Tribunal de santé et sécurité au travail Canada

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CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II

SÉCURITÉ ET SANTÉ AU TRAVAIL

 

Révision, en vertu de l'article 146 du Code canadien du travail, Partie II,

d'une instruction donnée par un agent de sécurité

 

Décision n° 95-016

 

Requérant : E. Skowronek

Directeur, santé et sécurité

Association des employeurs maritimes de la Colombie-Britannique

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Intimé : Ron Jackson

Coordonnateur de la sécurité

Section locale 508

Syndicat international des débardeurs et magasiniers

Mis en cause : John Haswell, agent de sécurité, et Geoffrey S. Vale,

agent de sécurité (actuellement retraité)

Garde côtière canadienne

Nanaimo (Colombie-Britannique)

 

Devant : Bertrand Southière

Agent régional de sécurité

Développement des ressources humaines Canada

 

Une audition a été tenue à Nanaimo le 9 août 1995. Étaient présents

 

- John Haswell Sécurité des navires, Garde côtière canadienne

Agent de sécurité

- Jack McCarthy Sécurité des navires, Garde côtière canadienne

- Graham Constable Sécurité des navires, Garde côtière canadienne

- Geoff Vale Inspecteur des navires - Argus

- Eric Skowronek Association des employeurs maritimes de la

Colombie-Britannique

- Dianne Richards Association des employeurs maritimes de la

Colombie-Britannique

- Stephen Cutler Saga Forest Carriers

- Gerry Lutz Westcan Terminals Ltd. & Westcan Stevedoring Ltd.

- Mike G. Fothergill Empire International Stevedores Ltd.

- Alan Russell Section locale 508

- Wayne Sargent Coordonnateur de la sécurité

Syndicat international des débardeurs et magasiniers

- Ron Jackson Représentant local de la sécurité, Section locale 508

- Ken Arson Canadian Stevedoring Co. Ltd.

 

Contexte

 

Le 10 avril 1995, il y a eu un refus de travailler à bord du navire M.V. Saga Spray, au poste d'amarrage « C » de Nanaimo. L'agent de sécurité G. Vale, du Bureau d'inspection des navires à vapeur, Garde côtière canadienne, a donné une instruction maintenant le refus de travailler. Le lendemain, soit le 11 avril 1995, son superviseur, F. M. Bullen, a annulé l'instruction à la demande de l'employeur. Le 25 avril 1995, Ron Jackson, coordonnateur de la sécurité, section locale 508, a demandé la révision de la décision de F. M. Bullen. Une décision préliminaire, n° 95-007, a été rendue le 23 mai 1995.

 

Selon la conclusion de cette décision préliminaire, l'instruction initiale donnée par G. Vale ainsi que l'appel interjeté par l'employeur demeuraient valides. Toutefois, dans l'intervalle, M. Vale a pris sa retraite de la Garde côtière canadienne, et on a pensé qu'il ne serait pas disponible pour expliquer les motifs de sa décision. Par conséquent, il a été décidé de donner une instruction essentiellement identique à l'égard d'un navire analogue, le M. V. Saga Crest, instruction qui a été donnée par l'agent de sécurité John Haswell, certificat n° 2652, le 28 juin 1992. Cette instruction, essentiellement analogue à celle donnée par M. G. Vale à l'égard du Saga Spray, est rédigée comme suit

 

9h30

N° 045 MERCREDI, LE 28 JUIN 1995

« SAGA CREST » VOY(?)9

AU POSTE D'AMARRAGE « B » DE NANAIMO

 

AUX: COMMANDANT ET PROPRIÉTAIRES

 

J’AI CONSTATÉ QUE LORSQUE LES PONTS PORTIQUES Nos 1 ET 2 SONT EN MARCHE, L'ARRÊT D'URGENCE DU « CHASSE-CORPS » NE LES IMMOBILISE QUE PENDANT LA PÉRIODE OÙ LE DISPOSITIF EST ACTIVÉ. CETTE ANOMALIE DOIT ÊTRE CORRIGÉE « AVANT LE RETOUR DU NAVIRE AU CANADA » DE SORTE QUE, LORSQUE L’ARRÊT D'URGENCE EST ACTIVÉ, LE PORTIQUE DEMEURE ARRÊTÉ (C.-A-D. L'ARRÊT D'URGENCE NE DOIT POUVOIR ÊTRE RÉENCLENCHÉ QU'À PARTIR DE LA CABINE DE COMMANDE). LE REFUS DE TRAVAILLER EST MAINTENU.

