Tribunal de santé et sécurité au travail Canada

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CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II

SÉCURITÉ ET SANTÉ AU TRAVAIL

 

Révision, en vertu de l'article 146 de la partie II du Code canadien du travail, d'une instruction donnée par un agent de sécurité

 

 

Décision no : 98-008

 

 

Demandeur : Service correctionnel du Canada

Établissement Grand Valley pour les femmes

Kitchener (Ontario)

Représenté par : Robert H. Jaworski

 

Intimé : Syndicat des employés du Solliciteur général

(Alliance de la fonction publique du Canada)

Représenté par : Todd Woytiuk

 

Mis-en-cause: Rod Noel

Agent de sécurité

Développement des ressources humaines Canada

 

Devant : Douglas Malanka

Agent régional de sécurité (ARS)

Développement des ressources humaines Canada

 

Contexte

 

Le 16 octobre 1997, Kathleen Scott s'est présentée à l'Établissement Grand Valley pour les femmes, son lieu de travail, pour y prendre son poste d'agent responsable du quart de soirée [1] . Elle a immédiatement exercé son droit de refuser de travailler en vertu de la partie II du Code canadien du travail (ci‑après appelée le Code ou la partie II) parce que l'employeur avait, contrairement à la pratique habituelle lorsqu'une détenue se trouve dans l'unité de crise, requis les services de seulement quatre employés pour toute la durée du quart de nuit. Par conséquent, K. Scott n'était pas sûre de savoir comment réagir s'il devait survenir une situation d'urgence concernant les autres membres du personnel, la détenue dans l'unité de crise ou encore d'autres détenues de l'Établissement, dont certaines montraient des signes d'agitation. Elle croyait que l'insuffisance de personnel et l'absence d'instructions claires pour ce quart de travail représentaient un danger pour ses collègues de travail et pour elle‑même.

 

Par suite du refus de travailler de K. Scott, les trois autres agents de première ligne [2] , soit D. Duquette, E. Farrell and I. Teichert ont à leur tour avisé l'employeur de leur refus de travailler en vertu de la partie II. Chacune de ces personnes croyait qu'il y avait un danger pour ses collègues et pour elle‑même parce qu'il ne restait plus que trois agents de première ligne en poste pour le quart de nuit et parce qu'elles ne seraient pas en mesure de faire face à une urgence concernant d'autres membres du personnel, la détenue dans l'unité de crise ou les autres détenues de l'Établissement. Au moment du refus, l'Établissement abritait 67 détenues.

 

La sous‑directrice Blackler a fait enquête au sujet des refus de travailler et indiqué son désaccord avec les employés au sujet de l'existence d'un danger. Elle a ensuite communiqué avec un agent de sécurité de Développement des ressources humaines Canada pour l'aviser du maintien des refus de travailler, et elle a appliqué le plan d'urgence de l'Établissement, c'est‑à‑dire qu'elle a fait appel à des cadres pour remplacer, jusqu'à la fin du quart de nuit, les employés qui avaient refusé de travailler.

 

Dans le cas de K. Scott, l'agent de sécurité chargé de l'enquête concernant le refus de travailler a conclu à l'absence de danger au sens de la partie II. Par ailleurs, il a estimé que l'employeur avait omis d'effectuer une enquête complète au sujet du refus de travailler de K. Scott, et qu'il avait négligé d'établir des procédures d'urgence après consultation du comité de sécurité et de santé de l'Établissement. Le 24 octobre 1997, l'agent de sécurité a donc donné une instruction en vertu du paragraphe 145(1) du Code enjoignant à l'employeur de mettre fin à la contravention au plus tard le 28 décembre 1997.

 

Au sujet des trois autres employés, l'agent a jugé qu'il y avait effectivement un danger au sens de la partie II, puisqu'une équipe de trois personnes ne constituait pas l'effectif minimum requis par l'employeur pour ce quart de travail et que les procédures à suivre relativement aux dangers inhérents au lieu de travail n'étaient pas claires. Le 24 octobre 1997, l'agent a donné une deuxième instruction en vertu de l'alinéa 145(2)a) du Code ordonnant à l'employeur de protéger immédiatement les trois employés en cause contre le danger.

 

Le 5 novembre 1997, Lynne Brown, directrice des Relations avec les employés

pour l'Établissement Grand Valley, a fait parvenir une lettre au bureau de l'agent régional de sécurité dans laquelle elle demandait la révision des deux instructions données. Une audience concernant cette affaire s'est déroulée les 16, 17 et 18 mars 1998, à Kitchener, en Ontario.

 

AGENTS DE SÉCURITÉ

 

Avant l'audience, l'agent de sécurité Noel a fourni à l'agent régional de sécurité une copie de son rapport et des instructions données. Le rapport, versé au dossier, n'a pas été reproduit ici, mais une copie des instructions constitue les annexes A et B du présent rapport.

 

L'agent de sécurité Noel s'est présenté à l'Établissement Grand Valley en compagnie de l'agent de sécurité Danton vers 5 h 20 h, le 17 octobre 1997. À leur arrivée, ils n'ont observé aucun incendie, aucune menace de la part de détenues ou d'autres dangers immédiats semblables. L'agent de sécurité Noel a toutefois précisé que le « danger » auquel il faisait allusion dans son instruction n'était pas lié à une menace physique immédiate envers les employés. Le danger venait plutôt du fait que le personnel était en nombre insuffisant, compte tenu des procédures applicables à l'Établissement, lesquelles n'étaient pas claires.

 

L'agent de sécurité Noel a expliqué que, dans un établissement de détention, le danger de violence envers d'autres détenues ou envers des membres du personnel est omniprésent et fait partie intégrante des conditions existant dans ce genre d'établissement. Ce danger est atténué par les mesures prises par l'employeur pour veiller à ce que le nombre d'employés soit suffisant et pour établir, avec l'avis des employés, les procédures à suivre dans toute situation ou toute circonstance pouvant survenir dans une prison et menacer la sécurité et la santé des employés. Compte tenu du type d'établissement, il n'est pas seulement possible mais bien probable qu'un ou plusieurs employés seront blessés durant un incident impliquant des détenus si les mesures de protection ne sont pas claires. L'agent a fait valoir que le danger découlant de procédures qui ne sont pas claires n'est pas un danger inhérent au travail.

 

Après enquête, l'agent de sécurité Noel en est venu à la conclusion qu'il n'y avait pas de danger dans le cas de K. Scott. Il a clarifié que cette décision ne sous‑entendait pas une autorisation générale concernant une équipe de quatre personnes pour le quart de nuit, mais bien qu'il n'y avait pas de danger aux termes de la partie II pour une équipe de quatre personnes affectée à ce quart de travail. Dans le cas des trois autres employés ayant refusé de travailler, soit D. Duquette, A. Farrell, et I. Teichert, l'agent a jugé qu'il y avait effectivement un danger parce qu'une équipe de trois personnes pour le quart de nuit était moins que le minimum requis par l'employeur et parce que les procédures n'étaient pas claires.

