Tribunal de santé et sécurité au travail Canada

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CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II

SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

 

 

 

SECURICOR CANADA LIMITÉE

Demandeur

 

et

 

TRAVAILLEURS CANADIENS DE L’AUTOMOBILE

Section locale 4266-A

Défendeur

 

___________________

Décision no 06-002

Le 25 janvier 2006

 

 

La présente décision a été rendue par l’agent d’appel Katia Néron à l’aide des documents écrits fournis par les parties et l’agent de santé et de sécurité.

 

Pour le demandeur

Tim White, directeur général

Tim O’Connell, directeur de section, transfert de fonds

 

Pour le défendeur

Chantal Masson, garde de voiture blindée

Carl H. Webb, garde de voiture blindée

Ed Torre, Travailleurs canadiens de l’automobile (TCA), section locale 4266-A

Steve Matthews, garde de voiture blindée et coprésident des employés du comité de santé et de sécurité au travail

 

Agent de santé et de sécurité

Serge A. Marion

Ressources humaines et Développement des compétences Canada

Programme du travail, Ottawa, Ontario

 

[1] Cette affaire concerne une demande d’appel déposée en vertu du paragraphe 146(1) de la partie II du Code canadien du travail (le Code) le 4 novembre 2002 par Tim White, directeur général de Securicor Canada Limitée.

[2] T. White a appelé de l’instruction émise le 25 octobre 2002 par l’agent de santé et de sécurité (ASS) Serge A. Marion en vertu de l’alinéa 145(2) a) du Code, par suite de son enquête sur le refus de travailler, le 24 octobre 2002, de Chantal Masson et de Carl H. Webb. Les deux employés étaient gardes de voiture blindée pour Securicor Canada Limitée.

 

[3] Selon le rapport d’enquête de l’ASS Marion, C. Masson et C. H. Webb ont été affectés, le 24 octobre 2002, vers 15 h 45, au ravitaillement d’un guichet automatique (GA) à l’établissement Foodliner situé sur la rue Pembroke Est à Pembroke, en Ontario. Le GA était dans une zone à forte circulation à l’intérieur même de l’établissement. C. Masson était chargée de transporter l’argent du véhicule blindé au GA. Pour ouvrir le panneau avant du GA et déverrouiller la combinaison supérieure, les deux employés devaient entrer leur propre numéro de combinaison. Pendant ce temps, C. H. Webb devait protéger C. Masson et l’argent, en plus de se protéger lui-même.

 

[4] Les deux employés se sont plaints qu’il y avait danger pour eux, car C. H. Webb n’avait pas reçu de revolver, contrairement aux procédures normales. En conséquence, il ne pouvait protéger ni sa collègue, ni lui-même. Les employés croyaient aussi qu’il était déraisonnable de demander à C. Masson, qui était armée, d’assurer leur sécurité, car elle devait tourner le dos au public pour faire les combinaisons et désarmer les dispositifs d’alarme.

 

[5] Voici la déclaration de refus de travailler de C. Masson :

 

[TRADUCTION] Je dois travailler avec une personne sans arme. Ce ne serait pas permis à Ottawa et j’estime que cela met ma vie en danger. Nous devons nous protéger mutuellement et nous porter secours s’il se présente un problème, mais mon partenaire ne peut rien faire, car il n’a pas d’arme.

 

[6] Voici la déclaration de refus de travailler de C. H. Webb :

 

[TRADUCTION] Il s’agit de mes droits et de mes conditions de travail en vertu de la nouvelle convention. C’est la première fois qu’on nous explique de façon détaillée. Je ne veux pas travailler au ravitaillement de GA exposés au public. Je ne peux pas me protéger adéquatement ou défendre ma partenaire. Il faut entre 15 et 25 minutes pour ouvrir les GA. Sans arme, je suis vulnérable et en danger de subir des blessures ou pire en cas de vol.

 

 

 

 

 

[7] Tim O’Connell, directeur de section, transfert de fonds des employés, a estimé que la situation ne présentait pas de danger pour les raisons suivantes :

 

  • de nombreux endroits sont actuellement desservis par des équipes de deux personnes dont une seule est armée d’un revolver;

 

  • l’endroit en question n’était pas aussi fréquenté que certains autres desservis par des équipes de deux personnes dont une seule est armée d’un revolver;

 

  • le garde armé, chargé de transporter l’argent dans ce cas-ci, pouvait se positionner de manière à assurer la surveillance pendant que le garde non armé s’occupait du GA;

 

  • il existe de nombreux endroits où un garde armé doit faire la combinaison du coffre-fort d’un client sous la surveillance d’un garde non armé. T. O’Connell a soutenu que le garde, bien que désarmé, n’en était pas moins capable d’assurer une surveillance efficace. Il a souligné que, parfois, un garde armé seul était affecté à certains endroits. Il a ajouté que cette procédure n’avait jamais été jugée dangereuse;

 

  • une tentative de vol est imprévisible et peut se produire en tout temps;

 

  • la taille de l’équipe et le nombre de personnes armées ne semble pas avoir d’effet dissuasif sur les voleurs.

