Tribunal de santé et sécurité au travail Canada

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Cause no : 2005-47

No de la décision : CAO-07-018

 

 

 

CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II

SANTÉ ET SÉCURITÉ AU TRAVAIL

 

 

 

Howard Page

Agent de correction,

appelant

 

 

et

 

Service correctionnel du Canada

Établissement Millhaven

intimé

 

_________________

Le 25 mai 2007

 

 

Cet appel a été entendu par l’agent d’appel Richard Lafrance, à Kingston (Ontario), le 25 mai 2006.

 

 

Ont comparu

 

Pour l’appelant

Michel Bouchard, conseiller syndical, Confédération des Syndicats Nationaux, (CSN) Ontario

Corinne Blanchette, conseillère syndicale, CSN

 

Pour l’intimé

Richard E. Fader, avocat, Services juridiques du Secrétariat du Conseil du Trésor


[1] La présente affaire porte sur un appel interjeté contre une décision rendue par l’agent de santé et de sécurité (ASS) B. Tomlin, en vertu de l’article 128 du Code canadien du travail (le Code), concernant l’enquête de ce dernier sur le refus de travailler de H. Page, agent de correction (AC) à l’Établissement Millhaven, Service correctionnel du Canada (SCC).

 

[2] Voici les éléments que je retiens du rapport d’enquête et du témoignage de l’ASS Tomlin.

 

[3] L’ASS Tomlin a reçu un appel aux environs de 22 h 30, le 17 octobre 2005, pour effectuer une enquête sur le maintien du refus de travailler de H. Page.

 

[4] L’ASS Tomlin a déclaré qu’au cours d’une conversation téléphonique ayant duré entre 20 et 30 minutes, il s’est entretenu individuellement avec H. Page, de même qu’avec K. Hinch, directeur adjoint intérimaire, Programmes correctionnels, Établissement Millhaven. Il ne pouvait pas affirmer que les deux avaient pris part simultanément à l’entretien. En fait, il ne se rappelait pas si les deux parties étaient en présence l’une de l’autre quand il s’est entretenu avec elles. Étant donné que l’enquête s’est déroulée par téléphone, il n’a pas reçu de compte rendu écrit du refus de travailler.

 

[5] L’ASS Tomlin a toutefois noté dans son rapport que H. Page lui avait dit que son refus de travailler tenait au fait qu’il allait passer la totalité de son poste de nuit à arpenter la rangée [1] , où il avait décelé la présence de fumée secondaire, et que cela l’exposait à de la fumée secondaire au lieu de travail et mettait sa santé en danger.

 

[6] L’ASS Tomlin a également noté que K. Hinch avait déclaré ceci : [traduction] « L’employé avait pour tâche d’arpenter la rangée durant son poste, avec un autre agent de correction. Après qu’il eut refusé de travailler, tous les agents qui ont été pressentis pour le remplacer ont refusé d’accomplir le travail. Pour l’instant, l’exposition à la fumée secondaire constitue une condition normale d’emploi des agents de correction qui sont affectés à la rangée; il est en outre essentiel que les tâches attribuées au responsable soient accomplies afin d’assurer la sécurité générale de l’établissement. »

 

[7] L’ASS Tomlin a consigné les faits suivants dans son rapport :

 

§ L’agent a reçu la formation nécessaire pour appliquer les normes du Service correctionnel du Canada.

§ Les détenus sont autorisés à fumer dans leur cellule et le font très souvent jusque tard dans la matinée.

§ L’agent se trouve dans un environnement où il est vraisemblablement exposé à de la fumée secondaire pendant la quasi totalité de son poste.

 

[8] L’ASS Tomlin a expliqué qu’à l’occasion d’une visite antérieure à l’établissement Millhaven, où il avait procédé à un essai au tube fumigène pour déterminer le débit de la ventilation, il avait établi que l’air de certaines des cellules pouvait filtrer jusque dans la rangée. Il savait dès lors que la fumée de cigarette produite par les détenus qui fument dans ces cellules pouvait s’échapper dans la rangée et exposer quiconque s’y trouvait à de la fumée secondaire.