 

En outre, l'agent de sécurité Noel a jugé que la sous‑directrice Blackler avait négligé de mener une enquête complète au sujet du refus de travailler de K. Scott parce qu'elle avait permis à d'autres employés de participer à cette enquête et parce que le poste de garde, où s'était déroulée l'enquête, n'offrait pas assez d'espace. Il a donc conclu que le nombre de participants à l'enquête et l'espace limité dans le poste de garde avaient empêché les employés ayant choisi de refuser de travailler d'exprimer leurs inquiétudes en matière de sécurité et de santé et de voir à ce que l'employeur y donne suite. Il a fait observer que la séance tenue dans le poste de garde s'apparentait davantage à une séance d'information.

 

L'agent de sécurité Noel a également jugé que l'employeur avait négligé de consulter le comité de sécurité et de santé au travail au sujet des procédures d'urgence, conformément à l'alinéa 17.5(1)a) [3] de la partie XVII, (Séjourner en sécurité dans un lieu de travail) du Règlement canadien sur la sécurité et la santé au travail (appelé ci‑après le Règlement). Il a dit avoir appris de la direction et du personnel de l'Établissement Grand Valley que les procédures en vigueur à l'Établissement avaient été établies en tant que normes nationales par les spécialistes de l'administration centrale sans l'avis des employés, et que ces derniers n'avaient donc pas été consultés au sujet des ordres permanents en vigueur à l'Établissement Grand Valley. Il a ajouté que les procédures en vigueur à l'Établissement Grand Valley ne semblaient pas cadrer avec la façon dont cet établissement est exploité. L'agent ne pouvait dire clairement quelles mesures ou procédures permettaient à un agent de première ligne de savoir comment réagir dans une situation donnée. Il a également remarqué durant un quart de travail que tous les agents de première ligne ne portaient pas de système d'alarme et de sécurité personnelle, alors que la procédure l'exigeait.

 

L'agent de sécurité Noel a aussi indiqué que le compte rendu de la réunion du comité de sécurité et de santé au travail du mois d'août 1997 faisait état de préoccupations exprimées par les employées au sujet des niveaux de dotation pour les quarts de soirée et de nuit. Au lieu d'examiner ces préoccupations, le comité a renvoyé la question à un comité syndical‑patronal, comme s'il s'agissait d'une simple question de dotation. L'agent a précisé qu'il se préoccupait du fait que ces questions n'aient pas été réglées rapidement par le comité de sécurité et de santé et que rien ne lui garantissait que les préoccupations des employées en matière de sécurité, qui étaient liées aux niveaux de dotation, avaient été dissipées.

 

L'agent de sécurité Danton a témoigné qu'il abondait dans le même sens que l'agent de sécurité Noel, c'est‑à‑dire que l'enquête sur le refus de travailler aurait dû être menée dans une autre salle, parce que les employées ayant refusé de travailler n'avaient pas eu l'occasion de s'expliquer et d'exposer leurs inquiétudes. Il était également d'accord avec l'agent Noel pour dire que le danger découlant du nombre d'employés et les procédures non claires n'avaient pas leur place dans un établissement comme celui de Grand Valley.

 

Sous-directrice Blackler

La sous-directrice Blackler, en fonction à l'Établissement Grand Valley depuis septembre 1997, compte près de 20 ans d'expérience dans le milieu carcéral. Elle a témoigné avoir déjà eu affaire à un refus de travailler en vertu de la partie II dans un autre établissement quatre ans plus tôt environ. Elle a confirmé que l'Établissement Grand Valley était un établissement à sécurité minimale et moyenne et que l'établissement avait accueilli les premières détenues en janvier 1997. Cet établissement a une capacité d'environ 120 détenues et, la nuit où les employés ont refusé de travailler, l'établissement en abritait 67.

 

Elle a expliqué que l'Établissement Grand Valley est l'une des cinq nouvelles prisons fédérales pour femmes devant remplacer les prisons fédérales pour femmes existantes. Ces nouveaux établissements ont été conçus à l'origine comme des établissements à sécurité minimale, moyenne et maximale à la fois. Toutefois, après un incident survenu au nouvel établissement d'Edmonton, en Alberta, le Service correctionnel du Canada a décidé que la vocation des nouveaux établissements serait limitée à la détention des délinquantes dites « à sécurité minimale et moyenne ». L'objectif visé dans ces nouveaux établissements est de faciliter la réintégration des détenues dans la collectivité en déterminant quels sont leurs besoins, en leur offrant le traitement ou le programme de réadaptation approprié et en les réintégrant dans la collectivité.

 

Elle a expliqué que la majorité des détenues de l'Établissement Grand Valley vivent dans des résidences qui sont situées dans l'enceinte de l'établissement pénitentiaire mais qui sont distinctes du bâtiment principal. Ces résidences ne sont pas verrouillées mais font l'objet d'une surveillance électronique. Les agents de première ligne entrent dans les résidences lorsqu'ils font leur ronde pour vérifier que les détenues s'y trouvent ou pour régler tout problème qui se pose.

 

Une unité à sécurité renforcée et une unité de crise ont été aménagées dans le bâtiment principal. Contrairement aux résidences, ces unités comportent des cellules pouvant être verrouillées. L'unité à sécurité renforcée est surtout utilisée pour loger les nouvelles arrivées et aux fins d'isolement protecteur. L'unité de crise ressemble à une unité d'isolement et abrite les détenues en détresse ou qui ont besoin de discipline parce qu'elles se sont attaquées à d'autres détenues ou qu'elles ont menacé le personnel.

 

La sous-directrice Blackler a ensuite décrit la façon dont les choses se sont passées après qu'elle eut appris que K. Scott était inquiète à l'idée de prendre son poste d'agent responsable. Elle a témoigné avoir rencontré les employées ayant refusé de travailler dans le poste de garde et leur avoir donné l'occasion d'exposer leurs préoccupations. Elle a examiné le cas de la détenue se trouvant dans l'unité de crise et expliqué pourquoi elle n'avait pas jugé nécessaire de faire appel à un cinquième agent pour le quart de nuit. Elle a expliqué les procédures liées au refus de travailler en vertu de la partie II aux membres du personnel lorsqu'il est devenu de plus en plus manifeste que K. Scott envisageait de ne pas occuper son poste et qu'elle avait bel et bien affaire à un refus de travailler.

Après que K. Scott eut confirmé qu'elle maintenait son refus de travailler, la sous‑directrice Blackler a témoigné avoir avisé le reste de l'équipe de nuit qu'elle occuperait elle‑même le poste d'agent responsable et leur a demandé s'ils étaient prêts à prendre leur poste. Comme ils refusaient, elle leur a donné instruction de se mettre dans un endroit sûr dans l'établissement et elle a appliqué le plan d'urgence. Conformément à ce plan, elle a fait appel à des cadres pour remplacer les employés qui refusaient de travailler jusqu'à la fin du quart de travail.

