Tribunal de santé et sécurité au travail Canada

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CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II

SÉCURITÉ ET SANTÉ AU TRAVAIL

 

Révision des instructions émises par un agent de sécurité

en vertu de l’article 146 du Code canadien du travail, partie II

 

 

 

Décision no : 97-008

 

 

Demandeur : Administration de l’aéroport international de Vancouver

Richmond (Colombie‑Britannique)

Représentée par : Jim Grant

Coordonnateur de la santé et de la sécurité au travail

 

Intimées : Alliance de la fonction publique du Canada

Représentée par : Ken Neros

Représentant de l’hygiène et de la sécurité

 

Union canadienne des employés des transports

Représentée par : Alan H. Phillips

Vice‑président régional

 

Partie intéressée : Ministère des Transports, Sécurité et sûreté

Représenté par : J. (Joe) Hessberger

Inspecteur

Exécution de la loi, aviation

 

Mis en cause : Derek Peters

Agent de sécurité

Développement des ressources humaines Canada

 

Devant : Serge Cadieux

Agent régional de sécurité

Développement des ressources humaines Canada

 

 

Une audience orale a eu lieu à Vancouver (C.‑B.), le 8 juillet 1997. À la suite de cette audience et à la demande des parties, j’ai visité la jetée 08L en présence de l’agent de sécurité, de l’employeur et des représentants des employés.

 

 

Historique

Le 16 janvier 1997, l’agent de sécurité Derek Peters a transmis des instructions (voir l’ANNEXE) à l’Administration de l’aéroport international de Vancouver (appelée ci-après l’Administration de l’aéroport). L’agent de sécurité avait procédé à une inspection de la jetée d’éclairage 08L et conclu que l’employeur contrevenait au paragraphe 125b) du Code canadien du travail, partie II (le Code) et au paragraphe 2.4(2) du Règlement canadien sur la sécurité et la santé au travail (le Règlement). Selon l’agent de sécurité, « aucun garde‑fou n’a été installé dans les parties de la jetée d’éclairage où se trouvent les lampadaires ».

 

Dans son rapport d’enquête, l’agent de sécurité décrit comme suit le lieu de travail mentionné dans les instructions et les circonstances de son enquête :

 

« Jetée d’éclairage 08L, à l’extrémité ouest du terrain de l’aéroport – nouvelle piste. L’emplacement est protégé par une clôture à mailles losangées et une barrière verrouillée. La jetée est constituée d’une piste de béton préfabriqué de la longueur de la jetée, soit environ 300 mètres. La plus grande partie de la structure surplombe la mer (détroit de Georgie), à une hauteur de trois à cinq mètres, selon la marée. Jouxtant la jetée se trouvent des modules d’éclairage d’une superficie d’environ quatre mètres sur cinq contenant les lampadaires. Ces modules sont bordés de trois côtés par un muret de béton [1] . Les électriciens, le personnel de piste et les chefs de chantier de YVR, et parfois les agents de protection de la faune de Transports Canada, ont accès à cet emplacement.

 

Le 14 novembre 1996, j’ai rencontré Gary Collins, agent de sécurité, et Jim Grant, coordonnateur de l’hygiène et de la sécurité du travail de l’Administration de l’aéroport international de Vancouver (YVR). Michael O’Byrne, du Programme du travail, m’accompagnait à cette réunion. Nous devions répondre à une demande de renseignements concernant la sécurité de l’emplacement en question. Après avoir inspecté le secteur et discuté des solutions possibles, j’ai conclu qu’il y avait lieu d’élaborer une procédure de sécurité concernant l’enlèvement de la glace et de la neige dans ce secteur, que tous les employés ayant accès à l’emplacement devaient porter des vêtements de flottaison et qu’on devait installer des garde‑fous afin d’assurer la sécurité de tous les travailleurs oeuvrant dans les modules d’éclairage. L’employeur a remis une P.C.V. [2] , et on a réglé promptement les deux premiers points. Après avoir discuté avec l’employeur, on lui a accordé une courte période pour installer les garde‑fous. Par la suite, l’employeur m’a informé qu’il ne procéderait pas à l’installation de ces garde‑fous. On a remis des instructions à l’employeur le 16 janvier 1997. Le 30 janvier suivant, l’employeur a confirmé qu’il procéderait effectivement à l’installation de garde‑fous, tout en souhaitant que notre décision soit révisée par l’agent régional de sécurité. »

