Tribunal de santé et sécurité au travail Canada

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Décision no 95-022

 

CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II

SÉCURITÉ ET SANTÉ AU TRAVAIL

 

Révision, en vertu de l'article 146 du Code canadien du travail,

Partie II, des instructions données par un agent de sécurité

 

Requérant : Monsieur Pierre Smarlack

Les Lignes Aériennes Canadien International Ltée.

Représenté par : Me Harold C. Lehrer

 

Partie intéressée : Le Procureur général du Canada

Ministère de la Justice du Canada

Représenté par : Me Yves Laberge et Me Nadine Perron

 

Mis-en-cause : Denis Caron

Agent de sécurité

Développement des ressources humaines Canada

 

Devant : Serge Cadieux

Agent régional de sécurité

Développement des ressources humaines Canada

 

Des auditions orales ont été tenues les 8 et 29 janvier 1996, à Montréal (Québec).

 

Intervention du Procureur général du Canada

 

Le Procureur général du Canada a demandé l'autorisation d'intervenir lors de l'audition de cette affaire. Le Procureur général du Canada a soutenu que puisqu'il était possible qu'aucune partie n'intervienne à l'appui des dites instructions, il avait tout l'intérêt requis pour soutenir que les instructions attaquées étaient conformes à la partie II du Code canadien du travail (ci-après le Code). Étant satisfait que le Procureur général du Canada avait l'intérêt requis pour intervenir dans cette affaire, je l'ai autorisé à intervenir.

 

Entente

 

Il fut entendu que la preuve qui a servi dans la cause de M. Mike Milcik ne serait pas utilisée dans cette affaire. Me Laberge a expliqué qu'il entendait produire des documents à l'appui de ses arguments même si ceux-ci ont été déposés dans la cause de M. Milcik et que la preuve serait faite dans cette affaire de façon indépendante.

Objections

 

Me Lehrer s'est objecté à ce qu'à peu près tous les documents introduits par Me Laberge soient déposés en preuve dans cette affaire. Chaque objection a fait l'objet d'arguments des deux parties. Essentiellement, les objections de Me Lehrer tiennent au fait que l'agent de sécurité a reçu les documents ou a participé à l'interrogatoire des témoins en étant avisé qu'il ne pouvait rendre publique l'information obtenue de ces sources. De plus, Me Lehrer nous souligne qu'il ne peut contre-interroger les personnes ayant fait des déclarations contradictoires soit à l'enquête du coroner qui a eu lieu dans cette affaire, soit lors de l'enquête interne de Canadien.

 

J'ai autorisé Me Laberge à introduire plusieurs des documents contestés, ces derniers ayant tous un rapport direct avec les circonstances qui ont mené l'agent de sécurité à émettre l'instruction en révision, soit parce que l'agent de sécurité avait eu accès à ces documents lors de son enquête ou soit qu'il a participé aux différentes enquêtes à titre officiel en vertu du Code canadien du travail, Partie II. Dans tous les cas, j'ai avisé Me Lehrer que je recevrais ces documents avec beaucoup de circonspection et que je n'accorderais que le poids nécessaire aux déclarations contenues dans ces documents en tenant compte du fait qu'il nous était impossible d'interroger les témoins. En effet, à titre d'exemple, un des témoins clés dans la cause de M. Mike Milcik (voir décision no. 95-018 non rapportée), soit M. Paul Ritchie de la compagnie Canadien, ne s'est pas présenté devant l'agent régional de sécurité pour témoigner sachant que le Code n'autorisait pas l'agent régional de sécurité de l'assigner à comparaître.

 

Il y a aussi tout cet aspect de l'enquête de l'agent régional de sécurité qui se devait d'être une enquête sommaire tel que le prévoit le paragraphe 146(3) du Code mais qui a définitivement pris des allures d'enquête judiciaire. Dans de telles circonstances, l'agent régional de sécurité se doit de maintenir un équilibre entre ces deux notions tout en s'assurant de rendre le processus de révision aussi équitable que possible sans toutefois verser dans l'excès d'un côté ou de l'autre.

 

Historique

 

Les faits

 

Le 21 janvier 1995, un accident de travail ayant causé la mort de trois (3) employés d'un employeur assujetti au Code, soit la compagnie Les Lignes Aériennes Canadien International Ltée. (ci-après Canadien), s'est produit à l'Aéroport international de Mirabel.