 

Directeur adjoint McGinnis

Le directeur adjoint McGinnis est au service de l'Établissement Grand Valley depuis septembre 1994 et siège comme coprésident représentant l'employeur au comité de sécurité et de santé depuis mars 1996. Il a confirmé que Hayley Martin avait occupé la charge de coprésident représentant les employées de mars 1996 à août 1997 environ.

 

Il a fait référence à un document non signé et non daté qui aurait été préparé par H. Martin en août 1996. Il a expliqué que l'Établissement Grand Valley devait accueillir des détenues vers cette époque et qu'une liste de choses à faire avait été dressée à l'intention du comité de sécurité et de santé de l'Établissement Grand Valley avec l'aide du comité régional de sécurité et de santé. Des retards dans la construction auraient donné tout le temps nécessaire pour accomplir les tâches figurant sur la liste. H. Martin et C. Stapleton ont convenu de revoir le plan d'urgence et les ordres permanents. M. McGinnis a confirmé que la mention « terminé » en regard de chaque élément de la liste indiquait que H. Martin et Chris Stapleton avaient examiné les questions de sécurité et de santé au travail se rapportant au plan d'urgence.

 

Il a fait référence au compte rendu de la réunion du comité de sécurité et de santé au travail du 5 novembre 1996, lequel confirmait que l'ébauche du plan d'urgence, des consignes de poste et des ordres permanents avaient été soumis pour examen et commentaires à la direction, au syndicat, aux membres du comité de sécurité et de santé et aux employés autorisés.

 

Il a fait référence au compte rendu de la réunion tenue par le comité de sécurité et de santé en décembre 1996, lequel confirmait que le plan d'urgence avait été signé par le directeur à la fin de novembre 1996, et que la mise en pratique du plan avait été répétée, et ce pour tous les quarts de travail, exercices d'évacuation en cas d'incendie compris. Il ne pouvait cependant se rappeler si l'exercice effectué pour le quart de nuit comportait la présence d'une détenue dans l'unité de crise.

 

Le directeur adjoint McGinnis a confirmé que le plan d'urgence portant la signature du directeur avec été distribué aux personnes responsables de la politique, notamment aux gestionnaires, aux agents responsables et aux agents de première ligne. Il a précisé que le plan d'urgence n'est pas divisé en consignes de poste mais indique plutôt les responsabilités du personnel. Le personnel a reçu la formation nécessaire aux fins de la mise en application du plan d'urgence et connaît ses responsabilités à cet égard.

 

Concernant la référence à la réunion du comité de sécurité et de santé tenue en août 1997, le directeur adjoint McGinnis a rappelé que les agents de première ligne avaient exprimé leur inquiétude devant le comité au sujet des niveaux de dotation pour les quarts de soirée et de nuit. Il a précisé que cette question avait été renvoyée à un autre comité à titre de question syndicale‑patronale, parce qu'elle avait trait au nombre d'employés, et parce que le personnel n'avait pas soulevé de préoccupations précises liées à la santé ou à la sécurité.


Employés appelés à témoigner

C. Thompson, représentante du SESG, a témoigné avoir été appelée à l'Établissement par un membre de l'équipe du quart de soirée en raison d'un refus de travailler. Elle s'est présentée à la prison vers 23 h 45 pour représenter K. Scott et a pris part à la réunion tenue dans le poste de garde. Elle a reconnu que la sous-directrice Blackler avait demandé à K. Scott d'exprimer ses préoccupations, ayant ajouté qu'à son avis la sous‑directrice n'avait pas compris les préoccupations de K. Scott. Elle a expliqué que K. Scott avait maintenu son refus de travailler après que la sous-directrice Blackler ait suggéré de transférer la détenue de l'unité de crise à l'unité à sécurité renforcée.

 

Plus tard au cours de son témoignage, elle a reconnu que H. Martin représentait les employés comme coprésident du comité de sécurité et de santé, et que H. Martin avait examiné le plan d'urgence au nom des employés.

 

K. Scott

 

K. Scott a témoigné être arrivée à 22 h 50 et avoir été informée par l'agent responsable Agar qu'il y avait une détenue dans l'unité de crise et qu'on avait retenu les services d'un cinquième agent jusqu'à 2 h seulement. Elle aurait alors compris que, malgré le fait que Reynolds devait demeurer jusqu'à 2 h, il était à la barrière à 23 h, prêt à quitter les lieux.

 

K. Scott a alors avisé l'agent Agar qu'elle exerçait son droit de refuser de travailler, mais a quand même accepté de faire les premières rondes lorsque la sous-directrice Blackler a accepté de se rendre immédiatement sur les lieux pour discuter du refus de travailler. Elle dit avoir noté les termes de cet accord dans le registre de l'agent de service lorsqu'elle a consigné son arrivée à titre d'agent responsable.

 

K. Scott a confirmé que la sous-directrice Blackler lui avait demandé de lui exposer ses préoccupations en matière de sécurité lors de la rencontre qui a eu lieu dans le poste de garde, mais que selon elle, la sous‑directrice n'avait pas compris ses préoccupations. Les problèmes soulevés étaient notamment les suivants :

 

  • 1) La politique nationale énoncée dans le Manuel de la sécurité prévoit la surveillance constante, par caméra, des détenus ayant des tendances suicidaires et une ronde aux quinze minutes par un agent de correction. Dans ce contexte, le personnel doit noter le comportement du détenu, ses agissements et son attitude. L'unité de crise n'est pas équipée de caméra et il est impossible de faire des rondes aux quinze minutes avec une équipe de quatre personnes durant le quart de nuit;

  • 2) La direction soutient que les agents de première ligne doivent assurer le degré de surveillance nécessaire, compte tenu du degré de risque de suicide, alors que la politique écrite ne fait aucunement mention de cela;

  • 3) Il n'existe pas de consignes de poste pour l'unité de crise ou l'unité à sécurité renforcée en ce qui concerne le quart de nuit;

  • 4) La note de service concernant la politique et les procédures d'isolement précise qu'il doit y avoir deux agents de première ligne dans l'unité de crise ou dans l'unité à sécurité renforcée lorsqu'il y a une détenue dans l'unité de crise. Elle précise également qu'en plus de l'agent responsable, deux agents de première ligne doivent être présents dans l'unité de crise avant l'ouverture manuelle de toute cellule;

  • 5) L'équipe de nuit avait déjà compté cinq personnes lorsqu'il y avait une détenue dans l'unité de crise;

  • 6) Ni l'agent responsable, ni l'agent du poste de garde ne sont autorisés à quitter leur poste. Cela laisse les deux patrouilleurs sans relève et il n'y a personne en avant pour déverrouiller la porte afin de permettre à la relève d'entrer au besoin (p. ex., dans le cas d'une prise d'otages);

  • 7) Il faut trois agents pour utiliser l'appareil respiratoire autonome avec masque complet en cas d'urgence;

  • 8) En cas d'urgence, il faut deux agents de première ligne pour escorter le détenu à l'hôpital;

  • 9) Le fait de devoir faire face à une urgence médicale concernant un agent de première ligne est une question qui préoccupe.