 

[8] Par suite de son enquête comprenant l’examen des procédures normales de transfert de fonds et de ravitaillement des GA de Securicor Canada Limitée, du manuel sur les armes à feu à l’intention des nouveaux employés de Securicor, révisé en juillet 2001, du programme de formation des employés au maniement des armes à feu et des politiques et procédures de la compagnie, l’ASS Marion a conclu que la situation représentait un danger pour les deux employés pour les raisons suivantes :

 

  • L’ASS Marion a observé une forte circulation de piétons à proximité du GA;

 

  • Pendant que C. Masson quittait le véhicule avec l’argent, entrait dans l’établissement commercial, marchait jusqu’au GA, ouvrait le panneau avant et déverrouillait la combinaison supérieure ou inférieure du guichet, C. H. Webb restait sans arme pour se protéger ou protéger sa collègue ou l’argent;

 

  • Conformément au manuel sur les armes à feu à l’intention des nouveaux employés de Securicor, révisé en juillet 2001, Securicor Canada Limitée donne à ses gardes une formation poussée sur le maniement des armes à feu, y compris le recours à une force mortelle. C’est aussi le dernier niveau des tactiques de maîtrise par points de compression du modèle de recours progressif à la force appliquées par Securicor Canada Limitée dans la formation de ses gardes pour réduire le risque de blessures graves;

  • Comme mesure de dissuasion, Securicor Canada Limitée fournit des revolvers à ses agents pour réduire au minimum le danger inhérent au travail des gardes armés. Securicor Canada Limitée reconnait que l’utilisation de revolvers est une pratique courante de l’industrie;

 

  • Dans cette situation, C. H. Webb n’avait pas reçu l’équipement minimum pour lequel il avait été formé et qu’il utilisait normalement pour faire son travail de garde armé. Ne pas fournir de revolver à un garde accroissait le danger inhérent à son travail et créait une situation dangereuse pour C. Masson et C. H. Webb.

 

[9] Voici la description des tactiques de maîtrise par points de compression du modèle de recours progressif à la force qu’on trouve dans le manuel sur les armes à feu à l’intention des nouveaux employés de Securicor :

 

[TRADUCTION]

 

tactiques de maîtrise par points de compression du modèle de recours progressif à la force

 

Les tactiques de maîtrise par points de compression du modèle de recours progressif à la force ont été conçues pour montrer les divers niveaux de résistance et les mesures appropriées de maîtrise des agresseurs.

 

Il ne s’agit que d’un modèle et vous devez réagir en fonction du comportement de l’agresseur, de la menace perçue et de votre connaissance des capacités de l’agresseur et de vos propres capacités.

 

Le modèle de recours progressif à la force est conçu à l’intention des agents de police dans l’exercice de leurs fonctions.

________________________________________________________

 

NIVEAUX DE

RÉSISTANCE

 

1. Intimidation psychologique

 

  1. Résistance verbale

 

  1. Résistance passive

 

  1. Résistance active

 

  1. Agression active

 

  1. Agression active violente

 

________________________________________________________

 

 

NIVEAUX DE

CONTRÔLE

 

1. Présence d’agents

 

  1. Direction verbale

 

  1. Contrôle à mains nues

    1. Contrôle à mains nues léger

    2. Contrôle à mains nues lourd

 

  1. Arme intermédiaire

    1. Contrôle léger par arme intermédiaire

    2. Contrôle lourd par arme intermédiaire

 

  1. Force mortelle

________________________________________________________

 

[C’est moi qui souligne.]

 

[10] En outre, dans son rapport d’enquête, l’ASS Marion a mentionné certaines responsabilités des gardes décrites dans les procédures normales de transfert de fonds et de ravitaillement des GA de Securicor. Ces responsabilités particulières sont les suivantes :

 

[TRADUCTION]

 

  1. Responsabilités des gardes

 

  1. Préparation du quart de travail

 

  1. La principale responsabilité du garde armé est la protection du porteur de valeurs.

 

  1. Après avoir reçu son arme à feu, le garde doit aller au poste de chargement et de déchargement des armes désigné (boîte à armes) et appliquer la procédure appropriée d’entretien et de chargement des armes.