 

Cet accident est survenu lorsque les trois employés de Canadien, ainsi que leurs compagnons de travail, soit Alain Giroux et Pierre Smarlack, dégivraient1 un aéronef de type Boeing 747-400 de la compagnie nationale de transport aérien Royal Air Maroc (ci-après appelée RAM). L'accident a eu lieu lorsque l'aéronef de RAM s'est mis en mouvement alors que le dégivrage n'était pas encore terminé de telle sorte que les stabilisateurs arrières de l'aéronef ont heurté les girafes qui soutenaient les nacelles renversant ainsi les deux camions affectés au dégivrage. Les trois (3) employés de Canadien qui se trouvaient à bord des nacelles ont ainsi été précipités au sol, ce qui a entraîné leur décès.

(1Pour fins de compréhension, le dégivrage est un procédé qui a pour effet de faire fondre le givre, la glace ou la neige qui se sont accumulés sur un aéronef ou d'en empêcher la formation ou l'accumulation.)

 

L'enquête

 

Le 21 janvier 1995, monsieur Denis Caron, agent de sécurité, s'est rendu à l'Aéroport international de Mirabel afin d'y mener une enquête en vertu du Code. L'agent de sécurité rapporte que "le soir de l'accident, Alain Giroux, chauffeur et préposé d'escale pour la compagnie Canadien, conduisait le camion identifié comme étant le camion #2 alors que Pierre Smarlack conduisait l'autre camion (# 1) et occupait les fonctions de "Lead Snowman" pour la compagnie Canadien."

L'agent de sécurité explique que "la grande majorité des communications se font sur les différentes fréquences radio", à savoir :

* la fréquence 121.8 réservée à la tour principale "Ground Control";

* la fréquence 122.4 réservée à la tour de tablier "Apron Control";

* la fréquence 130.775 réservée aux communications avec Canadien;

* la communication radio type walkie-talkie (U.H.F.) pour parler aux opérations de Canadien; et

* la communication "Hard-Wired", entre le conducteur du camion et le "bucket operator" qui est dans la nacelle.

 

L'agent de sécurité souligne que les employés Giroux et Smarlack, de même que les trois employés décédés sont tous des "Station Attendant". Dans le cas de monsieur Smarlack, l'agent de sécurité rapporte que ses fonctions, le soir de l'accident, étaient "Véhicle Driver" et "Lead Snowman". Selon l'agent de sécurité, "la tâche générale (de monsieur Smarlack) consiste à conduire le camion, à maintenir le communications avec le "Iceman2", avec la personne dans la nacelle de son camion, avec le camion #2, avec l'équipage de l'aéronef et à suivre les instructions du "Bucket Operator".

 

(2"Iceman" signifie "coordonnateur de dégivrage". Le soir de l'accident, M. Mike Milcik, un employé de Canadien, avait été désigné "Iceman" pour le dégivrage du Boeing-747 de RAM. Voir décision non rapportée No. 95-018 pour plus de détails.)

 

Les trois employés décédés, dont un était en formation, travaillaient comme "Bucket Operator". Selon l'agent de sécurité, "la tâche de "Bucket Operator" consiste à :

- maintenir les communications avec le conducteur du camion par le système hard-wired;

- avec des signaux manuels, fournir au conducteur du camion les instructions nécessaires à son travail de dégivrage."

 

L'agent de sécurité a, dans le cours de son enquête, fait les démarches suivantes : il a

 

- visité le centre de dégivrage à trois reprises;

- assisté à l'interrogatoire de M. Smarlack fait par Canadien le 25 janvier 1995;

- interrogé personnellement M. Smarlack en présence de diverses personnes le 2 février 1995;

- recueilli divers documents dont :

- la procédure de dégivrage de la compagnie Canadien;

- la transcription de l'interrogatoire de Pierre Smarlack fait par Canadien;

- la transcription de l'interrogatoire de Alain Giroux fait par Canadien; et

- diverses déclarations qu'il a rédigées et qui ont été signées par messieurs Giroux et Smarlack.

 

Selon l'agent de sécurité, l'alinéa B(3) de l'article 3-7-9 des Procédures de dégivrage de Canadien prévoit que la règle générale de dégivrage est que le dégivrage des avions se fait les moteurs arrêtés. Toutefois, en se fondant sur les procédures de dégivrage de Canadien (paragraphe 3-713), l'agent de sécurité constate que, par dérogation à la règle générale, "les deux seuls types d'aéronefs qui peuvent être dégivrés, alors que les moteurs propulseurs sont en marche, sont les Boeing 737-200 et les Airbus A320-200 de Canadien."

 

Sur la base de ce qui précède, l'agent de sécurité a fait les constatations suivantes concernant M. Pierre Smarlack, à savoir :

 

- qu'il a décidé de son propre chef de demander au pilote du B-747-400 de Royal Air Maroc de laisser les moteurs de son aéronef en marche pendant le dégivrage.

