Tribunal de santé et sécurité au travail Canada

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CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II

SECURITE ET SANTE AU TRAVAIL

 

 

Révision, en vertu de l'article 146 de la partie II du

Code canadien du travail, d'une instruction donnée

par un agent de sécurité

 

 

Décision no 93-105

 

Demandeur:Canadien National District Laurentien, Transport Montréal, Québec Représenté par: M. Normand Bishop Coordonnateur, Qualité au travail

 

Partie intéressée:M. Patrick Gilmore Chef de triage, Cour Turcot Canadien National District Laurentien, Transport Montréal, Québec Représenté par: M. Robert Michaud Président législatif du Québec Travailleurs unis des transports

 

Mis en cause:M. Yves Jégou Agent de sécurité Développement des ressources humaines

(Travail)

 

Devant:M. Serge Cadieux Agent régional de sécurité Développement des ressources humaines

(Travail)

 

La preuve verbale a été entendue le 25 novembre 1993 à Montréal, au Québec.

 

Résumé des faits

 

Les dossiers qui m'ont été soumis dans cette affaire démontrent que le 15 juin 1993, M. Yves Jégou, agent de sécurité du ministère du Développement des ressources humaines, a été saisi d'une plainte d'un employé du Canadien National (CN), M. Patrick Gilmore. La plainte faisait état de mesures disciplinaires prises, par le CN, à l'endroit de M. Gilmore, parce que ce dernier aurait exercé son droit de refuser de travailler le 16 décembre 1991.

 

L'enquête menée par M. Jégou dans cette affaire a porté sur deux volets, soit la procédure de communication radio utilisée dans la Cour Turcot et les mesures disciplinaires prises à l'endroit de M. Gilmore. Dans les deux cas, l'agent de sécurité a donné des instructions.

 

Dans le premier cas, le CN n'a pas contesté l'instruction qui, soit dit en passant, fut donnée en vertu du paragraphe 145(2) du Code canadien du travail, partie II, et visait une situation dangereuse, préférant plutôt s'y conformer. Dans le deuxième cas, le CN conteste l'instruction, donnée en vertu du paragraphe 145(1) du Code, alléguant que l'instruction de l'agent de sécurité n'a aucun lien avec la situation de M. Gilmore en date du 16 décembre 1991. L'instruction stipule ce qui suit:

 

"1.Alinéa 147a)(iii) du Code canadien du travail, Partie III (sic)

 

Le 16 décembre 1991, M. Patrick Gilmore, chef de triage, Cour Turcot, s'est prévalu de son droit de refus de travailler en cas de danger pour d'autres employés sous sa responsabilité de chef de triage. L'employé Patrick Gilmore a été soumis à des mesures disciplinaires: suspension, rétrogradation, parce qu'il a cherché à faire appliquer les dispositions de la présente partie.

 

Par conséquent, il vous est ORDONNÉ PAR LES PRÉSENTES, en vertu du paragraphe 145(1) de la partie II du Code canadien du travail, de cesser toute contravention au plus tard le 29 juin 1993."

 

 

Preuve de l'employé

 

 

M. Michaud explique les circonstances relatives aux évènements du 16 décembre 1991 de la façon suivante.

 

M. Patrick Gilmore est chef de triage à la Cour Turcot pour le Canadien National. Ce travail est très exigeant en ce sens que M. Gilmore a l'énorme responsabilité de gérer les diverses activités qui se déroulent dans la cour de triage. Cette cour est fort achalandée, au point qu'il y a souvent congestion des nombreux trains. Les activités qui se déroulent dans la cour sont aussi variées que les compagnies qui fréquentent les lieux. Il y a du trafic intermodal, du trafic de conteneurs, du ferroutage (piggy back), etc. Il appartient au chef de triage de coordonner toutes ces activités en s'assurant, entre autres, que la sécurité des divers intervenants dans cette cour n'est pas compromise.

 

M. Gilmore allègue que, le 16 décembre 1991, il a refusé de travailler, en vertu du Code canadien du travail, partie II. Il avise son superviseur immédiat, M. Bishop, qu'il refuse de communiquer avec tous les wagonniers via une fréquence de la radio accessible en tout temps à ces derniers et qui constitue une écoute permanente. Il informe M. Bishop que toute communication radio se fera désormais uniquement avec le superviseur du matériel remorqué, M. Pelletier, par la fréquence spécifique pour entrer en communication directe avec ce dernier. Ce refus, allègue M. Gilmore, vise à protéger la sécurité de tous les intervenants dans la cour de triage vu le cafouillis qui perdure sur les ondes radio.

 

M. Gilmore explique le motif de son refus par le fait que les wagonniers, de même que d'autres intervenants dans la cour de triage, interviennent sur les ondes sans se nommer et qu'ils émettent des commentaires et des messages personnels inutiles. Des remarques fort désobligeantes à son endroit sont transmises sur les ondes par M. Pelletier, superviseur du matériel remorqué dans cette cour, ce qui crée une situation intolérable pour M. Gilmore. M. Gilmore nous avoue que son autorité est bafouée, ce qui selon lui, met la sécurité de tous en péril.

