Tribunal de santé et sécurité au travail Canada

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CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II

SÉCURITÉ ET SANTÉ AU TRAVAIL

 

Révision en vertu de l'article 146 du Code canadien du travail,

partie II, d'une instruction émise par un agent de sécurité

 

 

Décision no: 98-002

 

 

Demandeur: Bunge du Canada Ltée

Québec (Québec)

Représenté par: Conrad Desnoyers

 

Intimé: Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP)

Représenté par: Paul Gervais

 

Mis-en-cause: Jean-Marc Juteau

Agent de sécurité

Développement des ressources humaines Canada

 

Devant: Serge Cadieux

Agent régional de sécurité

Développement des ressources humaines Canada

 

 

Cette affaire fut entendue à Québec le 2 mars 1998.

 

 

Historique

 

L’agent de sécurité a témoigné à l’audition de cette affaire qu’une enquête a été initiée le 21 novembre 1997 suite à la plainte déposée le 18 novembre 1997 par M. Fortier, homme d’élévateur et co-président du comité de sécurité et de santé chez Bunge du Canada Ltée. M. Fortier affirmait qu’un employé aurait eu un malaise alors qu’il était à nettoyer l’intérieur d’un silo.

 

L’enquête a révélé “qu’un employé, M. Jacques Dubeau, avait procédé au nettoyage d’un silo alors qu’il était suspendu dans le silo au moyen d’un dispositif antichute de type harnais. L’employé se serait senti indisposé, manquant de souffle, et aurait été remonté du silo immédiatement. L’employé n’aurait pas subi de blessures et ne porterait pas de séquelles de cette aventure.”

 

Par suite d’une rencontre avec des représentants de l’employeur le 27 novembre 1997, dont M. Desnoyers, l’agent de sécurité fut avisé que cette pratique s’effectuait à la demande des employés. Toutefois, l’employeur aurait informé l’agent de sécurité que suite à l’incident, une telle pratique fut interdite et qu’il avait commandé deux harnais spécifiquement conçu pour ce travail.

 

M. Desnoyers aurait avisé l’agent de sécurité que cette situation avait été discutée à la rencontre du 19 novembre 1997 du comité de santé et de sécurité au travail. À son avis la situation a été réglée à ce moment et il n’y avait pas lieu pour l’agent de sécurité d’intervenir.

 

Toutefois, l’agent de sécurité a “informé l’employeur que la pratique d’utiliser un dispositif tel l’antichute, était inacceptable et qu’une telle pratique ne devait plus se produire.” Une instruction (ANNEXE) fut donnée à l’employeur pour s’assurer que dans l’avenir une telle pratique ne soit plus utilisée. Selon l’agent de sécurité, cette instruction s’adressait à l’employeur et aux employés. Elle vise à empêcher toute utilisation non conforme du harnais puisque ce dispositif antichute a été utilisé à des fins autres que celle pour lequel il a été prévu.

 

 

Arguments de l’employeur

Le mémoire soumis par l’employeur révèle clairement sa position dans ce dossier. Selon ce mémoire, les faits suivants se seraient produits:

 

“Lors d’une réunion spéciale du comité de sécurité, tenue le 19 novembre 1997, l’employeur a reconnu qu’il y a eu utilisation à la demande de certains employés, de harnais antichutes pour faire du travail de nettoyage de silos. Lors de la même réunion, l’employeur a convenu qu’il n’utilisera plus les harnais antichutes pour faire du nettoyage de silos et que le jour même il allait acheter deux harnais spécialement conçus pour exécuter le travail précité. (Ci-inclus copie du compte rendu de la réunion spéciale de sécurité tenus le 19 novembre 1997 et une copie du bon de livraison des harnais ci-haut mentionnés daté du 20 novembre 1997).

 

Le 21 novembre, alors que le point avait été traité avec les membres du comité de sécurité et que le correctif avait été apporté, M. Juteau, agent de sécurité du D.R.H.C. a enregistré une plainte provenant des mêmes représentants du syndicat et ce, pour une situation qui était déjà réglée à la satisfaction des parties.