- qu'il a déclaré n'avoir eu qu'un entraînement sur papier.

- qu'il déclare qu'il dirigeait la nacelle à partir de l'intérieur du camion, contrairement à la Procédure de dégivrage édictée par Canadien.

- que le fait d'autoriser le pilote à laisser les moteurs en marche nuisait à la communication entre le conducteur du camion et l'opérateur de la nacelle et que dans ce cas la procédure de la compagnie exige l'utilisation d'un "Guideman".

- qu'il était conscient qu'il n'y avait pas de procédures prévues par son employeur pour le dégivrage des B-747 avec les moteurs en marche.

 

L'instruction

 

En conclusion, l'agent de sécurité était d'avis que M. Smarlack avait contrevenu à deux dispositions du Code, soient l'alinéa 126(1)(c) et 126(1)(d) du Code, ces dispositions ayant trait aux obligations des employés, et a émis une instruction à Monsieur Smarlack en ce sens. L'instruction (ANNEXE-A) fut émise par l'agent de sécurité le 15 mars 1995, en vertu du paragraphe 145(1) du Code.

 

L'agent de sécurité a précisé dans son rapport les raisons pour lesquelles il en est arrivé à ces conclusions.

"Après avoir constaté tous ces faits et pour tous ces motifs, je suis d'avis que Pierre Smarlack a contrevenu au Code canadien du travail, plus particulièrement à l'article 126. (1) dudit Code qui se lit comme suit :

 

126. (1) (sécurité et santé) L'employé au travail est tenu :

c) de prendre les mesures nécessaires pour assurer sa propre sécurité et sa santé ainsi que celles de ses compagnons de travail et de quiconque risque de subir les conséquences de ses actes ou omissions;

 

En effet, lorsque Pierre Smarlack a décidé, dans les circonstances, de dégivrer l'aéronef B-747-400 de Royal Air Maroc alors que les moteurs étaient en marche et d'indiquer au pilote que le dégivrage allait se faire les moteurs en marche, il n'a pas pris les mesures nécessaires pour assurer sa propre sécurité et santé ainsi que celle de ses compagnons de travail ou encore de quiconque.

 

Je suis également d'avis que Pierre Smarlack a contrevenu à l'article 126. (1)d) du Code canadien du travail qui se lit comme suit :

 

126. (1) (Sécurité et Santé). L'employé au travail est tenu :

 

(…)

 

d) de se conformer aux consignes de l'employeur en matière de sécurité et de santé au travail;

 

En effet, le fait pour Pierre Smarlack d'autoriser le dégivrage de l'aéronef de Royal Air Maroc de type Boeing 747-400 alors que les moteurs étaient en marche alors que les procédures de son employeur indiquaient que seuls les aéronefs de type Boeing 737-200 et Airbus A320-200 pouvaient faire l'objet d'un dégivrage les moteurs en marche ne respectait pas les consignes de son employeur en matière de sécurité et santé au travail."

 

Soumission pour l'employé

 

L'argumentation détaillée de Me Lehrer a été consignée au dossier. Me Lehrer a présenté de nombreuses observations lors de l'audition de cette cause. Les observations pertinentes sont les suivantes.

 

Me Lehrer est d'avis que l'agent de sécurité a commis une erreur de raisonnement lorsqu'il a conclu que le dégivrage d'un "747" les moteurs en marche n'était pas permis par l'employeur et que c'est monsieur Smarlack qui a pris la décision de dégivrer le "747" de Royal Air Maroc les moteurs en marche

 

En premier lieu, note Me Lehrer, l'agent de sécurité s'est basé sur le paragraphe 3-7-13 du document introduit sons la cote D-3S, Procédures de dégivrage de Canadien, pour conclure que la compagnie limitait à deux types d'avions, soient le Boeing 727-200 et le Airbus A320-200, le dégivrage les moteurs en marche. Ceci fut une erreur de l'agent de sécurité parce que ces avions n'entrent pas à Mirabel alors que d'autres types d'avions similaires y viennent et que ces autres types d'avions y sont dégivrés les moteurs en marche. L'agent de sécurité aurait alors dû conclure que la politique de dégivrage les moteurs en marche de Canadien n'était pas restreinte à ces deux seuls types d'avions, qu'ils soient mentionnés dans la procédure ou non.