 

L’agent de sécurité disait s’inquiéter de la possibilité que des employés au travail ne tombent dans l’eau à partir de la jetée, structure qui n’est munie d’aucun dispositif de protection. On a envisagé la possibilité d’installer des dispositifs antichute, mais cette solution s’est révélée inappropriée parce que les employés travaillent seuls la plupart du temps. Si un employé faisait une chute de la jetée, il demeurerait accroché sur le côté de la jetée dans une position précaire. Par conséquent, les garde‑fous constituaient la solution appropriée pour protéger les employés qui doivent travailler sur la jetée.

 

L’agent de sécurité a affirmé, durant son témoignage, qu’il a pris la décision de rédiger des instructions concernant les garde‑fous, après avoir tenu compte d’un rapport sur la faune et la flore préparé par Transports Canada, Sécurité du système, qui révèle qu’on ne constate aucune augmentation considérable des impacts d’oiseau en raison de la présence d’oiseaux dans la région. M. Grant a promptement répliqué en affirmant que l’enquête précitée n’a jamais fait allusion à la jetée 08L, structure nouvellement construite. L’Administration de l’aéroport a embauché un biologiste de la faune détenant un doctorat, qu’on a chargé d’effectuer une étude et une recherche sur cette situation particulière. M. Grant soutient que le rapport préparé par ce spécialiste de la faune révèle un risque d’augmentation des impacts d’oiseau en raison de l’ajout d’un perchoir, c.‑à‑d. de garde‑fous, sur la jetée.

 

M. Peters a reconnu que si on pouvait déterminer que l’installation de garde‑fous représentait un danger pour les avions qui se posent à l’aéroport, il serait disposé à envisager d’autres solutions. Mais il estime que la solution choisie dans le cas présent est, tout bien considéré, la plus appropriée, compte tenu du comportement des oiseaux dans la région et du rapport qui semble indiquer que les impacts d’oiseau sont plutôt rares. En réponse à une question concernant les compétences qui lui permettent d’interpréter le comportement des oiseaux, M. Peters a reconnu qu’il n’était en aucun cas un expert en matière d’oiseau et qu’il n’avait pas cette prétention. Il a interprété, au meilleur de ses connaissances, le rapport d’enquête de Transports Canada.

 

 

Demande de révision des instructions

L’Administration de l’aéroport a demandé dans les délais prescrits la révision des instructions le 28 janvier 1997. Cependant, la demande n’a été transmise au Bureau de l’agent régional de sécurité que le 14 mai 1997, soit trois mois et demi plus tard. En fait, le bureau n’a pris connaissance de la demande que parce que M. Grant s’était informé personnellement de l’état de sa demande. Ce retard déraisonnable et inexpliqué a engendré de nombreuses questions en ce qui concerne la nature indépendante du processus de révision et a porté un grave préjudice au droit de l’Administration de l’aéroport d’obtenir une audience équitable afin de formuler ses préoccupations à propos des instructions, sans mentionner que cela aurait pu causer un accident d’avion.

 

Par conséquent, l’Administration de l’aéroport m’a écrit pour me faire part de son intention d’abandonner l’appel et de se conformer aux instructions, même si elle croit que le respect de ces dernières pourrait entraîner un accident d’avion. L’Administration de l’aéroport se conformera aux instructions, affirme M. Grant dans sa lettre, mais tiendra Développement des ressources humaines Canada (DRHC) responsable de tout accident qui pourrait survenir en raison du respect des instructions. Après en avoir discuté avec M. Grant et M. Neros, nous avons convenu de soumettre cette affaire au processus de révision prévu dans la loi.