 

Le 27 novembre, M. Juteau est venu rencontrer l’employeur suite à la plainte enregistrée le 21 novembre où l’employeur lui a fait état de l’ensemble du dossier de sécurité qui prévalait chez lui et où il a aussi fait état de tous les points discutés qui préoccupaient les employés et qui avait été l’objet de la réunion spéciale de sécurité du 19 novembre 1997. L’employeur l’a aussi avisé qu’il avait pris toutes les mesures pour sécuriser les employés et répondre à leurs préoccupations et ce à la satisfaction de tous les participants à cette réunion.

 

Lors de la rencontre avec M. Juteau il n’a jamais été question de l’émission d’une instruction mais bien d’une lettre qui ferait état du résultat de son enquête sur l’ensemble des plaintes qu’il avait revues et dans laquelle il ferait des recommandations à l’employeur et au syndicat.”

 

  1. Desnoyers explique que le nettoyage de silo se fait de façon sporadique et non pas de façon régulière comme le laisserait penser l’agent de sécurité.De plus, il a été clairement dit à l’agent de sécurité que ledit harnais ne serait plus jamais utilisé pour faire le nettoyage de silo tel que cela a été fait.Les documents qui font état de cette décision de l’employeur font partie de ses dossiers et des dossiers du comité de santé et de sécurité.

 

 

Arguments pour les employés

 

Selon M. Gervais, la plainte a été déposée le 18 novembre 1997, ce qui démontrait que le problème n’avait pas été réglé. Au moment où l’agent de sécurité s’est présenté pour enquêter la plainte, un danger “imminent” existait pour les employés. Avec une instruction, on s’assure que les employés sont protégés même si l’employeur affirme que le problème est corrigé. M. Gervais est d’avis que l’instruction est nécessaire parce que si M. Desnoyers n’est plus à Bunge dans l’avenir, où seront les garanties de conformité sinon dans les documents émis par l’agent de sécurité. Si l’instruction est levée et qu’il se produit un accident, alors il faudrait recommencer l’enquête comme si rien ne s’était produit.

 

 

Décision

 

Le point à résoudre dans cette affaire est le suivant: Lors de l’enquête de l’agent de sécurité, existait-il un danger pour les employés de telle sorte que l’agent de sécurité était justifié d’émettre une instruction à l’employeur pour protéger les employés?

 

Lorsque dans le lieu de travail il se produit un incident susceptible de mettre à risque la santé et la sécurité d’un ou plusieurs employés, l’employeur doit faire enquête tel que prévu au paragraphe 15.4(1) de la partie XV (Enquêtes et rapports sur les situations comportant des risques) du Règlement canadien sur la sécurité et la santé au travail (ci-après le Règlement). Cette disposition prévoit:

 

15.4(1) L’employeur qui prend conscience d’un accident, d’une maladie professionnelle ou d’une autre situation comportant des risques qui touche un employé au travail doit sans délai:

  • a) nommer une personne qualifiée pour faire enquête sur la situation;

  • b) aviser le comité de sécurité et de santé ou le représentant en matière de sécurité et de santé, si l’un ou l’autre existe, de la situation et du nom de la personne nommée pour faire enquête;

  • c) prendre les mesures nécessaires pour empêcher que la situation ne se reproduise.

 

M. Desnoyers nous avise qu’aussitôt que l’incident du 18 novembre 1997 a été porté à l’attention de l’employeur, une rencontre spéciale du comité de sécurité et de santé a eu lieu le lendemain, soit le 19 novembre 1997. Ont participé à cette rencontre M. Jean Fortier, membre employé du comité de sécurité et de santé, M. Richard Lortie, vice-président du Syndicat canadien de la fonction publique, M. Fernand Roy, membre employeur du comité de sécurité et de santé, et M. Conrad Desnoyers, Directeur des services administratifs et des ressources humaines chez Bunge du Canada Limitée. L’incident qui s’est produit dans le silo a été discuté. Le compte-rendu de cette réunion nous informe que:

 

“Suite aux discussions avec les représentants du syndicat, l’employeur convient que:

 

  • a) dans l’avenir nous n’utiliserons plus les harnais antichute pour faire le nettoyage des silos, que nous allons aujourd’hui même acheter deux harnais spécialement conçus pour exécuter le travail précité…

 

Les représentants du côté syndical et patronal sont satisfaits des mesures préconisées par l’employeur.”