 

(signé) JOHN HASWELL

Inspecteur de l’outillage de chargement

 

Le 5 juillet 1995, l'Association des employeurs maritimes de la Colombie-Britannique a fait appel de cette instruction, au nom de l'employeur, Westcan Stevedoring Limited, et des représentants du navire, Saga Forest Carriers International (Canada) Inc.

 

 

Autre information

 

Les deux navires en question sont des vraquiers; il importe de souligner que le Saga Crest mesure près de 200 mètres de long et a un déplacement d'été d'environ 57 000 tonnes métriques. Il a été mis à la mer en décembre 1993. Chacun de ces navires est équipé de deux portiques SWL de 40 tonnes fortes, qui sont utilisés pour le chargement et le déchargement du navire. Des rails installés de chaque côté du pont permettent aux portiques de se déplacer le long du navire. L'espace situé entre les jambes du portique et les rambardes installées le long des livets du pont est très restreint sur la plupart des navires. En fait, à bien observer les photos présentées, on constate qu'il n'y a pas assez d'espace à cet endroit sur le Saga Spray pour permettre à une personne de passer librement. Toutefois, du côté de la paroi intérieure des jambes du portique, entre la jambe et la hiloire de l'écoutille, il semble y avoir assez d'espace pour qu'une personne puisse passer entre la jambe et l'écoutille ou pour que le portique puisse passer à côté d'une personne qui se tient debout près de l'écoutille.

 

L’actuel règlement sur l’outillage de chargement adopté dans le cadre de la Loi sur la marine marchande du Canada ne prévoit aucune disposition qui traite précisément de cette question. Toutefois, une ébauche de document, rédigée il y a quelques années à titre de projet de règlement, prévoyait à l’article 6.39 une disposition qui abordait cette question. Cet article prévoit ce qui suit

 

« 6.39 Lorsque l’opérateur a la vue considérablement voilée, le fonctionnement des appareils de levage doit se faire conformément à une procédure qui réduit au minimum les risques auxquels sont exposées les personnes qui se trouvent dans les angles morts. L'équipement doit comprendre

a) un bouton d’arrêt et un mécanisme d’avertissement par contact, au niveau du pont, à chaque tronc ou à chaque jambe de l'appareil de levage; .

b) un poste radio autonome ou un dispositif de signalisation non vocal entre le contremaître du pont et l’opérateur de l’appareil de levage. »

 

En termes simples, il faut qu'il y ait un bouton d'arrêt d'urgence sur chaque jambe du portique et également un « mécanisme d'avertissement par contact » qui, sur la plupart des navires, consiste en une boucle en fil de fer fixée à l'avant de chaque jambe du portique, afin de permettre, par simple contact, de prévenir une personne que le portique se trouve tout près d'elle.

 

Les deux navires en question, au lieu d'un « mécanisme d'avertissement par contact », sont munis d'un « chasse-corps » : il s'agit d'une petite barrière fixée à l'avant de chacune des jambes d'un portique. Cette barrière, installée au niveau du pont, est approximativement de la même largeur que la jambe du portique et, si l'on observe les photos, on constate que cette barrière mesure environ 2 pieds de hauteur. La barrière est articulée à la partie supérieure et elle est reliée à un interrupteur fin de course de manière que, si un obstacle se dresse sur le parcours du portique, la barrière basculera vers l’arrière, activant ainsi l’interrupteur qui, à son tour, coupe le courant qui alimente les moteurs de traction du portique. Il s'agit d'une interruption temporaire en ce sens que, une fois la barrière relâchée, le courant est rétabli et, si l'opérateur continue d'actionner les commandes, le portique se remettra en marche. Par contre, l'arrêt d'urgence qui, sur ces navires, est une tirette tendue entre les jambes du portique, coupe le courant qui alimente les moteurs en faisant basculer le disjoncteur; pour rétablir le courant, il faut réenclencher le disjoncteur qui est situé à l'extérieur du poste de commande de l'opérateur.