 

 

Observations de l’employeur

Les observations écrites détaillées déposées par M. Grant le 26 juin 1997 ont été versées au dossier. M. Grant explique que l’exigence d’installer des garde‑fous autour des modules d’éclairage sur la jetée 08L représente un risque accru pour les avions et les passagers. On devrait préciser que la jetée en question est située dans une aire historique de couvaison et de migration qui accueille de nombreuses espèces différentes d’oiseaux aquatiques comme les canards colvert, les oies et les canards, pour n’en nommer que quelques‑uns.

 

M. Grant est préoccupé par le fait que l’installation de garde‑fous sur la jetée attirera différentes espèces d’oiseaux comme les aigles, les hiboux et les faucons. Ces rapaces se serviront des garde‑fous comme perchoirs surélevés, ce qui leur permettra de chasser les oiseaux aquatiques, qui sont présentement les oiseaux les plus visibles dans la région. Les oiseaux aquatiques étant palmipèdes, ils ne peuvent se tenir et se percher sur des structures surélevées, ce qui n’est pas le cas des rapaces, qui peuvent utiliser les garde‑fous comme perchoirs, et ne manqueront pas de le faire. M. Grant affirme que :

 

« Actuellement, la présence de ces espèces (les rapaces) sur la jetée n’est pas évidente, puisqu’ils ne peuvent se percher que sur les lampadaires, qui diffusent une lumière suffisante pour les décourager. On craint que la venue de ces rapaces ne perturbe le déplacement des oiseaux aquatiques dans les airs. Les oies blanches [3] sont reconnues pour tournoyer à une hauteur de 200 pieds lorsqu’elles sont inquiètes. L’Administration de l’aéroport ne tient évidemment pas à ce que les oiseaux tournoient à 200 pieds au‑dessus de l’aire principale d’approche, qui se trouve directement dans la trajectoire de descente de la plupart des avions qui atterrissent à l’aéroport. De plus, ces espèces de rapace sont généralement plus grosses que les oiseaux aquatiques et peuvent causer des dommages considérables aux avions, si jamais ils heurtent le bord d’attaque des ailes ou sont aspirés à l’intérieur des moteurs durant la partie la plus cruciale de la manoeuvre d’atterrissage d’un avion. »

 

M. Grant a mentionné que, selon les estimations de 1997, plus de 100 000 avions survoleront la jetée d’éclairage durant leur descente vers la piste. Il soutient que le danger que présentent les oiseaux pour les avions est réel. Il a également expliqué que l’impact d’une seule oie ou d’un seul rapace peut engendrer de sérieux risques (incendie du moteur, incapacité des pilotes de manoeuvrer, dommages structurels), et que des volées d’oiseaux ont causé des accidents fatals [4] .

 

Après avoir déposé la promesse de conformité volontaire, l’Administration de l’aéroport a entrepris d’évaluer le risque auquel font face le nombre limité d’employés qui ont un accès restreint à la jetée, et a élaboré des pratiques de travail sécuritaires à l’intention de ces employés afin d’éliminer la nécessité d’installer des garde‑fous. M. Grant a déclaré que « des exemplaires de ces pratiques de travail sécuritaires ont été transmis aux fins d’examen à DRHC, qui a rejeté ces mesures de contrôle administratives en faveur de la solution choisie par les ingénieurs ». Essentiellement, voici en quoi consisteraient ces pratiques de travail sécuritaires : seules les personnes qualifiées désignées vêtues des vêtements de flottaison nécessaires auraient accès à la jetée; lorsque des travaux doivent être effectués sur la jetée, on exigerait un minimum de deux employés, dont un devant sortir du véhicule; l’accès aux modules d’éclairage d’un employé à bord d’un véhicule ferait l’objet d’une procédure d’évacuation stricte; et les employés devraient communiquer par radio avec le service d’exploitation de l’Administration de l’aéroport.

