Tribunal de santé et sécurité au travail Canada

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CODE CANADIEN DU TRAVAIL

PARTIE II

SÉCURITÉ ET SANTÉ AU TRAVAIL

 

Révision en vertu de l'article 146

de la partie II du Code canadien du travail

d'une instruction donnée par un agent de sécurité

 

 

Requérant : Brink's Canada Ltd.

Ottawa (Ontario)

Représenté par : M. George Vassos, avocat

 

Parties intéressées : M. Jean Patry

M. Dan Schlievert

Représentés par : M. Andy Wepruk

Fraternité canadienne des cheminots, des employés des transports et autres ouvriers

 

Mis en cause : M. Jacques Robert

Agent de sécurité

Travail Canada

 

Devant : M. Serge Cadieux

Agent régional de sécurité

Travail Canada

 

Une audition orale a eu lieu à Hull (Québec) le 1er février 1993. M. Vassos a conclu le processus de révision en présentant des plaidoyers écrits, que M. Wepruk n'a pas remis en question.

 

Historique

 

Le 23 mars 1992, M. Jacques Delorme, directeur régional à la compagnie Brink's Canada Ltd. pour la région d'Ottawa, téléphonait à l'agent de sécurité Jacques Robert pour l'informer que des employés refusaient de travailler au numéro # 3242, au coin du Chemin Hawthorne et de la rue Stevenage, à Ottawa (Ontario). Selon le rapport, deux employés de Brink's, M. Dan Schlievert, chauffeur, et M. Jean Patry, messager, refusaient de travailler à cet endroit.

 

D'après l'enquête menée par l'agent de sécurité, le refus de travailler de ces employés reposait sur trois raisons, l'une d'entre elles n'étant autre que la question bien connue de l'équipe de trois hommes par rapport à l'équipe de deux. Les lecteurs doivent comprendre que cette question est en partie responsable de l'animosité à laquelle s'est heurté l'agent de sécurité pendant son enquête. Dans le cas qui nous concerne, les employés qui refusaient de travailler ont affirmé que, si cette question était constamment présente à leur esprit, elle ne constituait pas la principale raison de leur refus de travailler. Les représentants de Brink's Canada Ltd. ont soutenu le contraire.

 

À la fin de son enquête, l'agent de sécurité a conclu que les employés ne couraient aucun danger de travailler à cet endroit et n'a pas par conséquent maintenu leur refus de travailler.

 

Dans le rapport sommaire préparé pour l'audience, l'agent de sécurité expliquait que dès qu'il «a déclaré qu'il n'acceptait pas le refus des employés de travailler, M. Delorme a immédiatement menacé ces derniers de renvoi s'ils refusaient de travailler ce jour-là. J'expliquai à M. Delorme qu'il ne pouvait intimider ou menacer les employés, car il enfreignait ainsi le Code canadien du travail. Il continua et je lui ordonnai d'arrêter. Toutefois, il continua d'intimider et de harceler les employés...».

 

Dans le rapport sommaire, l'agent de sécurité expliquait qu'en raison des menaces et du harcèlement dont les employés qui avaient refusé de travailler continuaient d'être l'objet, il ne lui restait qu'une solution, soit celle d'émettre une instruction à l'endroit de Brink's Canada Ltd. Par conséquent, une instruction écrite a été remise à Brink's Canada Ltd. le 6 juillet 1992, soit plus de trois mois après les événements du 23 mars 1992. L'instruction, émise en vertu du paragraphe 145 (1) du Code canadien du travail, partie II, traite spécifiquement de ces mêmes événements, soit le refus des employés de travailler et les menaces et le harcèlement dont ils ont fait l'objet. Elle stipule aussi qu'en raison de sa conduite M. Delorme ne respecte pas le sous-alinéa 147 a) (iii) du Code et ordonne de plus à Brink's Canada Ltd. de «mettre immédiatement fin à la contravention».

 

Sciemment ou pas, l'agent de sécurité n'a pas daté l'instruction écrite. De plus, le rapport sommaire confirme que l'agent de sécurité a indiqué à M. Delorme qu'il «avait le droit d'interjeter appel dans les quatorze jours à compter de ce jour (6 juillet 1992) auprès de l'agent régional de sécurité, en ce qui concerne la décision énoncée dans son instruction». Le 17 juillet 1992, Brink's Canada Ltd. demandait que cette instruction soit révisée.

 

Arguments de l'employeur

 

M. Vassos a affirmé que l'instruction écrite remise par l'agent de sécurité le 6 juillet 1992 était en fait une confirmation de la première instruction verbale donnée le 23 mars 1992. Il s'agit, par conséquent, d'un litige dont l'issue du cas dépend tellement que M. Vassos est inflexible : l'agent régional de sécurité doit d'abord se pencher sur cette question et la régler.