 

La situation s'envenime au point que, ce même jour, M. Gilmore avise son superviseur immédiat, M. Bishop, qu'une enquête doit être effectuée au sujet d'incidents qui se seraient produits avec M. Pelletier à une date antérieure. M. Gilmore l'avise aussi qu'à l'avenir, il utilisera la procédure de communication qu'il a établie récemment et qui est identique à la procédure utilisée dans d'autres cours de triage. Cette procédure prévoit la communication directe entre le chef de triage et les superviseurs en général dont, entre autres, le superviseur du matériel remorqué. C'est la seule façon selon lui d'assurer la sécurité des employés dans la cour de triage.

 

M. Bishop réplique à M. Gilmore que son attitude est inacceptable puisqu'il met en danger la sécurité de tous les employés dans la cour. Il lui ordonne de suivre la procédure de communication courante. M. Gilmore refuse. Sur ce, M. Gilmore est démis de ses fontions. Par la suite, une enquête interne de la compagnie aboutit à des mesures disciplinaires contre M. Gilmore.

 

 

 


 

Preuve de l'employeur

 

M. Bishop soutient que, le 16 décembre 1991, M. Gilmore n'a pas exercé son droit de refuser de travailler en vertu du Code, tel qu'il le prétend maintenant. Il y a eu ce jour-là un différent d'opinion, une mésentente entre deux individus, M. Gilmore et M. Pelletier. Le CN a réagi conformément à ses procédures de relations de travail et a mené une enquête interne, tel qu'il se doit dans une telle situation. M. Bishop ne conteste pas qu'il y ait effectivement eu des représailles exercées à l'endroit de M. Gilmore. Toutefois, ces représailles sont légitimes puisque M. Gilmore a désobéi à un ordre de son supérieur immédiat.

 

Selon M. Bishop, ce refus d'obtempérer à l'ordre de son supérieur immédiat, en ce qui a trait aux communications radio, est un problème de relations de travail. La procédure de communication utilisée par M. Gilmore allait à l'encontre des procédures courantes de la compagnie, pour cette cour de triage. La procédure courante prévoit que toute décision ou intervention du chef de triage doit se faire sur la fréquence d'écoute permanente de sorte que tous les wagonniers soient au courant des activités en cours dans la cour de triage et de tout changement non prévu à l'horaire. Selon M. Bishop, il en va de la sécurité de tous les wagonniers dans la cour.

 

 

Décision

 

Pour résoudre cette affaire, je dois d'abord déterminer si M. Gilmore a effectivement exercé son droit de refuser de travailler le 16 décembre 1991.

 

Si je conclus qu'il y a eu refus en conformité avec le Code, je devrai déterminer, tel que je l'ai mentionné à l'audience, si l'agent de sécurité avait le pouvoir de donner l'instruction qui fait l'objet de la présente révision. Si l'agent de sécurité a excédé ses pouvoirs, je devrai annuler l'instruction, tel que prévu à l'article 146 du Code. Si l'agent de sécurité a exercé son pouvoir de façon légitime, je confirmerai ou je modifierai au besoin l'instruction.

 

Si je conclus qu'il n'y a pas eu exercice d'un droit de refus le 16 décembre 1991, j'annulerai l'instruction pour faute de compétence dans le domaine des relations de travail. En effet, ce domaine n'est pas du ressort de la partie II du Code.

 

M. Gilmore affirme qu'il a exercé son droit de refuser de travailler le 16 décembre 1991 et que c'est pour cette raison que des représailles ont été exercées contre lui. M. Michaud soutient la même thèse. Manifestement, l'agent de sécurité partage cette opinion puisqu'il y fait expressément référence dans son instruction et que, de toute façon, il a témoigné dans ce sens à l'audience. M. Bishop, quant à lui, conteste le refus de M. Gilmore, mais reconnaît tout de même qu'il existe un élément de sécurité très important dans cette affaire.

 

Bien que la procédure prévue dans le Code n'ait pas été suivie dans cette affaire, je suis d'avis que M. Gilmore a exercé son droit de refuser de travailler le 16 décembre 1991. Il a de plus fait rapport d'une situation affectant la sécurité des employés à son employeur. Il a cherché à faire intervenir son représentant syndical. Selon moi, M. Bishop aurait dû faire enquête de la manière prévue aux articles 128 et 129 du Code du simple fait qu'il existait un élément de sécurité très important et très évident étant donné que M. Gilmore avait décidé de changer de procédure de communication radio. Toutefois, je ne peux m'attarder sur l'aspect du respect de la procédure prévue au Code puisque ce n'est pas le point en litige en ce moment. Je dois porter mon attention sur l'instruction donnée par l'agent de sécurité.