 

M. Grant a expliqué, au cours de l’audience, que durant la construction de la jetée, la commission des accidents du travail de la Colombie‑Britannique avait soulevé la question de l’installation de garde‑fous. Après avoir pris connaissance de la situation décrite ci‑dessus, la commission a conclu qu’il serait imprudent et dangereux d’installer des garde‑fous. Elle a permis à l’Administration de l’aéroport d’avoir recours à des pratiques de travail sécuritaires au lieu d’installer des garde‑fous. Également, M. Grant a confirmé qu’on a fixé, à tous les 60 mètres le long de la façade de la jetée, des échelles qui descendent jusqu’à la surface de l’eau.

 

M. Grant a également expliqué que le secteur en question est une zone de conservation et que, pour cette raison, on ne peut déplacer les espèces d’oiseau qui s’y trouvent. D’où la préoccupation que suscite la venue d’espèces différentes.

 

 

Observations des employés

MM. Neros et Phillips partagent le point de vue selon lequel les instructions ne devraient pas se limiter à exiger l’installation d’un garde‑fou le long du périmètre extérieur des parties de la jetée qui contiennent les modules d’éclairage. On devrait installer un garde‑fou le long de tout le périmètre de la jetée. Les employés qui se déplacent sur la surface principale de la jetée peuvent se retrouver dans une situation qui les obligerait à sortir à tout moment de leur véhicule sur la partie de la jetée réservée à la conduite. Seule la personne assise du côté gauche d’un véhicule qui se dirige vers la jetée peut sortir de ce dernier en toute sécurité, si elle le fait dans les parties avant de la jetée qui contiennent les modules d’éclairage. Un employé qui sort de l’autre côté du véhicule (le côté droit) pourrait tomber dans l’eau en raison de l’étroitesse (environ 13 pieds) de la partie de la jetée réservée à la conduite.

 

M. Neros est d’avis qu’on pourrait corriger adéquatement cette situation grâce à des installations techniques comme les garde‑fous. M. Phillips ne se montre pas impressionné par le programme de contrôle de la faune de l’Administration de l’aéroport, car il estime que ce programme est constamment modifié à mesure que de nouveaux animaux s’introduisent dans la région. Il soutient qu’en fixant des cornières aux garde‑fous, on devrait pouvoir décourager les oiseaux de s’y percher. Il a également suggéré d’installer des pièces pyrotechniques sur la jetée pour effrayer et éloigner les rapaces. Ni M. Neros ni M. Phillips ne sont convaincus que la venue de nouvelles espèces d’oiseau augmentera le risque d’impacts, surtout parce qu’il est possible, à leur avis, d’empêcher les oiseaux de se percher sur la jetée.

 

 

Commentaires de M. Hessberger, de Transports Canada

M. Hessberger est intervenu brièvement dans les discussions pour mentionner que la situation est beaucoup plus dangereuse lorsqu’un gros avion comme un 747 décolle après avoir aspiré un oiseau dans l’un de ses moteurs que lorsqu’il procède à un atterrissage final. Un avion qui s’apprête à atterrir après avoir aspiré un oiseau est exposé à un moins grand danger, parce qu’il est beaucoup plus léger après avoir effectué son vol. L’atterrissage en douceur de cet avion est beaucoup plus vraisemblable que le décollage sans problème d’un 747 muni d’un moteur qui ne fonctionne pas.

 

 

Motif de la décision

La décision qu’on doit prendre dans ce dossier est simple. Il s’agit, comme le mentionnent les instructions, de déterminer si on doit installer, en vertu du Règlement, des garde‑fous sur la jetée.