 

Un bon de commande pour l’achat de harnais, daté du 20 novembre 1997, fut inclut au dossier. De plus, selon le compte-rendu de la réunion du comité de sécurité et de santé tenue le mardi 25 novembre 1997, il est précisé que “le 21 novembre nous avons reçu les deux harnais ainsi que l’échelle nécessaire aux travaux de nettoyage des silos.”

 

À la lumière de ce qui précède, je suis convaincu que la situation de danger qui existait lorsque l’incident s’est produit dans le silo n’existait plus lors de l’enquête de l’agent de sécurité. Or, pour justifier l’instruction émise en vertu de l’alinéa 145(2)(a) du Code, une situation de danger devait exister au moment de l’enquête de ce dernier. La jurisprudence est claire à ce sujet. D’ailleurs, j’ai eu l’occasion de traiter de la notion de danger dans Air Canada c. Syndicat canadien de la fonction publique, Décision non rapportée No. 94-007 dans laquelle j’ai dit:

 

“Pour répondre B ces questions, je dois consulter la définition du terme "danger" que l'on retrouve au paragraphe 122(1) du Code et appliquer cette définition en regard de la jurisprudence existente. Danger est défini comme suit:

 

<<danger>> Risque ou situation susceptible de causer des blessures B une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade, avant qu'il ne puisse y être remédié.

(mon soulignement)

 

Les tribunaux ont eu l'occasion maintes fois d'interpréter la portée du terme danger. Il s'est dégagé de cette jurisprudence deux points fort importants qui m'ont guidés dans ma décision.

 

Le premier point est que le danger doit être immédiat. Ainsi, l'expression "avant qu'il ne puisse y être remédié" a été associée B la notion de "danger immiment" qui existait avant que le Code ne soit modifié en 1984. Dans l'affaire Pratt, le vice-président du Conseil canadien des relations de travail, Hugh R. Jamieson écrivait:

 

[...]le Parlement a retiré le mot <<imminent>> de la notion de danger [...], mais il l'a remplacé par une définition qui a pratiquement le même sens.

 

Le deuxième point que je retire des nombreuses décisions est que l'exposition de l'employé au risque ou à la situation doit être manifestement susceptible de causer des blessures. Par conséquent, le danger doit être plus qu'hypothétique ou avoir plus que de faibles probabilités de se réaliser. Le danger doit être immédiat et réel et par conséquent, il ne doit persister aucun doute sur sa réalisation imminente. Il doit être suffisamment grave pour justifier la cessation d'utilisation, dans le cas en l'espèce, des sièges utilisés par les agents de bord.”

 

Manifestement, l’employeur, en collaboration avec les employés, a pris les mesures qui s’imposaient pour s’assurer qu’une telle situation ne se reproduise plus. Je me dois de donner beaucoup d’importance à la réunion spéciale du comité de sécurité et de santé qui a été tenue suite à l’incident puisque ce type d’intervention de la part de l’employeur et du syndicat constitue l’essence même du régime de responsabilité interne intégré à la loi qui prévoit, entre autres, le droit des employés de participer à identifier et à résoudre les problèmes liés à leur lieu de travail. C’est l’une des raisons fondamentales pour lesquelles les comités de sécurité et de santé ont été créés. L’employeur et les employés se sont acquittés de leur responsabilité dans cette affaire en prenant les mesures qui s’imposaient suite à l’incident. La situation a été corrigée à la satisfaction de tous les membres du comité de sécurité et de santé.

 

À mon avis, l’agent de sécurité avait raison de croire qu’un danger existait au moment de l’incident qui s’est produit dans le silo. En effet, la sécurité et même la vie de M. Dubeau a été sérieusement mise à risque le 18 novembre 1997. Toutefois, l’agent de sécurité a eu tort de conclure que ce même danger existait au moment de son enquête le 27 novembre 1997. L’incident était chose du passé et des mesures concrètes avaient été prises pour mettre en place une procédure sécuritaire. Pour ces raisons je devrai annuler l’instruction.