 

Evidemment, ayant conclu à l'exercice du droit de refus, je dois maintenant décider si l'agent de sécurité avait le pouvoir de donner cette instruction. Il en est ainsi parce qu'il existe dans le Code un mécanisme de résolution de problèmes de la nature de ceux qu'a subis M. Gilmore. Ce mécanisme se retrouve aux articles 133 et 134 du Code et peut être utilisé par l'employé qui a refusé de travailler, sous réserve de certaines conditions. Ces articles traitent spécifiquement des mesures de représailles prises à la suite de l'exercice du droit de refus.

 

Il y a aussi une autre raison pour laquelle je dois déterminer si l'agent de sécurité avait le pouvoir de donner l'instruction. En effet, M. Gilmore a affirmé, lors de l'audience, avoir porté plainte au Conseil canadien des relations du travail, tel que prévu au paragraphe 133(1) du Code. Le Conseil aurait refusé de recevoir la plainte au motif que cette dernière n'avait pas été présentée dans le délai prévu au paragraphe 133(2) du Code. M. Michaud soutient que M. Gilmore a été lésé dans ses droits, puisqu'il s'est prévalu de son droit de porter plainte au Conseil et qu'il se voit refuser la protection du Code sur la base d'un point de droit.

 

Il semble donc qu'il y ait, dans le Code, deux mécanismes concourants qui viseraient à résoudre la même situation. Il y a le mécanisme prévu au paragraphe 145(1) du Code et le mécanisme prévu aux articles 133 et 134 du Code. Le premier mécanisme est général et vise toutes les dispositions du Code. Le deuxième mécanisme est spécifique et vise les mesures contraires à l'alinéa 147 a) du Code prises lorsqu'un employé s'est prévalu du droit de refuser de travailler conformément au Code.

 

J'ai déjà traité de ce conflit apparent dans une décision antérieure non rapportée, soit la Décision no 91-004, Emploi et Immigration Canada c. Bergeron. J'y ai dit:

 

"Le premier mécanisme est celui de l'agent de sécurité qui intervient en vertu du Code et qui peut émettre des instructions afin de faire cesser une contravention. Normalement, une instruction peut se traduire en une poursuite criminelle dans laquelle la partie fautive peut se voir infliger une amende. Or les cours criminelles n'ont pas comme but premier de s'immiscer dans les relations industrielles afin de régler les problèmes entre employeurs et employés.

 

L'autre mécanisme est celui de la CRTFP [1] . La Commission peut intervenir en vertu des articles 133 et 134 du Code afin, justement, de régler les situations dans lesquelles des mesures disciplinaires ont été prises à l'égard d'un employé parce qu'il a exercé un droit de refus en vertu du Code. En vertu de l'article 134 du Code, la Commission peut exiger que des correctifs soient apportés de telle sorte que la situation est corrigée et si nécessaire, qu'on y apporte la réparation qu'elle juge appropriée.

 

Il est donc clair que les buts visés dans ces deux cas sont fondamentalement différents. Je ne doute pas que le législateur l'a voulu ainsi et dans un but bien précis que je ne traiterai pas ici. Je dois toutefois tenir compte de ce fait dans ma décision. Partant, j'ai à faire un choix entre deux mécanismes: un mécanisme général qui peut être engagé par l'intervention d'un agent de sécurité en vertu du paragraphe 145(1) du Code et un mécanisme plus spécifique qui peut être engagé par un employé en vertu de l'article 133 du Code.

 

Il existe en droit une règle d'interprétation qui veut qu'une disposition de portée spécifique l'emporte sur une disposition de portée générale. Dans ce cas-ci, la disposition spécifique est celle prévue à l'article 133 du Code. Par conséquent, je suis d'avis que la plainte de M. Bergeron doit être traitée par la CRTFP en autant qu'il ait effectivement invoqué le droit de refus."

 

Pour les mêmes raisons que celles qui viennent d'être énumérées, je suis d'avis que c'est le Conseil qui avait le pouvoir de traiter le cas de M. Gilmore et non l'agent de sécurité. Selon moi, l'agent a outrepassé ses pouvoirs en donnant une instruction au Canadien National. Le rôle de l'agent de sécurité dans une telle affaire n'est pas de se substituer au Conseil, mais de guider l'employé vers le Conseil. Dans les situations où l'employé ne respecte pas les délais, l'agent de sécurité ne peut que conseiller l'employé et l'employeur sur la meilleure façon de résoudre le problème mais ne peut imposer la résolution du cas par l'emploi des pouvoirs que lui confère le Code.

 

Pour toutes ces raisons, j'annule l'instruction donnée par l'agent de sécurité Yves Jégou le 15 juin 1993 au Canadien National.

 

 

Décision rendue ce 20 décembre 1993.

 

 

 

 

Serge Cadieux

Agent régional de sécurité

 



[1] Pour les employés de la Fonction publique fédérale, une référence au Conseil est une référence à la Commission des relations de travail dans la Fonction publique (CRTFP).

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