Tribunal de santé et sécurité au travail Canada

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95-011 CN Amérique du Nord c. Travailleurs unis des transports

CODE CANADIEN DU TRAVAIL PARTIE II

SÉCURITÉ ET SANTÉ AU TRAVAIL

Révision en vertu de l'article 146 du Code canadien du travail, partie II, d'une instruction émise par un agent de sécurité

Décision No. 95-011

Demandeur :

CN Amérique du Nord

District Laurentien

Montréal, Québec

représenté par : Me L. Michel Huart

Partie intéressée :

Travailleurs unis des transports

Brossard, Québec

représenté par : Robert Michaud

Mis en cause :

Nathalie Belliveau, Agent de sécurité No. 2979

Transports Canada, Surface

Montréal, Québec

Devant :

Bertrand Southière

Agent régional de sécurité

Développement des ressources humaines Canada

Une audience a eu lieu à Montréal le 7 juillet 1995. Étaient présents :

- Michel Huart, Procureur général, Canadien National, Montréal;

- John Hughes, directeur de la sécurité et du contrôle des pertes, Canadien National;

- Kenneth R. Peel, General Counsel - Ontario, CN, Toronto, Ontario;

- Robert Michaud, Président, comité législatif du Québec, Travailleurs Unis des Transports, Brossard, Québec;

- Roger Doiron, employé de CN Amérique du Nord, membre du comité d'hygiène et de sécurité;

- Marie-Hélène Foucault, représentante syndicale, CP, (observateur);

- Stéphane Pommet, représentant syndical, (observateur);

- Nathalie Belliveau, agent de sécurité, Transports Canada - Surface, Montréal;

Circonstances

Le 7 juillet 1994, Serge Cadieux, agent régional de sécurité, a rendu une décision (No. 94-006) qui confirmait une instruction émise quelque temps auparavant par l'agent de sécurité Nathalie Belliveau à CP Rail Limitée, gare de Ste-Thérèse. Cette instruction était à l'effet que, en vertu de l'alinéa 125(j) du Code canadien du travail, partie II, et de l'article 8.10 de la partie VIII (Matériel, équipement, dispositifs et vêtements de sécurité) du Règlement sur l'hygiène et la sécurité professionnelle (trains) (le "Règlement"), l'employeur devait fournir des vêtements de protection adéquats, en l'occurrence des gants, à tout employé des transports dont les fonctions pouvaient entraîner des risques de blessures aux mains.

Un employé de Canadien National Amérique du Nord, Roger Doiron, qui était aussi membre du comité d'hygiène et de sécurité au triage Taschereau, souleva cette question lors de la réunion de ce comité en juillet 1994. A cette occasion, il distribua aux autres membres du comité une copie de la décision précitée et la question fut discutée, mais sans qu'une décision soit prise. Insatisfait de la réaction de l'employeur, M. Doiron logea une plainte auprès du bureau régional de Transports Canada, Surface, à Montréal, le 21 septembre 1994. Mme Nathalie Belliveau, agent de sécurité, Transports Canada, fut chargée de faire enquête.

Lorsqu'elle prit le dossier en main, Mme Belliveau suggéra au comité de poursuivre ses démarches auprès de l'employeur afin d'obtenir une résolution à l'amiable du désaccord. En janvier 1995, Mme Belliveau fut informée par le surintendant du transport, District Laurentien, CN Amérique du Nord, que l'employeur n'avait pas l'intention de fournir des gants à ses employés. À la suite de cette conversation, une instruction, libellée comme suit, fut émise le 6 février 1995 :

Transport Canada

IN THE MATTER OF THE CANADA LABOUR CODE PART II - OCCUPATIONAL SAFETY AND HEALTH

DIRECTION TO THE EMPLOYER UNDER SUBSECTION 145(1)

On January 20 of 1995, the undersigned Safety Officer conducted an inquiry in the workplace operated by CN North America, Laurentian District, being an employer subject to the Canada Labour Code, Part II, at 935 La Gauchetiere street, Montreal, province of Quebec.