 

Toutefois, je dois admettre que je demeure perplexe face à ces événements. En effet, si on m’a fait part de la procédure utilisée pour descendre un employé dans un silo afin de le nettoyer, on ne m’a pas fait part des précautions prises pour le protéger avant d’y entrer et pendant son séjour dans ce type d’espace qui, il me semble, est un espace clos régi par la Partie XI (Espaces clos) du Règlement. Puisqu’on ne m’a pas fait part de ces circonstances, ma décision ne concernera que l’utilisation des harnais pour monter et descendre un employé dans le silo en question. Je dois aussi admettre que la défense de l’employeur à l’effet que ce sont les employés qui ont demandé d’utiliser la procédure des harnais est fort ténue à mon avis. L’employeur a la responsabilité des procédures utilisées sur le lieu de travail placé sous son entière responsabilité et il ne peut s’en dégager en pointant du doigt ses employés. En bout de ligne, c’est l’employeur qui devra rendre des comptes si un employé est sérieusement blessé au travail et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables dans les circonstances pour le protéger. Puisque je n’ai pas le pouvoir en vertu de l’article 146 du Code de me pencher sur ces aspects de l’enquête de l’agent de sécurité, je me limiterai aux circonstances qui ont donné lieu aux instructions.

 

Pour toutes les raisons énumérées ci-dessus, J’ANNULE l’instruction émise en vertu de l’alinéa 145(2)(a) du Code le 28 novembre 1997 par l’agent de sécurité Jean-Marc Juteau à la compagnie Bunge du Canada Ltée.

 

Décision rendue le 18 mars 1998.

 

 

 

 

 

Serge Cadieux

Agent régional de sécurité


ANNEXE

DANS L’AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II - SÉCURITÉ ET SANTÉ AU TRAVAIL

 

INSTRUCTION À L’EMPLOYEUR EN VERTU DE L’ALINÉA 145(2)(a)

 

Le 27 novembre 1997, l’agent de sécurité soussigné a procédé à une enquête dans le lieu de travail exploité par BUNGE DU CANADA LTÉÉ, employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, et sis au 300 RUE DALHOUSIE, QUÉBEC (QUÉBEC)ledit lieu étant parfois connu sous le nom de Silos de la Bunge.

 

Ledit agent de sécurité estime qu’une situation existant dans le lieu constitue un danger pour un employé au travail, à savoir:

 

L’utilisation d’un dispositif antichute à des fins autres que celles auxquelles il est destiné, notamment pour la tâche de nettoyer les silos plutôt que d’utiliser un équipement conçu pour cette tâche, est susceptible de causer des difficultés respiratoires.

 

Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu de l’alinéa 145(2)a) de la partie II du Code canadien du travail, de procéder à la prise de mesures propres à parer au danger immédiatement.

 

Fait à Sainte-Foy, ce 28e jour de novembre 1997

 

Jean-Marc Juteau

Agent de sécurité

1850

 

À: BUNGE DU CANADA LTÉE

300 RUE DALHOUSIE

QUÉBEC, QUÉBEC

G1K 8M8

 


SOMMAIRE DE LA DÉCISION DE L’AGENT RÉGIONAL DE SÉCURITÉ

 

 

Décision no: 98-002

 

Demandeur: Bunge du Canada Ltée

Québec (Québec)

 

Intimé: Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP)

 

MOTS-CLÉS:

 

Harnais, dispositif antichute, silo.

 

DISPOSITIONS:

 

Code: 145(2)(a)

Règ: 15.4(1)

RÉSUMÉ:

 

Un agent de sécurité donne une instruction à un employeur pour une situation de danger qui s’était produite dix jours plus tôt. Un employé se serait senti étouffé par un harnais alors qu’il était suspendu dans un silo pour y faire le nettoyage. L’employeur, en consultation avec le comité de sécurité et de santé, avait convenu de ne plus utiliser le dispositif antichute et avait fait l’achat d’équipement approprié pour exécuter le travail. L’agent de sécurité avait tout de même émis une instruction pour danger parce que le harnais avait été utilisé pour des fins autres que celles pour lequel il avait été destiné. En révision, l’agent régional de sécurité a conclu qu’au moment de l’enquête de l’agent de sécurité, la situation avait été réglée et qu’il n’existait plus de danger. Il a ANNULÉ l’instruction.

 

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