 

En second lieu, Me Lehrer nous souligne que l'agent de sécurité était également dans l'erreur en concluant que c'est M. Smarlack qui a décidé de dégivrer le "747" les moteurs en marche puisque c'est le pilote qui prend la décision finale. En effet, il existe entre l'équipe de dégivrage (le ground crew) et l'équipage de l'avion une certaine hiérarchie qui ne permettrait pas à un membre de l'équipe de dégivrage de donner un ordre au pilote. C'est toujours le pilote, sans exception, qui est en charge de son avion et c'est toujours lui qui a le dernier mot.

 

Me Lehrer attire notre attention sur la circulaire publiée par Transports Canada (Aviation), en date du 22 août 1994, portant le titre CIRCULAIRE D'INFORMATION AUX TRANSPORTEURS AÉRIENS, qui "vise à encourager les transporteurs aériens à permettre le dégivrage de leurs aéronefs pendant que les moteurs principaux sont en marche lorsque c'est techniquement faisable;" Or comment se fait-il qu'une agence gouvernementale encourage le dégivrage les moteurs en marche et qu'un agent de sécurité trouve qu'il y a une violation à la loi parce que l'employeur ne le permet pas. Selon Me Lehrer, M. Smarlack et M. Milcik ont démontré que c'était techniquement faisable de faire le dégivrage les moteurs en marche, M. Smarlack l'ayant fait de trois à six3 fois auparavant.

 

(3Lors du témoignage de M. Smarlack et dans sa déclaration écrite à l'agent de sécurité, la fréquence rapportée est plutôt de six à sept fois.)

 

Le témoignage que l'employeur a fait devant le coroner, à savoir que le dégivrage les moteurs en marche sur les "747" n'est pas permis par Canadien, est totalement faux. Les télécopies (fax) déposées par Me Lehrer en sont une preuve irréfutable qui démontrent clairement que l'employeur faisait l'essai de dégivrage sur un "747" les moteurs en marche. L'employeur reconnaît aussi dans cette correspondance interne que c'est techniquement faisable.

Me Lehrer nous avoue qu'il a beaucoup de difficulté à comprendre la logique de l'agent de sécurité qui déclare que c'est dangereux de faire le dégivrage les moteurs en marche et qui en même temps annule une instruction en ce sens qu'il a donnée à l'employeur auparavant. Si c'est un danger, pourquoi permettre à l'employeur de le faire. En toute logique, si on peut faire le dégivrage les moteurs en marche sur un Boeing 727-200 ou le Airbus A320-200, alors on peut le faire sur un Boeing 747-400 puisqu'il y a très peu de différence entre ces types d'avions.

 

Finalement, Me Lehrer s'objecte fortement au commentaire de l'agent de sécurité dans son instruction lorsqu'il conclut, en rapport avec la décision de M. Smarlack, que le fait d'avoir laissé les moteurs en marche a causé l'accident. Il n'y a aucun lien entre le fait que les moteurs soient en marche et l'accident. Seul le pilote est responsable de l'accident puisqu'il est parti sans avoir vérifié que le dégivrage était terminé et sans s'être assuré que l'avion était dégagé.

 

Soumission du Procureur général du Canada

 

La soumission détaillée du Procureur général du Canada a été consignée au dossier. Me Laberge précise que, sur la foi des documents qui ont été déposés, l'employeur avait instauré des procédures qui permettaient de faire le dégivrage, les moteurs en marche, sur certains types d'aéronefs à titre restrictif (para. 3-7-13, Procédures de dégivrage de Canadien, cote D-3S). Toutefois, il y avait une disposition plus générale (page 19, para.3. des mêmes procédures ci-dessus) qui prévoit que normalement, cela devrait se faire les moteurs arrêtés sauf que, selon certaines modalités, on pouvait faire le dégivrage les moteurs en marche. C'est sur la base des procédures de l'employeur que l'agent de sécurité a fait son enquête.

 

L'agent de sécurité a interrogé M. Smarlack et ce dernier lui a fait la déclaration qu'il a dit au pilote de laisser les moteurs en marche. Cette déclaration de M. Smarlack est corroborée par plusieurs témoins tels que Mme Beaulieu, Mme Campbell et même par M. Milcik. De plus, Me Laberge n'endosse pas la thèse de Me Lehrer en ce qui concerne l'autorité du pilote de tout décider.

 

En ce qui concerne la circulaire de Transports Canada, Me Laberge précise que cette circulaire se veut avant tout être une invitation aux compagnies aériennes d'étudier l'éventualité de faire le dégivrage les moteurs en marche, mais pas à n'importe quel prix. L'employeur doit mettre sur pied des procédures pour encadrer ce type d'opération. Aucune procédure fut présentée à l'effet que l'employeur autorisait le dégivrage des "747" les moteurs en marche. Tout ce qui a été dit à date indique que le dégivrage les moteurs en marche n'était pas autorisé sur les "747" mais seulement sur les "737" et les "320".

