquête de l'agente de sécurité, terminal pour le transport en vrac, fait de travailler seul, méthode de verrouillage, procédure écrite à l'égard des personnes travaillant seules, résidu de potasse, arrêt Bonfa, danger réel et immédiat, employé absent du lieu de travail, rôle de l'agent de sécurité.

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

 

Code : 122(1), 124, 125p), q), 128, 128(1), 128(7), 129, 129(1), 129(2), 129(2)b), 129(3), 129(4), 145(1), 145(2)a), 146(3).

 

Règlement canadien sur la sécurité et la santé au travail : 13.11, 2.12(2).

 

RÉSUMÉ

 

Un employé a refusé d'exécuter une tâche de nettoyage à un portique de manutention, estimant que le fait de travailler seul constituait un danger. Lorsque l'agente de sécurité est arrivée, l'employé avait quitté le lieu de travail et ne devait pas y retourner. L'agente de sécurité a mené une enquête et conclu à l'existence d'un danger en raison du risque de glisser, du caractère insuffisant des directives et de la formation données à l'employé ainsi que de la surveillance dont il bénéficiait et de l'absence de procédure écrite concernant les personnes appelées à travailler seules. En révision, l'ARS a conclu que le mandat de l'agent de sécurité appelé à mener une enquête sur un refus de travailler consistait à décider si un danger existait pour l'employé en question au moment de l'enquête. Étant donné que l'employé avait quitté les lieux et ne devait pas y retourner, il était impossible de conclure à l'existence d'un danger. L'agent régional de sécurité a décidé que l'agente de sécurité aurait dû conclure que l'employé n'était pas en danger lorsqu'elle a mené son enquête et donner des instructions en ce sens. Pour ce motif, l'agent régional de sécurité a ANNULÉ les instructions. Il a expliqué que, compte tenu de l'arrêt Bonfa, le rôle de l'agent de sécurité ne prend pas fin du simple fait qu'il conclut à l'absence de danger. L'agent de sécurité peut donner des instructions aux termes du paragraphe 145(1) en cas de tout manquement au Code. Toutefois, l'ARS a décidé que l'article 146 ne l'autorisait pas à remplacer les instructions données en application du paragraphe 145(2) par des instructions fondées sur le paragraphe 145(1), parce que cette modification équivaudrait à donner de nouvelles instructions, pouvoir dont il n'est pas investi en vertu du paragraphe 146(3).



[1] L'employeur soutient que l'agente de sécurité est arrivée au lieu de travail de Neptune à 16h10 cet après-midi-là.

 

 

 

 

[2] M. Parry a précisé que le contremaître n'est pas un représentant de l'employeur, mais un membre de la section locale 514 de l'I.L.W.U.

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