 

Les refus de travailler, le premier ayant eu lieu le 10 avril 1995, à bord du M.V. Saga Spray, et le second, le 28 juin 1995, à bord du M.V. Saga Crest, sont fondés sur la thèse des employés qui prétendent que, en raison du caractère momentané de l’interruption de courant qui se produit lorsque le « chasse-corps » heurte un obstacle, il y a risque de blessure pour les employés, vu que le portique peut se remettre en marche sans que l'opérateur ne vérifie la cause de l'interruption de courant. Les employés veulent que l'interrupteur du « chasse-corps » soit câblé de telle sorte que, si le « chasse-corps » est dévié par un obstacle, il fera basculer le disjoncteur. Ainsi, l’opérateur sera obligé de sortir de son poste pour trouver la cause de l’interruption de courant avant de réenclencher le disjoncteur.

Arguments de l'employeur

 

L'employeur soutient que le Règlement canadien sur la sécurité et la santé au travail ne s'applique pas à bord d'un navire. En outre, le Règlement sur l'hygiène et la sécurité professionnelle (navires) ne s'applique pas aux navires, mais uniquement aux employés. Le règlement applicable est le Règlement sur l’outillage de chargement pris en application de la Loi sur la marine marchande du Canada; et les deux navires satisfont largement aux exigences applicables. Les navires sont certainement munis d'arrêts d'urgence pour les portiques, et les « chasse-corps » en question sont des dispositifs de sécurité supplémentaires prévus comme des mécanismes de remplacement des « mécanismes d’avertissement par contact à tuyau souple tendu » mentionnés à l'article 6.39 du Projet de Règlement sur l'outillage de chargement. L'employeur soutient également que la situation ne représente pas un danger au sens du Code canadien du travail. Par conséquent, rien ne justifie le refus de travailler.

 

Arguments des employés

 

L'argument des employés se résume essentiellement à ceci : si une personne devait tomber devant un portique, celui-ci s'arrêterait dès qu'il la toucherait. Mais si cette personne venait à rouler légèrement à côté du pont, alors celui-ci pourrait se remettre en marche et lui passer sur le corps, lui causant vraisemblablement des blessures. Si le « chasse-corps » est équipé d'un dispositif semblable à un arrêt d'urgence, alors l'opérateur du portique devra se déplacer de son poste et rechercher la cause de l’interruption de courant avant de réenclencler le disjoncteur. Cette mesure éliminerait le risque évoqué ci-dessus.

 

Décision

Comme l'a fait remarquer l'employeur dans ses arguments, le Règlement canadien sur la sécurité et la santé au travail ne s'applique pas à bord d'un navire. Le Règlement sur l'hygiène et la sécurité professionnelle (navires) s'applique certes aux employés affectés au chargement et au déchargement des navires (voir l'alinéa 1.3 c) du Règlement sur l'hygiène et la sécurité professionnelle (navires), mais il n'y a aucune disposition applicable en l'espèce. Les questions reliées à l'équipement de manutention de matériaux à bord des navires ont toujours été réputées visées par le Règlement sur l'outillage de chargement.

 

Toutefois, le Code canadien du travail s'applique effectivement aux employés qui travaillent à bord des navires et ces employés ont le droit de refuser d'effectuer un travail dangereux. Vu que mon pouvoir émane du Code canadien du travail, je peux me prononcer sur la question du refus de travailler; je n’ai pas le pouvoir d’interpréter le Règlement sur l’outillage de chargement. La seule question que je peux donc examiner, en tant qu'agent régional de sécurité, est la suivante : Les agents de sécurité avaient-ils raison d'accepter le refus de travailler?