En ce qui concerne la formation de M. Smarlack pour faire le dégivrage des "747" moteurs en marche, Me Laberge affirme que lors de son interrogatoire, M. Smarlack a répondu qu'il n'a pas eu de session de formation sur ce type de dégivrage. Me Laberge n'accepte pas la soi-disant formation que M. Smarlack aurait reçue de M. Massie parce que même si ce dernier était fort compétent, il n'était pas un formateur et de plus, M. Smarlack a été très évasif quant au contenu de la formation et des manuels de telle sorte qu'on ne peut pas dire quelle sorte de formation il aurait reçue. En fait, il y a une contradiction manifeste lorsque M. Smarlack témoigne à l'effet qu'il aurait reçu de la formation sur les "747" les moteurs en marche alors que dans sa déclaration du 2 février 1995, il déclare qu'il n'en a pas eu.

 

Selon Me Laberge, les faits ont démontré que M. Smarlack avait l'autorité nécessaire pour demander au pilote de fermer les moteurs de son aéronef, une mesure qu'il n'a pas prise dans ce cas-ci. M. Smarlack est détenteur d'un permis qui lui permet de se déplacer sur le tablier de l'aéroport, une zone de "trafic" spéciale qui requiert des mesures sécuritaires, surtout lorsqu'on travaille près d'un "747" qui a quatre moteurs qui font beaucoup de bruit. Il y avait donc un problème de communication dont on n'a pas tenu compte.

 

Décision

 

L'instruction émise à M. Smarlack fait référence à une contravention des alinéas 126(1)(c) et (d) respectivement du Code. L'agent de sécurité a expliqué, dans son rapport d'enquête, les motifs pour lesquels il a identifié les deux contraventions ce qui a permis aux parties en cause de me faire valoir leurs points de vue.

 

Le premier point que je devrais trancher dans cette affaire est de savoir si la compagnie Canadien autorisait le dégivrage les moteurs en marche ou si seulement certains membres de la gestion avaient décidé de faire des essais préliminaires. À mon avis, la Compagnie avait une politique claire à ce sujet et c'était qu'on ne faisait pas le dégivrage les moteurs en marche sur les aéronefs autres que les Boeing 727-200 ou le Airbus A320-200 indépendamment que ces aéronefs entrent à Mirabel ou non. Plus spécifiquement, le Boeing 747-400 était un appareil sur lequel on se préparait à faire des essais mais qui présentait des difficultés particulières. Quoi qu'il en soit, ce n'était pas un appareil pour lequel le dégivrage les moteurs en marche était permis et pour lequel on avait prévu une procédure particulière. Il n'y avait eu aucune approbation officielle qui autorisait le dégivrage les moteurs en marche des Boeing 747-400 ce qui me porte à croire que s'il y avait eu des essais sur ce type d'aéronef, on en était encore qu'au stage préliminaire. Cette situation a causé beaucoup de confusion dans les opérations de dégivrage et dans l'attribution des responsabilités aux diverses personnes qui y sont impliquées.

 

M. Smarlack nous dit qu'il a fait le dégivrage sur différents types d'avions, dont les Boeing 747-400, de six à sept fois. À mon avis, il est probable que M. Smarlack ait dégivré des gros avions (wide body) les moteurs en marche qui s'apparentent aux Boeing 747-400. Il est même possible qu'il ait participé à des essais sur des Boeing 747-400 les moteurs en marche bien qu'on ne m'a jamais démontré, preuves à l'appui, que tel était le cas. Je note que lors de l'interrogatoire mené par l'agent de sécurité, M. Smarlack affirme, en réponse à la question 1 S, avoir fait le dégivrage du 747 les moteurs en marche six ou sept fois. Je note aussi qu'en réponse à la question 23 a) où l'agent de sécurité demande à M. Smarlack "Selon les procédures de travail, le dégivrage des avions 747 les moteurs en marche est-il permis?", M. Smarlack évite de répondre directement à la question telle que posée. Plutôt, il répond "Depuis que j'ai eu le training pour faire le dégivrage les moteurs en marche, depuis ce temps là qu'on en fait peu importe si c'est un 747 ou non." Cette déclaration semble indiquer que M. Smarlack aurait effectivement reçu la formation pour dégivrer des Boeing 747-400 les moteurs en marche. S'il n'en tenait qu'à ces déclarations, j'aurais tendance à croire M. Smarlack et à ignorer les ambiguïtés des questions et des réponses même si ses déclarations laissent entendre que ce type d'opération se faisait régulièrement au centre de dégivrage, une situation qui, à ma connaissance, n'a jamais été reconnue formellement par la compagnie.