The undersigned Safety Officer is of the opinion that the following provision of the Canada Labour Code, Part II, is being contravened :

Paragraph 125(j) of the Canada Labour Code, Part II and paragraph 8.10(c) of the On Board Trains Occupational Safety and Health Regulations.

All Transportation employees that are required to perform duties such as handling switches, uncoupling or coupling rolling stock, riding rolling stock, tightening or untightening handbrakes and any other similar tasks which may result in a hazard of injury to the hands must be provided with adequate body covering.

Therefore, you are HEREBY DIRECTED, pursuant to subsection 145(1) of the Canada Labour Code, Part II, to terminate the contravention no later than February 17, 1995.

Issued in Montreal, this 6th day of February 1995.

Nathalie Belliveau Safety Officer 2979

Arguments

À l'appui de sa demande, l'employeur avance les arguments suivants :

- l'agent n'a pas vraiment effectué d'enquête avant d'émettre son instruction; elle s'est essentiellement basée sur l'enquête faite au CP, enquête qui a conduit à une instruction et, éventuellement, à la décision No. 94-006 rendue par l'agent régional de sécurité, Serge Cadieux, en juillet 1994; elle a par la suite supposé qu'une situation similaire existait au Canadien National lorsqu'elle a émis son instruction; par conséquent, l'instruction est sans fondement dans les faits;

- l'instruction semble indiquer que l'agent a conduit son enquête au 935 rue de la Gauchetière, à Montréal; il s'agit du siège social de la compagnie; on n'effectue pas à cet endroit de travaux du genre de ceux décrits dans l'instruction;

- la décision No. 94-006 mentionnée précédemment n'avait pas pour but de déterminer si des dispositifs de protection devaient être utilisés par les employés visés, mais plutôt de décider à qui incombait la responsabilité de défrayer le coût de ces dispositifs de protection;

- en date du 21 février 1995, l'article 8.10 du règlement sur la sécurité et la santé au travail (trains) a été modifié; dans le cas CP, la discussion semblait porter sur la protection des mains contre le froid; or le nouveau texte indique clairement que le risque de blessures ou de maladies doit résulter du contact cutané et non de l'exposition à des variations naturelles de température; les conclusions de la décision No. 94-006 ne s'appliquent donc pas.

Le procureur de l'employeur a aussi déposé une abondante documentation qui a été versée au dossier. Cette documentation traite entre autres des politiques de la compagnie concernant l'équipement de protection personnelle, de certaines conditions de la convention collective, de la situation dans la fonction publique fédérale, etc.

Pour sa part, M. Michaud, le représentant des employés, a présenté un volumineux cartable, versé lui aussi au dossier, et contenant entre autres :

- Destination Sécurité : Brochure de sécurité à l'intention des cheminots, publiée par Association of American Railroads;

- une brochure intitulée : CN Exploitation - Règlement de sécurité;

- un document intitulé : Chemins de fer nationaux du Canada - Ligne de conduite - Port de vêtements de protection.

Questionnée par M. Michaud, Mme Belliveau a témoigné que dans sa fonction d'agent de sécurité à Transports Canada, elle devait, entre autres, inspecter cinq trains par mois. Au cours de ces inspections, elle a remarqué que les employés touchés par l'instruction portaient toujours des gants. Mme Belliveau a ajouté avoir travaillé de mai 1985 à septembre 1991 pour le Canadien National en tant qu'agent de train, agent de triage et conducteur.

Discussion

Il est intéressant de noter que dans les diverses brochures qui ont été présentées, les employés illustrés en train d'effectuer les diverses fonctions mentionnées dans l'instruction portent des gants. Dans la Brochure de sécurité à l'intention des cheminots publiée par l'Association of American Railroads, à la page 3 de la brochure, titrée Le vêtement, on lit : "(le cheminot soucieux de sa sécurité) porte des gants qui lui protègent les mains".

L'agent de sécurité, lorsqu'elle a émis son instruction, était très au fait de la situation, et de par son travail, et de par son expérience antérieure. Je crois donc qu'il est inexact de dire que l'agent a supposé que la situation prévalant au CP pouvait exister au CN et que l'instruction qu'elle a émise est simplement fondée sur une supposition que la situation au CN est la même qu'au CP.

