Tribunal de santé et sécurité au travail Canada

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CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II

SÉCURITÉ ET SANTÉ AU TRAVAIL

 

 

Demande de révision des instructions données par un agent

de sécurité, présentée en vertu de l'article 146 de la

Partie II (ancien article 103 de la Partie IV) du Code

canadien du travail

 

Décision no.: 93-008

 

Demandeur: Loomis Armoured Car Service Ltd.

Ottawa (Ontario)

 

Partie intéressée: Fraternité canadienne des cheminots,

employés des transports et autres

ouvriers (FCCETAO) Section locale 266A

 

Devant: G.R. McKnight

Agent régional de sécurité

 

Cette affaire a pour point de départ une enquête menée à la suite d'une demande d'aide concernant les méthodes de travail des employés de Loomis et non pas un refus de travailler à cause d'un danger quelconque.

 

Contexte:

 

1.Le 1er juin 1987, conformément à l'alinéa 102(2) () de la Partie IV [1] du Code canadien du travail, l'agent de sécurité Jacques C. Robert de Travail Canada a enjoint Loomis Armoured Car Service Ltd. (Loomis) de

 

"faire immédiatement le nécessaire

 

(a)pour s'assurer que, lorsque l'on envoie deux personnes en fourgon blindé s'acquitter de la tâche confiée à l'employeur, ledit fourgon soit stationné de telle façon que le chauffeur puisse voir constamment le messager pendant que celui-ci remplit ses fonctions; ou

 

(b)pour fournir une équipe de trois hommes dont la consigne est de s'assurer que le troisième voie constamment le messager."

 

2.L'agent de sécurité Robert est intervenu dans cette affaire parce que M. Glen Proulx, président de la section locale 266A de la Fraternité canadienne des cheminots, employés des transports et autres ouvriers (FCCETAO) avait demandé de l'aide. M. Proulx a indiqué que, dans la région d'Ottawa, Loomis avait récemment mis en place des équipes de deux personnes sur certains itinéraires de ses fourgons blindés, alors que jusque-là, la norme était de trois personnes.

 

3.Le 7 mai 1987, l'agent de sécurité Robert observait une équipe de deux employés de Loomis (un chauffeur et un messager) dans un centre d'achats d'Ottawa. Il remarquait que le chauffeur restait dans le véhicule, que le messager entrait seul dans l'immeuble et qu'il en ressortait quelques quatorze minutes plus tard. Pendant tout ce temps, le messager et le chauffeur ne se voyaient pas.

 

4.Le 11 mai 1987, cinq employés de Loomis exerçaient leur droit, reconnu par le code, de refuser un travail dangereux (c'est-à-dire de travailler en équipes de deux). L'agent de sécurité Robert intervenait et décrétait qu'il n'y avait pas de danger, puisque les employés avaient refusé de travailler au central de la société et que le danger supposé était ailleurs. Le directeur local de Loomis résolvait le problème en convenant d'ajouter une troisième personne aux différentes équipes.

 

5.Les deux jours suivants, les employés exerçaient à nouveau leur droit de refuser un travail dangereux et, chaque fois, la question était résolue sans l'intervention de Travail Canada, le directeur local convenant d'ajouter un troisième membre aux équipes.

 

6.Étant donné que ce scénario risquait de se répéter quotidiennement et que l'agent de sécurité devrait finalement prendre une décision à ce sujet, on décida que l'agent de sécurité Robert devrait réunir les parties pour essayer de résoudre le problème. Le 14 mai 1987 eut lieu une réunion à laquelle assistaient M. Proulx, de la FCCETAO, Archambault, Waterson et McKeen, de Loomis, Robert, agent de sécurité, et Simon Potvin, gestionnaire de district, région de la Capitale, Travail Canada. M. Proulx resta sur sa position, expliquant que, sur certains trajets, la réduction des équipes à deux personnes créait une situation dangereuse pour le messager.

 

7.À la suite de cette enquête, l'agent de sécurité Robert informa verbalement les parties, lors d'une réunion et d'une conférence téléphonique conjuguées tenues le 1er juin 1987, qu'il avait décidé de signifier à Loomis que les équipes de deux personnes seraient acceptables uniquement si le chauffeur du fourgon blindé pouvait voir constamment le messager et que, dans le cas contraire, il faudrait des équipes de trois personnes. Des instructions officielles dans ce sens furent remises à Loomis le même jour.

 

Position de l'employeur

 

8.Loomis a présenté des mémoires écrits à trois reprises, chaque fois par l'intermédiaire de son représentant légal, Alan J. Hamilton, de Farris, Vanghan, Will & Murphy de Vancouver, et ce, dans des lettres datées du 8 juin 1987 (dans laquelle il demandait la présente révision), du 21 juillet 1987 et du 4 mai 1988. Des copies de tous ces mémoires ont été remises à la FCCETAO.