 

K. Scott a également témoigné avoir demandé à rencontrer l'agent de service, Pat Castillo, quelques temps avant le refus de travailler, au sujet de son inquiétude à l'égard des niveaux de dotation et des procédures en vigueur à l'Établissement Grand Valley. Une réunion avait été prévue pour discuter de l'inquiétude ressentie par K. Scott, mais celle‑ci n'a jamais eu lieu parce que P. Castillo a quitté l'Établissement.

 

Elle a également confirmé que H. Martin représentait les employés au comité de sécurité et de santé au travail et approuvait les documents du comité de sécurité et de santé en leur nom.

 

Arguments

 

MM. Jaworski et Woytiuk ont présenté leurs arguments par écrit après l'audience. Ceux‑ci ont été versés au dossier et ne sont pas reproduits intégralement ici. J'ai plutôt choisi d'inclure seulement des extraits des arguments présentés.

 

Danger

 

M. Jaworski prétend que je devrais annuler l'instruction donnée en vertu de l'alinéa 145(2)a) du Code parce que les employés D. Duquette, E. Farrell et I. Teichert n'ont jamais été exposés à un danger. Les détenues se trouvant dans l'unité de crise et dans l'unité à sécurité renforcée étaient derrière des portes fermées à clé, il n'y avait pas d'incendie ni quelque autre type d'urgence. Selon lui, les inquiétudes exprimées par ces employés n'étaient que des suppositions et des hypothèses, et tout danger pouvant exister cette nuit‑là était inhérent au travail en milieu carcéral. M. Jaworski a noté dans la décision rendue par l'agent de sécurité Noel l'absence de danger pour K. Scott. Il soutient que l'agent de sécurité Noel a omis de prendre en considération que la sous-directrice Blackler avait pris la relève en tant qu'agent responsable et que l'équipe affectée à ce quart de travail se composait en fait de quatre personnes.

 

Selon M. Woytiuk, l'argument de M. Jaworski selon lequel il n'y avait aucun danger réel ou immédiat au moment de l'enquête sur le refus de travailler des agents de sécurité n'est pas pertinent dans cette affaire. À son avis, l'agent de sécurité Noel a reconnu le danger inhérent au lieu de travail, mais a jugé que les procédures visant à faire face aux dangers présents n'étaient pas claires. M. Woytiuk a fait remarquer qu'il n'existait pas d'ordres de poste pour le quart de nuit concernant l'unité de crise ou l'unité à sécurité renforcée et aucun ordre de poste pour les cas où un détenu ayant des tendances suicidaires est sous surveillance dans l'unité de crise, et où l'on compte quatre détenus dans l'unité à sécurité renforcée. Il a soutenu que, puisqu'il n'y avait pas de caméra dans l'unité de crise, on avait l'habitude à l'Établissement Grand Valley de prévoir un employé supplémentaire lorsqu'il y avait une détenue dans l'unité de crise.

 

M. Woytiuk a également soutenu que les politiques et procédures du SCC ne s'appliquaient pas toujours à l'Établissement Grand Valley parce que cet établissement est différent des établissements conventionnels. Il m'a rappelé que l'agent de sécurité Noel avait inscrit dans son rapport qu'il avait dû s'en référer au rapport du groupe d'étude intitulé « La Création de choix » pour comprendre pourquoi les politiques du SCC ne s'appliquent pas à l'Établissement Grand Valley. Il a fait valoir que les agents de première ligne à l'Établissement Grand Valley doivent de plus en plus pouvoir compter sur des procédures claires.

 

Enquête appropriée

 

Selon M. Jaworski, je devrais annuler le point 1 de l'instruction donnée en vertu du paragraphe 145(1) du Code, compte tenu de la preuve voulant que la sous‑directrice Blackler ait commencé à prendre des mesures en réponse aux préoccupations des employés au sujet du niveau de dotation pour le quart de nuit dès 15 h le 16 octobre 1997. Elle a ensuite communiqué vers 21 h 30 avec l'agent responsable T. Agar pour s'enquérir de l'état de la situation, et s'est rendue immédiatement sur les lieux lorsqu'elle a été mise au courant des inquiétudes exprimées. Elle a ensuite animé une réunion avec le personnel et répondu aux préoccupations des employés. M. Jaworski a fait valoir que la loi ne précise pas où l'enquête menée par l'employeur doit avoir lieu ni les modalités à cet égard.

 

Pour sa part, M. Woytiuk a soutenu que, peu importe le moment où les employées l'ont avisée qu'ils exerçaient leur droit de refuser de travailler, la sous-directrice Blackler n’a pas terminé l’enquête sur les refus de travailler. Selon lui, la sous-directrice Blackler n'a pris aucune mesure en réponse aux nombreuses préoccupations soulevées par K. Scott lors de la réunion qui a eu lieu au poste de garde, et ne se rappelait pas quelles questions avaient été soulevées à ce moment. Après la réunion, elle a appliqué le plan d'urgence et n'a pas poussé plus loin l'enquête sur le refus de travailler.

 

Enfin, M. Woytiuk a soutenu que je devrais modifier l'instruction donnée par l'agent de sécurité Noel afin d'y inclure les éléments suivants :

 

(1) que le comité de sécurité et de santé de l'Établissement Grand Valley puisse, « sur appel », recourir aux services de personnes qualifiées pour effectuer des enquêtes sur le lieu de travail en vertu de l'article 128 du Code canadien du travail, partie II;

(2) que tous les employés et membres de la direction suivent une formation concernant leurs responsabilités aux termes de l'article 128 du Code canadien du travail, partie II;

  • (3) que cette formation soit donnée par une équipe de formateurs composée dereprésentants du syndicat et de la direction.

En réponse à ces suggestions, M. Jaworski a indiqué qu'il s'agissait là de modifications inutiles et injustifiées. Les suggestions de M. Woytiuk débordent le cadre des exigences de la partie II et de la formation a déjà été donnée au comité de sécurité et de santé par suite du refus de travailler.

 

Procédures d'urgence

 

Selon M. Jaworski, je devrais annuler le point 2 de l'instruction donnée en vertu du paragraphe 145(1) du Code parce que l'agent de sécurité Noel n'avait pas étayé son allégation selon laquelle la direction n'avait pas établi de procédures d'urgence après consultation du comité de sécurité et de santé. Il a indiqué qu'au contraire les éléments de preuve montraient que les employées étaient consultés régulièrement au sujet des questions de sécurité et de santé.