Le procureur de l'employeur a aussi avancé que, avant d'émettre une instruction, l'agent de sécurité doit avoir un motif raisonnable et probable sur lequel doit se fonder son avis; ce motif raisonnable et probable découle, par exemple, de l'enquête faite en vertu de l'article 141 du Code canadien du travail. Je crois qu'il serait pertinent à ce point de revoir le libellé de l'article 145 du Code :

145.(1) S'il est d'avis qu'il y a contravention à la présente partie, l'agent de sécurité peut ordonner à l'employeur ou à l'employé en cause d'y mettre fin dans le délai qu'il précise et, sur demande de l'un ou l'autre, confirme par écrit toute instruction verbale en ce sens.

L'article 145.(1) ne précise pas de quelle façon l'agent doit former son opinion; on n'y précise pas par exemple que "Suite à l'enquête menée en vertu de l'article 141...". En l'occurrence, il me semble donc que l'agent, de par les exigences de son travail et de par son expérience antérieure était très au fait de la situation et que son avis est basé sur les faits et non sur des suppositions.

Dans sa décision No. 94-006 rendue il y a environ un an, l'agent régional de sécurité a bien dit : "La question, à mon avis, consiste à décider de la partie devant assumer le coût de la protection des mains." Il était évident, à son avis, qu'un employé chargé de manoeuvrer des aiguilles, de décrocher des wagons, de conduire le matériel roulant et de remplir d'autres fonctions semblables doive porter des dispositifs de protection de la peau sous forme de gants ou de mitaines. Par conséquent, cette question ne se posait même pas. Dans le cas actuel, je crois que cette même nécessité de protection des mains se retrouve et que tout comme les employés d'autres compagnies de chemin de fer effectuant des tâches similaires, les employés du CN doivent, eux aussi, porter des dispositifs de protection pour leurs mains.

Enfin, concernant l'adresse du lieu de travail mentionnée dans l'instruction émise par l'agent de sécurité, c'est-à-dire, le 935 de la Gauchetière à Montréal, j'interprète qu'en adressant son instruction de la sorte, l'agent visait le bureau central du district Laurentien de la compagnie plutôt qu'un site particulier, afin que l'instruction ait la portée la plus vaste possible. Il est d'ailleurs bien précisé dans l'instruction que celle-ci s'applique à : "All Transportation employees that are required to perform duties such as handling switches, uncoupling or coupling rolling stock, riding rolling stock, tightening or untightening handbrakes and any other similar tasks which may result in a hazard of injury to the hands..." L'argument à l'effet qu'on n'effectue pas le genre de travail décrit dans l'instruction à l'adresse mentionnée ne m'apparaît pas persuasif.

Décision

En conclusion, l'article 8.10 du règlement me semble tout à fait clair :

8.10 Lorsque, dans un lieu de travail, il y a un risque de subir des blessures à la peau ou de contracter une maladie de la peau, l'employeur doit fournir à toute personne à qui il permet l'accès au lieu de travail :

(a) soit un bouclier ou un écran protecteur;

(b) soit une crème pour protéger la peau;

(c) soit un vêtement de protection approprié.

Le texte révisé en date du 22 février 1995 me semble tout aussi clair :

8.10 Lorsque, dans un lieu de travail, il y a risque de blessure ou de maladie par contact cutané, l'employeur doit fournir à toute personne à qui il permet l'accès au lieu de travail :

(a) soit un bouclier ou un écran protecteur;

(b) soit une crème pour protéger la peau;

(c) soit un vêtement de protection approprié.

On a démontré à ma satisfaction que le travail effectué par ces employés était susceptible de causer des blessures aux mains et que par conséquent, une protection était requise. Il incombe alors à l'employeur de fournir, à ses frais, une protection adéquate pour les mains de ses employés. Je confirme par la présente l'instruction émise à CN North America, Laurentian District, par l'agent de sécurité, Nathalie Belliveau, le 6 février 1995.

Décision rendue le 21 août 1995.

Bertrand Southière

Agent régional de sécurité

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