 

Si, pour quelque raison que ce soit, j’en viens à la conclusion qu’on doit installer des garde‑fous, je crois que je devrais quand même déterminer s’il y a lieu de proposer ce type d’installation technique. La raison en est simple : on ne peut se protéger d’un risque particulier en créant un risque encore plus grand. Si je tiens compte des observations d’un expert en comportement animal, qui a déconseillé l’installation de garde‑fous parce qu’ils pourraient être utilisés comme perchoirs par des rapaces, ce qui augmenterait le risque des impacts d’oiseau sur les avions, je ne peux faire abstraction du fait que la solution à ce problème pourrait en créer un autre beaucoup plus grand dans un autre domaine. Le bon sens doit l’emporter.

 

Les dispositions auxquelles les instructions font allusion figurent au paragraphe 125b) du Code et au paragraphe 2.4(2) du Règlement. Ces paragraphes prévoient ce qui suit :

 

125. Dans le cadre de l’obligation générale définie à l’article 124, l’employeur est tenu, en ce qui concerne tout lieu de travail placé sous son entière autorité :

b) d’installer les dispositifs protecteurs, garde-fous, barrières et clôtures conformes aux normes réglementaires;

 

et

 

2.4(1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article.

 

« ouverture dans un mur » Ouverture, dans une cloison ou dans un mur, d’au moins 750 mm de haut et 300 mm de large. (wall opening)

 

« ouverture dans le plancher » Ouverture, dans un plancher, une plate‑forme, la chaussée ou une cour, dont la plus petite dimension est d’au moins 300 mm. (floor opening)

 

(2) Lorsqu’un employé a accès à une ouverture dans le mur et que la dénivellation est de plus de 1,2 m ou à une ouverture dans le plancher, l’ouverture dans le plancher ou l’ouverture dans le mur doit être munie de garde‑fous ou couverte de matériaux pouvant recevoir toutes les charges qui peuvent y être appliquées.

 

L’alinéa 125b) du Code contient la disposition appropriée qui autorise le paragraphe 2.4(2) du Règlement. La référence étant exacte, je vais donc exiger l’application de la disposition particulière du Règlement concernant les garde-fous.

 

Le paragraphe 2.4(2) ci‑dessus fait allusion à « une ouverture dans le mur et que la dénivellation est de plus de 1,2 m ou à une ouverture dans le plancher » et fournit les dimensions particulières de l’ouverture. Comme il n’y a aucune ouverture dans le plancher dans le cas qui nous occupe, je ne m’attarderai pas à cet aspect du paragraphe 2.4(2) du Règlement. Cependant, pour plus de certitude, je vais préciser que le dossier qui m’a été soumis ne mentionne aucune forme d’ouverture dans le plancher puisqu’il n’y en a aucune sur la jetée.

 

L’agent de sécurité a mentionné que, puisque la jetée est une structure qui a été construite, elle peut être considérée comme un bâtiment. Tout en reconnaissant qu’il donnait probablement un sens large au terme ouverture dans un mur, l’agent de sécurité a expliqué que les côtés de la jetée constituent une ouverture sur un espace ouvert illimité. Même si j’admire l’interprétation créative que donne l’agent de sécurité au terme « ouverture dans un mur », je ne peux pas l’approuver.

 

Comme le mot « mur » n’est pas défini dans le Règlement, nous devons nous en remettre à la définition du dictionnaire. Dans le cas présent, comme il s’agit d’une structure qui a été construite, je me suis inspiré du Concise Oxford Dictionary, huitième édition, 1990, qui définit le mot « mur » comme suit (traduction libre) : 1 a structure continue et généralement verticale composée habituellement de brique ou de pierre, d’une faible largeur par rapport à sa longueur et à sa hauteur et qui sert surtout à enclore, à protéger ou à séparer des espaces ou à supporter un toit. Aucun élément de cette définition ne ressemble à l’interprétation que donne l’agent de sécurité du mot « mur ».