 

M. Woytiuk a soutenu pour sa part que, si le plan de sécurité‑incendie a été approuvé par le comité de sécurité et de santé, ni ce plan de sécurité‑incendie ni le plan d'urgence ne prévoyaient le cas d'un quart de travail où l'effectif serait composé de quatre personnes et où il y aurait une détenue dans l'unité de crise. Il a fait valoir que la partie II exige que le plan de sécurité‑incendie soit présenté de nouveau au comité de sécurité et de santé compte tenu de la nouvelle politique en matière de niveaux de dotation mise en œuvre par la sous-directrice Blackler. Enfin, il a reconnu que le plan d'urgence avait été revu au nom des employées par Hayley Martin en août 1996. Mais il a aussi fait remarquer que les détenues ne sont arrivées qu'en janvier 1997, et que depuis l'incident d'Edmonton, un certain nombre de changements ont été apportés à l'Établissement Grand Valley.

 

M. Woytiuk m'a demandé de modifier l'instruction donnée par l'agent de sécurité afin d'y ajouter ce qui suit :

 

  • (1) Que tous les membres du comité mixte de sécurité et santé au travail de l'Établissement Grand Valley reçoivent une formation certifiée concernant leurs responsabilités en tant que membres du comité en vertu du Code canadien du travail, partie II et concernant les dangers inhérents au milieu de travail;

(2) Que tous les membres de ce comité reçoivent la formation susmentionnée sans délai;

(3) Que les dangers auxquels un employé de l'Établissement Grand Valley est exposé soient codifiés par le comité mixte et des procédures établies pour réduire au minimum les dangers associés au travail de l'agent de correction;

(4) Que le comité accepte de désigner et désigne un employé de l'extérieur du SCC qui est professionnellement ou techniquement qualifié pour informer le comité au sujet de l'élaboration des procédures précitées;

(5) Que l'employeur soit tenu de nommer au comité mixte de sécurité et de santé au travail de l'Établissement Grand Valley un délégué de la direction ayant des responsabilités de gestion et d'exploitation à l'égard des agents de correction de même que le pouvoir d'établir et de modifier les procédures à l'Établissement Grand Valley.

 

En réponse à ces suggestions, M. Jaworski a soutenu que le personnel avait déjà reçu la formation appropriée pour exécuter leurs tâches à l'Établissement Grand Valley et qu'il avait aussi acquis la formation voulue en ce qui concerne le plan d'urgence et le plan de sécurité‑incendie. Il a ajouté qu'à son avis les points 3, 4 et 5 étaient inutiles puisque la partie II prévoit déjà le refus de travailler.

 

Décision

 

Dans cette affaire, je devais réviser deux instructions données par l'agent de sécurité Noel. La première instruction, donnée en vertu du paragraphe 145(1) du Code, avait trait au refus de travailler de l'employée K. Scott. La seconde instruction, donnée en vertu de l'alinéa 145(2)a) du Code, avait trait aux refus de travailler des employés D. Duquette, E. Farrell et I. Teichert. Comme je l'ai déjà indiqué, une copie de ces instructions figure en annexe.

 

Instruction donnée en vertu du paragraphe 145(1) du Code

 

En ce qui concerne l'instruction donnée en vertu du paragraphe 145(1) du Code relativement au refus de travailler de l'employée K. Scott, il me faut trancher deux points. Premièrement, je dois déterminer si l'employeur a omis d'effectuer une enquête complète sur les circonstances ayant entouré le refus de travailler de l'employée, conformément à l'alinéa 128.7a) du Code. Je dois également déterminer si l'employeur a négligé d'établir des procédures d'urgence avec l'avis du comité mixte de sécurité et de santé au travail, conformément à l'alinéa 125o) du Code et à l'alinéa 17.5(1)a) du Règlement.

 

Premier point : tenue d'une enquête appropriée

 

L'agent de sécurité Noel a témoigné que l'enquête sur le refus de travailler n'avait pas été complète parce que le nombre de participants et l'espace limité dans le poste de garde empêchaient les employés d'exprimer à l'employeur leurs inquiétudes en matière de sécurité et de santé. M. Woytiuk a fait valoir que selon la définition du verbe enquêter, dans le Black's Law Dictionary (1983), l'enquête doit se faire par étape et de façon approfondie, ce qui n'a pas été le cas.

 

Afin de déterminer si la sous-directrice Blackler a effectué une enquête complète, j'en réfère aux paragraphes 128(7) et 128(8) du Code, qui se lisent comme suit :

 

128.(7) Dès réception du rapport, l'employeur fait immédiatement enquête à ce sujet en présence de l'employé et, selon le cas :

a)...d'au moins un membre du comité de sécurité et de santé auquel le rapport a été adressé, ce membre ne devant pas faire partie de la direction;

b)...du représentant en matière de sécurité et de santé;

c)...à défaut de comité et de représentant, d'au moins une personne choisie par l'employé.

 

128.(8) .Si l'employeur conteste le rapport de l'employé ou s'il prend des mesures pour éliminer le danger, l'employé peut maintenir son refus d'utiliser ou de faire fonctionner la machine ou la chose en question ou de travailler dans le lieu en cause s'il a des motifs raisonnables de croire :

a)...soit que l'utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose continue à constituer un danger pour lui‑même ou un autre employé;

b)...soit qu'il continue d'y avoir danger pour lui à travailler dans le lieu.

[J'ai mis certains mots en gras pour les faire ressortir]

 

En application du paragraphe 128(7) du Code, l'employeur est tenu d'enquêter sans délai sur le refus de travailler de l'employée en présence de ce dernier. L'enquête doit également être menée en présence d'un employé membre du comité de sécurité et de santé, s'il en existe un, d'un représentant en matière de sécurité et de santé ou d'une personne désignée par l'employé s'il n'y a pas de membre du comité ou de représentant. Si je suis d'accord avec l'agent de sécurité Noel pour dire que le lieu de réunion et le nombre de participants pouvaient nuire à l'enquête menée par l'employeur au sujet du refus de travailler, il n'en reste pas moins que la loi ne précise pas le lieu où l'enquête doit se tenir ni la façon de procéder afin d'effectuer une enquête « complète ».

 

Afin d'interpréter le mot « enquête », il faut examiner le paragraphe 128(7) du Code à la lumière du paragraphe 128(8). Essentiellement, ce dernier paragraphe du Code permet à l'employée de maintenir son refus de travailler s'il a encore des motifs de croire qu'il continue d'y avoir un danger. Soit parce que l'employeur conteste l'existence du danger, soit parce que l'employée estime que les mesures prises pour éliminer le danger ou pour protéger la ou les personnes en cause sont inadéquates. De cette façon, la législation protège l'employée, et fait en sorte qu'il soit dans le meilleur intérêt de l'employeur de mener une enquête approfondie et complète au sujet du refus de travailler pour éviter toute perte de temps inutile en attendant qu'un agent de sécurité fasse enquête au sujet du refus de travailler. C'est peut‑être la raison pour laquelle la législation ne précise pas l'endroit où l'enquête doit être menée ni ce qui constitue une enquête « complète ».