 

[9] L’ASS Tomlin a finalement rendu une décision, le 19 octobre 2005, dont je reproduis le texte ci-après :

 

[Traduction]

L’employeur n’a pas réussi à trouver un autre agent pour accomplir la tâche qui avait été confiée à l’employé ayant refusé de travailler parce que tous les agents qu’il a pressentis ont refusé de travailler. Le fait que tous les agents pressentis ont aussi invoqué leur droit de refuser de travailler a mis en danger la vie, la santé ou la sécurité d’une autre personne, détenus et employés compris. Les agents assuraient un niveau de sécurité les uns aux autres et aux détenus. L’établissement ne peut se passer de ces fonctions indispensables; or, le maintien du refus de travailler des agents en compromet l’exécution. Je détermine donc que le refus de travailler va à l’encontre des alinéas 128 (2)a) et b).

 

[10] En contre‑interrogatoire par M. Bouchard, l’ASS Tomlin a été incapable d’expliquer ou de décrire quel danger réel pouvait découler du fait qu’un seul AC arpente la rangée à ce moment‑là de la journée, quand tous les détenus sont enfermés dans leur cellule pour la nuit.

 

[11] En réponse aux questions de M. Bouchard, l’ASS Tomlin a admis qu’aucune mesure particulière n’avait été mise en place, à sa connaissance, ce soir‑là dans le but de prévenir des troubles de la part des détenus.

 

[12] L’appelant, H. Page a déclaré qu’il avait refusé de travailler parce qu’il estimait que l’exposition à la fumée secondaire mettait sa santé en danger.

 

[13] H. Page a confirmé qu’il avait dit à l’employeur et à l’ASS Tomlin qu’il refusait d’arpenter la rangée comme d’habitude parce qu’il y percevait la présence de fumée secondaire. Il a toutefois ajouté qu’il était prêt à retourner à la rangée en cas d’urgence.

 

Arguments de l’appelant

 

[14] C. Blanchette a défendu la thèse que l’ASS Tomlin avait accepté d’emblée les arguments de l’employeur selon lesquels il s’agissait d’une question de sécurité qui nécessitait la présence de deux AC. Elle a ajouté qu’il avait accepté ces dires sans vérifier auprès de l’employé concerné.

 

[15] Elle a soutenu que l’ASS avait accepté ces arguments même si l’employé qui refusait de travailler lui avait dit qu’il était prêt à retourner à la rangée en cas d’urgence.

 

[16] C. Blanchette estime que l’ASS Tomlin n’a pas obtenu tous les faits vu qu’il a effectué son enquête par téléphone. La décision doit donc être annulée parce qu’il n’avait pas suffisamment d’information pour déterminer s’il existait une situation qui mettait directement en danger la vie, la santé ou la sécurité d’autres personnes, conformément aux alinéas 128.(2) a) et b) du Code.

 

Arguments de l’intimé

 

[17] Me R. Fader, avocat du SCC, a affirmé que les employés croyaient que l’employeur avait la capacité de retirer les employés de leur poste et de continuer comme si de rien n’était. En réalité, l’employeur aurait compromis la sécurité de l’établissement en retirant l’AC de son poste. La décision de l’agent de santé et de sécurité était donc justifiée dans les circonstances.

 

Réfutation de l’appelant

 

[18] En réfutation, C. Blanchette a défendu la thèse que l’employeur n’avait pas démontré en quoi la présence de deux AC était nécessaire à ce moment‑là. En fait, il ne se passait rien d’anormal dans l’établissement ce soir‑là puisque les détenus étaient tous enfermés dans leur cellule. De plus, l’employé ayant refusé de travailler avait déjà indiqué qu’il était prêt à retourner à la rangée pour s’acquitter de ses fonctions habituelles à titre d’AC en cas d’urgence afin de ne pas mettre la vie d’autres personnes en danger. En conclusion, C. Blanchette a réitéré que la décision de l’ASS devait être annulée.

 

*****

 

Analyse et décision

 

[19] Il s’agit de déterminer dans ce cas‑ci si l’ASS Tomlin a effectué une enquête en vertu du Code et si l’absence d’enquête, le cas échéant, constitue un motif suffisant pour annuler ou modifier sa décision d’absence de danger pour H. Page.

 

[20] Dans ce cas-ci, H. Page a exercé son droit de refuser de travailler aux environs de 22 h 30, le 17 octobre 2005, en vertu de l’article 128 du Code, qui est libellé comme suit :

 

128. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’employé au travail peut refuser d’utiliser ou de faire fonctionner une machine ou une chose, de travailler dans un lieu ou d’accomplir une tâche s’il a des motifs raisonnables de croire que, selon le cas :

a) l’utilisation ou le fonctionnement de la machine ou de la chose constitue un danger pour lui-même ou un autre employé;
b
) il est dangereux pour lui de travailler dans le lieu;
c
) l’accomplissement de la tâche constitue un danger pour lui-même ou un autre employé.