 

M. Vassos a aussi soutenu que si l'agent régional de sécurité est d'accord pour dire que l'instruction écrite était en fait une confirmation de l'instruction verbale, l'instruction devrait être annulée, car en plus il était impossible de «mettre immédiatement fin à la contravention» le 6 juillet 1992 comme l'ordonnait l'instruction.

 

En vue de défendre le postulat selon lequel l'instruction écrite était en fait une confirmation de l'instruction verbale,

M. Vassos a affirmé, preuves à l'appui, que :

 

1.En ce qui concerne les événements qui se sont produits le 23 mars 1992, M. Robert a donné ce jour-là à M. Delorme une instruction verbale, à savoir qu'il devait «cesser, comme on prétend qu'il l'a fait, de menacer les employés de renvoi ou d'exercer une coercition sur ces derniers, car ils avaient eu recours à leur droit de refuser d'éxécuter un travail dangereux».

 

2.M. Robert a émis l'instruction écrite non datée le 6 juillet 1992 ou vers cette date et a remis une copie de celle-ci à M. Delorme le 6 juillet. M. Robert a témoigné que cette instruction écrite visait à confirmer l'instruction verbale qu'il avait donnée à M. Delorme le 23 mars 1992.

 

3.La raison pour laquelle une confirmation écrite de l'instruction verbale a été longue à venir est due au seul fait que M. Robert avait besoin de consulter des spécialistes ministériels à propos de la procédure à suivre dans un cas pareil.

 

M. Vassos a rapporté deux autres faits. Je choisis toutefois de ne pas en parler, car ils n'éclairent, ni n'appuient le postulat ci-dessus.

 

Décision

 

Pour commencer, je dirais qu'au départ je ne considérais pas le litige comme une question à propos de laquelle il fallait prendre une décision. J'estimais, d'après l'instruction écrite, que ce cas pouvait être résolu en toute objectivité, sans que des objections de cette sorte ne soient soulevées. Toutefois, la situation a pris une tournure qui ne me laisse plus de choix. Je dois désormais étudier cette question et trancher avant de décider autre chose.

 

Par conséquent, ce qu'il faut déterminer dans le cas présent est si l'instruction écrite émise par l'agent de sécurité le 6 juillet 1992 à l'adresse de Brink's Canada Ltd. représentait en fait une confirmation de l'instruction verbale donnée le 23 mars 1992. Si oui, je dois alors étudier les conséquences de cette conclusion. Si non, je dois décider si Brink's Canada Ltd. est lésé par une décision que j'ai l'intention de prendre en toute objectivité et en l'absence du témoignage de M. Delorme, un important témoin selon Brink's Canada Ltd.

 

Selon moi, le postulat de M. Vassos est tout à fait correct. L'instruction que l'agent de sécurité, M. Jacques Robert, a remise à Brink's Canada Ltd. le 6 juillet 1992 constitue à mon avis une confirmation de l'instruction verbale donnée le 23 mars 1992. Il existe beaucoup de faits dans le dossier qui appuient cette conclusion . Par exemple :

 

i)dans son rapport sommaire, l'agent de sécurité confirme qu'il a ordonné à M. Delorme de cesser d'intimider et de menacer les employés qui refusaient de travailler;

 

ii)l'agent de sécurité a témoigné à l'audience que l'instruction écrite remise à M. Delorme le 6 juillet 1992 visait à confirmer l'instruction verbale qui lui avait été donnée le 23 mars 1992;

 

iii)ce n'est que parce que l'agent de sécurité avait besoin de se faire conseiller par ses supérieurs quant à la procédure à suivre pour préparer une instruction écrite de l'instruction verbale que du retard a été pris;

 

iv)l'instruction traite spécifiquement des événements, sur lesquels l'agent de sécurité a fait enquête le 23 mars 1992, et ordonne à Brink's Canada Ltd. de mettre fin à la contravention;

 

v)M. Vassos rapporte qu'il a été formellement ordonné à M. Delorme de «cesser, comme on prétend qu'il l'a fait, de menacer les employés de renvoi ou d'exercer une coercition sur ces derniers, car ils avaient eu recours à leur droit de refuser d'éxécuter un travail dangereux».

 

J'estime que l'instruction écrite à l'étude constitue en réalité une confirmation de l'instruction verbale susmentionnée. L'agent de sécurité a d'ailleurs attesté la même chose dans son témoignage. M. Vassos se range de toute évidence à cette opinion. De plus, comme M. Wepruk n'a remis en question aucun des faits exposés par M. Vassos, je ne peux que conclure qu'il est du même avis.

 


La question à laquelle je dois maintenant répondre est la suivante : quelle est la conséquence de cette conclusion?

M. Vassos voudrait que j'annule l'instruction en fonction de son postulat et parce que l'instruction écrite émise plus de trois mois après n'est plus nécessaire et n'a pas lieu d'être.