 

Dans cette affaire, je suis convaincu que les employées avaient fait part de leur refus de travailler au début de leur quart de travail, soit vers 23 h. Je le crois parce que les employées qui ont refusé de travailler ne se sont jamais contredits sur ce point. En outre, le témoignage écrit de C. Thompson confirme qu'elle a été appelée vers 23 h 15 au sujet d'un refus de travailler. De plus, selon les renseignements consignés par K. Scott dans le registre de l'agent de service, celle‑ci a signé le registre à titre d'agent responsable et fait les premières rondes uniquement parce que la sous-directrice Blackler a accepté de venir immédiatement. Plus tard, la sous-directrice Blackler a témoigné qu'il lui était apparu de plus en plus clairement au fur et à mesure que la réunion avançait, qu'elle avait affaire à un refus de travailler. Finalement, les questions soulevées par K. Scott dans le poste de garde étaient liées à son refus de travailler.

 

Partant de là, je suis convaincu que la sous-directrice Blackler a fait enquête sur le refus de travailler dans le poste de garde entre 24 h 30 et 1 h 30. Elle a donné aux employées la possibilité d'exprimer leur point de vue et, d'après ses connaissances, sa formation et son expérience, elle a pris sa décision en toute connaissance de cause lorsqu'elle a choisi de contester l'existence du danger invoqué par les employés ayant refusé de travailler.

 

Par conséquent, J'ANNULE PAR LES PRÉSENTES le point 1 de l'instruction.

 

Cela dit, il semble que l'enquête menée par l'employeur au sujet du refus de travailler était entachée d'un vice en raison de l'absence d'un employé membre du comité de sécurité et de santé lors de ladite enquête effectuée au poste de garde. Par ailleurs, le témoignage recueilli à l'audience a établi qu'un membre du personnel du quart de soirée avait appelé C. Thompson à l'Établissement afin qu'elle soit présente au moment du refus de travailler. Peut‑être parce que la sous-directrice Blackler avait consulté C. Thompson plus tôt ce jour‑là, ou encore parce que le poste de coprésident représentant les employéEs au comité de sécurité et de santé de l'Établissement Grand Valley était vacant. Quoi qu'il en soit, il n'y avait aucun employé membre du comité de sécurité et de santé présent durant l'enquête faite par l'employeur.

 

À cet égard, je signale que l'agent de sécurité Noel n'a pas fait référence à cela dans son instruction et qu'il n'a pas soulevé ce point à l'audience. J'ajoute que la législation laisse à la discrétion de l'agent de sécurité la décision de donner ou non une instruction. Voici à ce sujet le texte du paragraphe 145(1) du Code :

 

  1. (1)...S'il est d'avis qu'il y a contravention à la présente partie, l'agent de sécurité peut ordonner à l'employeur ou à l'employé en cause d'y mettre fin dans le délai qu'il précise et, sur demande de l'un ou l'autre, confirme par écrit toute instruction verbale en ce sens.

[Mot mis en caractères gras pour le faire ressortir]

 

J'en conclus que l'agent de sécurité Noel a exercé le pouvoir de discrétion que lui confère le paragraphe 145(1) du Code en ne donnant pas d'instruction concernant le fait que les parties ont omis d'informer le représentant des employés au comité de sécurité et de santé du refus de travailler et le fait que cette personne n'ait pas participé à l'enquête. Pour les motifs précités relativement à la participation de Thompson à l'enquête, je suis d'accord avec la décision prise par l'agent de sécurité de ne pas aborder cette question dans l'instruction qu'il a donnée.

 

Deuxième point : procédures d'urgence

 

L'agent de sécurité Noel a précisé que son instruction renvoyait à l'alinéa 17.5(1)a) et non aux alinéas b), d) ou e). Ainsi, l'employeur a omis de consulter le comité de sécurité et de santé au sujet des procédures d'urgence « à prendre si quelqu'un commet ou menace de commettre un acte qui est susceptible d'être hasardeux pour la sécurité ou pour la santé de l'employeur ou de l'un de ses employés ».

 

Par ailleurs, l'agent de sécurité Noel a témoigné que l'employeur avait contrevenu à l'alinéa 17.5(1)a) parce que le comité de sécurité et de santé n'avait pas été consulté au sujet des ordres, consignes et autres procédures courantes applicables dans le cadre des fonctions exercées régulièrement par les agents de première ligne. Il a fait valoir que le danger de violence envers les autres détenus ou les membres du personnel était toujours présent ou inhérent en milieu carcéral et que ce danger est atténué par les mesures prises par l'employeur pour veiller à ce que le nombre d'employés soit suffisant et pour établir, avec l'avis des employéEs, les procédures à suivre dans toute situation ou toute circonstance pouvant survenir dans une prison. En outre, il a témoigné que le compte rendu de la réunion tenue par le comité de sécurité et de santé au mois d'août 1997 faisait état d'inquiétudes exprimées par les employés concernant le problème de sécurité et de santé que représentaient des niveaux de dotation insuffisants pour les quarts de soirée et de nuit. Au lieu d'être examinées, ces inquiétudes ont été renvoyées à un comité syndical‑patronal.

 

Cependant, l'examen plus poussé de l'alinéa 17.5(1)a) révèle qu'au lieu de s'appliquer aux procédures courantes ou quotidiennes, cette exigence vise les procédures « d'urgence ». D'après la version de 1993 du New Shorter Oxford Dictionary, le terme « urgence » désigne une situation, notamment de danger ou de conflit, qui survient de façon inattendue et qui nécessite une réaction urgente. Dans la version de 1997 du Nouveau Petit Robert, l'expression « procédures d'urgence » fait également référence à une situation qui appelle une intervention immédiate.

 

C'est pourquoi j'estime que l'alinéa 17.5(1)a) ne peut être interprété comme pouvant s'appliquer aux procédures courantes. D'autres dispositions de la partie II auraient pu être invoquées par l'agent de sécurité Noel, et notamment celles qui suivent :

 

Article 124 du Code :

 

« 124...L'employeur veille à la protection de ses employés en matière de sécurité et de santé au travail. »

 

 

Alinéa 126.1g) du Code :

 

« 126. (1).L'employé au travail est tenu :

g)...de signaler à son employeur tout objet ou toute circonstance qui, dans un lieu de travail, présente un risque pour sa sécurité ou sa santé ou pour celles de ses compagnons de travail ou des autres personnes à qui l'employeur en permet l'accès; »

 

Ces dispositions peuvent très bien avoir incité l'agent de sécurité Noel à appliquer l'alinéa 17.5(1)a) du Règlement en réponse à ce qu'il considérait comme une absence de procédures claires visant à protéger la sécurité et la santé des employéEs. Je suis toutefois d'avis que son rapport n'était pas suffisamment précis au sujet du manque de clarté des procédures pour que je songe à exercer les pouvoirs qui me sont conférés aux termes du paragraphe 146(3) du Code pour modifier l'instruction et m'attarder à cet aspect.