 

Mais, s'il existe une certaine ambiguïté dans toutes ces déclarations, il n'en existe pas lorsque l'agent de sécurité a demandé clairement à M. Smarlack, à la question 23 c) de l'interrogatoire, s'il avait reçu de la formation sur le dégivrage des "747" les moteurs en marche. M. Smarlack a répondu sans équivoque "non", contrairement à ce qu'il laisse entendre lors de l'audition de cette cause. Toutes les interprétations qu'on voudrait donner à cette question et à la réponse de M. Smarlack ne peuvent me convaincre que M. Smarlack avait reçu de la formation pour faire le dégivrage des 747 les moteurs en marche. La question est très simple et sans ambiguïté et n'exige pas une réponse complexe.

 

En somme, ce que je retiens dans cette affaire, c'est que M. Smarlack n'a jamais reçu de formation formelle pour faire le dégivrage des 747 les moteurs en marche et par conséquent, il n'avait pas la compétence nécessaire pour faire cette opération . La formation "sur le tas" que prétend avoir reçu M. Smarlack de M. Massie ne peut être sanctionnée comme étant une formation donnée par la compagnie puisque M. Massie, bien que fort compétent pour faire son travail, n'était pas reconnu comme étant un formateur.

 

Le soir de l'accident, M. Smarlack agissait à titre de "Lead Snowman", une fonction que je qualifierais de responsable sur place de l'équipe de dégivrage. À ce titre, M. Smarlack était en contact direct avec l'équipage de l'avion, l'équipe de dégivrage et le coordonnateur de dégivrage (le Iceman). Son rôle consistait, entre autres, à coordonner sur place l'opération de dégivrage des deux côtés de l'aéronef de sorte que cette opération se fasse simultanément et de façon efficace et sécuritaire. Il découle de cette constatation que M. Smarlack avait, à mon avis, l'autorité nécessaire pour demander au pilote de fermer les moteurs de l'avion, cette procédure étant la politique officielle de la compagnie. D'ailleurs, M. Smarlack nous démontre qu'il avait cette autorité puisqu'il a demandé au pilote, à son premier contact avec lui et outre quel type de dégivrage il désirait, "de fermer ses moteurs."- Le pilote a voulu s'exécuter mais a avisé M. Smarlack que son A.P.U.4 était fermé. Selon sa déclaration du 2 février 1995 dûment signée, M. Smarlack a déclaré "Je lui ai alors dit de garder ses moteurs en marche, il m'a confirmé que c'était beau."

(4A.P.U. signifie Auxiliairy Power Unit. Le A.P.U. est le moteur auxiliaire qui devait fournir l'électricité nécessaire pour garder les fonctions principales de l'appareil en marche pendant que les moteurs principaux sont fermés.)

 

Sur ce dernier point, je dois faire une parenthèse. Me Lehrer interprète les paroles de M. Smarlack comme étant une proposition ou question posée au pilote de l'avion et à laquelle le pilote aurait répondu par l'affirmative et que ce faisant, c'était le pilote qui autorisait le dégivrage les moteurs en marche. Je n'accepte pas cette interprétation. Il est vrai que le pilote est responsable en tout temps de son appareil et il va de soi qu'en quittant le centre de dégivrage avant d'avoir été avisé que le dégivrage était terminé le pilote a assumé une responsabilité très lourde de conséquences. Il est aussi vrai que le pilote doit assumer une part de responsabilité en ne s'objectant pas à ce qu'on fasse le dégivrage les moteurs en marche. Mais là n'est pas le point que j'ai à résoudre.

 

En arrivant au centre de dégivrage, le pilote remet entre les mains d'employés compétents la responsabilité de faire les diverses opérations d'entretien, et dans ce cas-ci de dégivrage, et n'a pas à questionner la compétence de ces gens. La responsabilité du pilote n'est pas en cause ici; c'est celle de M. Smarlack. M. Smarlack n'était pas compétent pour demander au pilote de laisser ses moteurs en marche puiqu'il n'a pas reçu la formation nécessaire pour le faire. Il s'avère aussi que M. Smarlack n'était pas autorisé à le faire puisque c'était contraire à la politique de Canadien de faire le dégivrage les moteurs en marche sur les Boeing 747-400. De plus, étant le responsable sur place de l'opération de dégivrage, M. Smarlack n'aurait jamais dû permettre qu'un employé en formation participe à une opération pour laquelle il n'existait pas de procédures clairement établies.