 

  1. Le garde ne doit pas tenir les portes ouvertes, transporter des objets ou aider à transporter une charge hors du véhicule ou du lieu desservi. Cela le distrait de sa fonction principale, qui est de protéger son collègue chargé du transport des valeurs.

 

7.6 Fin du quart de travail

 

7.6.2 Le garde doit aller au poste de chargement et de déchargement des armes désigné (boîte à armes) et appliquer la procédure appropriée d’entretien et de chargement des armes (revolver ou fusil).

 

[C’est moi qui souligne.]

 

 

 

[11] En conséquence, le 25 octobre 2002, l’ASS Marion a émis une instruction sur l’existence de danger en vertu de l’alinéa 145(2) a) du Code. Cette instruction se lit comme suit :

 

[TRADUCTION]

 

CONCERNANT LA PARTIE II DU CODE CANADIEN DU TRAVAIL

SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

INSTRUCTION À L’EMPLOYEUR EN VERTU DE L’ALINÉA 145(2) a)

Le jeudi 24 octobre 2002, le soussigné agent de santé et de sécurité a mené une enquête par suite du refus de travailler de Chantal Masson et de Carl H. Webb relativement à une tâche à accomplir sous le contrôle de Securicor Canada Limitée, situé au 1303, rue Michael, Gloucester (Ontario) K1B 3M9, employeur assujetti à la partie II du Code canadien du travail. Le lieu où la tâche devait être exécutée était l’établissement Foodliner, situé au 425, rue Pembroke Est, Pembroke (Ontario), K8A 3L1.

 

Ledit agent de santé et de sécurité estime que l’exécution de cette tâche constitue un danger pour les employés au travail :

 

Carl H. Webb, garde de Securicor Canada Limitée, travaillant au guichet automatique (GA) situé dans l’établissement Foodliner, au 425, rue Pembroke Est, Pembroke (Ontario), K8A 3L1, le jeudi 24 octobre 2002, vers 16 h, devait protéger sa collègue, les valeurs et lui-même dans le cadre de ses fonctions. Ledit garde n’avait pas reçu l’équipement nécessaire, notamment une arme capable d’infliger une blessure mortelle, contrairement aux procédures normales de l’employeur. Cela entraînait un risque dépassant le risque inhérent à cet emploi et, par conséquent, mettait en danger les deux agents.

En conséquence, je vous ORDONNE PAR LA PRÉSENTE, en vertu de l’alinéa 145(2)a) de la partie II du Code canadien du travail, de protéger immédiatement vos employés de ce danger.

 

*************

 

[12] La question à régler, dans la présente affaire, est de savoir si oui ou non l’ASS Marion a fait erreur quand il a présenté une instruction à Securicor Canada Limitée. Pour ce faire, je dois tenir compte des faits, des circonstances et des dispositions de la loi qui se rapportent à l’affaire.

 

[13] Le paragraphe 122(1) du Code définit comme suit le terme « danger » :

 

122(1) « danger » Situation, tâche ou risque — existant ou éventuel — susceptible de causer des blessures à une personne qui y est exposée, ou de la rendre malade — même si ses effets sur l’intégrité physique ou la santé ne sont pas immédiats — , avant que, selon le cas, le risque soit écarté, la situation corrigée ou la tâche modifiée. Est notamment visée toute exposition à une substance dangereuse susceptible d’avoir des effets à long terme sur la santé ou le système reproducteur.

 

[14] Pour établir s’il y a danger, je dois établir le risque, la situation ou l’activité qui pourrait raisonnablement occasionner une blessure ou une maladie à la personne. Je dois aussi établir si ce risque, cette situation ou cette activité existait au moment de l'enquête de l’ASS Marion ou si on pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’il se reproduise. Enfin, je dois établir si, dans les circonstances, le risque, la situation ou l’activité aurait pu être corrigé ou modifié avant qu’il ou elle se produise une blessure ou une maladie. Sinon, le risque, la situation ou l’activité représentait un danger aux termes de la loi.

 

[15] Dans le cas présent, le risque potentiel était que C. Masson et C. H. Webb soient la cible d’une tentative de vol.

 

[16] Au moment de l'enquête de l’ASS Marion, il n’y avait pas imminence de tentative de vol. Toutefois, à son avis, et au mien, il existait une possibilité raisonnable que cette situation se produise durant l’exécution des tâches de C. Masson et de C. H. Webb.

 

[17] En outre, je suis d’avis qu’un vol ou une agression aurait pu se produire sans avertissement et qu’il serait très difficile d’identifier un agresseur potentiel avant que la situation se produise.