 

Pour la plupart des gens, le mur d’un bâtiment est une structure visible et tangible de dimensions particulières, qui sert généralement à séparer des espaces et (ou) à supporter un toit. De toute évidence, les côtés d’une jetée ne constituent pas des murs. Au cours de ma visite de la jetée, je n’ai vu aucune structure, construite selon des dimensions particulières, qui sépare des espaces ou supporte un toit, et qu’on pourrait à l’extrême limite considérer de loin comme un mur. Il ne sert absolument à rien de perdre son temps à tenter de déterminer quel est le type de bâtiment auquel on fait allusion dans la partie II du Règlement et, à cet égard, de trouver une logique quelconque à l’interprétation de l’agent de sécurité. Puisqu’une jetée n’est constituée d’aucun mur, le paragraphe 2.4(2) du Règlement ne s’applique pas. Par conséquent, on ne peut exiger l’installation de garde‑fous sur une jetée où seuls les employés ont accès, comme dans le cas présent.

 

Au cours de l’audience, j’ai invité les parties à considérer l’application de l’article 12.11 du Règlement concernant la protection contre la noyade à la situation qui nous occupe. Cet article se lit comme suit :

 

12.11(1) Lorsque, dans le lieu de travail, il y a risque de noyade, l’employeur doit fournir à toute personne à qui il permet l’accès au lieu de travail :

 

a) un gilet de sauvetage ou un dispositif flottant conforme à l’une des normes suivantes :

 

(i) la norme CAN2‑65.7‑M80 de l’Office des normes générales du Canada (ONGC) intitulée « Gilets de sauvetage à matériau insubmersible », publiée en avril 1980;

(ii) la norme (F) 65‑GP‑11 de l’Office des normes générales du Canada (ONGC) intitulée « Norme : Vêtements de flottaison individuels », publiée en octobre 1972;

 

b) un filet de sécurité ou un dispositif de protection contre les chutes.

 

(2) Lorsque, dans le lieu de travail, il y a risque de noyade :

 

a) de l’équipement d’urgence doit être fourni et tenu en état de fonctionnement;

b) une personne qualifiée pouvant faire fonctionner l’équipement d’urgence soit être présente sur les lieux;

c) s’il y a lieu, un bateau à moteur doit être fourni et tenu en état de fonctionnement;

d) l’employeur doit formuler des procédures d’urgence écrites dans lesquelles sont donnés les renseignements suivants :

 

(i) une description complète des procédures, y compris les responsabilités des personnes à qui est permis l’accès au lieu de travail,

(ii) l’emplacement de l’équipement d’urgence.

 

(3) Lorsque le lieu de travail est un quai, un bassin, une jetée ou autre structure similaire, des échelles ayant au moins deux barreaux au‑dessous de l’eau doivent être installées à intervalles de 60 m sur le devant de ces structures.

 

On doit faire remarquer que le paragraphe 12.11(3) contient la seule disposition du Règlement faisant allusion de façon spécifique à « un quai, un bassin, une jetée ou autre structure similaire », ce qui démontre que le législateur a tenu compte des besoins particuliers relatifs à ce type de structure. En droit, une disposition particulière l’emporte toujours sur une disposition de nature générale. Dans le cas présent, on devrait installer, comme le précise le Règlement, une échelle sur les parois de la jetée plutôt que de faire construire des garde‑fous.

 

L’agent de sécurité avait manifestement consulté l’article 12.11 du Règlement, puisqu’il a exigé que l’employeur fournisse à chaque employé ayant accès à la jetée des dispositifs de flottaison. M. Grant a confirmé qu’on avait installé une échelle à intervalles de 60 mètres sur les parois de la jetée durant sa construction, du moins à sa connaissance. Il n’est pas de mon ressort de décider si un bateau à moteur devrait être disponible en tout temps sur la jetée. Cependant, on a indiqué que de tels bateaux étaient prêts à intervenir en cas d’incident. L’aéroport dispose de services de secours incendie et d’équipement, et son service d’incendie peut intervenir quelques minutes après avoir été informé d’une situation dangereuse. L’Administration de l’aéroport soutient qu’elle se conforme à l’article 12.11 et, même si j’ai le pouvoir de modifier des instructions, je ne dispose d’aucune donnée qui me permette d’affirmer que l’employeur contrevient à cette disposition.