 

J'estime que je ne détiens pas le pouvoir de le faire pour le moment.

 

L'instruction a été émise, comme elle aurait dû l'être, conformément au paragraphe 145 (1) du Code. Cette disposition stipule :

 

145 (1) S'il est d'avis qu'il y a contravention à la présente partie, l'agent de sécurité peut ordonner à l'employeur ou à l'employé en cause d'y mettre fin dans le délai qu'il précise et, sur demande de l'un ou l'autre, confirme par écrit toute instruction verbale en ce sens.

 

De toute évidence, l'agent de sécurité a le pouvoir, en vertu de cette disposition, de donner des instructions verbalement. À ce propos, j'estime que lorsqu'un agent de sécurité a recours au pouvoir que lui confère la loi pour donner officiellement ordre ou instruction à un employeur ou à employé de se conformer à la

loi, cet ordre ou cette instruction officiels ont alors force de loi au moment où ils sont donnés.

 

Si, selon moi, des instructions écrites devraient être la norme et des instructions verbales l'exception, le paragraphe 145 (1) du Code ne fait pas cette différence. À la lumière des exposés et des témoignages faits dans le cadre de ce cas, je suis convaincu qu'une instruction verbale a été énoncée et donnée à

M. Delorme le 23 mars 1992. C'est cette instruction datée du

23 mars 1992 qui a force de loi.

 

De surcroît, en vertu de la disposition ci-dessus, l'agent de sécurité n'a pas à confirmer l'instruction par écrit à moins que le destinataire ne le lui demande. L'agent de sécurité a affirmé dans son témoignage que ni les représentants de Brink's Canada Ltd, ni l'un ou l'autre des employés ayant refusé de travailler (ex : M. Jean Patry et M. Dan Schlievert) ne lui ont demandé de confirmer l'instruction par écrit.

 

Travail Canada applique à juste titre la politique suivante, à savoir que toute instruction verbale doit être confirmée par écrit au plus vite. Il est évident qu'envoyer une confirmation trois mois et demi plus tard n'est pas ce que prévoit cette politique. Dans le présent cas, ce retard n'est pas raisonnable et pourrait être considéré comme faisant du tort à Brink's Canada Ltd.

 

Néanmoins, une confirmation par écrit d'une instruction verbale ne constitue pas une nouvelle instruction. Elle ne donne pas non plus d'autres droits.

 

Je suis surpris que l'agent de sécurité ait précisé si spécifiquement à M. Delorme qu'il «avait le droit d'interjeter appel dans les quatorze jours à compter de ce jour (6 juillet 1992) (souligné par moi) auprès de l'agent régional de sécurité en ce qui concerne la décision énoncée dans son instruction». En vertu du Code, il revient entièrement à l'agent régional de sécurité de déterminer l'à-propos d'une demande de révision d'une instruction. Il en est ainsi parce que l'à-propos d'une demande de révision d'une instruction détermine entre autres si l'agent régional de sécurité a le pouvoir d'entendre le cas présenté. Dans le cas qui nous concerne, l'à-propos constitue un point capital.

 

Le paragraphe 146 (1) du Code stipule le délai dans lequel une demande de révision doit être faite :

 

146 (1) Tout employeur, employé ou syndicat qui se sent lésé par des instructions données par l'agent de sécurité en vertu de la présente partie peut, dans les quatorze jours qui suivent, en demander la révision par un agent régional de sécurité dans le ressort duquel se trouve le lieu, la machine ou la chose en cause.

 

Le délai de quatorze jours que stipule le paragraphe 146 (1) du Code est obligatoire. Si cette exigence n'est pas respectée, l'agent régional de sécurité n'a plus juridiquement le droit de s'occuper de l'affaire. De plus, l'agent régional de sécurité n'a aucune liberté quant à ce délai et n'a donc pas le pouvoir de le prolonger. Ne pas tenir compte de ce délai obligatoire et donner suite à ce cas, sans en avoir le pouvoir, reviendrait dans cette affaire à agir hors du cadre de mon champ de compétence.

 

Par conséquent, le requérant est avisé que le délai de quatorze jours que stipule le Code pour faire une demande de révision, demande de révision formulée le 17 juillet 1992 à propos de l'instruction verbale donnée par l'agent de sécurité Jacques Robert à Brink's Canada Ltd. le 23 mars 1992, a été dépassé. Étant donné que le Code ne contient aucune disposition autorisant l'agent régional de sécurité de prolonger le délai, j'estime que je n'ai pas le pouvoir d'entendre ce cas.

 


Pour toutes les raisons susmentionnées, la demande de révision de l'instruction ci-dessus mentionnée est rejetée.

 

Décision prise le 29 mars 1993.

 

 

 

Serge Cadieux

Agent régional de sécurité

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