 

[21] L’employeur a demandé à un agent de santé et de sécurité d’effectuer une enquête sur le maintien du refus de travailler, conformément au paragraphe 128.(13) du Code.

 

128. (13) L’employé peut maintenir son refus s’il a des motifs raisonnables de croire que le danger continue d’exister malgré les mesures prises par l’employeur pour protéger les employés ou si ce dernier conteste son rapport. Dès qu’il est informé du maintien du refus, l’employeur en avise l’agent de santé et de sécurité.

(C’est moi qui souligne)

 

[22] L’ASS Tomlin a déclaré qu’il avait communiqué par téléphone avec SCC dès qu’il avait été avisé du refus de travailler et qu’il avait effectué son enquête par téléphone au cours d’un entretien avec l’employeur qui avait duré entre 20 et 30 minutes. Il ne se rappelait toutefois pas si l’employé avait pris part simultanément à cet entretien. De plus, aucune mention n’avait été faite de la présence obligatoire d’un membre du comité de santé et de sécurité.

 

[23] Le paragraphe 129.(1) du Code dit ceci :

 

129. (1) Une fois informé, conformément au paragraphe 128(13), du maintien du refus, l’agent de santé et de sécurité effectue sans délai une enquête sur la question en présence de l’employeur, de l’employé et d’un membre du comité local ayant été choisi par les employés ou du représentant, selon le cas, ou, à défaut, de tout employé du même lieu de travail que désigne l’employé intéressé, ou fait effectuer cette enquête par un autre agent de santé et de sécurité.

(C’est moi qui souligne)

 

[24] Le paragraphe 129.(4) du Code dispose ceci :

 

129.(4) Au terme de l’enquête, l’agent décide de l’existence du danger et informe aussitôt par écrit l’employeur et l’employé de sa décision.

(C’est moi qui souligne)

 

[25] Dans le texte anglais des paragraphes 129.(1) et (4), c’est le mot « shall » qui est utilisé pour décrire l’obligation qui est faite à l’ASS. Ce mot est défini comme suit dans le Dictionary of Canadian Law [2]  :

 

[Traduction]

Shall. v. 1. Doit être interprété comme une forme impérative.

2. En utilisant le mot « shall » à l’article 23 de la Loi sur le Manitoba, 1870 et à l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 [(30 et 31 Vict.), ch. 3], le Parlement visait à ce que ces dispositions soient interprétées comme ayant une valeur obligatoire ou impérative, en ce sens qu’elles doivent être observées, à moins qu’une telle interprétation du mot « shall » ne rende la disposition irrationnelle ou dénuée de sens.

 

[26] Selon moi, cela signifie que dès l’instant où il est saisi d’une demande d’enquête sur un refus de travailler, l’agent de santé et de sécurité doit impérativement :

 

§ effectuer une enquête sur le refus de travailler « en présence » de l’employé et des autres personnes prévues par le Code,

§ décider, au terme de son enquête, de l’existence d’un danger.

 

[27] Dans la cause Darrel Dragseth et autres et Sa Majesté du chef du Canada représentée par le Conseil du Trésor (C.A.F. no A-937-90), le juge Mahoney de la Cour d’appel fédérale a formulé des observations sur le caractère impératif du paragraphe 129(1). Dans cette cause, qui concernait également des employés du Service correctionnel, l’employeur n’avait pas demandé la tenue d’une enquête au motif que « l'enquête de l'agent de sécurité n'était pas nécessaire puisque les employés avaient cessé de refuser de travailler ». En qualifiant cet argument d’« incongru », le juge Mahoney a noté très brièvement ce qui suit :

 

Quoi qu'il en soit, le paragraphe 129(1) est impératif. L'agent de sécurité est tenu d'effectuer l'enquête une fois qu'il a été informé soit par l'employeur soit par l'employé en application du paragraphe 128(8).

 

[28] Précisons que le juge Mahoney n’a pas exprimé de réserve au sujet du caractère impératif de la disposition, si bien que j’en conclus que tous les éléments en sont impératifs. De plus, même si cette cause a été tranchée en vertu des dispositions du Code qui s’appliquaient avant leur modification de la partie II en septembre 2000, je n’ai aucune raison de retenir une interprétation différente de cette obligation d’origine législative puisque la disposition, c’est‑à‑dire le paragraphe 129(1), est restée inchangée après septembre 2000.