 

On a également discuté, au cours de l’audience, du paragraphe 12.10(1) du Règlement, qui précise qu’on doit fournir un dispositif de protection contre les chutes aux employés qui travaillent près des bords de la jetée, structure non protégée dans le cas présent. Voici ce que précise ce paragraphe :

 

12.10(1) L’employeur doit fournir un dispositif de protection contre les chutes à tout employé qui travaille sur l’une des structures suivantes, à l’exception d’un employé qui installe ou qui démonte un tel dispositif selon les instructions visées au paragraphe (5) :

 

a) une structure non munie d’un dispositif de protection qui est :

 

(i) à plus de 2,4 m au‑dessus du niveau permanent sûr le plus proche;

(ii) au‑dessus de pièces mobiles d’une machine, d’une autre surface ou d’une chose sur lesquelles un employé pourrait se blesser en tombant;

 

b) une structure temporaire qui est à plus de 6 m au‑dessus d’un niveau permanent sûr;

c) une échelle d’une hauteur de plus de 2,4 m au‑dessus du niveau permanent sûr le plus proche dans le cas où la personne ne peut s’agripper d’une main à l’échelle en raison de la nature de son travail.

 

L’agent de sécurité a indiqué que, selon lui, le fait de fournir ce type d’équipement de protection ne constitue pas une solution appropriée au problème. Cependant, étant donné que les garde‑fous ne sont pas obligatoires sur une jetée et que certains employés pourraient devoir travailler près des bords de la structure lorsque la marée est basse, je crois qu’une certaine forme de dispositif de protection contre les chutes pourrait être appropriée. Encore une fois, il s’agit d’un problème qui mérite l’attention de l’agent de sécurité, mais qui n’est pas de mon ressort. Je ne m’attarderai donc pas à cette question.

 

Ainsi, pour ce qui est d’interpréter la loi en fonction des éléments de preuve qui m’ont été soumis, il n’y a rien de plus à ajouter. Les instructions ne sont pas justifiées dans les circonstances et doivent être annulées.

 

DÉCISION

Pour tous les motifs précités, J’ANNULE PAR LES PRÉSENTES les instructions transmises le 16 janvier 1997, en vertu du paragraphe 145(1) du Code, par l’agent de sécurité Derek Peters à l’Administration de l’aéroport international de Vancouver.

 

 

Je crois qu’il y a lieu de formuler certains commentaires dans ce dossier. Il semble que tout le monde avait de bonnes intentions dans cette affaire et, par conséquent, il est inutile de se lancer dans une diatribe contre une personne ou une organisation en particulier. La simple lecture du rapport devrait nous faire comprendre ce qui peut arriver lorsque nous perdons de vue nos véritables responsabilités. Un accident extrêmement grave et évitable aurait pu survenir si on avait installé des garde‑fous et que la période de migration avait débuté. Pour cette raison, je suis contraint de fermer ce dossier, soulagé à la pensée qu’un gros avion rempli de passagers, ou tout autre avion, ne se retrouvera pas soudainement en face d’une grande volée d’oiseaux au cours de sa descente. Je dois me demander « qu’arriverait-il si jamais…? », et j’espère que ceux qui ont le pouvoir d’effectuer des changements se demanderont également où se trouve la faille du système.

 

 

Décision rendue le 18 juillet 1997

 

L’agent de sécurité régional,

 

 

 

 

Serge Cadieux


ANNEXE

 

AFFAIRE CONCERNANT LE CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II – SÉCURITÉ ET SANTÉ AU TRAVAIL

 

INSTRUCTIONS TRANSMISES À L’EMPLOYEUR EN VERTU DU PARAGRAPHE 145(1)

Le 14 novembre 1996, le soussigné a procédé à une enquête au sein du milieu de travail géré par l’Administration de l’aéroport international de Vancouver, employeur au sens du Code canadien du travail, partie II, situé à l’aéroport international de Vancouver, Richmond (C.‑B.), le milieu de travail en question étant désigné comme la jetée d'éclairage 08L.