 

9.Pour l'essentiel, Loomis estimait que les témoignages dont l'agent de sécurité disposait lorsqu'il a donné ses instructions ne justifiaient pas sa conclusion. Pour la société, le fait que le messager ait été seul pendant quatorze minutes dans un centre commercial ne constituait pas en soi un danger, et l'agent de sécurité n'avait apporté aucune preuve qui aurait pu l'amener à conclure qu'à un moment quelconque pendant ces quatorze minutes, le messager avait été réellement exposé à un danger.

 

10.Loomis estimait également que, pour ce qui était du nombre de hold-up, de blessures et de morts, l'histoire de la société révélait un bilan comparable à celui de ses concurrents sinon meilleur. La formation d'équipes de deux personnes, après évaluation minutieuse des risques et dangers que présentent les établissements de différents clients, est devenue courante dans la profession, et si Loomis est obligé d'avoir des équipes de trois personnes, elle est désavantagée face à la concurrence.

 

11.Loomis estimait que l'agent de sécurité n'avait pas tenu compte de la diversité des clients de Loomis et des différents degrés de risques inhérents à leurs établissements. La nature du client, des biens confiés à Loomis et des mesures de sécurité internes appliquées par le client sont des éléments tous pris en compte lorsque l'on décide de constituer des équipes de deux ou de trois personnes.

 

12.Loomis faisait également valoir que l'agent de sécurité ne semblait pas avoir envisagé d'autres possibilités que de donner ses instructions, par exemple, suggérer d'utiliser des gardes patrouilleurs de Loomis dans différents établissements clients, afin d'apporter un soutien aux messagers, ou des appareils de communication qui permettraient au chauffeur de rester en contact avec le messager.

 

Position du syndicat

 

13.Le syndicat représentant les employés de Loomis à Ottawa, la Fraternité canadienne des cheminots, employés de transport et autres employés (FCCETAO), a été invité à présenter des mémoires écrits sur ce sujet à deux reprises au moins, dans des lettres du 21 juillet 1987 et du 13 mai 1988. Loomis a reçu des copies de ces mémoires.

 

14.D'après la FCCETAO, c'est uniquement pour des raisons économiques et sans tenir compte des facteurs de sécurité que Loomis était passée au système des équipes de deux personnes, qu'elle avait adopté peu de temps avant que l'agent de sécurité Robert ne donne ses instructions. La Fraternité contestait le fait que Loomis ait entrepris une évaluation des risques présentés par les établissements clients et affirmait que l'entreprise n'utilisait pas couramment des gardes patrouilleurs.

 

15.Par ailleurs, le syndicat estimait que les appareils de communication ne s'étaient pas révélés très efficaces, notamment dans les immeubles en béton. Il déclarait également que le matériel de radio des véhicules de Loomis fonctionnait mal. En outre, il jugeait que la formation donnée chez Loomis était minime (quatre heures pour le maniement des armes de poing par la Police d'Ottawa, plus une formation "sur le tas" en tant que membre ordinaire d'une équipe).

 

16.La FCCETAO déclarait qu'à son avis, le travail en équipes de deux faisait courir aux employés des risques inutiles. Elle ajoutait que les services de police de la région d'Ottawa-Carleton étaient unanimes à penser qu'"avec des équipes de deux hommes, on ne fait que courir au-devant des ennuis".

 

17.Un certain nombre d'autres syndicats et de représentants d'employés ont aussi présenté leurs points de vue spontanément. Certains étaient en faveur des équipes de deux personnes et d'autres y étaient opposés. Un employeur de la profession est également intervenu pour demander l'adoption des équipes de trois personnes.

 

Thèmes de réflexion

 

18.Beaucoup de temps s'est écoulé depuis les événements à l'origine de cette révision, quelques six ans, en fait, depuis les instructions et plus de cinq ans depuis la réception des derniers mémoires. Ce délai est préoccupant et il a plongé dans l'incertitude plusieurs parties concernées, dont, notamment, les agents de sécurité de Travail Canada qui se sont trouvés dans l'obligation de prendre position sur des refus de travail dans les entreprises de transport de fonds.

 

19.Toutefois, ce long laps de temps écoulé n'est pas le reflet d'un désintérêt pour cette question ni d'une réticence à prendre une décision. En fait, il a permit de se renseigner et de réfléchir à un problème très consternant pour les spécialistes de la sécurité et de la santé au travail (SST), à savoir: combien faut-il de personnes pour effectuer une tâche en toute sécurité et sans danger pour la santé, pour remplir une fonction, etc.? À plusieurs reprises, on a demandé à Travail Canada et, sans doute, à d'autres organismes réglementaires de la SST de statuer sur cette question. À la connaissance de l'auteur, Travail Canada a toujours décliné de le faire, soutenant que personne ne connaît mieux les réponses à ces questions que les gens qui travaillent dans ce domaine. On s'est donc efforcé d'aider les parties à prendre ces décisions.