 

[18] Je suis également d’avis que pendant que l’agent chargée du transport des valeurs, C. Masson, aurait été occupée à transporter l’argent entre le fourgon et le GA, et qu’elle aurait eu le dos tourné au public pour faire les combinaisons et désarmer les alarmes du GA, elle n’aurait pu se placer de manière à se protéger ou à réagir rapidement à une éventuelle attaque, comme elle a appris à le faire. En outre, sans revolver, C. H. Webb, n’aurait pas pu se protéger ou protéger sa collègue comme il avait appris à le faire s’il s’était retrouvé dans une situation exigeant, selon lui, le recours à une force mortelle. Dans ces circonstances, je suis d’avis qu’une agression ou une tentative de vol ne constitue pas une condition de travail normale.

 

[19] Pour assurer la protection et la sécurité de ses employés, Securicor Canada Limitée a établi des procédures de sécurité et une formation à leur intention. Ces procédures et cette formation sont exposées dans les procédures normales de transfert de fonds et de ravitaillement des GA de Securicor Canada Limitée, le manuel sur les armes à feu à l’intention des nouveaux employés de Securicor, révisé en juillet 2001, le programme de formation des employés au maniement des armes à feu et les politiques et procédures de la compagnie.

 

[20] Comme l’a noté l’ASS Marion dans son rapport d’enquête, l’article 7.4.3 des procédures normales de transfert de fonds et de ravitaillement des GA stipule qu’un garde ne doit pas tenir les portes ouvertes, transporter des objets ou aider à transporter une charge hors du véhicule ou du lieu desservi. Cela le distrait de sa fonction principale, qui est de protéger son collègue chargé du transport des valeurs.

 

[21] Selon T. O’Connell, pendant que C. Masson quittait le véhicule avec l’argent, entrait dans l’établissement commercial, marchait jusqu’au GA, ouvrait le panneau avant et déverrouillait la combinaison supérieure ou inférieure du guichet, elle était capable d’assurer une surveillance. Il a ajouté que le garde C. H. Webb, bien que désarmé, n’en était pas moins capable d’assurer une surveillance visuelle efficace. Ces opinions sont contraires à l’article 7.4.3 des procédures de l’employeur et, à mon avis, une simple surveillance visuelle ne suffit pas à assurer la sécurité des agents.

 

[22] En outre, C. H. Webb était formé pour faire son travail avec un revolver et non sans arme. Cette pièce d’équipement était également mentionnée dans les procédures et la formation établies par Securicor Canada Limitée pour aider les agents à faire leur travail.

 

[23] Je conclus que les procédures de sécurité des gardes n’ont pas été appliquées dans la présente affaire.

 

[24] Par conséquent, je confirme la décision de l’ASS Marion, selon qui il y avait danger pour C. Masson et C. H. Webb. En voici les raisons :

 

  • La façon de faire imposée aux agents différait des procédures normales de transfert de fonds et de ravitaillement des GA et aucune mesure compensatoire n’avait été prise pour réduire au minimum le risque créé par la modification;

 

  • L’équipe de travail ne disposait pas de l’équipement nécessaire, notamment un deuxième revolver, pour faire face à une situation exigeant le recours à une force mortelle.

 

[25] C’est pourquoi je confirme l’instruction de l’ASS Marion.

 

 

 

______________________

Katia Néron

Agent d’appel


SOMMAIRE DE LA DÉCISION DE L’AGENT D’APPEL

Décision no : 05-002

 

Demandeur : SECURICOR CANADA LIMITÉE

Défendeur : TRAVAILLEURS CANADIENS DE L’AUTOMOBILE (TCA), section locale 4266-A

 

Dispositions :

Code canadien du travail, partie II : 146(1), 145(2) a)

 

Mots clés : Instruction, avis de danger, ravitaillement d’un guichet automatique, garde sans arme

 

Résumé

Deux employés avaient été affectés au ravitaillement d’un guichet automatique. Comme l’employé chargé d’assurer leur protection n’était pas armé et comme les deux employés estimaient que cette situation les mettait en danger, ils ont refusé de travailler.

 

Par suite de son enquête, l’agent de santé et de sécurité a conclu qu’il y avait danger et émis une instruction en vertu de l’alinéa 145(2) a) de la partie II du Code canadien du travail.

 

En vertu du paragraphe 146(1) de la partie II du Code canadien du travail, l’employeur a déposé un appel contre l’instruction.

 

L’agent d’appel a confirmé l’instruction de l’agent de santé et de sécurité.

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