 

Le soussigné est d’avis que l’employeur contrevient aux dispositions suivantes de la partie II du Code canadien du travail :

 

L’alinéa 125b) du CODE CANADIEN DU TRAVAIL, partie III, et le paragraphe 2.4(2) du Règlement canadien sur la sécurité et la santé au travail

« Aucun garde‑fou n’a été installé dans les parties de la jetée d’éclairage où se trouvent les lampadaires ».

 

Par conséquent, je vous ENJOINS PAR LA PRÉSENTE, en vertu du paragraphe 145(1) de la partie II du Code canadien du travail, de corriger cette situation au plus tard le 31 janvier 1997.

 

Rédigé à Vancouver (C.‑B.) ce 16e jour de janvier 1997.

 

L’agent de sécurité,

 

 

 

DEREK PETERS

 

 

À : ADMINISTRATION DE L’AÉROPORT INTERNATIONAL DE VANCOUVER

C.P. 23750, SUCCURSALE POSTALE DE L’AÉROPORT

3153, RUE TEMPLETON

RICHMOND (C.‑B.)

V7B 1Y7


SOMMAIRE DE LA DÉCISION DE L’AGENT RÉGIONAL DE SÉCURITÉ

Décision no : 97‑008

 

Demandeur : Administration de l’aéroport international de Vancouver

 

Intimée : Alliance de la fonction publique du Canada – AFPC

 

MOTS CLÉS :

Garde‑fous, perchoir, oiseaux, jetée, chute, faune et flore, avion, zone de migration, modules d’éclairage, rapaces, pratiques de travail sécuritaires, installations techniques, annulation.

 

DISPOSITIONS :

Code : 145(1), 125b

Règlement : 2.4(2), 12.10, 12.11(1), 12.11(2), 12.11(3)

 

SOMMAIRE :

Un agent de sécurité a transmis des instructions en vertu du paragraphe 145(1) du Code, parce qu’aucun garde‑fou n’a été installé sur une jetée où se trouvent des modules d’éclairage afin de protéger les employés au travail. L’agent de sécurité s’est reporté au paragraphe 2.4(2) du Règlement canadien sur la santé et la sécurité au travail pour réclamer l’installation des garde‑fous en question. Pour justifier ses instructions, l’agent de sécurité a interprété les côtés de la jetée comme l’« ouverture dans un mur » précisée dans la disposition. Après examen du dossier, l’agent régional de sécurité a conclu que les côtés de la jetée ne constituent pas des murs et que, par conséquent, cette disposition ne s’applique pas. L’agent régional de sécurité a annulé les instructions en précisant que d’autres dispositions pouvaient s’appliquer.

 

 



[1] Le muret de béton mesure environ neuf pouces de haut et entoure le périmètre complet de la jetée, qui comprend l’aire principale de conduite et les modules d’éclairage adjacents.

[2] Une P.C.V. (promesse de conformité volontaire) est une promesse écrite faite par un employeur qu’il prendra des mesures pour corriger les éléments qui contreviennent à la loi.

[3] On a mentionné au cours de l’audience que, lorsque les oies blanches et d’autres oiseaux aquatiques détectent la présence d’un rapace, un aigle par exemple, leurs mécanismes instinctifs de défense les poussent à s’élever en bande dans les airs à une hauteur approximative de 200 pieds et à tournoyer dans le secteur.

[4] Un jet quadrimoteur militaire 707 s’est écrasé à Anchorage, Alaska, en 1995, causant la mort de 24 membres d’équipage. Cet accident a été directement causé par des oies du Canada qui avaient été aspirées à l’intérieur de deux moteurs.

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