Je n'ai pas à déterminer ici qui est responsable de l'accident mais je dois dire qu'à mon avis ce n'est pas l'opération de dégivrage les moteurs en marche comme telle qui est la cause de l'accident. D'ailleurs, comme l'a souligné Me Lehrer, Transports Canada recommandait de faire le dégivrage les moteurs en marche lorsque c'était techniquement faisable. Toutefois, cette opération ne devait se faire qu'avec un encadrement très rigoureux et des procédures sécuritaires très strictes. Or, ces procédures n'avaient pas encore été développées et, à toutes fins utiles, il n'existait pas de mesures spécifiquement adaptées au dégivrage les moteurs en marche d'un Boeing 747-400. Par conséquent M. Smarlack n'a pas pris de mesures sécuritaires particulières pour faire le dégivrage les moteurs en marche d'un Boeing 747-400 puisqu'en plus de ne pas être compétent pour décider d'appliquer de telles mesures, ces dernières étaient inexistantes.

 

En ce qui concerne l'émission de l'instruction à l'employeur en vertu de l'alinéa 145(2)(a) du Code, je partage, en partie, l'opinion de Me Lehrer à ce sujet. En effet, lorsque l'agent de sécurité détecte une situation de danger, le Code exige, en vertu de l'alinéa 145(2)a) qu'il

a) en avertit l'employeur et lui enjoint, par des instructions écrites, de procéder, immédiatement ou dans le délai qu'il précise :

(i) soit à la prise de mesures propres à parer au danger,

(ii) soit à la protection des personnes contre ce danger;

 

C'est ce qu'a fait l'agent de sécurité dans son enquête. À mon avis, l'agent de sécurité aurait pu poursuivre son intervention dans cette affaire en s'assurant que l'employeur se conforme aux instructions données. Naturellement, la loi prévoit d'autres dispositions reliées à cette responsabilité de l'agent de sécurité mais elle ne lui permet pas d'altérer le contenu des instructions. Je trouve regrettable que l'agent de sécurité ait donné une instruction à Canadien et qu'après certains contacts avec des représentants de la compagnie, il annule à toutes fins utiles l'instruction, un rôle qui est dévolu à l'agent régional de sécurité en vertu de l'article 146 du Code. L'agent de sécurité avait ordonné à Canadien ce qui suit :

 

"d'avoir une procédure sécuritaire de travail qui assure un contact visuel avec le pilote de l'appareil pour confirmer le début et la fin des travaux de dégivrage de l'avion."

 

Par la suite, l'agent de sécurité avise Canadien de ce qui suit :

 

"Étant donné le respect intégral de ces consignes, l'interdiction qui vous avait été donnée de ne plus faire de dégivrage sur tout type d'avion les moteurs en marche, n'est plus en force."

 

L'un des problèmes avec cette ingérence de l'agent de sécurité dans le rôle de l'agent régional de sécurité est qu'il dégage l'employeur, ou du moins semble le dégager, de sa responsabilité initiale vis-à-vis les circonstances de l'accident mais maintient la responsabilité des employés sans avoir permis à ces derniers de faire valoir leurs droits et d'exprimer leur point de vue. En agissant de la sorte, l'agent de sécurité a isolé les employés au banc des accusés avec la possibilité de nombreuses poursuites alors qu'il endosse sans plus de formalité la position de l'employeur. Je ne partage pas cette façon de faire et je pense que le législateur n'a jamais voulu que justice soit rendue de façon aussi sommaire.

Lorsque l'accident a eu lieu, l'agent de sécurité a été avisé que le Bureau canadien d'enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports (ci-après BST) allait enquêter dans cette affaire. On sait que le BST a compétence exclusive pour faire enquête sur un accident aéronautique dans le but d'en dégager les causes et les facteurs gui y ont contribué. L'agent de sécurité a toute l'autorité nécessaire pour enquêter dans une telle situation lorsque des employés de compétence fédérale sont impliqués dans l'accident. Toutefois, j'ai dit dans Aéroports de Montréal, décision non rapportée numéro 95-012, que lorsque le BST enquête, "la responsabilité de l'agent de sécurité dans ces cas est de déterminer s'il y a eu contravention au Code et non d'assigner la responsabilité de l'accident." Par conséquent les références qu'a fait l'agent de sécurité dans l'instruction, à savoir les termes "de telle sorte que des accidents sont survenus" seront éliminés de l'instruction. L'effet immédiat de cette modification est d'assurer à M. Smarlack que si l'on reconnaît qu'il a contrevenu au Code canadien du travail, cela n'a pas pour effet d'établir un lien direct de cause à effet avec l'accident. Ce rôle appartient au BST.