J'ai examiné l’argument des employés, à savoir, si une personne tombe devant un portique en mouvement, celui-ci s'arrêtera puisque le « chasse-corps » détectera l'obstacle, mais si par la suite le corps de la personne roule de côté, le portique se remettra en marche. Cela suppose que l’opérateur continue d’appuyer sur les commandes de déplacement du portique, auquel cas la personne pourrait se faire écraser. Je ne peux souscrire à cette thèse : si la personne roule en avant du portique, dès que le portique se remettra en marche, le « chasse-corps » heurtera de nouveau l'obstacle et entraînera encore l'arrêt du portique; si la personne roule à côté assez loin pour ne pas être à la portée du « chasse-corps », alors le portique passera soit à côté d'elle soit au-dessus d'elle, puisque la barrière du « chasse-corps » est très basse, environ la même largeur que la jambe du portique, et balaie pratiquement toute la largeur de la voie dans laquelle se déplace le portique.

 

On a également fait valoir que, à l'arrêt du portique, notamment lorsqu'il vient de se remettre en marche, il peut hésiter ou vibrer un peu au moment de s'arrêter. Cependant, lorsque j'ai demandé s'il en était ainsi dans le cas de ces navires en particulier, on m'a répondu par la négative. La définition du terme « danger » dans le Code est très précise.

« danger » : risque ou situation susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée ou de la rendre malade avant qu'il ne puisse y être remédié.

 

Je ne crois pas que la situation sur ces deux navires constitue un danger au sens du Code : Je comprends qu’il puisse y avoir d’autres navires semblables où les situations pourraient être telles qu'elles pourraient être qualifiées de « dangereuses », comme le prévoit le Code, mais ce n'est pas le cas ici.

 

Par conséquent, J'ANNULE PAR LES PRÉSENTES les instructions données par Geoffrey Vale à l'égard du M/V Saga Spray le 10 avril 1995 et par John Haswell à l'égard du M/V Saga Crest le 28 juin 1995.

 

Décision rendue le 27 novembre 1995.

 

(signé)

 

Bertrand Southière

Agent régional de sécurité

 


 

RÉSUMÉ DE LA DÉCISION DE L'AGENT RÉGIONAL DE SÉCURITÉ

 

 

Décision n° 95-016

 

Demandeur : L'Association des employeurs maritimes de la

Colombie-Britannique représentée par E. Skowronek, directeur de la santé et de la sécurité au travail

MOTS-CLÉS

 

Portiques; arrêts d'urgence; mécanisme d'avertissement par contact; inspecteurs de l'outillage de chargement; règlement sur l'outillage de chargement.

 

DISPOSITIONS

 

Code : 128(1)

 

RÉSUMÉ

 

Suite à un refus de travailler à bord du M. V. Saga Spray, dans le port de Nanaimo, l'agent de sécurité a maintenu le refus de travailler et a donné une instruction ordonnant à l'employeur de modifier les deux portiques à bord du navire. Ces portiques se déplacent le long du bateau sur des rails fixés de chaque côté du pont et sont munis, à l'avant de chacune des jambes du portique, d'un détecteur d'obstacle. Ces détecteurs se composent d'une barrière située au niveau du pont et suspendue à l'avant de chaque jambe. Si la barrière heurte un obstacle, elle bascule vers l’arrière, actionnant ainsi un interrupteur qui coupe le courant qui alimente les moteurs de traction. Si l'obstacle est enlevé, le portique peut se remettre en marche immédiatement si l'opérateur continue d'actionner les commandes. Selon l'instruction, ce détecteur d'obstacle doit fonctionner de façon analogue à un interrupteur d'urgence, c'est-à-dire, la détection d'un obstacle ferait basculer le disjoncteur principal, obligeant l'opérateur à se rendre à la cabine de contrôle pour réenclencher le disjoncteur. Ces portiques sont également munis d'interrupteurs d'urgence séparés.

 

Une seconde instruction, essentiellement analogue à la première, a été donnée en juin 1995 à l'égard du M. V. Saga Crest, un navire jumeau du Saga Spray. Cette mesure s'explique du fait que l’agent de sécurité qui avait donné la première instruction a pris sa retraite et du fait qu’on avait cru qu’il ne serait pas disponible pour expliquer sa décision.

 

L'agent régional de sécurité a annulé les instructions parce qu'il était impossible de prouver qu’il y avait danger du fait que le portique ne resterait arrêté que pendant la période où l'obstacle se trouvait devant lui.

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