 

L'alinéa 17.5(1)a) du Règlement fait référence à des procédures d'urgence, qui dans le cas de l'Établissement Grand Valley correspondent au plan d'urgence, et il est manifeste, d'après les éléments de preuve soumis dans cette affaire, que l'employeur a consulté le comité de sécurité et de santé de l'Établissement au sujet des plans d'urgence.

 

Par conséquent, J'ANNULE PAR LES PRÉSENTES le point 2 de l'instruction.

 

En ce qui concerne les modifications proposées par M. Woytiuk au sujet de l'instruction donnée en vertu du paragraphe 145(1) du Code, la partie II ne contient pas de dispositions permettant de faire ce qu'il suggère. Je ne suis donc pas autorisé à modifier l'instruction dans le sens qu'il recommande. Toutefois, d'après le résumé des principaux faits, je comprends les raisons qui l'ont poussé à demander de telles modifications.

 

Avant de passer à autre chose, je note que le directeur adjoint McGinnis a témoigné que les problèmes de dotation soulevés par les employés auprès du comité de sécurité et de santé étaient considérés comme une question à régler par le syndicat et la direction. M. Jaworski a également fait valoir que le refus de travailler était plutôt le résultat d'un problème de relations de travail permanent. En réponse à cela, je renvoie le directeur adjoint McGinnis à l'affaire Darrell Dragseth, dans laquelle le juge Mahoney de la Cour d'appel fédérale avait fait remarquer ce qui suit :

 

« Une partie a soutenu durant l'argumentation qu'aux yeux du ministère du Travail les différends en matière de dotation relèvent du domaine des conventions collectives et ne concernent pas les questions de sécurité. Il est manifeste que dans un milieu comme un pénitencier à sécurité maximale, ils peuvent être les deux à la fois ».

 

Instruction donnée en vertu de l'alinéa 145(2)a) du Code :

 

En ce qui concerne l'instruction donnée en vertu de l'alinéa 145(2)a) du Code, je dois déterminer s'il y avait un danger pour les employés D. Duquette, E. Farrell et I. Teichert.

 

M. Jaworski a soutenu qu'il n'y avait jamais eu de danger à l'Établissement Grand Valley. Il a signalé que, même s'il avait été établi qu'il y avait un danger pour trois employées terminant le quart de travail, ce qui n'était pas le cas, la sous-directrice Blackler avait remplacé K. Scott à titre d'agent responsable, de sorte qu'il y avait quatre employées pour effectuer le quart de travail. En passant, je suis convaincu que la sous-directrice Blackler en avait informé les employées qui ont refusé de travailler.

 

Je dois avouer m'être penché longuement sur la question de savoir si oui ou non la sous-directrice Blackler avait précisé aux employées D. Duquette, E. Farrell et I. Teichert qu'elle assumait les fonctions d'agent responsable, relativement à la question de danger pour les trois employées ayant refusé de travailler. Toutefois, j'estime que ces questions ne sont pas pertinentes dans le contexte de l'instruction qui a été donnée.

 

Dans ce cas, l'agent de sécurité Noel a décidé après enquête qu'il n'y avait aucun danger pour K. Scott. C'est‑à‑dire qu'il a déterminé qu'il n'y avait pas de danger pour K. Scott parce qu'une équipe de quatre personnes était suffisante et que les procédures étaient suffisamment claires pour le quart de travail. Ainsi,
K. Scott n'avait plus le droit de refuser de travailler aux termes du paragraphe 129(5) [4] du Code.

 

Après que l'agent de sécurité ait eu décidé qu'il n'y avait pas de danger pour K. Scott, il restait donc quatre employés pour effectuer le quart de travail. Par conséquent, il n'y avait pas de raison pour lui de déterminer qu'il n'y avait que trois personnes pour le reste du quart de travail et qu'il y avait un danger pour les employés D. Duquette, E. Farrell et I. Teichert. Pour cette raison, J'ANNULE PAR LES PRÉSENTES l'instruction qui a été donnée.

 

Décision rendue le 21 août 1998.

 

 

Douglas Malanka

Agent régional de sécurité


ANNEXE A

 

CONCERNANT LE CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II - SÉCURITÉ ET SANTÉ AU TRAVAIL

 

INSTRUCTION DONNÉE À L'EMPLOYEUR EN VERTU DE L'ALINÉA 145(2)a)

 

 

L'agent de sécurité soussigné ayant, le 17 octobre 1997, visité le lieu de travail exploité par le SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA, employeur assujetti au Code canadien du travail, partie II, et sis au 1575 HOMER WATSON BLVD., à KITCHENER, en ONTARIO, ledit lieu de travail étant parfois connu sous le nom d'Établissement Grand Valley pour les femmes, et ayant mené une enquête sur ledit lieu de travail par suite du refus de travailler de Ingrid Tiegert(sic), Aaron Farrell et Debbie Duquette, estime qu'une situation existant dans le lieu de travail constitue un danger pour un employé au travail.

 

Au début du quart de travail débutant à 23 h le jeudi 16 octobre 1997, les employés du Service correctionnel Ingrid Tiegert(sic), Aaron Farrell et Debbie Duquette ont refusé de travailler, invoquant un danger. Leur refus de travailler a été exprimé immédiatement après que l'agent responsable, Kathleen Scott, ait elle aussi exercé son droit de refuser de travailler.

 

Les agents Tiegert(sic), Farrell et Duquette croyaient qu'il y avait un danger si on les obligeait à assurer à trois la garde d'environ 68 détenues à l'établissement, outre leur propre sécurité et celle de leurs collègues de travail. Le personnel était insuffisant et les procédures en vigueur concernant les dangers inhérents au lieu de travail pas suffisamment claires.

 

Au moment d'indiquer leur refus de travailler, les agents Tiegert(sic), Farrell et Duquette croyaient devoir terminer le quart de travail à trois, ce qui est moins que le nombre minimal d'employés requis selon les procédures établies par l'employeur.

 

Compte tenu du fait que les mesures provisoires prises par l'employeur en réponse au refus de travailler n'étaient que des mesures temporaires en temps de crise et non la norme dans ce milieu de travail, le danger auquel étaient exposés les employés ayant refusé de travailler existait toujours au moment où cette enquête a été effectuée.

 

Selon l'article 124 du Code canadien du travail, l'employeur est tenu de veiller à ce que la sécurité et la santé de tous les employés à son service soient protégées.