 

Sur la base de toutes les raisons décrites ci-dessus, je suis d'avis que M. Smarlack a contrevenu aux alinéa 126(l)(c) et (d) du Code canadien du travail, Partie II. En tenant compte du commentaire que j'ai formulé ci-dessus concernant l'attribution de la responsabilité de l'accident, JE MODIFIE PAR LA PRÉSENTE l'instruction émise, le 15 mars 1995, en vertu du paragraphe 145(1) du Code canadien du travail, Partie II par l'agent de sécurité Denis Caron à M. Pierre Smarlack de Les Lignes aériennes Canadien International Ltée, en retirant de l'instruction la référence, sous l'alinéa 126(l)(d) du Code, à l'expression "de telle sorte que des accidents sont survenus" et en retirant de l'instruction la référence, sous l'alinéa 126(1)(c) du Code, à l'expression "de telle sorte que des accidents de travail sont survenus"

 

Décision rendue le 27 février 1996

 

 

Serge Cadieux

Agent régional de sécurité

 


ANNEXE A

 

DANS L'AFFAIRE DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II - SÉCURITÉ ET SANTÉ AU TRAVAIL

 

INSTRUCTION À L'EMPLOYÉ EN VERTU DU PARAGRAPHE 145(l)

 

Le 21 janvier 1995, l'agent de sécurité soussigné a procédé à une enquête dans le lieu de travail exploité par Les Lignes aériennes Canadien International Ltée, employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail, et pour qui, M. Pierre Smarlack travaille à titre de chauffeur préposé d'escale, cet employeur est sis au 12600, Aérogare A-1, local 2134, Aéroport International de Montréal, Mirabel (Québec), J7N 1 C9, ledit lieu étant parfois connu sous le nom de Centre de dégivrage.

 

Ledit agent de sécurité est d'avis que les dispositions suivantes de la partie II du Code canadien du travail sont enfreintes :

 

L'alinéa 126.(1) d) de la partie II du Code canadien du travail (partie II)

 

L'employé n'a pas suivi les consignes de l'employeur sur le dégivrage, en prenant la décision de dégivrer un B 747-400 les moteurs en marche, de telle sorte que des accidents sont survenus.

 

L'alinéa 126.(1) c) de la partie II du Code canadien du travail (partie II)

 

L'employé en n'ayant pas suivi les consignes de son employeur de ne pas dégivrer un B747-400 les moteurs en marche, n'a pas pris les mesures nécessaires pour assurer sa propre sécurité et sa santé ainsi que celles de ses compagnons de travail de telle sorte que des accidents de travail sont survenus.

 

PAR CONSÉQUENT, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu du paragraphe 145(1) de la partie II du Code canadien du travail, de cesser toute contravention immédiatement.

 

Fait à LaSalle, ce 15e jour de mars 1995.

 

Denis Caron

Agent de sécurité

#1521

A : M. Pierre Smarlack

Chauffeur préposé d'escale

163, Domaine Cloutier

St-Colomban (Québec)

JOR IN0


Décision no 95-022

 

RÉSUMÉ DE LA DÉCISION DE L'AGENT RÉGIONAL DE SÉCURITÉ

 

Demandeur : M. Pierre Smarlack, "'Lead Snowman"

 

Partie intéressée : Le Procureur général du Canada

 

MOTS CLÉS

 

Dégivrage, Boeing 747-400, formation, Lead Snowman, A.P.U., BST (Bureau canadien d'enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports)

 

DISPOSITION

 

Code : 126(1)(c), 126(l)(d), 145(1)

 

RÉSUMÉ

 

Suite à un accident tragique où trois employés de la compagnie Canadien occupés au dégivrage d'un aéronef de la compagnie Royal Air Maroc sont décédés, un agent de sécurité a donné une instruction à l'employé responsable sur place de l'opération de dégivrage. L'agent régional de sécurité (ARS) a été essentiellement en accord avec l'instruction donnée à l'employé. Il a toutefois MODIFIÉ l'instrution en retirant de celle-ci les références aux termes "de telle sorte que des accidents sont survenus". L'ARS a déterminé que le rôle de l'agent de sécurité, lorsqu'un accident aéronautique est enquêté par le BST, est de déterminer s'il y a eu contravention au Code. La détermination de la cause de l'accident appartient dans ces cas au BST.

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