 

[29] Je suis convaincu que le Code impose aux agents de santé et de sécurité l’obligation de se rendre au lieu de travail où l’employé a refusé de travailler et de faire enquête en présence des personnes prévues de manière à préserver l’intégrité et l’utilité du processus de refus de travailler. L’ASS pourra ainsi fonder sa décision sur des faits objectifs et rendre une décision actuelle.

 

[30] Le terme « investigate » en anglais est défini comme suit dans le Canadian Oxford Dictionary, second edition 2005 :

 

[Traduction]

investigate : 1) vérifier; examiner; étudier attentivement. 2) effectuer une recherche systématique.

 

[31] Rien ne prouve que ce qui s’est dit durant un entretien téléphonique qui a duré entre 20 et 30 minutes peut être considéré comme une enquête.

 

[32] Il peut certes survenir des circonstances exceptionnelles où l’agent de santé et de sécurité sera incapable d’effectuer une enquête sur place pour l’application du paragraphe 129(1), en présence des parties intéressées. J’estime toutefois que les circonstances qui existaient dans ce cas-ci, et que l’agent de santé et de sécurité a décrites brièvement, n’entraient pas dans cette catégorie.

 

[33] Si de telles circonstances survenaient, ce qui n’est pas le cas ici, on serait en droit de s’attendre à ce que, à tout le moins, l’ASS communique simultanément avec toutes les personnes prévues de manière à identifier les participants avec certitude. Cela lui permettrait d’obtenir des éléments de preuve de toutes les personnes concernées et de corroborer auprès d’elles les renseignements et éléments de preuve qu’il a recueillis.

 

[34] Il ressort clairement du témoignage de l’ASS Tomlin que ce n’est pas ainsi qu’il a procédé.

 

[35] Je conclus par conséquent que l’enquête fut entachée d’irrégularité dès le début et que l’ASS Tomlin n’était pas en mesure de rendre une décision fondée sur les résultats d’une enquête en bonne et due forme.

 

[36] Cela dit, H. Page a été informé dès le début de l’audience que l’agent d’appel procédait à un examen de novo et que je pouvais dès lors recevoir tout élément de preuve qu’il souhaitait porter à ma connaissance pour démontrer qu’il était dangereux pour lui de travailler dans le lieu. Or, H. Page n’a produit aucun élément de preuve pour étayer cette allégation.


 

[37] Par conséquent, pour les motifs exposés ci-dessus, j’annule par les présentes la décision rendue par l’agent de santé et de sécurité, le 19 octobre 2005.

 

 

 

_____________________________________

Richard Lafrance

Agent d’appel


SOMMAIRE DE LA DÉCISION DE L’AGENT D’APPEL

 

 

No de la décision CAO-07-018

 

Appelant Howard Page

 

Intimé Service correctionnel du Canada

 

Dispositions

 

Code canadien du travail 128, 128 (2)a)b), 128.(13), 129.(1), 129.(4)

 

Mots clés Fumée secondaire, exposition, annulée

 

RÉSUMÉ

 

Le 17 octobre 2005, Howard Page, agent de correction, a refusé de travailler parce qu’il estimait qu’il était dangereux pour lui de travailler dans ce lieu du fait qu’il était exposé à de la fumée secondaire quand il arpentait la rangée. Le 19 octobre 2005, l’agent de santé et de sécurité Bob Tomlin (l’ASS Tomlin) a rendu une décision concernant le maintien du refus de travailler de M. Page en déterminant qu’il allait à l’encontre des alinéas 128 (2)a)et b). Étant donné que l’ASS Tomlin ne s’était pas rendu au lieu de travail pour effectuer son enquête, l’agent d’appel a conclu qu’il ne pouvait pas rendre une décision fondée sur les résultats d’une enquête en bonne et due forme. De plus, l’appelant n’a pas produit d’élément de preuve pour étayer sa prétention relativement à l’existence d’un danger. En conséquence, l’agent d’appel a annulé la décision de l’ASS Tomlin.



[1] Couloir et rangée de cellules : vocabulaire de l’administration correctionnelle, Ottawa : Travaux publics et Services gouvernementaux Canada

[2] Le Dictionary of Canadian Law, Third Edition, Thomson- Carswell, 2004

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