 


En conséquence, il est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES audit employeur, conformément à l'alinéa 145(2)a) du Code canadien du travail, partie II, de protéger immédiatement toute personne contre ce danger.

 

Fait à Kitchener le 24 octobre 1997.

 

 

ROD NOEL

Agent de sécurité

no 1768

 

DESTINATAIRE : SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

ÉTABLISSEMENT GRAND VALLEY POUR LES FEMMES

1575 HOMER WATSON BLVD.

KITCHENER, ONTARIO

N2P 2C5

ANNEXE B

 

CONCERNANT LE CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II - SÉCURITÉ ET SANTÉ AU TRAVAIL

 

INSTRUCTION DONNÉE À L'EMPLOYEUR EN VERTU DU PARAGRAPHE 145(1)

 

L'agent de sécurité soussigné ayant, le 24 octobre 1997, visité le lieu de travail exploité par le SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA, employeur assujetti au Code canadien du travail, partie II, et sis au 1575 HOMER WATSON BLVD., à KITCHENER, en ONTARIO, ledit lieu de travail étant parfois connu sous le nom d'Établissement Grand Valley pour les femmes, et ayant mené une enquête sur ledit lieu de travail, estime que les dispositions suivantes du Code ne sont pas respectées, c'est‑à‑dire :

 

 

1. CTC, alinéa 128(7)a)

L'employeur a omis de faire immédiatement enquête au sujet du refus de travailler de l'employé.

 

2. CTC, alinéa 125o) et article 17.5 du Règlement canadien sur la sécurité et la santé au travail

Les procédures d'urgence n'ont pas été établies après consultation du comité mixte de sécurité et de santé au travail.

 

En conséquence, il est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES audit employeur, conformément au paragraphe 145(1) du Code canadien du travail, partie II, de mettre fin à la contravention au plus tard le 28 décembre 1997.

 

Fait à Kitchener le 24 octobre 1997.

 

 

ROD NOEL

Agent de sécurité fédéral

no1768

 

DESTINATAIRE : SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

ÉTABLISSEMENT GRAND VALLEY POUR LES FEMMES

1575 HOMER WATSON BLVD.

KITCHENER, ONTARIO


RÉSUMÉ DE LA DÉCISION DE L'AGENT RÉGIONAL DE SÉCURITÉ

Décision no : 98-008

 

Demandeur : Service correctionnel du Canada

 

 

Intimé : Syndicat des employés du Solliciteur général

(Alliance de la fonction publique du Canada)

 

MOTS‑CLÉS

Danger, droit de refus, enquête, unité de crise, niveaux de dotation, manque de clarté des procédures, danger inhérent, comité de sécurité et de santé, procédures d'urgence, plans d'urgence, relations de travail.

 

DISPOSITIONS

Code: 124, 125o), 126(1)g), 128(7)a), 128(8), 145(1),145(2)a), 146(3).

 

Règlement : 17.5(1)a)

 

 

RÉSUMÉ

 

Un agent de sécurité a enquêté sur le refus de travailler de plusieurs agents de première ligne qui venaient prendre leur poste pour le quart de nuit à l'Établissement Grand Valley pour les femmes. L'agent de première ligne désigné comme agent responsable a refusé de travailler parce qu'il n'y avait que trois autres agents de première ligne pour toute la durée du quart de travail. Traditionnellement, l'Établissement fait appel à un cinquième agent de première ligne pour le quart de nuit lorsqu'il y a une détenue dans l'unité de crise. L'agent responsable a dit que le personnel était insuffisant et que les procédures à suivre n'étaient pas suffisamment claires pour le quart de travail. Par suite de son refus de travailler, les trois agents de première ligne ont aussi refusé de travailler parce que l'équipe de nuit ne comptait plus que trois personnes.

 

Après enquête, l'agent de sécurité a jugé qu'il n'y avait pas de danger au sens de la partie II pour l'agent responsable, puisqu'il y avait quatre agents affectés à ce quart de travail. Il a toutefois donné une instruction à l'employeur en vertu du paragraphe 145(1) parce qu'il était d'avis que l'employeur avait omis de mener une enquête appropriée au sujet du refus de travailler de l'agent responsable, et que l'employeur avait négligé de consulter le comité de sécurité et de santé au sujet des procédures d'urgence en vigueur à l'Établissement. Dans le cas des trois autres agents, il a jugé qu'il y avait un danger et donné une instruction à l'employeur conformément à l'alinéa 145(2)a).

 

L'agent régional de sécurité comprend les préoccupations de l'agent de sécurité relativement à l'enquête qui a été effectuée, mais a décidé que l'enquête menée par l'employeur au sujet du refus de travailler de l'agent responsable était conforme aux dispositions de la partie II. Il a également jugé qu'il y avait suffisamment de preuves montrant que l'employeur avait consulté le comité de sécurité et de santé au sujet des procédures d'urgence.

 

L'ARS a également conclu que, après que l'agent de sécurité ait eu décidé qu'il n'y avait aucun danger pour l'agent responsable, l'équipe affectée au quart de travail était de nouveau complète. Il n'y avait donc aucun danger pour les trois autres agents de première ligne.

 

L'agent régional de sécurité a ANNULÉ les deux instructions.



[1] Pour les fins de ce rapport, le quart « de jour » correspond au quart de travail qui va de 7 h à 15 h, le quart « de soirée » à celui qui va de 15 h à 23 h et le quart « de nuit » à celui qui va de 23 h à 7 h.

[2] À l'Établissement Grand Valley, les agents de correction sont désignés par l'expression « agents de première ligne », mais ces termes sont interchangeables. Dans ce cas, les employés ayant exercé leur refus de travailler occupaient un poste appartenant à la classification CX‑2.

[3] L'alinéa 17.5(1)a) du Règlement canadien sur la sécurité et la santé au travail se lit comme suit :

 

« 17.5(1)a) L'employeur doit, après avoir consulté le comité de sécurité et de santé ou le représentant en matière de sécurité et de santé des employés, si l'un ou l'autre existe, et les employeurs des personnes non visées par la Loi qui travaillent dans le bâtiment, établir les procédures d'urgence :

 

a) à prendre si quelqu'un commet ou menace de commettre un acte qui est susceptible d'être hasardeux pour la sécurité ou pour la santé de l'employeur ou de l'un de ses employés; ... »

 

4 Voici le texte du paragraphe 129 (5) du Code :

 

« 129(5) Si l'agent de sécurité conclut à l'absence de danger, un employé ne peut se prévaloir de l'article 128 ou du présent article pour maintenir son refus d'utiliser ou de faire fonctionner la machine ou la chose en question ou de travailler dans le lieu en cause; il peut toutefois, par écrit et dans un délai de sept jours à compter de la réception de la décision, exiger que l'agent renvoie celle‑ci au Conseil, auquel cas l'agent de sécurité est tenu d'obtempérer. »

(c'est moi qui souligne)

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