 

20.Au cours des dernières années, les agents de sécurité (dans les cas de refus de travailler à cause d'un danger), les agents régionaux de sécurité (qui révisent les instructions des agents de sécurité) et le Conseil canadien des relations du travail ont pris un certain nombre de décisions concernant la taille des équipes dans les entreprises de transport de fonds. À une exception près (faisant actuellement l'objet d'un nouvel examen), les dernières décisions prises confirment que le fait de travailler en équipes de deux personnes ne constitue pas, en soi, un danger, selon la définition de la Partie Ii du Code canadien du travail. Il faut également remarquer qu'en 1988, le ministère du Travail de Terre-Neuve avait refusé de comparer le degré de sécurité présenté par les équipes de deux et de trois personnes dans une entreprise de transport de fonds de cette province, comme le lui demandait le syndicat représentant les employés. La Cour suprême de Terre-Neuve, Division de première instance, a confirmé cette position dans une décision rendue à l'occasion d'une demande d'ordonnance de mandamus présentée par le syndicat (l'Association des fonctionnaires provinciaux de Terre-Neuve contre Sa Majesté du chef de Terre-Neuve, Saint-John's, 1988 no 2803, en date du 23 octobre 1989).

 

Décision

 

21.Personne, oserais-je croire, ne peut nier que les gardes employés dans les transports par fourgons blindés sont exposés chaque jour à des risques. Dans une décision rendue récemment dans la révision de la décision d'un agent de sécurité à propos d'un refus de travailler pour cause de danger (Décision no 916 du 4 février 1992), le Conseil canadien des relations du travail soulignait que le risque de vol ou d'agression fait partie de la vie du personnel de transport de fonds (paraphrase). On peut donc conclure que le danger est inhérent à l'utilisation des fourgons blindés, ce que reconnaît le Code et ce qui empêche les employés de refuser de travailler pour la seule raison qu'il existe un risque de vol ou d'agression. Cependant, on doit aussi se demander à quel moment ou dans quelles circonstances ce danger devient inacceptable.

 

22.Si l'on veut préparer les employés des entreprises de transport de fonds à affronter ce danger, il semble indispensable de bien les informer, les former, les superviser et de les doter d'un matériel convenable. Il est essentiel, pour réduire les risques de veiller à ce qu'il y ait une liaison permanente entre le chauffeur du véhicule blindé et le messager (par des moyens visuels, électroniques ou autres) et de donner à ces personnes une formation adéquate, ainsi que des équipements de protection convenables. Il faudrait sans aucun doute tenir compte d'autres facteurs tels que le genre de client pour qui l'on travaille, la quantité d'objets de valeur transportés, la distance qui sépare le véhicule de l'établissement du client, la disposition des lieux ou l'itinéraire à suivre pour se rendre à ce dernier, les moyens de sécurité dont le client dispose, etc.

 

23.Tous ces facteurs et d'autres encore doivent entrer en ligne de compte quand les parties décident de l'effectif de l'équipe d'un fourgon blindé pour une mission donnée. Il faudrait donc prendre les décisions au cas par cas et uniquement après avoir examiné les éléments susmentionnés.

 

24.Par ailleurs, il ne faut pas oublier que le matériel de communication a considérablement évolué depuis que l'agent de sécurité Robert a donné ses instructions en 1987; à savoir: ce matériel est aujourd'hui beaucoup plus courant, beaucoup plus fiable et moins coûteux.

 

25.À la lumière des témoignages que j'ai reçus, je suis parvenu à la conclusion que des communications permanentes sont indispensables si l'on veut ramener le risque à un niveau acceptable. Donc, en vertu du paragraphe 146(3) de la Partie II du Code canadien du travail, je décide de modifier les instructions données le 1er juin 1987 à Loomis Armoured Car Service Ltd. par l'agent de sécurité Jacques Robert, en remplaçant les alinéas (a) et (b) par l'alinéa suivant:

 

pour s'assurer que les employés qui se trouvent à l'extérieur du véhicule dans l'exercice de leurs fonctions soient, à tout moment, en contact visuel ou auditif avec un autre employé ou une autre personne, telle qu'un agent de sécurité du client qualifié.

 

26.Je conseille vivement à Loomis et à la FCCETAO, et, en fait, à toutes les parties travaillant dans les transports de fonds, d'entreprendre des pourparlers, par le biais des comités de sécurité et de santé, pour examiner des solutions possibles afin de régler le problème des effectifs des équipes. Je pense que l'on pourrait mieux utiliser l'énergie consacrée à persuader le gouvernement d'intervenir si l'on s'efforçait de résoudre le problème au sein de la profession.

 

27.Décision rendue le 23 juin 1993, à Ottawa.

 

 

 

 

G.R. McKnight

Agent régional de sécurité



[1] N.D.T.: maintenant la Partie II.

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